Histoire administrative : HISTORIQUE.
Le monastère de Lérins, fondé dans les premières années du Ve siècle par Saint Honorat et établi dans l'île qui porte le nom du fondateur, se situe dans le courant du monachisme inspiré de l'Orient. Il occupa une place importante dans le mouvement théologique au cours des Ve et VIe siècle et forma des sujets qui devaient s'illustrer dans les fonctions épiscopales. La règle bénédictine y aurait été introduite dans la seconde partie du VIIe siècle. Vers la fin du Xe siècle et au début du XIe, par suite de donations et de libéralités diverses, le monastère se constitua un domaine important jusque dans des régions étrangères à la Provence. En 1094, le pape Urbain II lui conféra l'exemption, le plaçant sous la protection spéciale du Saint-Siège. A partir de l'année 1464, avec l'évêque de Grasse, Isnard, commence la liste des abbés commendataires.
En 1515 fut prononcée l'union de Lérins à la congrégation du Mont-Cassin, dite de Sainte Justine, union interrompue de 1634 à 1645 et remplacée durant cette période par le rattachement à la congrégation de Saint-Maur et de Cluny.
Un arrêt du Conseil du 5 septembre 1789, pris à la requête de l'évêque de Grasse, ayant déclaré nulle et abusive l'union à la congrégation du Mont-Cassin, le monastère demanda son admission dans l'ordre de Cluny, ancienne observance, admission confirmée par lettres patentes en 1756. Mais à cette époque, le monastère souffrait d'une grave crise de recrutement.
Par décision royale du 24 septembre 1786 et bulle pontificale du 10 août 1787, l'abbaye de Lérins était supprimée et ses biens dévolus à la mense épiscopale de Grasse. En 1859, Mgr Jordany, évêque de Fréjus, rachetait l'ancien monastère et y établissait, en 1869, les cisterciens de la congrégations de Sénanque, en mai 1872, le siège de la congrégation était transféré à Lérins. E. Hildesheimer.
INTRODUCTION DETAILLEE DE L'INVENTAIRE.
I. HISTORIQUE DE L'ABBAYE (DU IVE SIÈCLE A 1787, DATE DE SA SÉCULARISATION).
En face de la ville de Cannes, à une demie-lieue de la côte, émergent les îles de Lérins, dont le nom est célèbre dans les fastes de l'histoire. La plus grande, Sainte-Marguerite, rappelle l'homme au masque de fer ; la seconde contient les ruines de l'abbaye de Saint-Honorat.
Barralis, dans sa chronologie des Saints de Lérins (Chronologia sanctorum et aliorum virorum illustrium ac abbatum sacrae insulae lerinensis, Lugduni, MDCXIII), fixe à l'année 375- d'autres auteurs à 391 (Gallia christ, III, col.1188) - la fondation du monastère par Saint-Honorat. Autour de lui se groupèrent aussitôt de nombreux cénobites : saint Maxime, saint Hilaire, saint Patrice, saint Jacques de Tarentaise, saint Appolinaire de Valence, saint Rustique de Narbonne, saint Valérien de Cimiez, saint Eucher, saint Solonius, saint Véran, saint Loup, saint Vincent, saint Fauste.
Pendant plusieurs siècles, l'île Saint-Honorat, comme le Mont-Athos et le Mont-Cassin, donna asile aux lettres et aux sciences ; elle fut une véritable pépinière de docteurs, d'érudits, de saints et de martyrs ; les peuples lui demandèrent des évêques (saint Juste, évêque de Lyon (381) ; saint Eucher, évêque de Lyon (441), saint Véran, évêque de Vence (449), saint Maxime, évêque de Riez (466), saint Loup , évêque de Troyes (473) ; saint Fauste, évêque de Riez (490) ; saint Appolinaire, évêque de Valence (494) ; saint Césaire, archevêque d'Arles (540) ; saint Germain, évêque de Paris (578) ; saint Virgile, archevêque d'Arles (640) ; saint Agricole, évêque d'Avignon (700) ; saint Lambert, évêque de Vence (1154), etc.).
Ensuite, il est vrai, la gloire de Lérins s'amoindrit ; mais l'éclipse n'est jamais entière, et, dans le clair-obscur, on voit successivement apparaître de grandes et lumineuses figures : saint Mayeul et saint Odilon ; saint Lambert, évêque de Vence ; Adalbert le Grand ; l'abbé Nicolas, chapelain d'Urbain IV ; Alziary, évêque de Glandèves ; Jean de Tornafort, évêque de Nice ; André de Fontana, évêque de Sisteron ; Pierre et Jérôme de Montferrat, Grégoire Cortèze, tous trois élevés au cardinalat ; le savant Isidore de Crémone ; Denis Faucher ; l'annaliste Barralis, etc.
Sa prospérité temporelle n'était pas moindre que sa puissance spirituelle. Dès le XIe siècle, les donations affluèrent ; au XIIe siècle, les propriétés de l'abbaye s'étendaient sur tout le littoral de la méditerranée, de Barcelone à Gênes, et remontaient, au nord, jusqu'à la Loire (Elle avait des possessions dans les diocèses de Frejus, de Gap, de Riez, archevêché d'Aix, de Marseille, de Toulon, archevêché d'Arles, de Digne, de Glandèves, de Grasse, de Nice, de Senez, de Vence, archevêché d'Embrun, d'Albi, de Clermont, de Saint-Flour, archevêché de Bourges, d'Avignon, de Barcelone en Espagne ; de Gênes, de Mariana, de Vintimille en Italie). Elle possédait le droit de battre monnaie (la principauté de Sabourg).
Cette prospérité même devint une cause de décadence. Alléchés par l'appât du butin, les Sarrasins, dès le VIIIe siècle avaient débarqué dans l'île et massacré l'abbé saint Porcaire avec ses compagnons, y firent, dans les siècles suivants, de fréquentes incursions. Pour se défendre, les moines durent transformer leur monastère en forteresse (Cette tour fut commencée sous l'abbé Adelbart II, en 1088.Bouche, l'auteur de l'Histoire de Provence, tome II, page 110, qui a visité l'abbaye vers le milieu du XVIIème siècle, nous dit qu'elle contenait 36 cellules pour les religieux et 10 pour les étrangers, un très grand réfectoire et trois chapelles, séparées de la grande église, des fours, une boulangerie, deux citernes, en somme plus de 80 chambres ou habitations, 88 portes, 100 fenêtres)). Les préoccupations de la vie matérielle dominant toutes les autres, la discipline se relâcha, l'activité intellectuelle diminua et la commende vint donner le dernier coup à la grandeur morale de l'abbaye.
En 1440, les religieux avaient tellement oublié les devoirs de leur état qu'un des articles des statuts du chapitre général tenu à cette époque, leur défendit de porter des armes dans l'île (Arch. dép. des Alp. Marit. H 8I « Item, statuimus et ordinamus quod nullus prior vel monachus publice vel occulte in monasterio nostro sive insula arma portare praesumet…. »), un autre les obligea à se confesser au moins le premier dimanche de chaque mois et à communier aux fêtes solennelles (H 8I « Item, statuimus et ordinamus quod quilibet religiosus in prima dominica cujuslibet mensis ad minus semel confiteatur et in solemnioribus festivitatibus eucharistiam recipere teneatur, sub poena quod stet per unum diem integrum in pane et aqua ».). Le mal fut bien plus grand encore, quand, après l'union de Lérins au Mont-Cassin, en 1515, on y déversa tous les religieux qui faisaient scandale en Italie au point que l'île fut alors appelée « galère de la religion ».
En 1787, toute reforme était devenue impossible ; le pape Pie VI sécularisera l'abbaye et la réunit à l'évêché de Grasse. La suppression canonique fut prononcée dans les premiers mois de 1788, et, lorsque les commissaires royaux vinrent dresser l'inventaire de ce monastère, qui avait été jadis un foyer de vie intellectuelle, l'une des résidences les plus prospères et les plus peuplées de la chrétienté, ils trouvèrent une bibliothèque au pillage, des ornements sacrés en lambeaux, des terres en friches, une église abandonnée, et quatre religieux seulement, indifférents et passifs, qu'une pension viagère de 1500 livres consola de la grande ruine qu'ils virent consommer sous leurs yeux (H 127).
II. HISTORIQUE DE LÉRINS DEPUIS LA SÉCULARISATION.
Le 9 mars 1791, eurent lieu, à Grasse, les enchères pour la vente de l'île Saint-Honorat, dans une salle du couvent de l'oratoire. Elle fut adjugée, pour 37 000 livres à M. Alziary, de Saint-Paul. Pendant la période révolutionnaire, les filles de l'acquéreur, les demoiselles Saint-Val, actrices de la comédie française, y demeurèrent. L'île passa ensuite à M. Sicard, de Vallauris, puis à M. Sims, ministre anglican. Enfin .
Mgr Jordany, évêque de Fréjus, en fit l'acquisition, pour la rendre au culte, en 1859 (Mgr Jordany dans le sermon qu'il prononça dans l'église de Lérins, en la rendant au culte, dit : « c'est Dieu qui fait la tempête et le calme, selon les desseins de sa justice et de sa miséricorde. Quand il ébranle le monde, c'est pour le tirer de sa torpeur, pour le renouveler en le purifiant, pour montrer sa présence si facilement oubliée. Le calme se fait ensuite ; c'est le moment des réparations ; c'est le jour où l'église renoue la chaîne de ses traditions glorieuses » - Mgr Chalendon, archevêque d'Aix, prit ensuite la parole : « les soixante-dix années de captivité sont terminées, s'écrit-il, réjouissons-nous… C'est avec un ineffable sentiment que, du pied de cet autel, dont la pierre sacrée était encore indignement profanée, j'embrasse à la fois le passé, le présent et l'avenir. Le passé, ce sont les ruines ; le présent, c'est vous, et l'avenir c'est Dieu… »). Il y appela les pères cisterciens de l'abbaye de Senanque, qui y construisirent un nouveau monastère et une nouvelle église ; ils établirent en même temps un orphelinat, où les jeunes gens reçoivent une instruction primaire et apprennent un métier.
Millin, dans son voyage aux départements du midi de la France (Paris, 1807, 5 vol. in 8° et atlas), parle ainsi de l'île Saint-Honorat, qu'il a visitée en 1804 : « Cet antique monastère est aujourd'hui en ruines ; le jardin, que les mains pieuses des solitaires avait planté d'orangers, est livré à des boeufs. On trouve encore, quelques restes du réfectoire et d'une fontaine qui, d'après une inscription très dégradée aussi, était destinée à laver les linges sacrés sur l'autel….l'intérieur de l'église est très dévasté. ».
A soixante-dix ans de là (1875), Lenthéric s'exprime en ces termes : « Le voyageur qui met aujourd'hui le pied sur ce rocher si plein de souvenirs est tout d'abord frappé du nombre de ruines et de l'amas de décombres qu'il voit autour de lui. En certains endroits, les tuiles romaines, les débris de matériaux frustes, les fragments de colonnes, de marbres, de chapiteaux jonchent le sol. Le donjon carré, construit au XIIe siècle pour la défense de l'île contre les Sarrasins, commande fièrement la mer ; ses parapets crénelés se découpent d'une manière admirable sur le bleu foncé de la Méditerranée et semblent protéger encore la petite église à demi ruinée, qui fut le sanctuaire des premiers religieux. Tout est détruit à l'intérieur ; mais on ne saurait parcourir sans intérêt ces salles effondrées, ces souterrains remblayés par les décombres ces longs corridors où l'ogive et le plein cintre s'entrecroisent dans un pêle-mêle confondu ».
Aujourd'hui les décombres ont disparu, aussi bien dans le reste de l'île que dans le château-fort.
Grâce à l'intelligente activité du révérendissime abbé Colomban, des constructions nouvelles, répondant aux besoins nouveaux, se sont élevées ; l'orphelinat est très confortablement installé ; une imprimerie fort bien montée, permet aux jeunes orphelins d'apprendre le métier de typographe. De son côté, l'Etat a fait réparer le château-fort, qui est un des types les plus curieux de l'architecture militaire du midi de la France.