Statistiques du département des Alpes-Maritimes par F-E Fodéré
Transcription du document dans sa forme originelle et avec l’orthographe de l’époque.
Les Alpes-Maritimes, il y a deux cents ans.
En 1803, alors que le comté de Nice était français depuis dix ans et qu’il constituait à lui seul un département, Fodéré, médecin renommé, est chargé par le préfet d’une grande enquête afin de connaître la situation des Alpes-Maritimes, ses richesses et ses difficultés et d’orienter son développement économique.
Après un périple qui l’a conduit dans toutes les contrées du département, souvent accompagné à pied au cours de longues et pénibles courses par des érudits comme le pharmacien Risso, l’abbé Loques ou le chirurgien Cléricy, Fodéré rédige un volumineux et remarquable mémoire de 686 pages qui lui vaut la reconnaissance et les félicitations du savant Chaptal, alors ministre de l’Intérieur. Ce manuscrit exceptionnel, conservé aux Archives départementales des Alpes-Maritimes, nous fournit une mine de renseignements sur le département, son milieu naturel, ses habitants et ses activités économiques.
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Pendant plus d'un an, chaque mois, un nouveau sujet abordé par Fodéré a été mis en ligne ; l’ensemble des textes est maintenant disponible.
Instruction et charité
Comparaison entre instruction ancienne et écoles en 1803. État des lieux de l’instruction de la population avec en conclusion la nécessité d’instaurer une protection du gouvernement afin de propager l’instruction. Descriptif des établissements de bienfaisance du département.
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Etablissement d’instruction publique et de bienfaisance.
Instruction publique
Ecoles anciennes
En parlant des principales communes du département, nous avons fait la nomenclature des établissements d’instruction, qu’elles avaient anciennement, et qui étaient surveillées avec le plus grand soin par un magistrat appelé magistrat de la réforme, composé des premiers fonctionnaires de chaque province indépendamment de ces écoles, chaque commune, quelque petite qu’elle fut avait son école particulière, où les enfants des laboureurs prenaient durant l’hiver, les premiers éléments de lecture et d’écriture ; et apprenait le catéchisme. Les communes d’une population un peu étendue, avaient en outre un second instituteur pour les éléments des langues latines et italiennes. Comme je l’ai déjà dit, la religion était attachée à l’instruction ; des hommes pieux et en même temps amis de l’humanité, avaient fait des fondations de chapelles ou de nurses, auxquelles était attachées l’obligation d’enseigner la jeunesse gratuitement. C’était, par conséquent des prêtres, qui partout étaient chargés de l’enseignement ; leurs appointements n’étaient pas considérables ; les plus forts, pour ceux qui enseignaient le latin, ne s’étendant pas au-delà de 500 francs, mais ils suffiraient à des célibataires et dans un temps, où les vivres étaient à fort bon marché.
Les biens ecclésiastiques ayant été vendus et par conséquent avec eux, ceux de l’instruction, tous ces établissements ont disparu. Je n’ai pas rencontré une seule commune, où il en existait encore un ; aussi l’instruction n’est-elle que pour les riches qui peuvent payer des maîtres particuliers pour leurs enfants.
Ecoles actuelles
La substitution des écoles primaires à cet ordre de choses a été bien loin de le remplacer, car les communes se trouvant déjà extrêmement chargées d’ailleurs, ont entièrement négligé cette partie essentielle, et à part les quatre écoles primaires qu’il y a à Nice, à peine en trouve-t-on six dans le reste du département ; la défaveur même s’est jointe au défaut de moyens pour discréditer ces écoles ; accoutumé à voir unis à l’instruction les principes religieux, le peuple a craint, et par fois avec fondement, que les nouvelles institutions ne fussent subversives de son antique croyance ; l’intérêt personnel des ministres du culte n’a que trop favorisé cette opinion ; privés des bénéfices dont ils jouissaient précédemment, ils ont du attirer à eux tout l’enseignement, se déclarer les conservateurs des usages anciens, et se mériter ainsi la confiance des riches ; par là, les écoles particulières se sont autant multipliées que le nombre des écoles publiques à diminuer ; les quatre écoles primaires de Nice, qui en égard à la population, devraient avoir chacune le nombre de cent élèves, en ont à peine 60 entre toutes ; et cependant les instituteurs particuliers sont très multipliés, et le peuple préfère payer chèrement un de ces maîtres plutôt que de profiter de l’instruction gratuite que la loi lui présente.
Je me suis aussi aperçu que quelques maires pour concentrer le pouvoir dans leurs familles, n’ont rien fait pour remplacer les anciennes écoles, à la tête des conseils municipaux dont la plupart des membres ne savent pas lire, ils leurs communiquent leurs pensées et leurs intérêts. J’en ai trouvé qui m’ont rapporté, comme en chef d’œuvre de leur politique, qu’ils avaient persuadé à leur conseil municipal, qu’il était inutile à des laboureurs de savoir lire.
Nature de l’ancienne institution
L’enseignement ancien consistait dans toutes les écoles à apprendre l’italien et le latin. On employait de nombreuses années à cette dernière langue : ce qu’on appelait philosophie dans les collèges, était l’art d’argumenter en latin et un peu (illisible), dénué de toutes expériences, dans ce qu’on nommait le cours de physique. On était tellement infatué du latin, parce qu’il conduisait au sacerdoce, que tout le monde le faisait apprendre à ses enfants, et que j’ai rencontré dans plusieurs villages des paysans, ne comprenant ni le français ni l’italien, dénués de tout raisonnement, et cependant me récitant par cœur des vers de Virgile. Or, il n’est pas facile et il ne l’est même pas encore de substituer un nouveau mode d’instruction à de si vieilles habitudes. On eut désiré dans les instituteurs, la connaissance de la langue française ; mais il fallait les prendre parmi les français, et quel français aurait eu le courage d’établir dans des contrées à demi sauvages et avec d’aussi modiques appointements de quelle confiance d’ailleurs aurait-il joui ? Tout a donc contribué pour laisser aux prêtres l’enseignement et fidèles à leur ancienne méthode ; ils l’ont conduit tel qu’il était agréable au peuple, au point qu’au milieu de l’abandon général, où paraissaient être les ministres du culte et longtemps avant qu’on songe au concordat, on trouvait dans les coins reculés de ces montagnes, des écoles de théologie, fournies de nombreux élèves.
Nombre de ceux qui savent lire
Quelque multipliées pourtant qu’aient été les anciennes écoles, je ne vois pas que le nombre des lettrés fut très considérables. Je me suis procuré dans chaque commune l’état des gens sachant lire et écrire, et il ne monte pas au-delà de 7574, pour tout le département. Quant à ceux qui ont quelques connaissances en sus, je ne trouve pas qu’il monte au-delà de 700. Il est vrai qu’on m’a dit qu’avant la (illisible). Le premier nombre était beaucoup plus fort, et il est vrai aussi que je n’ai pas compris dans le second, les deux tiers des 800 prêtres qu’il y a dans les Alpes-Maritimes. Mais j’ai trouvé leurs connaissances si bornées, si au-dessous de leur état, qu’en vérité, su été avilir la raison, que de la mettre à côté de cette partie respectable d’ecclésiastiques qui entrent pour leur part dans ce nombre de 700, ayant des connaissances en sus, tant par leurs lumières, que par la régularité de leur conduite.
Ce n’est au reste, que dans les villes et dans les principales communes, des parties orientales et méridionales, qu’on remontre le plus de personnes sachant lire et écrire, et avec quelques connaissances en sus ; dans les villages montagneux du nord et de l’ouest est telle que si l’on n’y prend garde, l’on ne trouvera bientôt plus de personnes pour les administrer. Déjà l’on voit un grand nombre de maires ne sachant ni lire ni écrire ; là le secrétaire de la commune est tous ; il est l’âme de l’administration, maire et conseil municipal ne sont que des membres aveugles qui exécutent ailleurs, si le maire est lettré, il ne se trouve d’autre personne pour le secrétaire et percepteur. Le maire est encore tout ici, et il figure sous des noms supposés, dans ces différentes fonctions. On peut estimer aisément quel est l’état du peuple dans cet ordre de chose et quelle part il prend aux lois et règlements, qui sont souvent aussi compliqués que l’ancien mode d’administration était simple.
Instruction des femmes
L’éducation ancienne était entièrement pour les hommes. Je connais peu de pays, où celle des femmes fut aussi négligé. J’ai vu des villages entiers et la ville même de Saint-Ethienne, où pas une femme ne sait lire ; Ce n’est seulement que dans les classes les plus élevées, où le sexe joint de cet avantage qui même n’est guère poussé au-delà de la connaissance des livres d’église. A Nice cette éducation était donnée dans les cloîtres, et les religieuses qui en sont sorties, la continuent aujourd’hui dans des écoles particulières. Je n’ai pu remarquer que trois écoles de filles dans le reste du département, une à Roccabiliera, l’autre au Puget, et l’autre au Villars, dont les maîtresses sont les mêmes que dans l’ancien régime, et sont payées par les parents, comme elles l’étaient alors, avec environ une vingtaine d’écoliers pour chaque école. Au Villars, il n’y en a déjà plus.
Différence d’instruction suivant les régions
Cette partie du département qui correspond au Puget et qui était ci-devant du diocèse de Glandeves, avait un soin plus particulier de l’instruction, dans la vallée d’Entraunes et dans celle de Guillaumes, dépourvues aujourd’hui d’instituteur. Presque tout le monde savait lire, quoique l’Italien fut la langue de l’état, le français étant la langue de l’évêque, et des commerçants des pays circonvoisins. On enseignait en cette langue, et telle est encore une suite de l’influence du voisinage.
Nécessité de la protection du gouvernement pour propager l’instruction
Ainsi les établissements publics d’instruction se bornent aujourd’hui à l’école centrale de Nice (supprimer depuis que ceci est écrit le 30 frimaire an II) et un très petit nombre d’écoles primaires peu fréquentées. Si le gouvernement n’établit pas un lycée à Nice, il ne restera plus dans le département, d’institution en ce genre, en vain où pressent cet état de choses, depuis la loi qui supprime les écoles centrales, on n’a pas même pensé encore à l’établissement des écoles secondaires ; d’ailleurs, j’ose en prédire le peu de réussite, n’étant pas soldées par l’Etat, peu de parents s’empresseront d’y envoyer leurs enfants et de contribuer à l’existence des instituteurs ; la loi du 3 brumaire au 6 accordait aux professeurs des écoles centrales, comme partie de leurs honoraires, une rétribution par élève, qui ne pouvait passer 25 francs par an ; cette rétribution fut fixée ici à 20 francs ; eh bien les professeurs durent en faire le sacrifice, pour attirer à l’école un plus grand nombre d’élèves ; sacrifice même qui n’eut que de bien minces résultats ; que serait-ce lorsqu’il faudra pouvoir à l’entière subsistance des maîtres ? Et quels maîtres trouverait-on, avec des modiques appointements, dans un pays où les objets de première nécessité sont à un si haut prix ? L’établissement des pensionnats eut été d’un grand avantage ; la douceur seule du climat y eut attiré grand nombre de piémontais et liguriens, voisins. J’ai fait les plus grands efforts pour en démontrer l’utilité et la nécessité ; ils ont été vains ; les pères riches qui pouvaient aider cette institution de leurs moyens, préférant d’envoyer leurs enfants dehors, plutôt que de contribuer à la prospérité de leurs pays, qu’attendre d’un égoïsme aussi brutal et aussi dénaturé ? Cependant je connais assez le pays pour pouvoir dire que c’est à l’ignorance qu’il faut attribuer tous les crimes qui s’y sont commis et qui s’y commettront encore dans toutes les secousses violentes ; quoique la science ne soit pas nécessaire à l’homme des champs, il a pourtant besoin d’un peu d’instruction pour adoucir la férocité de son caractère, surtout dans les pays, où nous voyons, que telle a été sa tendance naturelle pendant une longue suite de siècles. La soumission de pareils hommes n’est que momentanée, dès qu’elle n’est pas dirigée par la force du raisonnement. J’ai dit que si l’instruction est laissée à la discrétion des parents, je crains bien qu’elle ne soit nulle ; j’ai démontré dans tout cet ouvrage que ce peuple ne sait ni penser ni rien faire par lui-même. J’ai écrit ce que j’ai vu, en historien fidèle ; ma tâche se borne là.
Établissement de bienfaisance
État de la mendicité
Le département des Alpes-Maritimes renferme un grand nombre de pauvres, mais fort peu de mendiants. L’état de ces derniers, ou possédant absolument rien et vivant de charité, ne passe pas le nombre 400 parmi lesquels la plus grande partie est de Nice ou des pays circonvoisins.
L’infertilité du sol, et la nécessité ont rendu le peuple laborieux ; il s’était établi, de temps immémorial, un noble préjugé qui attachait l’infamie à la profession de mendiant, et la tache d’inhumanité aux communes qui en fournissent le plus ; comme toutefois, dans un pays sujet à tant de vicissitudes plu la prévoyance est souvent en défaut, et le travail le plus opiniâtre rendu nul ; comme d’ailleurs la classe de journaliers et des petits propriétaires, parvenue à la vieillesse ne tire plus aucun secours, de ses bras et qu’elle a besoin de l’assistance publique, on y avait pourvu dans presque toutes les communes par des établissements de bienfaisance, proportionnée à la nature des besoins des laboureurs nécessiteux, et dont l’organisation était véritablement édifiante.
Ils étaient pauvres comme le lieu ; ils n’avaient ni la grandeur, ni le faste de ces édifices qui donnent asile aux fainéants comme aux malheureux. Ce n’était pas des aliments donnés régulièrement à des foules de gueux volontaires qui attestent la mauvaise police d’un pays, mais c’était des réduits de véritable consolation ; une providence éclairée qui fournissait sans bruit au père de famille de quoi faire substituer des enfants jusqu’à la récolte prochaine.
Nature des anciens établissements de bienfaisance
Les établissements consistaient en secours à domicile, en monts de piété, en grains ou en argent, en fonds pour doter des filles, etc. enfin en hôpitaux de malades. Ils étaient régis par une congrégation de charité, ou par des confréries de pénitents de la miséricorde, à la tête desquelles étaient les curés, et ces hommes étaient vraiment miséricordieux.
Le même esprit de religion qui avait donné des fonds pour l’instruction, en avait aussi assigné pour la véritable bienfaisance. Elle avait en outre des fonds éventuels tirés de la charité publique, et des amendes infligées aux contrevenants aux règlements de police. Comme chacun se connaît dans les petites communes, et que le bon curé est ordinairement le meilleur ami de ses ouailles, on m’a assuré dans plusieurs endroits, que les secours prévenaient souvent la délicatesse de la demande.
Les monts de piété en grains, étaient un fond plus ou moins considérable de blés et de légumes, qu’un ou plusieurs fondateurs avaient laissé dans un grenier particulier, pour être prêté aux laboureurs nécessiteux, afin de semer leurs terres ; proportionnellement à la quantité de terrains qu’ils avaient à semer ; ce prêt était rendu à la récolte, avec ou sans intérêt ; cet intérêt était fixé à la 16ème partie de la mesure prêtée dans plusieurs communes, on ne payait point d’intérêt.
Les monts de piété en argent, prêtaient sur gages de toute nature, sauf d’objets susceptibles de se détruire ; les uns sans intérêt, les autres à l’intérêt de 2 %, par an.
Quant aux fonds pour la dotation des pauvres filles, je ne lui ai trouvé établi qu’à la Briga, Saorgio, Sospello, Utelle et Nice. Dans la première de ces communes, on pouvait en doter annuellement 5 à 6, à 100 francs chaque ; dans la seconde on pouvait en doter quatre tous les dix ans, à 200 francs par dot ; dans la troisième, on pouvait en doter annuellement quatre, à 100 francs par fille ; dans la quatrième, on pouvait en doter deux, à 300 francs chaque ; dans la cinquième le même nombre et la même somme que dans la quatrième. La congrégation s’assemblait, le curé à la tête, et le suffrage était pour la plus vertueuse.
Les monts de piété en grains étaient plus généralement répandus dans les communes de la partie occidentale et septentrionale ; quelques uns même en avaient plusieurs suivant le nombre des confréries de pénitents, qui avaient, chaque une, la belle émulation de posséder aussi un établissement pour se secourir. Dans la partie maritime et méridionale, je n’en ai vu des traces nulle part, excepté à Peglia ; mais il y avait partout des monts de piété en argent et des secours à domicile plus copieux, que dans les autres régions.
Revenus de ces anciens établissements
Aux secours à domicile, connus alors sous le nom d’œuvres de la miséricorde, était ordinairement attachée une petite maison ou une portion de maison, avec quelques lits, jusqu’au nombre de 6 à 7, dans les communes les mieux partagées, pour les passants malades, ou pour les vieillards du lieu dénués de tout secours ; à Scarina, le mouvement des secours donnés soit à domicile, soit dans l’hôpital, était ordinairement pour 20 à 24 personnes annuellement à 75 centimes par jour, sur un revenu fixe de 400 francs joint à celui des aumônes et des amandes ; à Lucéram il y avait aussi une maison avec deux lits, et on administrait des secours à domicile, à 40 nécessiteux, annuellement, sur un revenu fixe de 400 francs, au même taux de 75 centimes, par jour qui me paraît avoir été la règle générale pour tout le département de la journée de malades, tant chez lui qu’à l’hôpital.
A Dolce aqua, secours à domicile pour 100 individus, sur un revenu de 1200 francs.
A Périnaldo, secours à domicile sur un revenu de 300 francs.
A Apricale, idem, pour 25 à 30 nécessiteux, sur un revenu de 700 francs.
A Isola Buona, idem, sur un revenu de 300 francs.
A Pigna idem, sur un revenu de 300 francs.
A la Briga, idem, sur un revenu de 600 francs.
A Tende, idem, sur un revenu de 1000 francs, ayant eu de plus un petit hôpital, avec 4 lits pour les paysans.
A Saorgio, idem, sur un revenu de 600 francs avec un hôpital à 6 lits pour les paysans.
A Breglia, idem, sur un revenu de 1000 francs, avec aussi un hôpital à 7 lits.
A Sospello, idem, sur un revenu de 1000 francs, plus un hôpital de 5 à 6 lits, avec un revenu fixe de 900 francs.
A Saint-Ethienne, idem, sur un revenu de 600 francs, avec un petit hôpital de 2 à 3 lits.
A Guillaumes, idem, sur un revenu de …., avec un hôpital de 7 à 8 lits.
Au Puget, idem, sur un revenu de 1200 francs, avec une salle de 3 à 4 lits.
A Utelle, idem, sur un revenu de 4000 francs, avec un hôpital de 8 lits, et une fondation de 240 francs de revenus, pour habiller les pauvres de la paroisse.
A Monaco, un hôpital civil, 600 francs de revenus.
A Menton, 200 francs, pour secours à domicile.
On ajoutait à tous ces revenus, comme je l’ai déjà dit, celui des aumônes et des amendes de sorte qu’avec les monts de piété en grain et ceux en argent, les nécessiteux de chaque commune avaient des secours suffisants et n’étaient pas obligés de mendier.
Perte d’une partie de ces revenus
Aujourd’hui, les monts de piété n’existent plus sauf celui de Nice, en argent. Les hôpitaux ou portion d’hôpital ont été détruits en majeure partie, et je n’ai plus vu en état que ceux d’Utelle, Nice, Villefranche et Monaco. Les troupes, partout où elles ont passés, ont dévoré les lits, linge et meubles, de ces établissements sacrés, et les congrégations détruites ou tombées en déssuétudes, ont laissé écrouler les édifices qui avaient d’ailleurs servi au logement des soldats des différentes armées ; la majeure partie des capitaux qui servaient de revenus fixes à ces établissements, se trouvant placé ou sur des biens d’église ou sur des monts de piété des villes du Piémont, ou sur des biens d’émigrés, ou sur ceux des communes, ou sur les rentes de l’Etat, se sont vu totalement éclipsés, ou se trouvent par le changement des choses, considérablement diminués. Les particuliers débiteurs ont, ou profite de l’anarchie pour ne plus rendre ce qu’ils avaient emprunté et pour égarer les titres qui constataient leurs dettes ou sont devenus totalement insolvables. Les administrations créées dans le trouble suivant les opinions, n’ont fait aucune recherche depuis la réunion à la France, soit par crainte, par paresse ou par ignorance et quelques unes, d’entre elles, ne sont pas exemptés, parmi leurs concitoyens, du soupçon d’avoir tiré part du désordre, au détriment des pauvres. La charité qui avait créé ces institutions et qui les alimentait, s’est chargée en un égoïsme froid et impassible ; le produit des amendes est de nulle valeur, de sorte que cette branche de félicité publique est presque anéantie, comme à celle de l’instruction.
Revenus actuels
Il est à remarquer que les communes où il y a le plus eu de convulsions politiques, sont celles, où les établissements de bienfaisance ont le plus souffert, tandis que celles, où la révolution s’est fait le moins sentir et dont les administrateurs s’en sont le moins occupés, ont eu le bonheur de les conserver en grande partie. Voici ce qui reste de revenu pour cet objet, aux communes dont j’ai fait l’énumération.
A Scaréna | 40 Francs |
A Lucéram | 137 Francs |
A Dolce aqua | 400 Francs |
A Périnaldo | 50 Francs |
A Isola Buona | 300 Francs |
A Pigna | 300 Francs |
A la Briga | 600 Francs, les revenus pour la dotation des filles, non perçus depuis |
A Tende | 1 000 Francs |
A Saorgio | 560 Francs |
A Bréglia | 600 Francs |
A Sospello | 600 Francs, les 900 Francs pour l’hôpital, et les revenus pour la dotation des filles, non perçus, depuis 10 ans, partie sur l’Etat et partie sur la Ville. |
A Saint-Ethienne | 0 Franc, d’après l’assertion du Conseil Municipal |
A Guillaumes | perte de la moitié des revenus par remboursement en assignats, etc. |
A Utelle | 2 100 Francs, la fondation pour les vêtements des pauvres |
A Monaco | 0 Franc, par remboursements en assignats |
A Menton | 200 Francs. |
Il y a donc actuellement pour les communes sus-mentionnées, la somme de 6 613 francs de revenus annuel de perdus, en préjudice de la classe nécessiteuse, sans compter les monts de piété, dont les fonds ont tout à fait disparu, et ceux affectés à doter les pauvres filles, plus les pertes faites pour l’hôpital de Guillaumes, dont je n’ai pu avoir l’exacte énumération.
Hôpitaux de traitement
Il reste actuellement, dans le département, en fait d’hôpitaux de traitements de malades, celui d’Utelle qui en est propre, bien aéré et bien soigné, mais qui ne contient plus que trois lits ; celui de Guillaumes, à moitié détruit, mais ayant encore deux à trois lits, par les soins de l’administration actuelle, celui de Villefranche, ayant deux belles salles et servant habituellement à 6 à 7 malades, duquel je n’ai pu connaître les revenus ; celui de Monaco, dont l’édifice et les meubles ont été conservés, mais qui, ayant perdu ses rentes, ne donne plus que le couvert aux malades ; celui de Nice dont je parlerai plus bas.
Augmentation des dépenses
Indépendamment de la porte des capitaux, pour la recherche desquels les administrations m’ont assuré n’être pas en état de faire les avances des frais de justice et autres, devenus très conséquent, ces établissements se trouvent aujourd’hui fort limités dans le bien qu’ils peuvent faire, à cause du haut prix des denrées et de la main d’œuvre ; on peut en juger par la dépense comparative de l’hôpital d’Utelle, en 1790 et en l’an X, ayant à la première époque, 8 lits à donner et n’en donnant plus que 3 actuellement.
Savoir
Pour le médecin | 40 francs |
Pour le chirurgien | 30 francs |
Pour les remèdes | 150 francs |
Pour les servants | 300 francs |
Pour le régisseur | 100 francs |
Pour l’aumônier | 300 francs |
En journées de malades | 1 000 francs |
TOTAL | 1 920 francs |
.................................. | 600 francs |
.................................. | 120 francs |
.................................. | 400 francs |
.................................. | 200 francs |
.................................. | 200 francs |
.................................. | 200 francs |
.................................. | 200 francs |
.................................. | 500 francs |
TOTAL | 2 020 francs |
Ainsi, cet hôpital, avec un mouvement de malades, plus petit de deux tiers qu’en l’an X, fait plus de dépenses qu’alors ; aussi le sort des nécessiteux est-il très déplorable dans tout le département, et le nombre des mendiants a-t-il augmenté.
Depuis la cessation des discordes révolutionnaires, plusieurs lois ont été portées, en France en faveur des établissements de bienfaisance, susceptibles de leurs donner une nouvelle vigueur, mais qui sont totalement inconnues aux administrations de ces œuvres, dans l’intérieur du département ; il serait essentiel d’en faire une collection, et de l’envoyer traduite en Italien, à chaque administration ; peut-être même serait-il nécessaire de redonner à ces institutions le caractère religieux qu’elles avaient auparavant, et qui les fesait fleurir ; qui peut se rapprocher davantage du culte que les hommes rendent à leur père commun, que les œuvres de charité ?
Je n’insisterai pas pour le rétablissement des hôpitaux, pour lesquels d’ailleurs le peuple a de la répugnance et auxquels des secours à domicile suppléent très bien, sauf pour celui de Tende, qui me paraît d’une urgente nécessité, à cause du passage de la montagne ; mais je forme des vœux bien ardents pour la restitution des fonds destinés aux secours à domicile, aux monts de piété en grains et en argent, et à la dotation des pauvres filles. Je sais par l’expérience des lieux, que l’homme le plus laborieux, peut se trouver quelquefois dénué de tout par l’effet d’un ouragan ; que deviendrait-il d’abord lui et ses enfants ; que deviendrait le vieillard informé, s’il n’y a pas une providence ?
Anciens établissements de bienfaisance à Nice
La ville de Nice était celle qui était la mieux pourvue en établissements de bienfaisance. Elle avait en 1790 cinq hospices régis des congrégations, ou des confréries de pénitents :
1èrement l’œuvre de la miséricorde qui distribuait des secours à domicile jusqu’à la concurrence de 10 à 12 mille francs par an ; qui administrait le mont de piétés en argent, et qui dotait chaque année, une ou deux filles,
2èmement l’hospice des orphelins, où l’on fesait apprendre des métiers à des pauvres enfants,
3èmement l’hospice de la charité, où l’on élevait des enfants abandonnés, et l’on donnait retraite à des vieillards et à des estropiés,
4èmement l’hôpital de Saint-Roch, où des marins, où l’on recevait des malades de toutes les classes du peuple,
5èmement l’hôpital de la croix ou des bourgeois, n’ayant que vingt lits et destinés à des classes pauvres un peu au-dessus du commun, qui y trouvaient la propreté et les commodités que les malades auraient pu désirer chez eux. Les rentes réunies de tous ces établissements se montaient, m’a t-on assuré, à environ 100 000 francs. Encore la ville était-elle changée des mois de nourrice des enfants trouvés, lesquels étaient remis à la charité après qu’on les avait sevrés.
Ces différentes œuvres ont perdu à ce qu’on m’a également assuré pour 50 000 mille francs de rentes, soit pour les remboursements en assignats, soit par la vente de leurs biens, etc. Leur réunion sous une seule commission administrative, et le zèle continue des administrateurs, ont préservé d’une chute totale les principales d’entre elles, malgré que la charge des enfants trouvés ait été reversée sur les hospices.
Etablissements actuels
Les établissements de cette nature consistent aujourd’hui en un hôpital civil, une maison de charité, un mont de piété, et un bureau de bienfaisance.
L’hôpital civil ou de Saint-Roch, se trouvait placé dans une encoignure, proche la poste marine, entouré de bâtiments de la vieille ville, et les salles étaient, selon moi peu aérées et peu salubres. L’hôpital militaire ayant été supprimé et réuni au civil ; ce dernier a changé d’emplacement et occupe maintenant le local de l’hôpital militaire, dans le palais qui était ci-devant le siège du gouvernement. Mais ce local, pour être plus spacieux et plus aéré, n’en est pas moins entourré de maisons, et placé au centre de la ville, et produit des exhalaisons souvent funestes aux habitants qui sont à son entour. C’est pourquoi, tant pour le bien des malades, que pour celui des citadins, la commission de santé du département s’est réunie à l’administration des hospices, pour demander un couvent aux extrémités de la ville, qui réunirait l’espace, la commodité, et la pureté de l’air de campagne.
Avec les rentes qui lui restent, les trois cinquièmes de l’octroi municipal, et les malades de la garnison, pour lesquels le gouvernement paye 1 francs 20 centimes la journée pour chaque individu, l’hôpital civil de Nice a un revenu de 100 000 francs.
Sur ce revenu, il entretient habituellement 70 malades, mouvement moyen, tant en 1790 qu’en l’an X, sans parler des militaires.
Il est chargé de la distribution des secours à domicile, qui sont à dire vrai, des deux tiers moindres, qu’en 1790. Ces secours consistent en une somme d’argent donnée, de temps en temps, à des familles pauvres. On n’a pas adopté à Nice, le traitement des pauvres malades au sein de leur famille ; on se contente des secours pécuniaires ; mais si on y joignait des remèdes et le médecin, l’hôpital y gagnerait beaucoup, et l’ouvrier, qui n’y va qu’avec répugnance, serait plus satisfaisant et plutôt guéri.
Enfants trouvés
Il est chargé aussi, comme je l’ai déjà dit, des mois de nourrice des enfants trouvés. Leur nombre est ordinairement de 160 par an, et il en était de même en 1790. On les livre à des nourrices de la campagne à 8 francs par mois, et 9 francs une fois pour toute en les prenant pour leur petit trousseau au moyen de quoi l’administration en est déchargée, pour 18 mois ou 2 ans, époque à laquelle ils entraient à la charité.
J’ai la satisfaction d’annoncer que je me suis assuré qu’il en meurt pas un plus grand nombre de ces enfants que des autres dans ce pays ; tandis qu’à l’hôpital de Marseille, j’ai vu pour en avoir été le médecin qu’il en mourait neuf dixièmes régulièrement.
Mais à Marseille, on teint les nourrices à l’hôpital et chaque nourrice a quelquefois, jusqu’à 4 nourrissons à Nice au contraire, ces enfants sont élevés à la campagne et il est rare qu’une nourrice en élève au-delà de deux en même temps.
Maison de charité, etc...
La maison de charité, quoique sous la même administration a ses revenus à part, qui se montent à environ 9 à 10 mille francs. Elle entretient habituellement 70 à 80 individus, tant enfants que vieillards, quelques uns de ces enfants apprenant des métiers, mais partie est peu soignée. L’on n’est pas encore parvenu à introduire un genre de travail dans cette maison, duquel l’administration peut tirer parti, en même temps qu’il serait utile au physique et au moral de ceux qui l’habitent. Le mont de piété quoique intact et régi par ses administrations, est languissant et de peu d’utilité au public. Le bureau des bienfaisances d’institution moderne pour distribuer aussi des secours à domicile, ce qu’il fait ? quand il a des fonds, il les retire, d’un droit, sur la comédie qui est peu fréquentée ; sur les amendes qui est mal payé, de la charité publique, qui est très refroidie. La dotation des filles pauvres n’a plus eu lieu depuis la réunion.
La navigation
Passage en revue des marines de Nice, Villefranche, Monaco et Menton, de la pêche et du commerce dans le département.
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Navigation
Nous avons décrit les moyens industriels que présente la terre, parcourons à présent les avantages que retirent ces habitants de leur position maritime. Ils consistent dans la navigation et dans la pêche.
Les quatre communes de Nice, Villefranche, Monaco et Menton, ont eu et ont encore une partie de leur population occupée à l’état de marin. Jamais cette partie n’a été florissante, elle l’est même plus aujourd’hui qu’en 1790 ; car le pavillon d’abord étant peu puissant, et toujours en bute aux Turcs et aux Barbaresques, et les relations commerciales peu étendues, la navigation était bornée à un petit nombre de vaisseaux et à une petite étendue de mer. La force navale et protectrice du commerce maritime de l’ancien gouvernement était seulement de trois frégates, dont la plus forte de 34 canons. Aujourd’hui que sous le pavillon français, les marins de ces contrées peuvent aller partout comme les autres indigènes, il est plus que probable que ce genre d’industrie triplera de prospérité.
Marine de Nice
Il y avait en 1700, au port de Nice 8 navires pour les voyages de long cours à qui les pilotes des frégates royales servaient de capitaines. C’était des briks et des bombardes à 2 mâts de la portée de 120 tonneaux expédiés sous la bannière de Savoie dans les parages de France et d’Angleterre.
En l’an X, il n’y en avait que deux qui se hasardassent de dépasser la Méditerranée, et ce faute de capitaine de long court, y ayant fort peu ou pour mieux dire, point de marins instruits, et la plupart des capitaines, soit patrons de navires, ne sachant lire ni écrire, et ne connaissant leur état que par une longue routine.
Le petit cabotage, c’est-à-dire le voyage de cote depuis Agde jusqu’à Gênes, consistait en 1790 en 20 navires, entre felouques, tartanes et bateaux, allant partie à voiles, partie à rames, de la portée depuis 8 tonneaux jusqu’à 120.
En l’an X il y en avait 40, mêmes navires et même portée, occupant en tout 300 marins. Plusieurs de ces navires sont au service du commerce de Marseille.
Ils exportaient ce qu’ils exportent encore aujourd’hui, de l’huile, des oranges et des citrons, de la parfumerie, du sumac, des planches et des salaisons du pays, du riz, des chaussures de la soie du Piémont et ils rapportaient du blé, des légumes, du vin, de la morue, des stockefischs, des cuirs, des draps, du savon, du suif, du cuivre et du fer.
Marine de Villefranche
Il y a 6 constructeurs, 12 calefats, 4 cordiers, 1 fabricant de voiles.
Nous avons déjà eu occasion de faire observer la différence tranchante qui existe entre les habitants de Nice et ceux de Villefranche ; elle se signale particulièrement par la passion que ces derniers ont pour la mer, par leur hardiesse et leur habileté tant sur cet élément que dans la confection des matériaux propres à la navigation. Ils sont presque tous alternativement agriculteurs, matelots et charpentiers ; tous sont également familiers tant avec la mer qu’avec la terre.
Avant la Révolution, à l’exception d’un 6ème de la population, tout le reste se donnait à la mer ; on comptait 15 capitaines de grand cabotage, qui avaient avec eux 90 matelots du pays ; six capitaines ayant avec eux 36 matelots ; presque tous ainsi que les premiers au service du commerce de Marseille, étaient sans cette occupés, au petit cabotage de Marseille à Cète et de Cète à Marseille.
Parmi les premiers, plusieurs ne se bornaient pas, comme les vaisseaux de Nice aux cotes de France et d’Angleterre, mais ils fesaient aussi des traversées des Indes et de l’Amérique.
Cette industrie, surtout celle du petit cabotage, donnait la subsistance aux familles qui n’étaient pas alimentées par la marine royale, et a été la source de toutes les fortunes qui se sont faites à Villefranche.
Le commerce ayant été interrompu pendant 10 ans, ce moyen de prospérité a disparu ; les 726 individus occupés tant à la marine de l’Etat qu’à la marine marchande, se sont expatriés en grande partie, et cette petite ville compte aujourd’hui à peine 60 matelots occupés à monter 10 à 12 tartanes qui font la traversée de Marseille à Nice, et qui ne peuvent entreprendre de plus long voyages, parce que ceux qui les commandent n’ont pas subi les examens nécessaires.
Il reste à Villefranche 15 charpentiers constructeurs, 30 calfats, et un voilier, uniquement occupés à ces professions, qui ne les nourrissent pas la moitié de l’année.
Cette ville manquant de ressources dans les fortunes des particuliers, on peut pas se relever comme Nice : c’est pourquoi, soit eu égard à sa rade, que par rapport au génie marin de ses habitants, elle mérite de fixer l’attention du gouvernement.
Marine de Monaco et de Menton
La marine de Monaco a toujours été fort peu de chose ; elle consistait et elle consiste encore en 5 tartanes qui font le petit cabotage de la cote, et un brik qui va un peu plus loin. Celle de Menton est plus conséquente, à rayon du nombre des négotians de cette ville, et du commerce qu’elle fait en huiles, en citrons et eau de fleurs d’orangers . Elle a 30 tartanes ou felouques et 150 matelots, pour le petit cabotage ; un calfatier, un charpentier constructeur et un cordier.
Capitaines, soit patrons de navires | 89 |
Matelots | 430 |
Charpentiers-constructeurs, maîtres | 22 |
Calfats, maîtres | 28 |
Voiliers, maîtres | 2 |
Cordiers, maîtres | 5 |
Tableau approximatif du produit de l’industrie du département des Alpes-Maritimes, non comprise celle des troupeaux et des diverses branches qui n’ont pu être évaluées, en l’an X |
Pêche
Il est naturel de croire que la pêche a été de tous les temps une des occupations principales des habitants de la cote ; cependant il faut convenir que la nature a été très peu généreuse de ce coté ; en considérant l’abondance de poissons que fournit la mer depuis Marseille jusqu’à Fréjus, on est surpris sans pouvoir en découvrir la raison de leur rareté dans les mers de Nice et de la Ligurie.
La mer de Villefranche est celle qui, sur la cote dont nous parlons, en fournit le plus ; le golfe de Saint-Jean, abrité de gros vents et entouré de rochers, paraît présenter aux habitants des eaux un séjour plus favorable, que les bords unis et sans cesse ventilés de la Méditerranée, depuis Antibes jusqu’à Nice. Les premiers ont aussi un goût plus exquis que les poissons de Nice, lesquels diffèrent beaucoup par leur saveur des poissons de Marseille ; ils ont la chair plus flasque, et ils paraissent avoir été influencés par les éléments de l’engrais particulier à Nice, entraînés dans la mer par les eaux pluviales et par les eaux de source ou des torrents et rivières qui y aboutissent.
Pêche de Nice
La pêche la plus commune de la mer de Nice, consiste en sardines, maquereaux, muges ou mulets, bogues ; ce sont les plus abondants, après eux viennent les loups, les merlans, les pagres, les anchois de l’embouchure du Var. Les soles, le poisson Saint-Pierre, et autres de cette nature, sont plus rares.
30 bateaux, occupant 180 pêcheurs sont ordinairement employés à cette pêche, laquelle se fait toujours à la vue des cotes. Quelquefois la pêche est abondante, surtout dans le temps des migrations des sardines, maquereaux et muges, et alors, cordonniers, savetiers, tailleurs, et en général tous les artisans, quittent leurs boutiques pour se faire pêcheurs.
Mais c’est particulièrement l’anchois qui fournit la pêche la plus riche et la plus abondante. Ce petit poisson originaire de l’océan, ainsi que la sardine se dirigeant de l’ouest à l’est, arrive tous les ans par troupe, dans les mers de Fréjus, Nice, Villefranche et le commencement de la Ligurie, dans les mois de prairial et de messidor. Quelques uns venant fraier à l’embouchure du Var y laissent des colonies séparées de la troupe qui deviennent indigènes de ces parages. Il y a par conséquent deux pêches de l’anchois celle des indigènes et celle des anchois de passage : la première se fait tous les ans, depuis ventose jusqu’en prairial, et la seconde, en prairial et messidor.
Cette seconde pêche n’est pas égale tous les ans. Elle fut si abondante il y a 15 ans, qu’on prit 77 907 kilogramme (10.000 rubs) de ces poissons dans une matinée mais depuis 10 ans c’est-à-dire durant la guerre, il y eut si peu d’anchois de passage, que les saleurs n’employèrent guêre que des sardines, autre poisson de passage et laissant des colonies comme l’anchois, mais qui peut être du même genre, en diffère cependant :
- 1èrement parce qu’il est plus gros,
- 2èmement parce qu’il a l’épine du dos plate, au lieu que l’anchois l’a triangulaire,
- 3èmement parce que sa chair est moins savoureuse que celle de ce dernier.
Les pêcheurs, privés d’une si grande ressource, cherchèrent longtemps la raison de cette longue absence des anchois. Ils crurent, et je partageai moi-même leur opinion :
- 1èrement qu’ils avaient été épouvantés par le bruit si longtemps prolongé des instruments de guerre ;
- 2èmement que la multiplication des thons occasionnée par la suppression de la madrague de Villefranche avait produit l’anéantissement des petits poissons : lorsque en l’an X, dans les mois usités de prairial et de messidor, il en parut tout à coup des troupes inombrables, qui répandirent la joie parmi tous les pêcheurs et firent mettre en mer cent bateaux dont les deux tiers étaient depuis bien d’années oisifs et à sec sur le rivage ; on en a pris 116 860 kilogrammes (15.000 rubs) dont deux tiers furent salés, et un tiers vendus frais à 80 centimes 22 décimes le kilogramme (25 centimes la livre).
La salaison des anchois et sardines occupe 10 à 12 familles, on enlève la tête à ces poissons, on les sèche bien, on les serre les uns contre les autres, et on les range dans des barils, avec un lit de sel commun, auquel on mélange un quart de la mine de fer rouge appellée hématite, réduite en poudre et portant dans le pays le nom de Cinebre. Cette poudre indépendamment de la couleur rouge qu’elle donne à la salaison sert aussi à la conserver par sa qualité astringente et tonique.
Le kilogramme d’anchois salés se vend 1 francs 41 centimes 21 décimes (12 francs le rub) de même que les sardines qu’on fait passer pour anchois. Cette pêche produit par conséquent, lorsqu’elle est abondante 120 000 francs.
Pêche de Villefranche
Les pêcheurs de Villefranche, participent aussi à la récolte des anchois, mais comme je l’ai dit, leurs filets sont plus heureux que ceux de Nice ; la rade de ce nom et le golfe de Saint Jean nourrissent assez abondamment des rougets, des dorades, des loups, des grosses sardines et des thons. De tous les poissons aucun ne fournissait autrefois dans cette mer une pêche aussi riche que celle de ce dernier. Leur abondance avait donné lieu à l’établissement d’une madrague qui payait chaque année au gouvernement 12 à 15.000 livres de Piémont pour la ferme du privilège exclusif. Cette madrague employait journellement 26 hommes et autant de femmes, pour l’entretien des filets.
Les thons et autres gros poissons qu’elle prenait étaient fort nombreux et servaient à l’approvisionnement non seulement du département mais encore du Piémont et d’une partie de l’Italie. Indépendamment de ces avantages pour le peuple et pour l’Etat, cette madrague a souvent servi d’asile aux navires battus par la tempête, et leur a fourni des secours en embarcations, câbles, ancres, etc. De plus, elle habituait les jeunes gens de la mer. Elle peupla le quartier de Saint-Jean de ses habitants, parmi lesquels la marine du roi de Sardaigne prenait ordinairement les novices.
Tels étaient les avantages qu’on retirait de cet établissement lorsque le sous-commissaire de marine à Nice le supprima tout à fait il y a 6 ans par un coup d’autorouté, sans qu’on en ait jamais su la véritable raison. Mais il est évident, du moins, d’après mes lumières, que cette suppression est désavantageuse à l’Etat, aux particuliers, et à la pêche. En elle-même cette dernière, si elle n’est pas contenue par des justes limites et sous la direction de compagnies qui en répondent, devient bientôt nulle par la multiplication des pêcheurs et celle des moyens de pêche. C’est ce qui est arrivé dans les mers de Nice et de Villefranche ; le défaut de marine et de la madrague qui avait une certaine surveillance ne pouvant plus fournir aux besoins de tous, une grande partie du peuple s’est adonnée à la pêche, et le nombre des pêcheurs s’est tellement multiplié, et ils ont tellement dépeuplé par des moyens destructeurs, ces mers, de leur nature peu poissonneuses, qu’à peine trouvent-ils à gagner leur vie.
Le poisson qu’on voit le plus abondamment dans la poissonnerie de Nice, et qui est apportée de Villefranche, appelé nonat (néonati), est une preuve du peu de surveillance qu’on donne à la pêche. C’est un mélange de petits poissons à peine nés, ainsi que leur nom le porte, encore tout transparens, à travers desquels on voit tout le système de la circulation. Or, ces nonats ne devraient-ils pas être relancés à la mer, pour y prendre tout leur accroissement ? Mais telle est l’aveugle activité du peuple, lorsqu’elle n’est contenue par aucune bonne !
Il est vrai qu’on a rétabli à Nice l’ancien tribunal des prud’hommes, soit juges des pêcheurs ; on se plaint néanmoins toujours de l’anarchie qui règne dans la pêche, et les nonats sont étalés chaque jour sous les yeux de ce tribunal.
Pêche de Monaco et de Menton
Passé Villefranche, où il y a 60 bateaux de pêcheurs, occupés journellement, à 6 hommes par bateau comme à Nice, la pêche est peu active, soit que la mer soit moins poissonneuse, soit qu’il y ait moins de consommation ; on trouve encore six bateaux de cette nature à Menton, occupant le même nombre d’hommes, mais avec moins de profit qu’à Nice et à Villefranche.
Total des bateaux pêcheurs ordinaires de toute la cote | 86 |
Total des bateaux extraordinaires | 110 |
Total des pêcheurs de profession | 596 |
Fabriques de tuiles, briques, chaux et gips | 30 000 Francs |
Fabriques de draps |
62 400 = |
Fabriques de chapeaux de laine |
6 000 = |
Fabriques de chapeaux de paille |
1 000 = |
Fabriques de dentelles |
800 = |
Tanneries, dans l'intérieur |
20 000 = |
Tanneries à Nice |
250 000 = |
Filature de soie, dans l'intérieur |
20 000 = |
Filature de soie, à Nice |
250 000 = |
Facture d'environ 30 mille douzaines de planches et solives |
50 000 = |
Ferroneries |
75 000 = |
Transport du sel, planches et billons |
10 000 = |
Bois de chauffage et pommes de pins portés à Nice et Menton |
12 000 = |
Parfumerie |
77 575 = |
Papeteries |
24 000 = |
Savonneries, 46 744 Kilogrammes |
66 000 = |
Pour 17 500 caisses à enfermer les oranges |
52 500 = |
Confection de vermicelli et autres pates |
600 000 = |
Produit du climat, en étranger |
300 000 = |
Pêche et salaison d'anchois |
120 000 = |
Sumac |
10 000 = |
Produit des abeilles 11 218 kilogrammes |
8 640 = |
Ce qui établit un mouvement total de |
1 892 435 francs |
Dont partie circule dans le département et partie va au dehors, ainsi que nous voir au chapitre suivant |
Du commerce des Alpes-Maritimes
Des foires et marchés du département
Les foires et marchés accompagnent les moyens d’industrie et n’existent que dans les lieux où l’on a un superflu d’objets à mettre en vente. Les parties méridionales et orientales du département n’ayant que de l’huile, des oranges et des citrons, qui s’exportent par voie de mer, n’ont ni foires ni marchés ; on ne trouve rien d’analogue, depuis Nice jusqu’à Menton, depuis Menton jusqu’à Peglia, et depuis Tende jusqu’à Nice. Cette dernière ville a un marché tous les samedi, pour les œufs, fromage et autres denrées de cette nature, plus deux foires qui sont à peine des marchés, l’une le 6 fructidor, et l’autre le 17 nivose, où l’on vend du gros et menu bétail, ainsi que des cochons, et dans lesquelles il se fait à peine des affaires pour 10 000 francs.
Quoique la nature des lieux soit peu susceptible de ces sortes d’établissements, ne produisant rien, par eux-mêmes, qui puisse s’y vendre, il semblerait cependant qu’afin de lier davantage entre eux les habitants des différentes communes, et pour les rendre moins assujettis à la cupidité des revendeurs de denrées de première nécessité, il conviendrait d’établir des marchés de grains et autres comestibles dans les principales communes de la cote maritime, et de la route de Nice à Tende. Ainsi Menton demande un marché, le vendredi de chaque semaine ; Saorgio voudrait une foire le dernier lundy de vendemiaire, et je pense d’après la position des lieux que ces établissements ne pourraient qu’être utiles à ces communes et aux communes environnantes, sans porter aucun préjudice à ceux établis dans les autres endroits.
La Briga, riche en troupeaux et en produits de ces mêmes troupeaux, qui ne sont pas destinés à passer les mers, a une foire le 20 de fructidor où il se fait un assez grand commerce de gros et de menu bétail, de laines, de fromages, de draps grossiers, et de chanvre du Piémont. Piémontais et Liguriens abondent à cette foire où l’on dit qu’il se fait des négoces pour 2 000 francs.
Mais dans les parties septentrionales et occidentales du département, où l’on a besoin de bestiaux à vendre ou à échanger contre des autres marchandises nécessaires, le sentiment du besoin de commerce a fait naître un assez grand nombre de foires, se nuisant peut être les uns aux autres par leur multiplicité, et le peu de convenance de la saison où elles se trouvent établies. Quelques communes qui en avaient en 1790, les ont perdues, tandis que d’autres qui n’en avaient point en ont obtenu depuis le nouveau régime, je ne sais trop sous quel fondement.
NOMS DES COMMUNES | FOIRES EN 1790 | FOIRES EN l'an X | MARCHÉS EN 1790 | MARCHÉS EN l'an X | JOURS AUXQUELS LES FOIRES ONT LIEU |
Nice | 2 | 2 | 4 le samedi | 48 |
Le 6 fructidor et le 17 nivose |
La Brigua | 1 | 1 | < | < |
Le 20 fructidor |
Lantosca | 1 | < | 48 le jeudi | < | Le 1 frimaire |
Roccabiliera | 2 | 2 | < | < |
Le 8 vendemiaire et le 4 frimaire |
St Martin de Lantosca |
1 | 1 | < | < |
Le 20 brumaire |
St Ethienne |
4 | 5 | < | < |
Le 14 vendemiaire, le 10 brumaire, le 30 floréal, le 5 messidor et le 6 fructidor |
St Dalmas le sauvage |
< | 2 | < | < |
Le 12 vendemiaire et le 28 fructidor |
St Martin d'Entraunes |
< | 2 | < | < |
Le 1 brumaire et le 22 prairial |
Villeneuve d'Entraunes |
< | < | 1 | 1 | < |
Guilleaumes | 4 | 4 | < | < |
Le 17 vendemiaire, le 20 brumaire, le 5 germinal et le 28 thermidor |
Péaune | 2 | 2 | < | < |
Le 20 vendemiaire et le 27 fructidor |
Bueil | 1 | 1 | < | < |
Le 15 fructidor |
Puget-Théniers |
3 | 3 | 1 le 18 ruivose | 1 le 12 ruivose |
Le 25 vendemiaire, le 9 frimaire et le 5 floréal |
Massoins | 1 | < | < | < |
Le 12 brumaire |
Villars | 4 | 1 | < | < |
Le 5 complémentaire |
Clans |
1 | 1 | < | < |
Le 12 vendemiaire |
Entraunes | < | 2 | < | < |
Le 1 jour complémentaire et le 22 floréal |
Total des foires et marchés |
27 | 29 | 98 | 50 |
Le principal commerce de ces foires est, comme nous l’avons déjà dit, dans les bestiaux de tout genre. Cependant l’on y vend aussi des draps grossiers, des couvertures en laine, des cuirs, des souliers, des chapeaux en laine et en paille, de la clinquaillerie grossière et du blé, surtout dans les communes qui en ont un excédent comme à Saint-Ethienne, à Péaune, à Bueil. Les unes ne durent que quelques heures, les autres se continuent un ou deux jours. Celles de Saint-Ethienne, Guilleaume, Beuil et le Puget sont les plus florissantes, parce que indépendamment des gens du département, elles attirent les habitants des départements du Var et des Basses Alpes qui y conduisent des jumens et autres bêtes de sommes et qui achètent les deux tiers des draps fabriqués dans le pays. Toutes ne sont pas également fréquentées, et des 5 foires à Saint-Ethienne, il n’y a que celle du 14 vendemiaire où il se fasse un assez grand nombre d’affaires, car comme elles se rencontrent presque toutes dans les mêmes mois, dans les diverses communes, il est impossible qu’elles puissent avoir un égal nombre de marchands ; et la foire de Beuil, qui est unique, à plus de célébrité que toutes celles des vallées d’Entraunes, de Guilleaumes et de Péaune réunies.
La foire du 9 frimaire du Puget-Théniers est la principale des trois, par les bestiaux, les draps, les chanvres et les comestibles qui s’y vendent, tels que le blé, huile, vin, figues, etc, et surtout les oignons du pays qui jouissent d’une grande célébrité et sur lesquels la seule petite commune de la Croix fait annuellement un commerce de 15 à 18 cent francs.
La réunion des Alpes-Maritimes à la France est infiniment propre, ainsi que nous l’avons déjà vu, à favoriser ces foires, mais d’une autre part le mauvais état des chemins leur est extrêmement nuisible ; tellement qu’à part celles du Puget, elles sont moins fréquentées aujourd’hui qu’autrefois.
En estimant l’un dans l’autre, le commerce qui se fait dans ces 29 foires à 8 000 francs, on a une circulation d’argent de 232 000 francs, ce qui se rapporte à peu de chose près au calcul que j’ai fait du prix total des marchandises du département qu’on peut y exposer en vente et dont la moitié est achetée par des étrangers du département.
Indépendamment de ces foires légales, chaque commune ayant un ou plusieurs patrons dans le ciel, dont la fête est célébrée avec pompe et attire beaucoup de monde des communes circonvoisines, ce jour est communément aussi un jour de foire et de marché, où indépendamment du grand nombre de cabarets, on vend toute sorte de bestiaux et diverses petites marchandises.
Plusieurs communes désireraient d’avoir des foires, et celles qui en ont d’en obtenir un plus grand nombre ; ainsi Lantosca demande qu’on lui rétablisse sa foire et ses marchés ; Villeneuve d’Entraunes n’est pas contente de son marché, et voudrait y ajouter une foire le jour suivant, le Puget-Théniers demande une 4ème foire, le 28 fructidor, Villars veut aussi une foire le 5 frimaire ; Massoins demande le rétablissement de la sienne ; la commune d’Escros en voudrait une le 16 fructidor ; Roqueestéron (sic) en demande deux le 20 prairial et le 1er vendemiaire ; Levens le 15 fructidor. Mais il est à remarquer, 1èrement que par l’isolement où la plupart des communes vivent les unes des autres, on ne sait pas même à Nice s’il existe des foires dans le département ; l’almanach qu’on y imprime n’en indiquant que trois à quatre, et moi-même ne les connaissant que parce que j’en ai pris la note sur les lieux ; 2èmement qu’il résulte de cette ignorance que chaque commune ne pense qu’à elle sans savoir si dans le même mois des autres communes n’ont pas des foires ; 3èmement que le commerce est trop petit, pour multiplier les foires. Ainsi dans la vallée de la Vésubie, ou il y en a trois, celle de Saint-Martin de Lantosca et une de celles de Roccabiliéra sont fort peu de chose. Clans peu éloignée de Villars et de Massoins, qui a une foire a déclaré qu’elle lui est plutôt nuisible qu’utile, et à plus forte raison si ces établissements étaient plus multipliés dans ces cantons. Si la foire demandée par Levens était établie, celle du 8 vendemiaire de Roccabiliéra diminuerait de valeur. Tel serait aussi le sort de celles du Puget, si on en établissait de nouvelles entre le Var et l’Estéron. Ainsi le nombre des vendeurs et des acheteurs étant limité, les foires doivent l’être pareillement, surtout dans un pays où il y a peu de population, et plus elles seront plus rares et plus elles seront fréquentées ; en même temps les marchandises acquerront plus de valeur. Sur ces principes, loin d’en proposer la multiplication, je désirerai qu’en en diminuat le nombre.
Je n’ai pas les mêmes craintes pour les vallées de la Roya, de la Bévera, de la Nervia, et pour les cotes maritimes, privées absolument de foires, celle qu’on y établirait dans le point le plus central ne pourrait qu’être très fréquentée.
On ne court non plus aucun risque de multiplier les marchés pour les denrées de première nécessité, étant autant avantageux pour la population de les avoir en quantité et à bon compte, qu’il serait dangereux de faire baisser le prix des objets d’industrie, en les exposant à ne pas avoir un nombre suffisant d’acheteurs.
Commerce de l’intérieur du département
Il est facile à présent de déterminer, d’après tout ce qui a été dit précédemment et le tableau que nous avons donné de l’industrie, sur quels objets roule principalement le commerce intérieur, et la quantité de numéraire dont il établit la circulation pour donner au lecteur, en un seul coup d’œil, une idée sommaire de ce mouvement. Nous allons nouvellement le réduire en tableau, en extrayant ce qui est destiné à l’exportation, et en ajoutant ce que nous n’avons pas cru devoir comprendre sous le titre d’industrie et qui a plutôt rapport à l’agriculture et aux pâturages.
Produits |
Des tanneries de Nice et de l'intérieur |
116 520 francs |
Des savonneries |
66 000 | |
Des ferroneries |
75 000 | |
Des papeteries |
24 000 | |
Des fabriques de tuile, briques, chaux et gips |
30 000 | |
D'une partie de vermicelleries |
300 000 | |
Des loyers, etc, pour les étrangers |
300 000 | |
Des fabriques de chapeaux |
7 000 | |
Des dentelles |
800 | |
En nature des vers à soie |
216 000 | |
De la vente du bois à bruler |
12 000 | |
De la vente des planches et solives |
30 000 | |
Du transport de sel, plaches et billons |
10 000 | |
D'un tiers des fabriques de draps grassiers |
15 600 | |
De la vente de veaux |
50 000 | |
De la vente de mules, 100 à 300 francs |
30 000 | |
De la vente de deux tiers des agneaux |
296 000 | |
De la vente du fromage consommé dans le département |
278 000 | |
De la vente des boeufs, vaches, ânes etc... |
30 000 | |
De la vente des moutons et brebis de boucherie |
113 000 | |
De la vente du vin |
100 000 | |
De la vente du miel |
8 640 | |
De la vente des figues |
23 000 | |
De la vente des carroubes |
5 000 | |
TOTAL |
2 137 440 |
Telle est approximativement, la quantité de numéraire réel, soit représenté par les objets à livrer ou par la bonne foi qu’on peut estimer naître des échanges continuels qui se font entre les productions du sol et celles de l’industrie et de laquelle on peut estimer aussi que le tiers existe en réalité dans le département. Il est à noter cependant que la plus grande partie de ce commerce se fait à Nice, qu’on peut regarder comme le premier point central de toutes les opérations.
Commerce d’exportation et d’importation
Je ne crois pas qu’avant la réunion à la France, le commerce d’exportation à l’étranger fut de beaucoup plus conséquent qu’il ne l’est aujourd’hui, pour l’intérieur du département ; seulement il profitait avec un grand avantage, du transport des diverses marchandises qui du Piémont devaient arriver à Nice pour passer les mers et réciproquement.
Mais Nice et Villefranche devaient retirer un grand profit du commerce d’exportation et d’importation, étant seuls ports des Etats de terre ferme du roi de Sardaigne. Nous lisons dans la géographie commerçante du citoyen Feuchet article Marseille, que année moyenne de 1787 à 1789, les importations des Etats du roi sarde en France ont été de 24 601 000 francs, et ont occupé 455 batiments de 13 854 tonneaux, et que les exportations de France pour ces Etats ont été de 19 001 000 francs et ont occupé 608 batiments de 21 068 tonneaux.
Marseille recevait des huiles, des blés, du riz, des soies, des chataignes, du thon mariné, des citrons, des oranges etc. et elle fournissait en échange des sucres, du café, cacao, indigo, morues, vins, cuirs, chapeaux, savons, filtre à pêche, draperies, toileries, étoffes, boucheries etc, et la balance du commerce était en faveur des Etats du roi de Sardaigne.
Outre les expéditions pour la France, on avait celles pour l’Italie et l’Angleterre, cette dernière surtout qui était très favorisée, fesait un grand commerce dans ces Etats.
Voici le sommaire de ce qu’était alors le commerce de Nice, d’après un mémoire qu’a bien voulu me communiquer le citoyen J. B. Guide, un des principaux et des plus habiles négociants de cette ville.
Il consistait,
- 1èrement A l’exportation des objets mentionnés ci-dessus, sauf les blés, riz et chataignes qui étaient des productions de la Sardaigne et du Piémont. Les deux tiers ou les trois quarts étaient d’ordinaire consommés par la France, le reste se dirigeant en Piémont ou dans le nord.
- 2èmement A l’importation des objets nécessaires à la consommation et non produits par le pays tels que grains, vins, denrées coloniales et autres mentionnées ci-dessus. Ces objets étaient fournis par le Piémont, la Sardaigne, l’Italie, la France, l’Angleterre, la Hollande et le nord.
- 3èmement Au passage des marchandises en transit, les plus considérables étaient celles d’entrée et de sortie pour le Piémont par le col de Tende, dirigées à Nice. Il en passait pour la Suisse, pour le Milanais ; Nice était un point où venait aboutir tout ce que Londres, Amsterdam, Lisbonne, Marseille, Gênes, Livourne, expédiaient en Piémont et que le Piémont leur expédiait. Le mouvement était continuel, il comprenait aussi les tabacs, sels des gabelles du Piémont ; il vivifiait Nice, par les profits de commission, main d’œuvre, arrivage et navires, séjour des muletiers, mulets et voituriers. Ce mouvement excédait 14 023 281 kilogrammes (300 000 quintaux) de transport par année.
- 4èmement Nice frontière de France avait aussi le bénéfice de l’entrepôt des marchandises prohibées, que l’Angleterre, la Suisse versaient en France, et l’on m’a assuré que le commerce interlope était aussi conséquent que le commerce légal.
- 5èmement La marine marchande dont j’ai déjà parlé, avait pour elle, en temps de guerre, l’éventualité de la neutralité du pavillon et des ports de Nice et de Villefranche, auxquels des armateurs français recouraient alors.
- 6èmement On doit ajouter à tous ces moyens de commerce la franchise des ports et places de Nice et Villefranche, non seulement quant aux droits de gabelle sur les marchandises d’exportation et de passage, mais encore quant aux banqueroutiers étrangers, franchise immorale, et qui pourtant a été une source féconde de capitaux pour la place de Nice.
- 7èmement Quoique le droit dont nous allons parler, loin d’appartenir au commerce, en soit, au contraire, l’opposé, il enrichissait cependant le souverain. C’est-à-dire, celui-ci percevait un droit, connu sous le nom de droit de Villefranche de deux pour cent, sur la valeur des cargaisons, de tous les navires marchands qui passaient et repassaient devant Villefranche. L’Angleterre s’en était libérée par la loi du plus fort, la France par l’argent, mais les Génois Toscans, Romains, Siciliens, Vénitiens, Ragusiens, Suédois, Danois, Hollandais, Espagnols, Portugais, et même Savoyards y étaient assujettis. Ainsi, par une inconséquence de ce gouvernement, tandis que d’une part, il voulait attirer le commerce dans ses Etats, il le gênait de l’autre par des taxes mises sur ses propres sujets.
Commerce d’exportation en l’an X
J’eusse désiré obtenir le bilan effectif du commerce d’alors, pour les Alpes-Maritimes seulement, car le calcul de Peuchet portant sur tous les états de l’ancien gouvernement, ne peut me servir à cet usage. Il m’a été impossible de me le procurer, tout comme de me procurer le bilan actuel ; mais comme par les soins que j’ai pris, j’ai déjà obtenu les principales données, je ne crois pas m’écarter extrêmement de la vérité, en établissant le tableau suivant pour le commerce d’exportation.
Huile |
2 337 213 kilogrammes |
6 000 000 francs |
Oranges et citrons |
20 millions |
320 000 francs |
Caisses pour les susdits |
17 500 |
52 500 francs |
Vin de Nice mis en bouteilles |
40 000 bouteilles |
40 000 francs |
Vermicelli, macarons etc. |
15 581 kilogrammes |
300 000 francs |
Parfumerie |
77 575 francs |
|
Soies en nature |
270 000 francs |
|
Anchois salés |
120 000 francs |
|
Draps du pays |
46 800 francs |
|
Laines du pays |
34 445 francs |
|
Agneaux |
148 400 francs |
|
Fromages |
200 540 francs |
|
Sumac |
1 000 charges |
10 000 francs |
Planches, poutres et solives exportées |
120 000 francs |
|
Carroubes |
11 050 francs |
|
TOTAL | 7 750 300 francs |
Ce résultat actuel du commerce d’exportation de Nice sur lequel nous faisons les réflexions convenables à la fin de ce chapitre, se trouve bien balancé par celui de l’importation. Le département, en effet, achète de l’intérieur de la France pour huit mois de l’année les grains et les vins nécessaires à sa consommation ; il achète des blés durs pour la confection de ses pâtes, dont partie, comme on l’a vu, sort encore après avoir été ouvré, et c’est le seul objet qui soit enrichi du bénéfice de la main d’œuvre. Après cela, drogueries, toileries, draps, étoffes de toute nature, chanvres, métaux (sauf le plomb et ses oxides demi vitreux que la mine de Tende pourrait fournir entièrement), clinquaillerie, etc. Tout arrive de dehors au point que le Niçard qui considère qu’il dépend entièrement de l’étranger pour tous ses besoins, et qui ne sait pas analyser ses ressources, ainsi que cela est très commun, ne comprend pas comment il peut se faire qu’au milieu d’une si grande pénurie apparente, cependant ses bals de carnaval soit aussi brillant que ceux des cités les plus opulentes. Voici les résultats de l’importation.
OBJET |
QUANTITÉ |
MONTANT |
Bled, froment et légumes |
80 000 hectolitres |
3 000 000 francs |
Bléd, seigle, orge et mays |
48 000 hectolitres |
1 200 000 francs |
Vin |
57 559 hectolitres |
1 464 000 francs |
Riz du Piémont |
8 665 hectolitres |
74 970 francs |
Boeufs de boucherie |
1 400 |
175 000 francs |
Veaux de boucherie |
6 000 |
144 000 francs |
Drogueries, et en général denrées coloniales |
500 000 francs |
|
Draperies, toileries, chapeaux, cuirs, bonneteries etc. |
1 273 650 francs |
|
Sel pour la consomation |
587 809 kilogrammes |
37 725 francs |
Tabac idem |
38 952 kilogrammes |
93 750 francs |
Fer en barre, fer blanc, fer ouvré |
140 233 kilogrammes |
60 000 francs |
Clinquaillerie et meubles |
100 000 francs |
|
Chanvre du Piémont |
15 581 kilogrammes |
32 000 francs |
Morues, harengs et fromages étrangers |
50 000 francs |
|
Juments des Basses Alpes pour poulines, mulets et mulets |
150 000 francs |
|
Papier pour les citrons |
8 000 rames |
32 000 francs |
|
TOTAL |
8 387 095 francs |
Le commerce d’importation a donc eu en l’an X un excédant de 635 785 francs, sur celui d’exportation ; et cependant d’après tout ce qui a été dit précédemment, il est évident que depuis la guerre, il n’avait jamais été aussi brillant ; il faut ajouter que l’huile qui est l’article le plus considérable ne s’était jamais vendue au prix qu’elle a obtenu cette année. Ce haut prix a engagé les particuliers à en vendre toute la quantité possible, non seulement de la nouvelle, mais encore de celle de l’année précédente. Nice a expédié non seulement l’huile du département, mais encore celle des communes voisines du Var, des Basses Alpes et de la Ligurie, ce qui a donné aux marchands de cette denrée, un ample bénéfice de commission, d’emmagasinage etc. Ainsi, l’on ne doit pas regarder cette quantité d’huile expédiée, comme appartenant en entier au département, et l’on ne doit pas considérer les 7 751 310 francs, comme la valeur annuelle de son commerce d’exportation, mais comme une valeur purement éventuelle. On calcule au contraire, que ce commerce, année commune, ne peut guère porter au delà de 6 000 000 francs.
Cependant la somme du commerce d’importation varie peu ; chaque année, la nature des choses le voulant ainsi ; car on a toujours besoin de blé, de vin, et de tous les autres objets que le pays ne produit pas : et ces denrées, ainsi que ces objets, il faut les payer. C’est donc le commerce intérieur qui remplit le déficit, et qui supplée par les ressources que les besoins journaliers développent, à la quantité de marchandises que le département ne peut pas expédier. Il est évident que si je ne suis pas entré dans tous les détails des objets importés, j’ai également omis diverses matières qui peuvent être livrées à l’exportation et dont je n’ai pas connaissance. Il est évident surtout que mes calculs n’ont pas porté sur tous les objets d’industrie, puisque je n’ai pas parlé de la valeur que les différents artisans ajoutent aux matières premières importées ou de celle qu’elles obtiennent dans les mains de ceux qui les détaillent, surtout dans ce nombre si multiplié d’auberges, de cabarets, et de revendeurs de denrées de toutes les espèces où, ce prix, qui va en croissant, à mesure que la chose change de main ou qu’elle est modifiée, ajoute d’une manière incalculable à la somme déjà établie des gros objets du commerce intérieur, et établit concurremment avec le prix des objets exportés et beaucoup d’économie, une balance telle avec le commerce d’importation, que si cette balance n’a pas été jusqu’ici si fort en faveur du département que d’y créer de gros capitaux, du moins elle n’a pas été si défavorable que d’y produire de ces dettes énormes qui bouleversent quelquefois les grandes places de commerce.
Des diverses considérations dans lesquelles je suis entré, il m’est résulté une vérité à laquelle j’avoue que je ne m’attendais pas ; c’est que quoi que ce département soit peu industrieux et peu commerçant, il vit pourtant deux fois plus de son commerce que de ses denrées et si par un grand malheur pour lui, le prix de ses huiles venait à baisser considérablement, et qu’en même temps la récolte fut très modique, il se trouverait tout à coup obligé de diminuer de population. En quoi, il est évident combien il importe de soutenir cette denrée des parties méridionales de France à un taux convenable soit en écartant, autant que la justice le permet, les huiles étrangères, soit en ne satisfaisant pas trop la multiplication des autres végétaux qui pourraient remplacer l’huile d’olive.
Le commerce d’exportation et d’importation est fait par 44 maisons principales, desquelles, 30 à Nice, 4 à Monaco et 10 à Menton. La plupart des négociants attachés à ces maisons font peu de spéculation de quelque conséquence pour eux-mêmes étant habitués par une longue routine aussi ancienne que le commerce de ces contrées, à ne rien entreprendre que de très solide et d’un profil assuré. Ils sont donc presque tous de simples commissionnaires, des gros négociants de Marseille, d’Agde et de Cète excepté ceux qui sont fabricans. Il reçoivent pour leurs commettans les grains, légumes et autres objets qu’ils emmagasinent et qu’ils vendent en préservant les prix de la commission et des autres frais. De même ils ramassent les huiles, en magasin, pour les envoyer lorsque leurs commettans les désirent. Ces espèces de négociants ont, en conséquence, le bénéfice assuré des ventes et des achats sans courrir aucun risque pour leur propre compte. On conçoit de là que les gros capitaux des commerces dont nous avons parlé, ne sont pas de Nice, mais dans les mains de ceux qui en sont l’âme. Il n’y a dans le département que les capitaux extrêmement divisés ; de la première vente des denrées et du commerce intérieur plus le produit des commissions et de courtage, dont la somme (qui peut monter à 300 mille francs), consommée dans le pays, diminué d’autant la valeur totale de numéraire exporté.
Le commerce du vin est excepté, car il se fait presque entièrement par les patrons de bateaux, qui le vendent au port pour leur propre compte.
Aussi, Nice, place d’entrepôt et de commerce du département avec la France, et de la France avec l’Italie, a-t-elle un profit réel tant dans l’importation que dans l’exportation, en quoi elle a un avantage inappréciable sur tout le département qui n’en retire aucun de l’importation.
Le commerce tant d’importation que d’exportation est fait en majeure partie par voie de mer. Il est rare qu’il arrive à Nice des marchandises par terre, excepté du Piémont. Le commerce de l’extérieur du département, avec les départements voisins se fait à dos d’homme ou de mulet. Du 1er vendemiaire an X au 1er vendemiaire an XI, il est entré dans le port de Nice 1927 batiments, du port depuis 6 tonneaux jusqu’à 120, lesquels estimés l’un dans l’autre à 60 tonneaux donnent 115 620 tonneaux. Il en est sorti dans le même espace de temps 1 700. La charge des premiers a été en majeure partie, grains, légumes et vin, surtout de cette dernière denrée qui, occupant beaucoup d’espace, exige aussi un grand nombre de batiments. Les navires sortants sont pour la plupart en lest, à moins que ce ne soit dans la saison de la vente des huiles et des oranges ou des travaux de la parfumerie ; dans un autre temps, ils trouvent rarement des nolis pour le retour, si ce n’est peu de planches et de bois de sumac dont nous avons parlé. Ils pourraient actuellement charger de riz et des autres denrées du Piémont, en retour. On les dit même, au moment que j’écris, 25 frimaire an XI, très abondantes à Nice, mais soit par des mesures supérieures dont je ne connais pas les raisons, soit par une suite de cette basse jalousie qui règne entre ces 30 négociants de Nice et qui fait qu’ils nuisent sans cesse sourdement les uns aux autres, ce genre de spéculation n’a encore repris aucune activité.
On m’a assuré dans les bureaux du port et de la santé que ce mouvement était du double avant la guerre, et qu’il fut même quelquefois triple dans le temps que les armées étaient en Italie. Un grand nombre de grecs fréquentaient alors cette cote pour l’approvisionnement des troupes, qui ont ensuite repris leur destination ordinaire vers Marseille ; il n’y a plus guère aujourd’hui que les batiments des cotes de Provence, de Languedoc, et de la Ligurie, qui abordent au port de Nice lequel a reçu un échec si considérable dans l’ouragan du 30 brumaire an XI, qu’il devient inabordable s’il en éprouve encore un second.
Encouragement à donner au commerce de Nice
Quoique part la nature des circonstances le département des Alpes-Maritimes se soit suffit à lui-même durant la dernière guerre, par l’échange des denrées contre celles dont il a besoin et qui abondent dans les autres départements, il n’en est pas moins vrai que réduit à cette seule ressource il lui est impossible de prospérer. Les hommes et les capitaines lui manquant, il a besoin de continuer à être comme par le passé, un point nécessaire d’entrepôt et de transit des marchandises par le col de Tende, du Piémont en France, et de France en Piémont ; les Génois envieux de fixer chez eux ce passage, et leur port de Savone plus rapproché du Piémont que Nice, le soupire depuis longtemps ; mais si les Alpes-Maritimes perdaient cette source d’activité, de consommation et de rapports commerciaux, les effets ne pourraient en être que funestes.
Heureusement qu’on n’a même pas le moindre motif de les appréhender, car il est contre toute probabilité que la France faisant déjà à toutes les nations soumises, il y a dix ans, aux droits importants de Villefranche et de Monaco, l’abandon de ces mêmes droits, puisse jamais laisser, au préjudice particulier de Nice, dévier ailleurs le transit des marchandises par le col de Tende, pour enrichir l’étranger, en appauvrissant ses propres cités.
C’est d’après cette même impossibilité où se trouve Nice de faire de grandes affaires par elle-même, que cette ville soupire après un port de France. La concession d’un semblable privilège, uniquement pour les marchandises d’Italie et destinées pour l’Italie, ne semblerait pas devoir nuire à celui que réclame Marseille ; elle paraîtrait, au contraire, propre à établir un équilibre favorable au commerce français avec les ports francs de Gênes et de Livourne.
Si l’habitant de Nice manque de courage et de capitaux pour les hautes spéculations de commerce, la mer lui présente, en cabotage, des ressources multipliées et analogues à ses habitudes ; c’est vers elle qu’il doit tourner ses yeux, et diriger toutes ses pensées. Que ce soit pour son compte commissionnaire, ou au simple bénéfice du fret, il est toujours assuré d’un profit quelconque. C’est par là que sur un sol aride comme les Alpes-Maritimes, les Génois ont su se frayer un chemin à la fortune ; plus heureux qu’eux, sont un pavillon respecté sur toutes les mers. Le Niçard devenu français peut espérer à la même gloire s’il est aussi industrieux.
En attendant cette concurrence désirée dont la naissance ne me paraît pas très prochaine, il appartient à l’administration de régulariser et d’activer le commerce des objets que les batiments peuvent charger en retour. Je veux particulièrement parler des planches et solives que fournissent les forêts du département : on m’a assuré qu’on en exportait anciennement plus de la moitié en sus d’aujourd’hui, et que ce commerce passait annuellement 300 000 livres de Piémont. Trois maisons font ce commerce à Nice, et demandent à être favorisées dans les permissions de sorties, comme elles l’étaient sous l’ancien gouvernement. D’autre part, ainsi que je l’ai déjà exposé très au long, le régime forestier étant entièrement négligé dans ce département, les communes loin de ne vendre que les arbres qui ont au moins un mètre et demi de circonférence, vendent indifféremment jusqu’aux arbres d’un quart de mètre, et perçoivent en bloc, le prix de toute la coupe sans aucune vérification. Or, il est évident que cette mauvaise tenue tend à une destruction prochaine de tout ce qui reste de bois, au lieu qu’avec une bonne administration et une certaine latitude laissée aux commerçants, on aurait tous les ans un commerce bien nourri en bois de charpente, qui seul suffirait à remplir les retours.
Par ces moyens et par de bonnes routes dans l’intérieur, Nice et avec elle son département, pourraient espérer de sortir de la médiocrité.
Des chemins du département
Description du réseau routier départemental avec la route d’Italie, la route de France, les routes départementales et vicinales.
Passage en revue des marines de Nice, Villefranche, Monaco et Menton, de la pêche et du commerce dans le département.
NOTE : Nous offrons aux internautes la possibilité de découvrir ce texte inédit transcrit dans sa forme originelle et avec l'orthographe de l'époque. |
Des chemins du département
On peut croire, avec fondement, que si l’esprit des habitans des Alpes-Maritimes a été jusqu’ici peu occupé des objets d’industrie, c’est que l’état des routes tant publiques que communales, a été de tout tems peu propre à favoriser le commerce. Encore avant la guerre étaient-elles peut être plus praticables et les réparait-on quelque fois ; mais depuis 10 à 12 ans, on n’y a rien fait, et elles ont subi le sort des forêts et des campagnes, par l’action des causes dont il a été parlé aux chapitres précédents.
D’abord, excepté la grande route de Tende, rendue carrossable depuis 50 a 60 ans, il n’y a aucun chemin dans le département où les voitures puissent aller, ce qui a été reconnu, dès long-temps un des plus grands obstacles à l’activité du commerce. Les rivières et les torrents ont emporté les chemins qui étaient jadis à leurs niveaux.
Ceux qui sont pratiqués sur les flancs des montagnes sont devenus des sentiers si étroits qu’à peine y a-t-il de la place pour un homme de front ; dans le tems des pluies, de la fonte des neiges, ou lorsque le tems est humide, des éboulements continuels menacent la tête du voyageur ; on ne peut s’imaginer rien de plus horrible que le sentier appelé Grand Chemin tracé du dessus du Var, dans la vallée de ce nom, pour aller du Villars au Puget, et dans la vallée de la Tinée, depuis San Salvador jusqu’à Saint Ethienne. Au bas d’un précipice affreux, la rivière, coulant avec grand bruit ; sur le haut des pierres prêtes à tomber ; au milieu, un sentier souvent effacé, sur un terrain mouvant, et nul abris en cas d’accident ; les muletiers sont obligés de s’avertir au loin, pour ne pas se rencontrer sur le même passage. Ajoutons, que par défaut de pont, lorsqu’il a plu, on est arrêté par un torrent ou par une rivière ; les bêtes à laines menées aux foires sont forcées de rétrograder, et je ne dis ici que ce que j’ai vu, je n’ai même pu retracer qu’une faible partie de l’horreur que j’ai éprouvée sur ces sortes de chemins.
Cependant, ce pays placé entre la Ligurie, le Piémont, les départements des basses Alpes et du Var, est fait pour commercer. Le vœu unanime de ses habitans vers le gouvernement français est d’en obtenir des chemins desquels quelques communes, comme Utelle, avaient déjà commencé à être favorisés par le roi sarde.
En décrivant donc ici les routes du département, j’indiquerai celle qu’il serait avantageux de perfectionner, celle qu’il conviendrait de construire, et les principales réparations que toutes, en général, exigent.
Nous diviserons ces routes, en routes d’Italie et de France, routes départementales, et routes vicinales.
La grande route d’Italie commence au pont du Var appelé Saint-Laurent, et suivant le rivage de la mer de l’ouest à l’est, va aboutir à la ville de Nice en traversant d’abord le premier de ses faux-bourgs, appelé la Croix de Marbre ; longueur une heure et demie : ce chemin est large, uni et ordinairement bien entretenue. Il lui manque des ombrages, surtout du coté de la mer, et l’on pourrait y planter tout le long de part et d’autre une rangée de mûriers qui réuniraient à la fois l’utile et l’agréable. Un point plus essentiel encore est de construire le pont du Var d’une manière solide ; ce pont qui est en bois, est aujourd’hui en si mauvais état que non seulement les voitures, mais encore les chevaux ne peuvent y passer, et lorsque le Var sera gros la communication sera totalement interceptée.
A la place République, (la plus belle de Nice) la route d’Italie se divise en deux branches, une dirigée du sud au nord, et conduisant en Piémont, l’autre dirigée de l’ouest à l’est, et conduisant dans la Ligurie.
La route de Piémont, comme menant à l’ancienne capitale des rois de Sardaigne, avait eu toute la faveur de ces princes, et avait été rendue carrossable jusqu’au col de Tende ; au milieu des rochers taillés à grand frais et au grand regret des habitans des villages qui sont sur la route, dont la profession la plus lucrative était celle de muletier ; cette route coûte nécessairement beaucoup d’entretien, à cause des murs de soutènement qui protègent contre les éboulements et contre les rivières négligées depuis la guerre. Elle est aujourd’hui en fort mauvais état et les voitures n’y passent qu’avec la plus grande peine. De Nice on va à Drap, tout en plaine ; distance une heure et demie ; dans ce cours trajet, on peut être arrêté par les eaux de Paglion et du torrent de la Trinité, lorsqu’elles sont fortes, parce qu’on passe aujourd’hui dans leur lit, le chemin ayant été rongé à ne plus permettre le passage autrement.
De Drap, on va à la Scaréna, distance, trois heures et demie ; on passe sur un beau pont, appellé pont de Peglia qui n’était pas fini, à l’entrée des troupes, et qui est resté tel et quel, se dégradant journellement et méritant d’être achevé ; de ce point, on commence à monter la montagne de la Scaréna, par un nombre de tours et de détours, et on la descend pour tomber au village.
De la Scaréna on va à Sospello ; distance cinq heures ; on passe d’abord le pont de l’eau de Lucéram, puis allant en plaine, on trouve au bout de demi-heure, le village de Thouet-Scaréna ; il y a encore un peu de plaine après laquelle on monte et on descend la fameuse montagne de Brou. Par un grand nombre de circuits où le chemin est aujourd’hui très mauvais. On arrive à la plaine de Sospello où l’on passe la Bévera sur un pont.
De Sospello on va à Giandola, hameau de Breglio, distance quatre heures ; après environ une demie heure de plaine, on monte et on descend par un assez mauvais chemin, la montagne de Brouis, au bas de laquelle est la plaine de Breglio.
De Giandola on va à Fontan, hameau de Saorgio, distance trois heures, on passe trois fois sur des ponts de bois la rivière Roya. Le chemin est en plaine, mais il enfile les gorges de Saorgio, où l’on se trouve entre deux rochers taillés à pic et la rivière. A cet endroit, on n’est pas en sûreté dans le tems des averses, parce que la rivière extrêmement resserrée venant à déborder, on risque d’en être emporté, sans avoir aucun refuge ni en avant, ni en arrière, ni sur les cotés ; un pareil malheur arriva en l’an V à une demie brigade, la 7ème légère, dont une partie fut noyée avec les équipages.
De Fontan on va à Tende, en suivant toujours la Roya ; distance trois heures. On monte mais insensiblement. Le chemin est très dégradé par la rivière parce qu’on a négligé d’en réparer la chaussée ; avant d’arriver à Tende, on passe la Roya sur deux ponts.
De Tende, on va à La Ca ; distance deux heures et demies et de La Ca au sommet de la montagne, distance deux heures, d’où l’on descend pour aller à Limon (Piémont). La Ca était, avant la guerre, une grande auberge où les voyageurs pouvaient s’arrêter lorsqu’il y avait du danger à passer la montagne ; elle est aujourd’hui détruite, et il est bien intéressant pour cette route très fréquentée qu’on y établisse un hospice de religieux, semblable à ceux qu’il y a sur le mont Cenis, le grand Saint-Bernard et le Sainplont ; l’emplacement très vaste de La Ca pourrait servir à cet usage, avec quelques ampliations qu’on y ferait.
Le passage actuel du col de Tende est très difficile pour les voitures ; la plupart ont besoin d’être démontées et transportées à dos de mulets ; on peut cependant y remédier, en raccommodant le chemin. C’est un profit pour les habitants de Tende, qui se chargent du transport des voyageurs ; de Tende à Limon, il en coûte 5 francs pour un mulet et 30 francs pour une chaise à porteur à laquelle sont employés six hommes.
Route de la Ligurie
Longueur du chemin de Nice au sommet du col de Tende 24 heures et demies.
La grande route qui conduit à Gênes est très loin d’être carrossable car à peine est-elle propre pour les montures. De Nice, on monte le col de Villefranche, du sommet duquel on prend à gauche, sur les flancs de la montagne appelée Mont-Gros, d’où l’on arrive à Eze, commune bâtie sur un rocher perpendiculaire à la mer, à 9 heures de distance de Nice ; les montées et les descentes de chemin sont très rapides, et coutent beaucoup de frais d’entretient parce qu’on est obligé de les paver, à cause des eaux de pluies qui les dégradent tous les ans.
D’Eze, on va à La Turbie ; distance, une heure ; même chemin.
De La Turbie on va à Menton, laissant Monaco, sur la droite ; distance, trois heures. De Monaco à Menton il y avait autrefois un chemin carrossable, entretenu par le prince de Monaco mais comme il ne portait pas sur une chaussée, il a été entièrement détruit, depuis la guerre et se trouve en très mauvais état, même pour les gens de pied ; presque impraticable dans les tems de pluie.
De Menton on va à Vintimigle, distance, trois heures. Un quart d’heure après avoir passé Menton le chemin est sur le territoire ligurien, le long de la mer, et devient de plus en plus mauvais ; en passant au milieu de deux ou trois hameaux liguriens qu’il y a sur cette route, on est en doute si l’on n’est pas plutôt dans un mauvais sentier, qui suit un grand chemin, tant on se trouve resserré de part et d’autre et dans de mauvais pas, même pénibles pour des piétons.
De Vintimigle on passe la Roya sur un pont et on marche encore trois quart d’heure, sur un chemin uni pour aller chercher la Nervia, sur laquelle il n’y a point de pont et qu’il faut guaier, chose impraticable dans le tems des pluies ou de la fonte des neiges ce qui interrompt pour lors tout passage.
Je m’arrête ici parce que la grande route que je décris est commune jusqu’à la rive gauche de la Nervia à la France et à la Ligurie. Les habitants de la vallée de Nervia étant obligés d’y passer pour remonter la rive gauche de cette rivière et aller dans leurs communes enclavées comme je l’ai déjà dit dans le territoire ligurien depuis la Nervia, le chemin est entièrement à la Ligurie.
Totalité de longueur de cette route neuf heures et trois quart mais il est évident que c’est contre les intérêts des deux nations de ne pas rendre carrossables une route aussi importante. Il est même impossible que cela n’ait pas lieu tôt ou tard ; il faudrait alors abandonner la montagne et prendre le chemin le long de la mer en le commençant depuis la pointe de rocher qui sépare Nice et Villefranche. On sera obligé il est vrai à le tailler dans le vif non seulement à cette pointe mais encore depuis le terroir d’Eze jusqu’à Monaco dans l’étendue d’environ une heure mais cette dépense une fois faite la route couterait fort peu d’entretien et les frais de construction seraient bientôt compensés au bout de quelques années par ceux que coûte annuellement la route actuelle. Elle abrégerait les distances ; elle serait route exemplaire et moins exposée aux brigands qui infectent de tems en tems celle d’aujourd’hui.
En attendant il convient de replanter sur la route de Menton les meuriers nombreux qu’il y avait avant la guerre et dont l’ombrage fait autant de faute aux voyageurs que les produits copieux qu’en retiraient autrefois les habitants de cette contrée.
Route des Basses Alpes
La route qui de Nice conduit à l’arrondissement de Puget-Théniers mène également dans les départements du Var et des Basses Alpes. Nice est le port de mer et la ville la plus peuplée et la plus à portée d’un grand nombre de communes montagneuses de ces départements. De tout tems, les relations commerciales en blé, huile, bestiaux, draps, laines et cuirs ont existé entre ces communes et l’arrondissement de Puget-Théniers. Combien plus vives ne seraient-elles pas à l’avantage non seulement des Alpes Maritimes mais encore de ces départements voisins s’il y avait des routes faites et praticables en tout tems. C’est malheureusement ce qui n’est pas et ce qui met le comble à la misère des communes sises entre le Var et l’Estéron parce que pauvres par la stérilité du sol elles le sont encore parce que rien n’y favorise l’industrie.
La route de Nice au Puget-Théniers suit le long du Var jusqu’à Saint-Martin et est assez facile, distance quatre heures. A Saint-Martin il faut passer la rivière sur le bac ou la guaier comme il été dit à l’article du Var, de Saint-Martin on va à Gillette par un chemin montueux et pénible, distance deux heures. A Gillette la route se sépare en deux, une qui conduit à Pierrefeu, Cuebris, Roquesteron et Sigale, et l’autre qui est une continuation de la première et qui se dirige vers le Pujet.
La route de Roque-Esteron conduit dans le département du Var et dans celui des Basses Alpes, mais elle est affreuse et peut à peine servir pour des gens à pieds. Il serait très possible de pratiquer un chemin même roulier le long de l’Esteron sur la rive gauche lequel prendrait son origine au Var soit au pont Saint-Laurent, soit à Saint-Martin. Il en résulterait une communication très étendue avec le département du Var et surtout avec celui des Basses Alpes et un commerce bien nourri dans celui des Alpes Maritimes.
De Gillette la route conduit à Revest, distance une heure ; de Revest à Todon, distance 3 heures. De cette dernière commune par un chemin qui traversant le col de Vial le rend à Malaussene sur le bord du Var et est extrêmement commode pour les habitants de la vallée du Var et des rives voisines de la Tinée pour se rendre à Nice. De Todon, la route conduit à Scros d’où part également un mauvais chemin qui conduit à Roque Esteron et dans le département du Var, distance une heure. De Scros la route traversant la chaine de montagnes au pied de laquelle le Var coule du couchant au levant va se rendre au Pujet Théniers en passant sur le pont de cette commune, distance 3 heures. Du Pujet part un chemin du sud au nord pour se rendre aux communes montagneuses de l’arrondissement dont je parlerai plus tard.
En laissant le Pujet à droite la route dont nous parlons va à Entrevaux (Basses Alpes) le long du Var qu’elle ne quitte plus et presque toujours en plaine, distance de Scros à Entrevaux quatre heures. D’Entrevaux où elle passe le Var, elle va au Castellet, par un affreux mauvais chemin, distance une heure ; au Castellet elle se divise en deux, une qui se dirige du levant au couchant menant à Barême et à Digne et l’autre qui va du sud au nord-ouest, conduisent à Barcelonnette (Basses Alpes) par les vallées de Guilleaumes et d’Entraunes.
Du Castellet, cette dernière conduit à Daluys (Alpes Maritimes) en passant sur les territoires de Sausses (Basses Alpes) et Saint-Léger (Alpes-Maritimes), distance deux heures. De Daluys, elle va à Guilleaumes, distance 2 heures. De Guilleaumes à Villeneuve d’Entraunes distance 2 heures. De Villeneuve à Saint-Martin-d’Entraunes distance une heure et demie. De Saint-Martin à Entraunes distance 2 heures. D’Entraunes à Estainc distance une heure. A Estainc on trouve la montagne dite la Caillole qui sépare la vallée d’Entraunes de celle de Barcelonnette, montagne herbacée et d’un passage très commode pendant huit mois de l’année. Il y a un chemin qui était autrefois en bon état et est aujourd’hui entièrement dégradé, lequel conduit en cinq heures à Barcelonnette. Ce chemin est de la plus grande importance pour la vallée d’Entraunes, puisque c’est de Barcelonnette qu’elle tire ses grains lorsqu’elle en manque et qu’elle fait passer à cette ville commerçante les trois quarts des produits de son industrie.
Total de longueur de la route de Nice à Barcelonnette : 31 heures qui pourraient être réduites à un tiers de moins si les chemins étaient beaux.
Un autre chemin tiré d’Entraunes à Colmar, du levant au couchant, par la montagne appellée col des Champs, fait communiquer la vallée dont nous parlons avec celle de Colmar, à une distance d’environ quatre heures l’une de l’autre. L’huile, le vin et le cuir en sont tirés, et le commerce serait du quadruple plus actif à cause des autres vallées qui communiquent avec celle d’Entraunes si ce chemin était plus praticable, mais négligé depuis la guerre, il n’est plus qu’un précipice continuel à travers des blocs de grès qui ont roulé dessus et l’interceptent.
La route de Barcelonnette est non seulement utile au commerce des communes circonvoisines mais encore elle abrège d’environ vingt lieues la distance qu’il y a entre Nice et Lyon, et elle fait communiquer avec le département des Alpes Maritimes ceux des hautes Alpes, Basses Alpes du Mont Blanc et de l’Isère qui en seraient très éloignés s’il n’y avait que la grande route de la Basse Provence. Il est donc infiniment intéressant de la rénover et de l’entretenir. A dire vrai il serait extrêmement difficile de la rendre routière par les passages que j’ai décrit mais du moins on peut la faire commode et sure pour les gens de pied, les chevaux et les bêtes de transport.
Cette route passe dans la vallée d’Entraunes à la gauche du Var et là elle n’est ni sure ni commode à cause des crevasses fréquentes occasionnées par les eaux et de l’éboulement des terres et des pierres, il faut nécessairement la transporter à la droite de la rivière où le terrain ainsi que la roche sont de nature solide ; les frais de première construction seront amplement compensés par ceux qu’occasionnent les fréquentes réparations qu’il faut faire au chemin actuel. Le reste de la route jusqu’à Nice n’exige que des réparations avec un entretien suivi plus les ponts dont j’ai parlé à l’article du Var parmi lesquels celui de Bonson est un de ceux dont le défaut a le plus amorti et dévié le commerce des communes du département et de celles du Var et des Basses Alpes avec la ville de Nice.
Routes départementales
J’appelle de ce nom celles qui parcourent tout le département et qui sont absolument nécessaires pour faire communiquer les extrémités avec son chef lieu parmi ces routes nous en avons deux principales dont nous allons nous occuper qui sont celles de la Tinée et de la Vésubie.
Route de la Tinée
On peut arriver de Nice au commencement de la vallée de la Tinée par divers points. Le chemin le plus fréquenté est le suivant : de Nice à St André, distance 1 heure ; de St André à Torrette, distance une heure et demie, de Torrette à Levens distance deux heures ; de Levens à Utelle distance 3 heures ; d’Utelle à la Torre, distance deux heures et demies ; de la Torre à Clans distance 2 heures ; de Clans à Marie distance 1 heure ; de Marie à San Salvador distance une heure et demie.
De Nice à Levens on monte toujours mais il serait facile d’y entretenir un chemin sur et commode ; de Levens on descend jusqu’à la Vésubie qu’on passe sur un pont et l’on monte ensuite par un chemin taillé dans le roc vif et toujours précipiteux jusqu’à Utelle d’où l’on descend de nouveau par un chemin affreux jusqu’à la Tinée près de Roussillon hameau de la Torre ; tous ces chemins ont besoin d’entretien, mais ce dernier exige les plus grandes réparations. Il y a un pont dans une gorge avant d’arriver à la Torre qui tombe en ruines et qui, s’il n’est réparé promptement, interceptera tout à fait cette route.
De San Salvador la route conduit à Isola distance quatre heures ; à Isola est un chemin d’environ trois heures de longueur qui conduit à Saint-Anne et aux Bains de Vinai (Piémont). D’Isola à Saint-Ethienne distance quatre heures ; de Saint-Ethienne au Pont haut distance une heure et demie ; du Pont haut la route se divise en deux branches, une qui suit la Tinée et qui va aux Prez, hameau de Saint-Dalmas le Sauvage et l’autre à Saint-Dalmas même, distance tant d’un coté que de l’autre une heure ; de Prez on va à Boussieyes, autre hameau de Saint-Dalmas, distant d’environ demie heure du premier qui se trouve au pied de Pelouze, montagne toute herbacée au delà de laquelle est la vallée qui conduit à Barcelonnette.
Nous avons donc environ ici une autre issue pour aller à Barcelonnette le chemin est facile mais il n’est praticable que pendant sept mois de l’année.
En passant par Saint-Dalmas il y a encore un autre chemin qui aboutit à cette ville par le vallon de Sestrières et la montagne de Foug ; mais ce chemin est entièrement dégradé, coupé par le torrent et moins commode que celui des prez qui serait susceptible de devenir routier depuis ce hameau jusqu’à la terminaison de la vallée de la Tinée.
Le terroir de Saint-Dalmas communique avec celui des Basses Alpes du côté du couchant et du coté du nord nord-est avec le Piémont : c’est-à-dire par un chemin qui passe par le col de Sarsa-Moréna on arrive dans cinq à 6 heures à Argentières dans la vallée de Stura. Ce passage est important par le commerce qui se fait entre cette vallée et les communes de Saint-Dalmas, Saint-Ethienne et Entraunes ; il conviendrait de le rendre plus praticable.
Total de longueur de la route de la Tinée depuis Nice jusqu’à la montagne de Pelouze 24 heures et demie.
Cette route est assez belle depuis le Prez jusqu’à Saint-Ethienne. Depuis cette petite ville jusqu’à San Salvador elle est affreuse dans tous les points de vue ayant été complètement négligée depuis dix à douze ans. Depuis San Salvador jusqu’à Roussillon elle est passable.
Cependant il est non seulement facile de la rendre commode mais encore elle est celle de toutes les routes de départementales la plus susceptible de devenir un chemin à roulier. Depuis l’embouchure de la Tinée jusqu’à sa source la pente de terrain est extrêmement graduée et excepté au sortir de San Salvador où il y a une montée d’un quart d’heure qu’il faudrait adoucir le restant du chemin n’a besoin que d’être suffisamment élargi et soutenu du haut et du bas contre les éboulements et les torrens.
La grande difficulté se trouve à l’embouchure de la Tinée vers Chaudan hameau d’Utelle. Ici le chemin fuit et la rivière s’écoule au milieu des rochers et il resterait encore dix heures de chemin à parcourir pour arriver à Nice par des montagnes qui ne seront jamais accessibles à des voitures. Les rochers de la pointe d’Utelle et ceux de Saint-Blaise qui bordent le Var depuis la Tinée jusqu’à Saint-Martin ont obligé de prendre ce détour par les montagnes mais serait-il absolument impossible de se fraier un chemin sur ces rochers même jusqu’à Saint-Martin-du-Var et de gagner au moins cinq heures sur l’espace qu’il faut parcourir aujourd’hui ?
Outre d’abréger les distances, rien ne serait plus propre qu’un semblable chemin placé au centre de la partie la plus agreste et la moins civilisée du département pour aviver l’industrie et multiplier les ressources de plus de trente communes répandues non seulement dans la vallée de la Tinée mais encore dans les vallées et dans les montagnes qui y correspondent et qui seront toujours misérables à cause de la pauvreté de leur sol tant qu’elles n’auront pas des chemins qui les rapprochent des cités commerçantes qui les familliarisent avec les étrangers et qui leur inspire le gout de la civilisation et de l'industrie ; ajoutons qu’au dessus de cette route sont les plus belles forêts, lesquelles ne seront jamais que la proie de la main dévorante du tems ou de la grossière activité des paysans si l’on ne pratique de beaux chemins pour y arriver.
Route de la Vésubie
La route de la Vésubie commence à l’Escarène d’où elle part du sud au nord pour se rendre à Lucéram distance deux heures. De Lucéram se dirigeant vers le nord-ouest le long de la forêt de la Mairis et à travers les rochers qui se dégradent au bas desquels coule le torrent de Louda, elle conduit à Lantosca, distance cinq heures, continuellement sur un chemin étroit entre la roche et le précipice. De Lantosca elle-même à Roccabiliera et Belvédère distance 2 heures ; ici le chemin passe sur des bancs de gips qui se décomposent et qui ne sont pas surs. Il conviendrait de le ramener par le village la Bolline où il passait auparavant soit pour l’avantage de cette commune soit pour mettre la route à l’abri de la rivière et des éboulements.
De Roccabiliera la route, suivant toujours la Vésubie, conduit à Saint-Martin-de-Lantosca, distance 2 heures. Ici en passant le col de Fenestre du midi au nord on aboutit à Entraigues (Piémont) ; en continuant la route après avoir laissé la Vésubie on passe le col de Saint-Dalmas-du-Plan et on arrive à Val de Blora dont Boline est le chef lieu distance 2 heures. De Boline on monte à Rimplas distance une heure et demie. De Rimplas on descend à la Tinée au village de San Salvador distance une heure et demie par un chemin analogue à celui de Lucéram à Lantosca. Si au contraire on veut descendre de la Tinée on prend le chemin qui va à Marie taillé au travers d’un roc jeté et escarpé, distance deux heures.
Totalité de longueur du chemin de la Vésubie de Nice à Saint-Martin-de-Lantosca ses deux extrémités 14 heures ; de Saint-Martin pour venir joindre la Tinée à San Salvador 5 heures et pour la joindre à Marie, quatre heures.
Ce chemin a besoin tout le long de grandes réparations et comme je l’ai déjà dit d’un pont sur la Vésubie à Roccabiliera pour qu’il ne soit pas intercepté dans le tems des crues.
Bien avaient pensé les anciens d’abréger cette route de la Vésubie en pratiquant un chemin dans le roc le long du lit de cette rivière ainsi que j’ai dit qu’on en voit encore les vestiges. Il y a apparence qu’il allait aboutir à la Roquette Saint-Martin le long du Var là où nous avons souhaité qu’on taillat un chemin. Il allait de la à Duranus, distance une heure. De Duranus à Lantosca distance une heure et demie et il était par conséquent tout en plaine depuis Nice et plus cours de cinq heures et demies que le chemin actuel. Le grand nombre d’issues que la vallée de la Vésubie se trouve avoir du coté du Piémont avaient peut être pu déterminer cette dépense.
Route de la vallée du Var
Cette route qui mène du Pujet à la Tinée est comme je l’ai déjà dit au commencement de ce chapitre des plus dégradées et des plus affreuses et exige les plus promptes réparations. Du Pujet elle va au Thouet, distance une heure et demie. Du Thouet au Villars, distance deux heures. Du Villars à Massoins distance deux heures. De Massoins à Tournefort, distance une heure.
De Tournefort au pont de la Tinée sous Roussillon distance une heure. Total sept heures et demies. A cette route aboutissent
1° la grande route du Pujet à Nice et la continuation dans la vallée de Guilleaumes.
2° versant du nord au sud le chemin des communes d’Auvare et de la Croix, distantes du Pujet la première de quatre heures et la seconde de deux heures.
3° Le chemin de Pujet de Rostang, deux heures.
4° Le chemin de Beuil, Rora et Robion. Celui-ci est tracé le long du vallon des champs lorsque le torrent a peu d’eau.
Lorsqu’il est volumineux et que la communication est interceptée on passe par la montagne de Dines. Du Pujet il conduit d’abord à Rigaut, distance 3 heures et demies. De Rigaut à Lieuche distance une heure.
De Lieuche à Pierlas distance 2 heures. De Pierlas à Beuil, distance 2 heures. De Beuil à Robion distance 2 heures. De Robion à Rora, distance une heure. De Rora il descend à San Salvador à la Tinée, distance une heure. Il reçoit près de Rigaut le chemin de Thierri distant trois heures du Puget. A Pierlas le chemin d’Ilonse, qui en est éloigné de deux heures et qui a un autre chemin d’une heure qui va à la Tinée
5° du sud au nord le chemin de Malaussène, (interrompu lorsque le pont du Var est brisé) qui aboutit au col de Vial, dont j’ai déjà parlé, et qui fait communiquer les vallées du Var et de la Tinée avec les communes placées entre le Var et l’Estéron ; distance de Malaussène à la route de la vallée du Var une heure et demie 6° du nord au sud le chemin de Bairols à Tournefort distance une heure.
Il est difficile de se figurer sans l’avoir vu le mauvais état de ces chemins plutôt propres pour des chèvres que pour des hommes ; aussi s’opposent-ils beaucoup à la fréquence et à la richesse des foires et des marchés.
Route de la vallée de Nervia
Au point où j’ai dit que la route d’Italie cesse d’être commune entre le département et la Ligurie, la route de la vallée de Nervia remontant du sud au nord sur la gauche de cette rivière, passe d’abord par le milieu du village de Campo Rosso (Ligurie) et conduit à Dolce Aqua (Alpes-Maritimes) commune distante de la mer de 2 heures desquelles les trois quarts sont de la Ligurie. Il en résulte que pour aller de Dolce Aqua à Menton il faut nécessairement marcher pendant quatre heures sur un territoire étranger. De Dolceaqua le chemin conduit à Isola Buona, distance 2 heures. Dans cet intervalle il reçoit 1° le chemin qui vient de Suborga et Perinaldo, de Suborga à Perinaldo, distance une heure ; de Perinaldo à Dolce Aqua une heure et demie 2° celui d’Apricale conduisant également à Perinaldo éloigné d’une heure d’apricale à Isola Buona, distance trois quarts d’heure 3° celui de la Rochetta commune distante de deux heures de Dolceaqua. De Isola Buona la route conduit à Pigna ; distance 2 heures ; de Pigna à Buggio distance 2 heures ; à Buggio le chemin se continue par les montagnes de Tanarda et Marta, pour aller tomber à Briga, commune qui étant de l’arrondissement de Monaco a besoin de ce chemin de traverse pour s’y rendre ; il est praticable durant huit mois de l’année, distance 5 heures de Buggio à Briga. Longueur du chemin de la vallée de Nervia depuis la mer jusqu’à Buggio, huit heures.
Ce chemin est tout en plaine très commode et pourrait être rendu très facilement carrossable.
Routes vicinales
Toutes les montagnes du département sont traversées de petits chemins et sentiers qui établissent la communication entre une commune et l’autre, qui aboutissent tous aux chemins principaux dont j’ai parlé et desquels il serait aussi long qu’inutile de faire l’énumération détaillée. Je ne m’arrêterai donc qu’à ceux qui présentent le plus d’intérêts.
1° Le chemin qui fait communiquer Menton avec Sospello, de six heures de long, passant sur les territoires de Castellar, Sainte-Agnès et Castillon. Ce chemin est très important parce qu’il rapproche les vallées de Bevera et de Roya de la mer. Avant la guerre, on avait commencé du coté de Menton à le rendre carrossable et il en est susceptible dans toute son étendue ; peut-être aurait-on achevé l’ouvrage parce que Sospello était pour lors chef lieu de la petite province de ce nom et il est indubitable que c’aurait été et que ce serait encore un grand service rendu à cette partie du département.
2° Le chemin de Molinetto à Sospello, distance trois heures
3° Le chemin de Castillon à Peglia, distance 2 heures ; de Peglia à Peglion, distance une heure ; de Peglion à Drap distance une heure.
4° Le chemin du pont de Peglia à Contes distance une heure et demie ; de Contes à Berra, distance une heure et demie ; de Berra à Coaraza, une heure et demie ; de Coaraza à Chateauneuf, distance deux heures ; de Chateauneuf à Torrette, distance une heure ; d’où à Aspremont, etc.
On conçoit que tous ces chemins et autres sont encore plus mauvais que les principaux ayant été absolument négligés depuis le nouvel ordre de choses.
En parcourant le pays on entend tous les habitants gémir sur l’état de leurs chemins et sur les dommages qu’ils en éprouvent. A ces plaintes multipliées et plus encore aux dangers et aux peines qu’on vient d’essuier pour arriver on est d’abord surpris de la contradiction qui se trouve entre le besoin qu’éprouvent ces habitants et l’insouciance qu’ils ont mis jusqu’à présent à le faire disparaître ; la surprise cesse en considérant que l’homme ignorant et irréfléchi a besoin souvent d’être forcé à soigner ses plus chers intérêts. Sous le gouvernement sarde, chaque commune s’imposait un petit fond pour l’entretien de ses ponts et chemins. Les gros travaux se faisaient par corvée à laquelle le paysan était accoutumé de tems immémorial ; on ne payait que ce qui ne pouvait pas s’exécuter de cette manière. Les sindics des communautés étaient responsables de l’état de leurs routes et punis sévèrement de toute négligence : depuis la Révolution ne concevant pas la liberté et cependant profitant de l’anarchie, l’habitant de ces montagnes a rompu tous les liens du pacte social et n’a plus voulu obéir, surtout parce que les nouvelles autorités aussi ignorantes que leurs administrés ne savaient pas le faire respecter. Ainsi les forêts ont été incendiées, les réserves pour conserver ces chemins défrichées, les torrens livrés à leur rapidité, les éboulements laissés en place, les ponts et routes abandonnés à la merci de toutes les causes de destruction. Combien pendant l’espace de dix ans n’ont-elles pas du agir dans un pays tout montueux dont la plupart des roches sont fragiles tandis qu’en continuant de faire chaque année de petites réparations on se trouverait aujourd’hui des routes en état comme par le passé.
Il n’est pas douteux que la réparation et construction des trois routes, du Piémont de Ligurie et des Basses Alpes, ainsi que des ponts qu’elles exigent, n’appartiennent à l’Etat puisqu’elles servent au passage non seulement des gens du pays, mais encore des étrangers qui se rendent à Nice ; quant aux routes départementales leur entretien appartient au département, comme celui des vicinales aux communes qui en profitent.
Cependant dans l’état actuel des choses, le département comme les communes sont dans l’impossibilité absolue de supporter les dépenses que ces réparations exigeraient parce que le fardeau de leurs impositions est beaucoup plus fort que ce qu’il était par le passé et que le pays a beaucoup souffert de la présence des différentes armées pendant plusieurs années. D’une autre part, ainsi que je l’ai démontré, il est urgent de réparer et d’établir une police qui conserve le bien que l’on aura fait. Comment satisfaire à la fois à ces différents points ?
Je ne vois aucun autre parti plus légitime, plus convenable à la nature du lieu et plus expéditif que celui de rétablir la corvée, c’est à dire d’obliger chaque commune à réparer et entretenir le chemin qui passe sur son territoire. Il n’a dépendu que des maires de continuer facilement l’exercice de cette institution que la révolution avait fait disparaître trop généralement. En passant par Robion, commune bâtie sur le revers d’une montagne rapide, je fus surpris d’y trouver de plus beaux chemins que dans la plaine et d’y voir des hommes occupés à les réparer. Le maire, homme actif et intelligent, (le citoyen Guerin) m’explique l’énigme en me disant « qu’il avait obtenu de ses administrés de continuer la corvée, qu’en conséquence il les avait divisés en décuries chargés chacune à leur tour et gratuitement de porter du secours partout où quelque chemin de la commune se trouvait endommagé et que depuis plusieurs années la chose s’exécutait paisiblement et sans murmure ».
Cet exemple mis, en vain, sous les yeux des autres maires, parce que la plupart préfèrent de flatter les habitudes vicieuses du peuple au plaisir de lui procurer un bonheur solide, cet exemple dis-je m’a prouvé que le moyen que je propose est exécutable et qu’il n’y aurait qu’à l’ordonner pour le voir adopté sans restriction, d’autant plus que je ne prévois pas qu’on aye de long tems assez de fonds pour lui en substituer un autre moins onéreux.
Le même moyen devrait être employé pour la confection des canaux d’irrigation, des fontaines et autres travaux des communes utiles à un chacun de ceux qui y seraient soumis.
Les canaux d’irrigation ne peuvent être dans ce pays séparés des chemins parce que ce sont les torrens qui leur portent le plus de préjudice. Or, en déviant l’eau de ces torrens on fait deux biens à la fois, celui d’en diminuer la masse et de les rendre utiles à l’agriculture.
La corvée n’est odieuse que lorsqu’elle est accompagnée d’un grand nombre d’exceptions comme elle l’était dans l’ancien régime ; en y soumettant tout le monde avec liberté de payer de son argent lorsqu’on ne le peut de sa personne elle est nécessaire et ne répugne à aucun principe.
Sans doute elle ne suffit pas et il est toujours indispensable d’avoir des fonds pour l’achat de matériaux et pour la direction des travaux ; mais indépendamment des bienfaits qu’on a droit d’attendre du gouvernement une sage économie dans l’administration des revenus des communes et quelques impositions locales dirigées sur des objets qui ne sont pas de première nécessité suffiraient bientôt à faire face à ce qu’il y aurait de plus urgent. Le dirai-je en feuilletant les bilans de 1790 et de l’an 9 de quelques communes. J’ai vu avec étonnement qu’alors que les chemins étaient bien entretenus, les dépenses locales ne se montaient qu’à trois cent francs et qu’elles se montent à mille et douze cent francs aujourd’hui que tout est négligé.
De quelque manière que les chemins soient réparés il faudrait avoir soin de les entretenir ; que toutes les terres qui les dominent soient replantées en bois et qu’il ne soit permis ni à la chèvre ni à la bêche d’y toucher ; que deux fois par mois un inspecteur les parcoure pour faire réparer aussitôt le plus léger dommage par la commune sur le territoire de laquelle il est ; que les maires et adjoints soient intéressés à une surveillance active ou par des récompenses ou par des punitions, c’est à dire qu’un code de police soit donné pour veiller sur les eaux, sur les chemins et sur les bois et pour conserver à la culture les pays de montagne.
Il me reste un vœu à énoncer c’est de voir dans ce climat surtout toutes ces routes ombragées par des arbres et surtout par des meuriers qui réuniraient à la fois l’utile et l’agréable et qu’on voyait avant la guerre fort multipliés et partout au grand profit des habitants.
De l'industrie des diverses régions du département
Transport du sel, filature, fabrication de draps et toiles, tanneries et teintureries, élevage du ver à soie, papeterie et savonnerie.
NOTE : Nous offrons aux internautes la possibilité de découvrir ce texte inédit transcrit dans sa forme originelle et avec l'orthographe de l'époque. |
Industrie de l'intérieur du département
Industrie qu’on pourrait avoir
Nous avons observé des mines, mais elles ne sont pas exploitées sauf celle de Tende, qui l’est par des Piémontais. Il est vrai qu’il existe fort peu de particuliers en état de l’entreprendre et que l’esprit de spéculation est trop arriéré pour pouvoir former des compagnies.
12 martinets existent, répandus çà et là pour convertir le fer vieux en fer neuf, en instruments d’agriculture. Ils n’en font guère au delà de 93 488 kilogrammes, (2 000 quintaux) par an, et l’on est tributaire de l’étranger pour plus de 140 232 kilogrammes (3 000 autres quintaux), nécessaire à la consommation. Combien cette industrie ne produirait-elle pas si on mettait en exploitation des mines de fer du pays on en fournirait toute la Provence.
Environ 200 fours à chaux et à plâtre et 50 scies à eau occupent 300 ouvriers, donnant un bénéfice qu’il serait facile de quadrupler, surtout pour le dernier article.
Les frênes et autres arbres des vallées du département sont chargés de cantharides dans le mois prairial. On n’a jamais songé à les ramasser, et les pharmaciens les ont payées jusqu’à (24 francs la livre) 77 francs le kilogramme des droguistes de Marseille. On dit qu’on commençait à en recueillir dans la vallée de la Visubie, avant la guerre. Jofrédi assurait en 1658, que dans cette même vallée on récoltait une manne excellente, et que le Var était couvert de bois de construction. Cette manne existe encore, répandue en gouttelettes sur les feuilles de frênes, mais elle est en trop petite quantité. Le miel de la vallée de la Visubie est peu prisé, parce qu’il est purgatif et qu’il a le goût de marne, car les abeilles se reposent volontiers sur les frênes qui y abondent et qui sont couverts de ce suc naturel.
Ces Alpes-Maritimes paraissent destinées à être couvertes de ruches d’abeilles ; les montagnes de département voisins, du Var et des basses Alpes, font un grand commerce de miel et de la cire, et en approvisionnent la ville même de Nice ; on a vu combien est petite la quantité qu’on en récoltait et qu’on récolte dans le département.
La culture des terres et l’éducation des troupeaux furent de tous les tems l’unique objet industriel de la grande majorité tandis qu’une portion du peuple s’occupait des transports et qu’une autre portion bornait ses vœux à être placés ou dans l’église, ou dans l’état militaire, ou dans l’ordre judiciaire.
Transport du sel en 1790
Comme le roi de Sardaigne fesait venir de cette isle tout le sel qui se consommait dans ses états de terre ferme, sauf la Savoie, et que ce sel abordait à Nice ou à Villefranche, le transport de cette denrée d’une commune à l’autre, dans l’intérieur du département et en Piémont, occupait pendant six mois de l’année un grand nombre d’individus répartis sur la route de Nice à Tende, et un plus grand nombre encore de bêtes de sommes. 60 ouvriers, 150 mulets et environ 60 ânes portaient journellement du sel de Nice aux magasins d’Escaréna, un pareil nombre était employé pour le porter à Sospello, de Sospello à la Giandola, de là à Tende et de Tende à Limon. Ce genre d’industrie produisait à Nice et à la commune d’Escaréna un revenu journalier fixe de 250 livres ; à celle de Lucéram, pour 15 hommes qui s’en occupaient, un revenu de 45 livres, pour celle de Sospello qui y employait 150 individus, un revenu de 600 livres ; et pour celui de Breglio et de Tende, 100 livres chaque, sans compter pour toutes ces communes, le fumier résultant des mulets qu’il fallait avoir et dont le nombre augmentait le profit. Cet état qui n’exige aucune peine d’esprit, et qui est propre au contraire, à étouffer l’entendement, était tellement regardé comme un patrimoine que les gens qui le fesaient se crurent perdus lorsqu’il leur manqua. Durant la guerre, cette industrie fut de toute nullité, chacun allant à Nice s’approvisionner de sel. En l’an XI des particuliers en ont établi des magasins à Tende, pour en approvisionner le Piémont, et ils emploient un certain nombre d’individus de Sospello et de l’Escaréna, qui le rendent à sa destination, à un centime 28 décimes le kilogramme (10 centimes le rub), prix à peu près égal à celui que payait l’ancien gouvernement d’un magasin à l’autre.
Un grand nombre de muletiers était encore employés dans toute la route de Nice à Turin, pour le transport réciproque des marchandises ; on en comptait 600 pour tout le département. Il en existe encore aujourd’hui 200 car le chemin de Tende n’a jamais été assez propre pour les grosses charrettes, et l’on a eu de tout tems besoin de recourir aux muletiers. Ce n’est même qu’avec peine que les habitants de cette route, ont vu les efforts qu’on fesait pour l’approprier aux voitures ; et il est certain que si jamais cela a lieu, les familles de muletiers seront privées d’une grande ressource.
Après avoir exposé la nature des occupations de la multitude, nous allons jeter un coup d’œil sur quelques branches d’industrie éparses, un peu dans une commune, un peu dans l’autre, surtout dans les parties septentrionales et occidentales, car, à part le commerce des citrons à Menton, un peu de pêche et de navigation sur la côte maritime, dont nous parlerons bientôt tant sur cette côte que dans les communes méridionales et occidentales, on ne découvre d’autre industrie parmi les habitants que celle de la culture de la vigne et de l’olivier.
Parties industrielles
Ces échantillons épars d’industrie consistent dans la fabrique des draps, des toiles, des chapeaux de laine et de paille, de dentelles, dans quelques tanneries et chamoiseries languissantes ; dans quelques ateliers de teinture, dans l’exploitation du sumac , dans l’éducation des vers à soie ; le changement du fer vieux en fer neuf et dans la fabrication de quelques poteries et de quelques ustensiles de buis. Je ne devrai pas parler de ce dernier article, puisque je n’en ai vu qu’un misérable atelier à Saorgio, mais je le note parce que mon étonnement a été très grand de ce qui dans un pays où le buis est si commun, et où l’on se sert beaucoup d’ustencilles de bois, on les fait cependant tous venir de l’étranger et qu’il m’a fait plaisir de rencontrer enfin dans une commune quelqu’un qui s’en occupa. Il en est de même des poteries de terre, car il n’y en a dans tout le département que deux fabriques dans le village de Contes, dont les produits grossiers ne vont pas au feu.
Draps, toiles et chapeaux
Nous renvoyons, quant aux draps fabriqués dans le pays, au chapitre 6 à la 2ème section, où nous avons démontré que cette industrie produisait annuellement 62 400 francs et qu’elle pourrait peut être, en produire le double. 15 moulins à foulons suffisent aujourd’hui à cette fabrication. Quant aux toiles, aucun habitant n’en fabrique pour en vendre, mais comme chacun se fait son drap, chacun se fait aussi sa toile, et si grossière que les personnes d’un état un peu relevé ne font usage que des toiles de l’étranger.
On a peine aussi à nommer les fabriques de chapeaux du département, puisqu’il n’y en a que trois, sans en excepter Nice, une au Puget, l’autre à Saint-Etienne, et la 3ème à Villeneuve d’Entraunes. La première confectionne année commune, environ 100 chapeaux appellés fins, 150 de seconde qualité et 300 grossiers. Ils sont fabriqués de la laine du département et ils emploient 2 hommes pour les préparer et deux autres pour couper les toiles. Celle de Saint-Etienne, encore naissante, ne fabrique que la moitié de cette quantité, dont un quart est en poils de lapins et de lièvres. La manufacture de Villeneuve d’Entraunes, est aussi languissante que celle de Saint-Etienne, et emploit un mélange de poil de lièvre et de laine.
Quant aux chapeaux de paille, toutes les paysannes s’en occupent ; celles surtout de la vallée d’Entraunes sont toujours occupées à en tresser ; ils font un objet conséquent de la foire de Guillaumes ; les hommes en portent aussi en été. On en fait d’assez beaux et qui valent jusqu’à 6 francs pièce.
Dentelles
Je n’ai trouvé qu’à Breglio, les personnes du sexe occupées à ce travail. Là, femmes et filles de tout âge font du matin au soir de la dentelle grossière dont se fournissent les communes voisines, jusqu’à la concurrence de 1 467 mètres ( 5 600 pans) par an, à 47 centimes 70 décimes le mètre (2 sous et ½ le pan), ce qui produit un revenu d’environ 7 à 8 cents francs, abandonné au sexe pour son entretien et un commencement de dote. On pourrait faire de la dentelle plus belle, à en juger par un échantillon que m’a donné la femme du maire, mais elle n’aurait pas de débit.
Tanneries, chamoiseries et teintureries
Il paraît par les ruines qu’on observe dans différents villages que les tanneries ont été autrefois plus multipliées qu’aujourd’hui ; maintenant, si nous exceptons Nice, il n’y en a plus qu’une à Puget, une à Breglio très petite et qui travaille fort peu, 3 à Sospello, où il s’en trouvait quatre en 1790.
Dans la tannerie de Puget, on fabrique, année commune, environ 685 kilogrammes de peaux de veaux, de moutons, dont l’excédent qui n’est pas consommé sur le lieu, est vendu dans le département.
Des trois fabriques de Sospello, les deux principales tannent annuellement 500 gros cuirs et 600 peaux de veaux ; la troisième, conjointement avec celle de Breglio tanne environ la moitié de cette quantité. Les fabricans m’ont assuré que le travail allait du double avant la guerre.
Quant aux chamoiseries, il y en a deux, qui ne sont encore que de faibles essais ; l’une au pont haut, en allant à Saint-Dalmas le Sauvage, l’autre à Villeneuve d’Entraunes.
Il y a quatre teinturiers, deux à Saint-Martin d’Entraunes, un à Isola, et l’autre au Puget. Chacun d’eux teint par an, environ 60 pièces de drap grossier, de couleurs dont nous avons parlé à la 2ème section, mais on préfère en général d’envoyer teindre à Barcelonette.
Sumac etc.
Cet arbrisseau précieux par la teinture du bon teint qu’il fournit, croit à profusion dans toutes les collines plus stériles de ce département. On en fesait avant la guerre une exportation d’environ 46 744 kilogrammes (1 000 quintaux) pour tout le département ; la commune de Breglio est celle dont les habitants ont le plus contribué à tirer parti de ce bois. Ils en exportent chaque année à Nice, ou à Vintimiglia, la quantité d’environ 200 charges, tout écorcé et dépouillé de son aubier, à 10 francs la charge ce qui leur procure un bénéfice annuel de 2 000 francs. L’écorce et la feuille de cet arbrisseau contiennent d’après mes expériences encore plus de tanin que l’écorce de chêne vert, et je me suis trouvé d’accord avec les tanneurs de ces contrées qui m’ont dit l’avoir éprouvé et être résolus à s’en servir dorénavant pour les cuirs verts. On peut en faire pour 1 000 charges dans tout le département, ce qui fournit un produit de 10 000 francs.
Ils ont à Bréglio un autre moyen d’industrie ; ils tirent parti d’un bois de noisetier, dont ils font des paniers qu’on vient vendre à Nice, ce qui fournit un autre bénéfice de 2 000 francs.
Les habitants de cette commune joignent donc aux produits de l’agriculture, une industrie qui se monte jusqu’à 4 800 francs annuels, qui jointe à celle d’une trentaine de familles muletiers, lui donnent un air d’aisance qu’on aperçoit aussitôt qu’on arrive.
Éducation des vers à soie
Cette branche d’industrie était une grande ressource pour un grand nombre d’habitans des Alpes-Maritimes, surtout dans les vallées de la Visubie, du Var et de la Roya. Dans celle de la Visubie, des mûriers étaient en pleine vigueur, jusqu’à Saint-Martin de Lantosca, et fournissaient aux vers à soie pour donner jusqu’à 9 348 kilogrammes (30 000 livres) de cocons par an ; ceux de la vallée du Var en fournissaient autant ; ceux de la vallée de la Roya en donnaient 2 181 kilogrammes (7 000 livres), et l’on peut mettre à 6 232 kilogrammes (20 000 livres). Le produit des mûriers de la vallée de Paglion, des communes environnantes, de la campagne de Nice, de Saint-Martin du Var et de Gilette, et de ceux de la cote maritime, total 27 110 kilogrammes (87 000 livres) de cocons qui à 2 francs 88 centimes 81 décimes le kilogramme (18 livres) prix d’alors produisaient un revenu de 78 300 francs, de 12 000 francs, après avoir été fabriqués dans les filatures dont je parlerai ci-après.
En faisant quelques observations sur cette branche utile d’histoire naturelle, j’ai trouvé, 1èrement que l’éducation des vers à soie, pour réussir, demande une température moyenne. Ainsi indépendamment de ce que la sécheresse est un obstacle à la végétation des meuriers, on m’a assuré dans les parties les plus chaudes, comme dans celles qui sont froides, que ces insectes réussissaient fort peu, et que la soie en provenant en était moins belle aussi semble-t-il que l’instinct ait guidé les hommes dans les choix des positions qui conviennent le mieux à la culture des meuriers. On les trouve multipliés dans toutes les régions tempérées et suffisamment humides tandis qu’on en rencontre fort peu sur la cote maritime et dans la vallée de la Nervia, où sans doute on les eut davantage cultivés s’ils eussent été d’un bénéfice certain.
2èmement Dans toutes les régions sujettes aux brouillards dont il a été parlé à la 1ère section, quoique les meuriers réussissent, ils font cependant fort peu prospérer les vers à soie. On m’a assuré unanimement à Sospello, où il y avait beaucoup de ces arbres, qu’à cause des brouillards ils n’ont jamais fourni une bonne nourriture à ces insectes et que les cocons en résultant n’ont jamais donné que très peu de soie fine.
Tous ces cocons étaient portés dans trois communes où étaient établies des fabriques, savoir à Lantosca où il y en avait trois, pour la récolte de la vallée de la Visubie, et des communes circonvoisines ; cette soie était d’une qualité inférieure pour l’organsin . Les secondes filatures étaient et sont au Villars, au nombre de deux, pour les cocons de la vallée du Var, de quelques communes des vallées de Guillaumes et de l’Estéron et des autres communes circonvoisines ; la soie en est assez belle. Les autres filatures étaient et sont encore à Nice, et j’en parlerai à l’article suivant.
A Lantosca, on fesait venir des fileuses de Nice, et l’on employait les femmes du pays à filer la trame. Le prix des premières était de 2 francs par jour, et de 1 franc 25 centimes pour les secondes ; on donnait 50 centimes aux vireuses. Année commune, ce genre d’industrie donnait un bénéfice de 10 000 francs pour les habitants de Lantosca.
Cette industrie est totalement tombée durant ces 10 années de guerre ; un grand nombre de meuriers ont été coupés ; on a prétendu à Saint-Martin de Lantosca, qu’à cause que le climat était devenu plus froid, ces arbres ne réussissait plus, que plusieurs périssaient d’eux-mêmes, et que le peu de vers à soie qu’on élevait prospéraient infiniment moins qu’anciennement. On m’a fait la même observation au Puget et l’on y attribue généralement à la fréquence des intempéries le peu de facilité qu’on éprouve aujourd’hui à élever des chenilles, comparativement aux années précédentes.
Cependant les filatures de Villars, quoique moins actives, n’ont pas cessé de travailler ; elles font année commune environ 311 kilogrammes (1 000 livres) de soie, et le prix des ouvrières est à peu de chose près le même que celui qui était établi à Lantosca.
Cette industrie a commencé à reprendre de l’activité en l’an X, à la différence qu’excepté le produit des vallées du Var, de Guillaumes et de l’Estéron qui a été porté au Villars, les cocons de tout le reste du département sont arrivés aux filatures de Nice.
Il est à espérer que les filatures de Lantosca se rétabliront, la vallée étant propice aux meuriers sauf du coté de Saint-Martin, et le commerce de la soie reprenant de la vigueur. Il est à désirer qu’il s’en établisse pareillement à Saorgio, dont la soie est de meilleure qualité de toutes celles du département. On y aurait les cocons de Bréglio, et des villages liguriens limitrophes ; tandis qu’ils sont portés péniblement à Nice ou à Saint-Rémo, ce qui en diminue le bénéfice. Ce serait aussi un appas pour engager les particuliers à multiplier les meuriers le long des rivières et des torrens, d’autant mieux que les cocons produits dans le milieu de la partie sud-est du département sont les plus prisés.
Changement du fer vieux en fer neuf
Les 12 martinets du département, susceptibles de convertir 93 488 kilogrammes (2 000 quintaux) de fer vieux acheté à (5 centimes la livre) 16 centimes 04 décimes le kilogramme, en 70 116 kilogrammes (15 cent quintaux) d’outils d’agriculture etc., qu’ils livrent ensuite à 1 franc 60 centimes 45 décimes (50 centimes la livre) sont susceptibles d’un produit de 7 500 francs.
Industrie de la ville de Nice
L’industrie et le commerce de Nice sont peu conséquents, relativement à ceux de tant d’autres villes placées comme elle, sur la Méditerranée. Nous en avons exposé les causes. Cependant, centre des opérations administratives judiciaires, entrepôt de toutes les denrées et marchandises qui doivent être consommées dans le département et passer en Piémont, ou qui sont destinées à l’exportation, Nice seule a plus de moyens d’existence que tout le département entier, sans pourtant comparer le plus riche de ses citadins à un négociant médiocre de Marseille ou de Bordeaux.
Sans parler ici de son commerce que nous examinerons au chapitre suivant, elle a quelques manufactures qui ne sont véritablement pas encore dignes d’elle mais qui pourront prendre de l’accroissement par la réunion à la France. Les principales sont les filatures de soie, les ateliers de parfumerie, les taneries, la papeterie, la savonnerie, et quelques autres moyens d'industrie que nous indiquerons.
Filatures de Nice
La chute des filatures de Lantosca dont nous avons parlé précédemment, a amené à Nice tous les cocons qui y étaient déposés ordinairement à Lantosca. Ce genre d’industrie a toujours enrichi ceux qui s’y sont livrés, parce que à Nice on a non seulement les cocons du département mais encore ceux des communes voisines, du département du Var, et que les maitres des filatures en avançant, durant le cours de l’année, de l’argent aux paysans, ont toujours les cocons à meilleur marché qu’ils ne se vendent sur la place.
Le nombre des filatures de Nice un peu marquantes était de dix en 1790, et elles sont encore à ce nombre actuellement. On m’a rapporté qu’elles filaient annuellement 70 116 kilogrammes (9 000 rub) de cocons qui donnaient 4 908 / kilogrammes (15 750 livres) de soie fine appellée grêge de 30 à 32 deniers pour un mètre 188 millimètres (une aune) de taffetas, et 1 636 kilogrammes (5 250 livres) de soie dite fagoterie ou ramassage. Cette industrie a presque été nulle depuis la guerre jusqu’en l’an X époque où elle repris la même vigueur qu’en 1790, puisqu’on a travaillé la même quantité de cocons, et qu’on en a eu les mêmes résultats.
L’on a payé en l’an X le même prix des cocons qu’en 1790, c’est à dire 3 francs 8 centimes 12 décimes le kilogramme (24 francs le rub) ce qui donne 21 500 francs ; la soie de première qualité s’est vendue comme en 1790 de 38 à 48 francs le kilogramme (12 à 15 francs la livre), et celle de deuxième qualité de 20 à 38 francs (9 à 10 francs). Je mets la première au terme moyen de 41 francs 71 centimes 63 décimes (13 francs la livre), et la seconde à celui de 28 francs 88 centimes 06 décimes (9 francs). Les sommes réunies fournissent 252 000 francs.
Le prix des fileuses, vireuses etc. est comme celui que j’ai dit pour Lantosca.
La soie de Nice passait entièrement en Angleterre. On l’expédie aujourd’hui pour Lyon, mais les commerçants craignent que s’il venait à y avoir une trop grande concurrence dans cette ville, cela ne nuisit à ce genre d’industrie.
Avant la révolution, il y avait dans les filatures de soie une police pour le choix des cocons, de manière qu’on ne pouvait les jetter dans les fourneaux, que préalablement des visiteurs ne se fussent assurés qu’on en avait séparé les qualités. Cette police n’existe plus, mais les commerçants désirent qu’on la rétablisse afin de maintenir le crédit de la soie de Nice, qui consiste beaucoup dans le triage exact des cocons d’inférieure qualité auquel de nouveaux entrepreneurs, qui n’ont point encore de réputation établie et qui veulent la fonder sur le bon marché, ne regardent peut-être pas toujours de si près.
Outre les filatures, Nice avait deux moulins à soie, travaillant toute l’année employant 150 ouvriers et fournissant des organsins, trois bouts, très prisés à Lyon pour la fabrication des satins. Ils ont été détruits durant la révolution et ne se sont plus relevés.
En observant les nations on trouve souvent que la nature a vraiment déterminé à chaque pays des moyens d’industrie auxquels ses habitants peuvent se livrer exclusivement à toute autre partie. La cote maritime des Alpes que nous considérons ici est la partie des parfums. Hiver, été, dans toutes les saisons de l’année, la lavande, le thym, le serpolet etc., sont constamment verts, constamment odorants ; la rose, la tubereuse, le jasmin, peuvent parer en tout temps les allées des jardins, de leurs fleurs artistement renouvelées, et tenir dans une continuelle haleine le parfumeur et le distillateur ! Qu’elle est la contrée dans toutes ces cotes de la méditerranée, qui jouisse d’une température aussi douce, aussi constamment égale, et où les calices et les pétales des fleurs exhalent un parfum aussi exquis et sous la direction d’un peuple industrieux, ces montagnes et ces collines si sèches qui rebutent la main du laboureur, ne deviendraient-elles pas une source exclusive de richesses ?
La facilité d’avoir des arômes en abondance donne naissance à tous les arts qui savent les fixer d’une manière analogue à l’un des sens du goût ou de l’odorat, qu’ils se proposent de flatter. Ainsi, l’art du distilateur, du confisseur et du liquoriste marchant à coté du parfumeur et devraient exceller dans le pays où l’essence étant sous la main n’a pu encore rien perdre de son odeur. Nice, en 1790, moment de sa plus grande splendeur, était pourtant si loin encore de cette perfection, que Grasse, sa rivale avec moins d’avantages, fesait, en cela quatre fois plus de commerce qu’elle.
Les arts du luxe étant tombés, durant la guerre ; la parfumerie, et la distillerie sont restées longues années dans une stagnation parfaite. On avait avant la révolution dans le terroir de Nice plusieurs plantations de jasmins, de cassies , de rosiers, de tubereuses, de jonquilles, qui rendaient considérablement aux propriétaires, et que ceux-ci ont fait arracher, dès qu’ils ont vu qu’elles ne rendaient plus. Aujourd’hui que la parfumerie a repris de la faveur les demandes à Nice sont conséquentes, et l’on ne peut malheureusement les remplir parce que les fleurs manquent, ce qui nuit à la fois et aux fabricants et aux propriétaires, et à un grand nombre de pauvres gens qui étaient employés une grande partie de l’année au travail des fleurs.
D’un grand nombre de parfumeurs qui s’étaient établis à Nice avant 1790, il y en a encore trois qui, en l’an X, ont continué à avoir un travail considérable. On a expédié cette année, en France, en Suisse, en Allemagne et dans tout le nord, 23 372 kilogrammes (500 quintaux) d’eau des fleurs d’orange, 934 kilogrammes 8/9 (20 quintaux) d’eau rose, et 3 739 kilogrammes (80 quintaux) de pommades.
Le prix de l’eau de fleur d’oranger varie suivant les qualités, mais on peut l’établir au prix moyen de 1 franc 49 centimes 74 décimes (70 francs le quintal), ce qui donne un produit de 35 000 francs.
L’eau de rose à 2 francs 13 centimes 93 décimes (100 francs le quintal) 2 000 francs.
La pomade à 6 francs 41 centimes 74 décimes le kilogramme (300 francs le quintal) 24 000 francs.
On peut avoir envoyé 18 697 kilogrammes (400 quintaux) de fleurs d’oranger salées, en tonneaux, à 53 centimes 48 décimes le kilogramme (25 francs le quintal) 10 000 francs.
Quant aux huiles volatiles et aux essences, on en fabrique très peu dans cette ville, à raison du très haut prix de la main d’œuvre. On se borne à l’huile volatile de fleurs d’oranges, appellée nérolis, qu’on recueille à fur et à mesure de la distillation de l’eau. On en obtient, année commune, environ 18 kilogrammes et ½ (60 livres) à 22 francs 68 centimes 66 décimes le kilogramme (70 francs la livre) 4 200 francs.
En essences proprement dites, soit huiles volatiles et aromes dissouts dans l’alcool, environ 93 kilogrammes ½ (2 quintaux) à 6 francs 41 centimes 74 décimes le kilogramme (300 francs le quintal) 600 francs.
Les montagnes du département produisant ainsi que nous l’avons déjà dit, une grande quantité des différentes variétés de lavandes, etc., qui donnent une huile volatile d’une qualité supérieure à celle de Provence. Plusieurs distillateurs de ce pays venaient chaque année établir leurs alembics sur les montagnes où ils trouvaient le bois et la matière première à vil prix. Cette industrie que la guerre et le brigandage avaient fait cesser a commencé à reprendre en l’an X et a produit cette année, environ 10 stagnons d’huile d’aspic, 3 stagnons de lavande, et 2 stagnons d’huile de thym ; chaque stagnon contient 24 kilogrammes 475 décimales (50 livres poids de marc).
L’huile d’aspic à 5 francs 61 centimes 56 décimes le kilogramme (35 sous la livre) 875 francs.
L’huile de lavande à 9 francs 62 centimes 68 décimes (3 francs la livre) le kilogramme 450 francs.
L’huile de thym à 14 francs 44 centimes 03 décimes le kilogramme (4 francs 50 centimes la livre) 450 francs.
On peut donc estimer que le produit de la parfumerie à Nice a roulé en l’an X sur une somme de 77 575 francs.
Je n’ai pu me procurer le produit approximatif du travail des liquoristes qui sont au nombre de quatre. Je ne pense cependant pas qu’il soit très conséquent d’autant plus qu’à Nice même, on préfère, à juste titre, les liqueurs venant de l’étranger, à celles qui sont fabriquées dans le pays. Il en est de même des confiseurs qui sont au nombre de sept, il m’a été impossible d’avoir une idée nette du commerce de ces professionnels.
En 1790, on fit la moitié moins d’eau de fleurs d’oranges, et le double d’eau de roses ; on fabrique 467 kilogrammes ½ (10 quintaux d’essences ; et 4674 kilogrammes (100 quintaux) de pomades tant fortes que liquides. Les prix n’ont pas varié.
Il est certain, cependant nous le répétons encore, que le terroir de Nice présente des avantages, au dessous de celui de Grasse dont le commerce de parfumerie était évalué à près d’un million, avant la révolution. Les propriétaires gagneraient beaucoup à multiplier les fleurs de différente nature, soit dans les jardins soit dans les lieux incultes, élevés et les moins humides mais la force d’inertie les domine et il faut que des étrangers viennent profiter de ce sol négligé par les indigènes.
Tanneries
Le même homme à Nice est tanneur, corroyeur et chamoiseur ; ce dernier article était déjà tombé il y a 18 ans.
On y compte huit tanneries, où les cuirs sont traités à la chaux dans laquelle on les laisse pendant 15 jours. Ils restent en fosse, avec le tan , les uns un an, les autres 18 mois. Le citoyen Blan qui actuellement sous préfet au Puget-Théniers, avait établi, il y a 3 ans, une manufacture selon la méthode de Seguin, et il m’avait montré des cuirs de 40 jours parfaitement tannés tant à fleur que dans le centre, cependant je ne sais par quelle circonstance son entreprise n’a pas réussi.
Ce genre d’industrie a beaucoup gagné à Nice. Depuis la révolution, on y tanne un quart en sus de cuirs de plus qu’en 1790 parce qu’à cette époque l’importation du tan des départements voisins était contrebande, d’une autre part je pense que la prospérité des tanneries à Nice a nui à celles de Sospello, où l’on avait alors du tan en quantité par la proximité des forêts de chêne vert.
Le travail de ces huit manufactures consiste à tanner, ainsi qu’il suit :
- 30 000 cuirs, en vert, avec la mirtillus coriarius extrait en grande partie du département du Var.
- 600 cuirs en rouge ; tan de chêne vert, même extraction. Ce tan devient rare et cher.
- 6 000 peaux de vaches et de veaux, travaillées en peaux d’empeigne.
- 6 000 peaux de jeunes chèvres et de moutons du département, travaillées en maroquin dont une manufacture en couleurs.
On tirait en l’an 1790 du département 3 000 grosses peaux. On n’en retire plus actuellement que 2 000 ; les autres sont extraites de Gênes et de Marseille. On préfère dans l’achat, les peaux d’Auvergne parce qu’elles sont plus ramassées ; après celles-ci viennent les peaux d’Amérique ; les inférieures sont celles du Piémont et surtout de la Ligurie, parce qu’elles ont trop de long sur le large.
Le prix des peaux en 1790 était de 60 francs le quintal, poids de Marseille, et de 90 francs après avoir été ouvrées.
Le 12ème de peaux de chèvres, valait 17 francs.
Celles de peaux de moutons, non tondues, 12 francs et tondues, 9.
En l’an X, le prix des grosses peaux, savoir bœufs, vache et veaux, a été de 80 francs le quintal, même poids, et de 100 francs après avoir été ouvrées. Les peaux d’empeigne valent 115 francs, et je dirai en passant que, durant la guerre, l’huile de poisson ayant manqué pour le corroyement, on a essayé de la suppléer par l’huile d’olive, laquelle s’est trouvée d’une qualité inférieure à la première pour cette opération.
Le 12ème de peaux de chèvres a vallu en l’an X, 36 francs, et s’est vendue ouvrée, 72 francs.
Celle de mouton, 15 francs, et ouvrée 30 à 36 francs.
Les grosses peaux pesant l’un dans l’autre 14 kilogrammes 3/5 (36 livres poids de Marseille), il en résulte environ 3 456 quintaux d’employées bruttes, qui après avoir été ouvrées donnent une augmentation de prix de 69 120 francs, plus, en ajoutant à cette somme les 15 francs par quintal des peaux d’empoigne, savoir 32 400 francs, nous avons celle de 101 580 francs pour les grosses peaux.
En mettant pour les peaux de chèvre et de mouton l’une dans l’autre, 20 francs de produit industriel, par douzaines, nous avons la somme de 700 francs qui ajoutée aux deux premières, nous donne celle totale de 108 520 francs pour produit des tanneries de Nice.
La plupart de ces cuirs et peaux sont consommés dans le département. Il en passe seulement une petite partie à l’étranger, et les fabricants voudraient qu’on modéra un peu le prix des douanes pour favoriser cette exportation.
Du reste je crains bien que ce genre d’industrie ne fructifie pas, parce que le tan devient tous les jours plus rare, par la négligence qu’on a mise dans le régime forestier, et par les soins qu’on se donnera sans doute à l’avenir d’empêcher qu’on écorce les jeunes arbres, ainsi qu’on le fait indistinctement. Cet objet est d’un intérêt majeur, puisque le cuir est de première nécessité, il conviendrait donc de multiplier dans certains départements les racines qui contiennent le plus de tanin, afin de donner le tems aux jeunes arbres de devenir suffisamment gros. Par exemple la tormentille et la bistorte viennent partout dans le département et j’en fait voir dans les cours qu’elles tannent assez bien.
Papeteries
Il paraît par quelques anciens restes, qu’il y a eu autrefois sur la côte maritime de ce département un plus grand nombre de papeteries qu’aujourd’hui ; au quartier de Saint-Barthelemi, par exemple, vallon du Temple, terroir de la ville de Nice, il existe des ruines d’une fabrique de cette nature, assez considérable où l’eau est très abondante et fait aller plusieurs moulins à huile et à farine.
Actuellement, il n’existe dans tout le département que deux papeteries, à une seule cuve chaque, fabriquant simplement du papier gris, sans colle, de deux à trois dimensions. Elles sont situées au quartier de l’Ariane sur la rive droite du Paglion, à une lieue environ de Nice, et ne travaillant pas toute l’année, parce qu’en été, elles manquent d’eau de temps en temps.
Elles font, 1èrement du papier pour l’étendage des vermicelli, pates dont on fabrique beaucoup à Nice, soit pour la ville soit pour l’étranger, sous le nom de pates de gênes.
2èmement papier croisette mi-blanc pour envelopper les oranges.
3èmement papier gris sur la forme de la croisette, pour les vers à soie.
Le total des rames sortant annuellement des deux fabriques est de 4 000 à 6 francs la rame…. 24 000 francs.
Les chiffons blancs passent à l’étranger par voie de contrebande, et quelques fois à Marseille pour la consommation du papier à écrire ; on le pourvoit à Barjols ou à Annonay.
Tout récemment, un papetier du pays a pris un engagement avec la commune de Drap, distante de deux heures de Nice, de fabriquer une papeterie dans l’enceinte du territoire de cette commune, qui lui a cédé une voie d’eau suffisante, et il se propose de faire du papier à écrire ; on doute cependant qu’à cause du haut prix de la main d’œuvre, il puisse soutenir la concurrence avec l’étranger.
Plus récemment encore, un capitaine de mon pays le citoyen Dufour, vient d’entreprendre une papeterie de papier gris, fait avec différentes variétés d’ulva, du genet et de la lavande. Il m’a présenté différents essais fait avec ces plantes : le papier de l’ulva est fin, serré et ne boit pas l’encre mais il a le défaut de se contracter aussitôt qu’on l’enlève du feutre, à moins qu’on ne l’aye laissé sécher dessus. On espère y remédier, en enlevant l’excès de glutineux de cette plante aquatique très abondante sur les eaux stagnantes du Var, de Paglion et de Bévera.
Savonneries
Il semblerait que dans un pays d’huile ce genre de manufactures eut du prendre un grand crédit et se multiplier ; cependant, il n’y a jamais eu à Nice que trois savonneries qui sont très languissantes. Durant la guerre, le commerce étant interrompu, le savon de Nice avait pris quelque faveur mais depuis la paix, il lui est difficile de soutenir la concurrence avec celui de Marseille, et même avec celui de Grasse, ville dans laquelle il s’est établi diverses manufactures. Cependant il est positif que cette industrie convient à Nice, 1èrement parce qu’elle n’exige pas une trop grande quantité d’ouvriers ; 2èmement par la commodité d’ouvrir sur les lieux toutes les huiles de recens nécessaires ; 3èmement par la facilité d’avoir des sondes par mer ; 4èmement par l’avantage du voisinage du Piémont que Nice pourrait fournir entièrement de savons.
Sous ce dernier point de vue, Sospello aurait encore plus d’avantage, étant à moitié chemin de Tende, et les huiles s’y vendant communément 38 centimes 52 décimes le kilogramme (3 francs le rub), de moins que sur la place de Nice. Cette ville pourrait faire venir ses soudes par Menton ; en rendant voiturable le chemin dont j’ai parlé.
Je n’ai pu me procurer des renseignements très positifs sur le produit de cette industrie, qui d’ailleurs ne suffit pas à la consommation du département.
Étrangers
Nice a un genre d’industrie qui lui coûte peu de peine puisqu’elle la doit entièrement à son climat. Tous les ans avant la révolution, elle jouissait d’un grand concours d’étrangers, surtout de familles anglaises qui venaient y passer l’hiver. Cette industrie a été nulle, naturellement pendant la guerre, mais elle a commencé à reprendre en l’an X, et elle est en l’an XI, en aussi grande activité qu’auparavant, sauf qu’on se plaint que ces familles ne sont plus ni aussi libérales ni aussi confiantes ; ces étrangers louent ordinairement les maisons de campagne, du faubourg et de la Croix de marbre, toutes meublées. Il est de ces maisons qui leurs sont affermées 2 400 francs et même plus, pour cinq mois ; un simple étage est affermé 700 francs, pour le même espace de temps ; on calcule généralement qu’année commune, les habitants de Nice retirent de ce genre de commerce et des autres services dont ils savent supérieurement bien tirer parti, une somme qui va au delà de 300 000 francs.
Telles sont les principales branches industrielles de la ville de Nice en 1790. Il y avait 6 fabriques de chandelles, qui employaient les graisses des bœufs de Piémont, de Russie etc., et qui fabriquaient 46 744 kilogrammes ¼ (6 000 rub) par an, expédiés à l’étranger, à 1 franc 28 centimes 36 décimes le kilogramme (10 francs le rub) ; il en reste encore deux qui sont très languissantes et qui ne travaillent que pour le pays.
Il y avait aussi 5 à 6 ateliers de cables, de cordages pour les vaisseaux marchands, renommés, lorsqu’on n’y employait que le premier brin seul et l’excellent chanvre de Piémont ; les armateurs, de Gênes et de Marseille en demandaient beaucoup, cependant ils commençaient à déchoir.
Il y a en outre grand nombre de marchands et de fabricants de tabac, de revendeurs de drogues et de denrées de première nécessité de marchands en détails ; on peut dire qu’il y a plus de boutiques que d’acheteurs, tant est grand le nombre des individus, qui, faute d’autre profession, sont forcés à prendre un banc ou une boutique pour détailler quelque marchandise qu’on achète toujours à un prix double de celui de Marseille.
Établissements à proposer
On avait essayé, avant la révolution, une verrerie, une manufacture d’impression d’indienne, une fabrique de toiles fines de coton, de rubans de filoselle, d’impression de papier, de gazes ; elles sont mortes presque à leur berceau, faute de capitaux et de bonne direction !
Quel genre de manufacture conviendrait-il d’établir le plus à Nice ? Tous les anciens commerçants que j’ai consulté m’ont assuré que le haut prix des ouvriers, occasionné par la cherté des denrées de première nécessité, serait toujours un obstacle à l’établissement des fabriques qui exigent beaucoup de bras. Nice doit donc se borner à celles dont la matière première est sur les lieux, et qui, n’employant guère de bras, peuvent soutenir avantageusement la concurrence par le bon marché ; aussi la parfumerie et la savonnerie seraient, à mon avis, les deux branches auxquelles elles devraient se livrer spécialement, et certes elles suffiraient bien pour équipondérer les denrées et marchandises que le pays ne produit pas, et qui sont de nécessité absolu ; cet échange est dans l’ordre de la nature, et la nature mérite aussi d’être consultée dans les spéculations de commerce.
Productions agricoles
Blé, orge, seigle, légumes, pomme de terre et chanvre, principales cultures du département. Dans le terroir de Nice et des communes environnantes, culture de différentes variétés de vigne.
NOTE : Nous offrons aux internautes la possibilité de découvrir ce texte inédit transcrit dans sa forme originelle et avec l'orthographe de l'époque. |
Des qualités de grains, raisins etc., usités dans le département
Bled et légumes
L’on voit par le tableau précédent qu’en comparant la somme totale de seigle, orge et légumes récoltés avec celle de froment, la première surpasse beaucoup la seconde ; c’est que effectivement on sème davantage des premiers que du froment soit parce qu’il est beaucoup de terres qui ne supportent pas celui-ci, soit parce que plus délicat, il réussit moins que les qualités inférieures.
On ne cultive dans tout le département que le froment d’hiver (triticum hibernum) parmi les nombreuses variétés desquelles on a choisi de tems immémorial les trois suivantes, fort analogues aux qualités des terres :
1èrement Le triticum siliginum C.B. pin 21 Tugelle, tuyela niçois, qui vient très bien dans les terres argileuses, chaudes et exposées au midi ; cette variété est la meilleure de toutes, elle donne un grain de grosseur médiocre, fort estimé par les boulangers et les vermicelliers : sa paille longue, luisante, unie est presque sans nœuds, est employée par les femmes de la campagne à la fabrique des chapeaux chinois usités dans ce pays.
2èmement Triticum Longioribus aristis, spica oblorga, caerulea C.B. pin. 21. Gros bled, bled barbu, appellé ici marron. Ce bled n’est cultivé que dans les terres fortes, où il produit beaucoup, ce qui le fait rechercher par les gens de la campagne mais son grain, quoique le plus gros de tous, n’est pas estimé, parce qu’il donne plus de son que de farine à l’inverse le premier qui devrait le remplacer sa paille est trop longue, fort rude, et peut servir à couvrir les toits.
3èmement Triticum monococcum L., métel dans ce pays. Ce froment d’inférieure qualité, à petit grain, et qui reste autant en terre que le seigle, est pourtant celui qui est le plus universellement répandu, parce qu’il se trouve bien dans les terres maigres, légères, pierreuses, qui sont les plus communes ; il fait un grain noir qui a peu de goût.
En fait de seigle, on ne cultive que le seigle commun, (secale cercale hibernum L.)
On cultive trois variétés d’orges ; l’orge vulgaire, (hordeum vulgare L.), l’orge distique, (hordeum distichon L.), l’orge seigle (hordeum seccalinum. L.) . De ces trois variétés, l’orge distique, nommé pamelle, pomoule à Nice, est le plus répendu parce qu’il fait le pain plus savoureux et plus blanc ; les autres variétés ne sont cultivées que dans les endroits agrestes, où la pamelle ne peut pas venir.
Les grosses et petites fèves sont le légume le plus employé dans la campagne de Nice où on sème autant que du bled, et elles forment la principale ressource alimentaire des gens de la campagne ; dans le haut département, elles réussissent moins bien, parce qu’il leur faut un terrain fort comme pour le blé marron et la tuselle ; on sème à leur place des lentilles, des haricots, des pois, des gesses, et surtout une espèce de vesce appelée scaira, qui est extrêmement répandue.
Avant la révolution, on cultivait moins la pomme de terre qu’aujourd’hui ; j’ai été dans plus de vingt communes, où l’on m’a dit qu’elle était inconnue avant l’arrivée des français. La disette des vivres, durant la guerre, obligea de la multiplier et d’en faire du pain dans quelques endroits. On m’a rapporté à Saint-Martin de Lantosca qu’une maison entière, obligée de vivre de ce pain durant plusieurs jours, en fut empoisonnée ; ce que j’attribue à ce que le solanum tuberosum y était cultivé récemment. J’ai vu à Marseille un semblable effet de cette racine récemment cultivée. Un jardinier que j’avais soigné avait reçu une nouvelle espèce de pommes de terre rouges très belles, qu’il cultiva pour la première fois, desquelles il voulut me faire un présent. J’en participai deux familles voisines qui les essayèrent avant moi ; elles éprouvèrent les premiers symptômes de l’empoisonnement ; je voulus les goûter, à mon tour, les trouvai très parfumées, mais en même temps très âcre et brûlant le gosier, comme la racine d’arum. Il est vraisemblable que cette plante, soit quelques unes de ses espèces plus âcres que les autres, s’adoucissent par la culture. Du reste, la pomme de terre réussit mal dans ce département, et elle y conserve toujours une acreté qu’elle n’a pas dans les pays froids.
Chanvre etc…
Dans toutes les vallées, où l’on a quelques filets d’eau, on s’empresse de cultiver le chanvre. Cette plante réussit très bien dans tout le département et particulièrement dans les parties méridionales et orientales ; les chanvres des vallées de la Nervia et de la Roya sont très beaux ; ceux de Roquetta, Dulce aqua sont renommés, et ceux de Breglio ne leur cèdent en rien. Un seul fil de ces derniers est susceptible d’être tordu et de résister au poids d’un fuseau assez lourd. L’académie des sciences de Turin ayant proposé un prix, en 1796, pour celui qui présenterait un fil filé de 50 ras, (environ 20 mètres) de longueur qui ne pèserait pas plus de cinq grains (environ 5 décigrammes), une dame de ce pays nommée mademoiselle Pianavia-Vivaldi en fila du chanvre de Bréglio dont un fil de cette longueur pesait à peine quatre décigrammes ; suivant la note qui m’en a été donnée sur le lieu par le citoyen Catalorda, curé de Bréglio, témoin oculaire.
Le rouissage des chanvres se fait dans des fosses tout près des habitations, et on les fait dessécher de même le long des murs des maisons ; il en résulte une odeur infecte dans le temps de ces opérations, qui est vraisemblablement la cause des fièvres intermitentes pernicieuses qui règnent souvent dans ce temps là dans les contrées basses où l’on pratique davantage ce genre de culture.
N’y ayant pas dans les contrées du département où l’on cultive le chanvre des hivers assez rigoureux pour suspendre tout à fait les travaux de l’agriculture, on n’y emploie pas ces jours de repos à briser avec la main les chenevotes pour en retirer le chanvre, mais ce travail est fait immédiatement après la dessication au soleil, dans les mois de thermidor et fructidor.
Pour cela on a deux instruments qui hatent singulièrement l’ouvrage, dont le premier est une pièce de bois ronde, posée de bout, creusée supérieurement sur laquelle on place les chenevotes qu’on commence à briser avec un barreau de fer, presque tranchant, appellé massa de ferre. Après ce travail préparatoire, les chenevotes brisées sont portées sur un second instrument nommé brégola, qui n’est autre chose qu’une espèce de banc ou chevalet grossier, en bois, fendu tout le long, sur lequel sont attachés par un bout, au moyen d’un axe, deux couteaux en bois, mobiles, qui vont en se rétrécissant jusqu’à l’autre bout. Le cultivateur tient ce bout de la main droite et de la gauche il fait passer le chanvre par-dessous les couteaux qui, sans cesse en mouvement, finissent de le hacher et d’en précipiter les chenevotes séparées par le vuide de la bregola.
Comme l’on a changé en chénevis les prez naturels, parce qu’on y trouve plus de profit, on cultive autant de chanvre aujourd’hui qu’avant la guerre, quoique les rivières aient emporté une partie du terrain qui lui était destiné, et qu’on emploie une partie des terrains en pommes de terre qui, comme nous l’avons dit, étaient connues autrefois. Avec cela, le département n’a pas eu suffisamment de chanvre, non seulement pour en vendre à l’étranger, mais encore pour la consommation des habitants, et l’on a toujours été obligé d’en faire venir du Piémont, pour environ 23 372 kilogrammes (3 000 rubs) à 2 francs 05 centimes 37 millimes par kilogramme (16 francs le rub).
Le lin n’est pas, ou presque pas connu.
Les champs où l’on sème le chanvre donnent toujours dans l’année deux récoltes. Ou l’on y sème du bled après avoir oté le chanvre, ou bien des radis, des navets, des oignons. Quelques communes sises le long du torrent des Chaus, telles que Pierlas, Lieuche et Rigaut sont renommées pour leurs navets, dont elles font un petit commerce dans le département. La vallée du Var récolte abondamment des belles et bonnes raves. Les communes sises le long de la Rodoule cultivent des plants d’oignons dont elles font commerce dans ce département et dans celui des basses Alpes. La commune seule de la Croix en fait, année commune, une exportation pour 1 200 francs.
Qualités des raisins et du vin
On cultive communément dans le terroir de Nice et de celui des communes environnantes, les variétés de vignes suivantes, que je décris d’après Garidel, cet illustre médecin provençal étant le botaniste le plus exact et le plus complet dans les descriptions des productions de la Provence, lesquelles sont à peu de chose près les mêmes qu’à Nice, ou elles ne font en majeure partie que changer de nom :
1èrement Vitis acinis albis, dulcissimis, vitis apiana C.B. pin 298
Muscat blanc (moscateo blanc).
2èmement Vitis apiana, nagro acino, garidel, le muscat noir (moscateo négre).
3èmement Vitis praecox, acino acuto, subviridi, dulci et molti, gar, raisin blanc, précoce, appellé Saint-Jean (gioanenga) parce qu’il murit à cette époque.
4èmement Vitis praecox acino nigro dulci et rotundo G., (gisanenga nègre) la variété noire de dessus.
5èmement Vitis praécox, acino rotundo, albido dulci G., raisin précoce, moins que les précédents, blanc (douceagno).
6èmement Vitis pergulana, uva perampla, acino oblongo, duro, majori et subviridi G., (pendoulan rain de pauso) raisin qu’on fait sécher, et qu’on vend dans le commerce, sous le nom de pause, commune à Marseille, plus rare à Nice.
7èmement Vitis serotina, acinis minoribus, acutis, flavo albidis, dulcissimis, G., la clarette (claretta) (il y en a de noir qu’on nomme verlantin).
8èmement Vitis duracina acino magna négro rotundo et duro, saporegrato, subaustero, levi quasi polline consperso G., espagnin à Marseille, spagnou à Nice, il y en a du blanc et du noir).
9èmement Vitis vulgaris, uva perampla, acino rotondo, subviridi (pascau à Marseille, passareto à Nice, il y en a de blanc et de noir).
10èmement Vitis acino rotundo, minori, duro, dilute ruffescenti et dulci G. (ce raisin plutôt rare en Provence porte ici le nom de braquet).
11èmement Vitis acino nigro, rotundo, molli, G., (rin brun en Provence, sauvagiet à Nice).
12èmement Vitis acinis rotundis, albidis, dulçibus G. (aubri en Provence, la fola à Nice).
13èmement Vitis folio dilute viridi, unva perampla, acinis ruffescentibus, rotundis et dulcissimis G. (barbaroux en Provence, rossea à Nice).
14èmement Vitis, uva ampla, acino rubéo, duriori sapore dulci, G., (barberoux grec en Provence, rossau à Nice). Ce dernier raisin qu’on confond à Nice avec le simple barberoux, est fort cultivé à l’Escarena, où l’on en fait un petit commerce parce qu’il s’y conserve l’hiver au lieu qu’on ne peut conserver aucune sorte de raisin à Nice.
15èmement Il y a encore le raisin dit brumestia, que je n’ai pu rapporter à aucune des variétés de Garidel.
16èmement Dans la vallée du Var, on cutlive assez la vitis uva longiori, acinis raris, nigro rubentibus, sub-austeris, G., (uvi negré en Provence).
De ces différens raisins, on emploie pour la table le muscat blanc, la pause, le barberoux, la gioanenga, la passareta, blanche et noire, et la brumestia. Les autres sont employés indifféremment pour le vin. Cependant le muscat blanc et rouge et le braquet sont les espèces dont on retire les qualités de vin supérieures ; mais le spagnou, la fola, la rosséa, le sauvagiet et la clareta sont préférables du coté de la production.
Le braquet est si estimé qu’on nomme vin braquet celui qui n’est fait qu’avec cette seule qualité de raisin. Les marchands de vin à Nice l’achètent des gens de la campagne pour en fabriquer eux-mêmes à la ville, le vin renommé, sous le nom de vin de Bellet, de la région qui produit de meilleurs raisins. Ce vin pourtant est fait avec toutes sortes de raisins, mais il est plus ou moins bon, relativement à la quantité de braquet qui s’y trouve.
Le vin de Bellet vaut à la récolte, année commune 28 francs l’hectolitre (30 francs la charge de 12 rubs). S’il est de bonne qualité il augmente de prix, à mesure qu’il vieillit, et l’on dit un vin de 6, 7, 12 feuilles, pour dire un vin de 6, 7, 12 années. J’ai bu de ce dernier, et il équivaut aux meilleurs vins les plus recherchés. Nouveau, il est dangereux et produit des crispations.
On fait aussi du vin muscat, fort bon, mais il est rare, on trouve plus fréquemment du vin blanc, appellé paysan, fait avec toutes sortes de bons raisins blancs, tant dans la région de Bellet qu’à Aspremont et autres endroits ; ce vin est fort estimé, et se vend à la récolte jusqu’à 34 francs l’hectolitre (36 francs la charge).
Les vins des régions autre que Bellet, sont vendus de 14 à 23 francs l’hectolitre (15 à 24 francs la charge) à la récolte, et jusqu’à 28 francs l’hectolitre (30 francs la charge) dans le courant de l’année.
Les meilleurs vins du département, après celui de Bellet, sont ceux d’Aspremont, de Cimier, de Cros d’Utelle, de Massouin, Villars, Clans et Tournefort, dans la vallée du Var à trois lieues de Nice. Dans la vallée de Paglion, déjà le vin est très inférieur. On cultive la vigne à Briga, à Tende et dans la Valdeblora mais le vin qui en résulte est très mauvais quoique le raisin soit délicieux sur table. Le raisin noir n’y murit qu’avec peine, c’est pourquoi on ne cultive que le raisin blanc, et l’on en colore le vin clair qui en résulte par le mélange du gros vin noir de Provence. Il en est de même à Lantosca, Roccabiliéra, et ailleurs dont les vins ne sont rendus supportables que par le mélange avec d’autres vins.
En général, les vins du département sont tous clairs, à la différence de ceux de Provence qui sont noirs et épais, parce que dans cette contrée on cultive beaucoup plus les unis noirs, et deux qualités de raisins noirs appellés Catalan et Bouteillan, fort peu connus à Nice ; les vins de la vallée du Var sont les plus colorés.
Sans doute que la qualité du raisin et celle du terrain influent beaucoup sur la bonté des vins, mais j’observe que les coteaux de vignobles placés le long des grandes rivières et même de la mer, fournissent les meilleurs vins ; on a, par exemple, les vins du Rhône, les vins du Rhin, etc. pareillement dans ce département, les vins des quartiers de Bellet, Aspremont, et la vallée du Var, qui sont les plus renommés, proviennent de vignes placées le long de cette rivière. Les vignes du Cros d’Utelle sont sur la Visubie. En me rendant dans la vallée de la Nervia, j’ai bu de l’excellent vin clairet à Vintimiglia qui est sur la mer. En entrant dans la vallée, quoique le degré de chaleur soit le même, le vin devient très inférieur. A mesure qu’on s’avance dans la profondeur de la vallée, il est très mauvais. On peut rendre une raison suffisante de ces effets, mais qui serait déplacé ici.
Le raisin cueilli et trié est porté immédiatement dans la cuve sans être dégrapé. Lorsqu’il y en a une quantité suffisante, on entre dans la cuve pour le fouler et on enlève successivement les grappes et les calotes à mesure que la fermentation s’opère. Ces grappes et calotes sont portées au pressoir et quand elles ont rendu tout leur jus on les jette pour fumier.
On n’est pas en usage ici de passer de l’eau sur le marc, pour faire la boisson qu’on appelle piquette trempo en provençal, dont usent uniquement les paysans des environs de Marseille ; ici le laboureur boit de la même qualité de vin que l’habitant des villes.
On n’en retire pas non plus de l’eau de vie, il est vrai que même le vin de ce département n’en donne pas beaucoup. On a essayé d’employer à cet usage des vins du pays peu propres pour la boisson, mais inutilement. J’ai distillé une des bonnes qualités de vins et l’eau de vie que j’en ai retiré était extrêmement faible.
M’étant souvent servi du marc des tonneaux pour faire des cendres gravelées et en retirer la potasse, j’ai eu occasion de remarquer qu’il contenait beaucoup de sels muriatiques. Dans le mois de germinal au 10, j’ai analysé, à grande dose, la sève de la vigne, qui avait été recueillie sur un cep, éloigné au moins de 300 mètres de la mer, et j’en ai retiré environ un gramme de sels muriatiques à base de soude, de chaux et de magnésie, sur un kilogramme de sève ; ce qui prouve évidemment l’influence du voisinage de la mer sur la végétation.
L'arboriculture de l'olivier, du citronnier, du carroubier...
Oliviers, orangers et citronniers, plantes indigènes des campagnes de Nice, Villefranche, Monaco, Roquebrune et Menton. Le caroubier, espèce très productive et requérant peu de soin, ami des terres incultes. Le châtaignier et son fruit, équivalent du pain pour l’habitant des montagnes.
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L’arboriculture de l’olivier, du citronnier, du carroubier etc. et de leur culture
L’olivier est la vraie plante indigène du département des Alpes-Maritimes ; il y végète aussi facilement que les sapins dans les pays froids ; il y parvient à une grosseur et à une hauteur égale à celle des plus beaux noyers.
Les principales espèces d’oliviers de ce département sont les suivantes que je nomme en langue du pays, et qui ne diffèrent l’une de l’autre que par la largeur plus ou moins grande des feuilles, et par la forme et la grosseur plus ou moins considérable du fruit.
1èrement Le Nostral (Picholina), espèce la plus commune, olives médiocres, oblongues, servant à faire l’huile.
2èmement La Puncia nera (Salierna), petite olives, dont on se sert pour saler et aussi pour faire de l’huile, mais qui n’en donne pas beaucoup.
3èmement La Columbana (le Royal), la plus grosse de toute et qui donne beaucoup d’huile, on la salle pareillement.
4èmement Le Broquench (Cayanne), fruit rond, ne rendant pas autant l’huile que les Nostrales.
5èmement La Sauvage, qui donne peu d’huile, mais d’une qualité super fine.
6èmement La Batoline, petites olives rondes, participant du sauvage.
Chaque canton de la Provence et du Languedoc donne au même olivier des noms différents ; on peut rapporter au Nostral de Nice, l’olivier de grappe, ou le Caione, mentionné le premier dans le mémoire de monsieur Bernard, couronné par l’Académie de Marseille : quant aux autres variétés, il eut été trop long de les rapporter à celles de la Provence, et j’ai préféré de les nommer simplement telles qu’elles sont connues dans ce département. Ceux qui voudront établir les identités, peuvent consulter l’excellent recueil de l’académie précitée, sur les oliviers, imprimé à Aix, en 1783. On y trouvera des différences d’avec ce que j’ai écrit, mais on sentira que mon but était de décrire ce qu’il y a et ce qui le fait ici, et non ce qu’il y a et ce qui le fait ailleurs.
L’olivier se produit 1èrement par la plantation de son noyau, 2èmement par celle d’une branche d’olivier sauvage, ou greffé, 3èmement par les rejetons qui sortent du tronc. Mais il ne convient guère d'en faire des pépinières par la plantation des noyeaux, à cause de la lenteur de son accroissement, il vaut mieux planter des branches, et mieux encore de drageons enracinés ; c’est-à-dire, des branches emportées de la souche mère, avec un peu de racine, car par ce moyen, on a des arbres tous formés au bout d’un petit nombre d’années.
On greffe l’olivier au mois de germinal en coin ou en écusson, avec toute autre espèce d’oliviers mais il ne souffre la greffe d’aucune autre qualité d’arbres.
Il est fort lent à croître ; un arbre provenant de semence n’est guère susceptible de donner la moitié de son produit, qu’à l’age de 50 ans ; en échange il vit des siècles, si le froid ou quelqu’autre accident ne le détruise pas.
Toutes les terres sont plus ou moins précoces et plus ou moins propres à le produire, excepté les marécageuses ; les plus beaux arbres sont dans les terres fortes et arrosables ; ainsi, à Nice, les quartiers de Saint-Roch et de Riquier, ont les plus beaux fruits et les plus productifs ; mais les meilleurs fruits et la meilleure huile, viennent des oliviers qui croissent sur des terrains secs et légers ; ainsi les oliviers des collines de Périnaldo donnent une huile excellente qui ne le cède à aucun autre ; en général, les terres, ou il se fait le meilleur vin, donnent aussi la meilleure huile ; ces oliviers, il est vrai, sont toujours plus petits.
Culture de l’olivier
Les oliviers se plantent alignés, tant dans les champs uniquement destiné à leur culture, que dans les terres ensemençables ; ils doivent avoir entre eux, au moins cinq mètres de distance, de tous côtés. On en laboure le sol, tous les ans, dans les mois de germinal et floréal ou avant, et on les élague au moins chaque deux ans, en vendemiaire et brumaire, ou en ventose et germinal ; mais ils peuvent et doivent être élagués du bois sec pendant toute l’année, et les bons agriculteurs assurent qu’un arbre point ou mal élagué, quoique bien fumé et labouré, ne donne ordinairement que la moitié de son produit.
Pour que les oliviers rendent, le labour doit être profond et fait régulièrement tous les ans ; il faut avoir soin de couper les barbes ou petites racines qui se portent au loin, vers la surface de la terre ; les bons agriculteurs condamnent avec juste raison, l’habitude presque générale, de relever une grande quantité de terre sur le tronc de l’arbre, dans la fausse supposition que cette enveloppe le tiendra plus frais ; car il est évident que l’arbre, à sa souche, ne pousse jamais de racines capillaires qui sont celles par lesquelles il se nourrit, mais que ces suçoirs n’existent que le long des racines, et qu’ainsi c’est particulièrement au tour de la periphérie de l’arbre, qu’il faut remuer la terre.
L’olivier ne souffre jamais de trop d’engrais ; il faut au contraire, lui en donner beaucoup. Dans la campagne de Nice, les oliviers se fument avec les excrémens humains portés dans des barrils, à dos d’ânes ou de mulets ; avec une charge de ces derniers, on fume généralement deux ou trois oliviers, ceux qui ont assez de facultés pour le faire, fument leurs oliviers avec des morceaux de vieux cuir, de vieux souliers, des chiffons de laine, des restes de voieries, etc. ou avec du fumier des écuries, en y ajoutant en même temps un peu d’excrémens humains, car, comme je l’ai déjà dit, l’engrais animal est ce qui convient le plus à l’olivier. On y fait aussi parquer les brébis, et 150 de ces animaux fument chaque nuit, 3 oliviers en plein champ, ce qui vient à couter 6 francs par nuit. Dans la vallée d’Oneille, où les oliviers sont de toute beauté et d’un très grand produit, on les fume avec des chiffons de laine, qu’on fait venir à grands frais de l’étranger. On en met à chaque arbre pour la valeur de 12 francs tous les 4 à 5 ans.
C’est avec autant de fondement qu’on peut faire ici aux cultivateurs le même reproche que nous leur avons fait pour le labour ; ils fument leurs oliviers, en entassant le fumier dans un creux fait exprés, tout-à-fait contre le pied de l’arbre, ils devraient au contraire l’étendre sur le terrain, au dessous des branches de l’arbre, et pour toute l’étendue qu’elles recouvrent, retournant ensuite leurs terrains, au moins à la profondeur d’un quart de mètre.
Production de l’olivier
L’olivier ne donne abondamment du fruit que tous les deux ans. L’année de repos, il produit à peine la huitième partie de sa charge ; cependant il n’en donne pas moins les mêmes frais de culture.
Un hectare ou arpent peut contenir 150 pieds d’oliviers, chacun desquels peut produire, commune faite sur 10 années, 7 kilogrammes 8 hectagrammes (un rub) d’huile pour la campagne de Nice ; 3 kilogrammes 9 hectagrammes (1/2 rub) pour les bien-fonds venant après, et 2 kilogrammes 6 hectagrammes (un tiers de rubs), pour les terres inférieures ; de sorte que ces 150 arbres bien cultivés et dans toute leur vigueur donneront chaque année, dans la campagne de Nice, d’après le calcul ci-dessus, 1169 kilogrammes (150 rubs) d’huile ; que le propriétaire divise avec son métayer, ainsi qu’on le dira dans la suite.
Il est certainement des arbres très gros, qui dans une bonne année donnent jusqu’à 31 et même jusqu’à 38 kilogrammes (4 à 5 rubs) d’huile, mais ils sont rares, et l’olivier étant sujet à diverses vicissitudes, on ne doit jamais juger de son produit par des cas particuliers, mais bien d’après une mercuriale d’un grand nombre d’année, et d’après ce qu’il y a de plus commun dans la grosseur et la portée des arbres.
Frais de culture des oliviers
Un hectare complanté d’oliviers, au nombre susdit, coûte en frais de culture, ci-après :
Pour le labour, calculé sur un terrain moyen 70 francs
Pour l’élaguement compté à moitié par années 60
Pour l’engrais porté sur les lieux, distance modérée 264
______
Total 394 francs
Pour la cueillette des olives, on secoue l’arbre, et ou on ramasse le fruit à terre ; hommes, femmes et enfants, tous s’emploient à cette cueillette, à mesure que les olives tombent ou qu’elles sont secouées. On paye ordinairement 75 centimes (pour chaque settier) par 40 livres d’olives ramassées
Frais de récolte 160 francs
Frais de confection des huiles, pour ceux qui
n’ont point de moulins 60
Ces deux sommes ajoutées à la précédente donnent donc pour frais de culture de 150 oliviers, et pour dépenses qu’ont nécessité les 1 169 kilogrammes (150 rubs) d’huile rendue à la maison un total de 614 francs
Maladies et accidents des oliviers
Indépendamment de la hache du soldat, en tems de guerre, qui a coupé dans celle de 1744 la plus grande partie des oliviers de la campagne de Nice, et des communes de Berra, Coaraza, et autres environnantes, (les oliviers d’aujourd’hui, n’étant que des rejetons fort gros) et qui dans celle dont nous venons de sortir, en a détruit plusieurs, partout où les armées ont été stationnaires, dont à Breglia seulement 7 000 ; indépendamment dis-je des accidents de la guerre, cet arbre quoique assez résistant dans son tronc et ses racines, est sensible dans ses branches à toutes les intempéries des saisons, surtout s’il est placé dans un climat chaud. On m’a fait remarquer à Roccabiliéra, dernier pays de la Visubie où l’on cultive les oliviers, que ceux de ces arbres qui sont exposés aux vents du sud et de l’est, sont infiniment plus sensibles au froid, et plus sujets à périr, que ceux qui sont sans cesse sous les vents du nord-ouest. Puis une petite pluie, un vent froid, une brume venue mal à propos enlèvent souvent la récolte entière. Si après une neige ou une pluie, il survient une heure de froid rigoureux cela suffit pour geler tous les fruits, les jeunes pousses et même les branches déjà fortes ; en 1709, cet accident est arrivé à un grand nombre d’arbre, et on a courru le même risque en l’an IX. On en a pourtant été quitte pour perdre les fruits qui ont gelé en partie, et pour une grande quantité de branches et même d’arbres entiers, que le poids de la neige a jeté par terre, ce qui est toujours une très grande perte pour un pays dont la plus grande ressource est dans ses oliviers.
Les oliviers sont attaqués par diverses espèces d’insectes qui se nichent soit dans le fruit, soit dans l’écorce dans la substance même de l’arbre. Le Cinips oleac, en langue du pays cairon, pique l’olive dès qu’elle a acquis la grosseur d’un grain de chapelet, et y introduit ses œufs qui, à peine éclos, se nourrissent de la pulpe du fruit, et finissent pas la consumer entièrement ou en bonne partie. On a suivi les diverses métamorphoses de cet insecte en tenant une branche d’olivier chargé de fruits piqués dans une bouteille, et l’on en a vu sortir l’animal parfait, à quatre ailes transparentes. On soubçonne cependant (car on n’en a pas encore une description assez exacte) que ces insectes font deux famille chaque année, ou que peut-être une autre espèce succède à la première, en vendemiaire, laquelle produit les mêmes maux.
Une espèce de Cassida et un Staphilin ravagent les arbres en se nichant le premier entre l’écorce et l’aubier, et le second dans le cœur même de l’arbre, au dire de plusieurs cultivateurs qui m’ont assuré l’y avoir vu sous la forme d’un gros ver ; j’ai vu plusieurs fois les Staphilins produire des galles considérables, à rendre l’arbre étique. Je vais détailler les observations que j’ai faite avec le plus grand soin sur ces maladies des oliviers, dont la multitude m’avait pénétré de douleur.
L’arbre qui commence à être infecté se recouvre d’une poussière noire, qu’on appelle la morféa, probablement produite par la Cassida qui se nourrit sur les feuilles, laquelle occupe entièrement ses branches et ses feuilles ; on n’a pas encore pu déterminer la nature de cette poussière, savoir si elle n’est autre chose que l’excrément des insectes, ou si elle est autant de petits insectes ou seulement une plante parasite. Malgré cette poussière, l’arbre produit encore, mais elle est le précurseur de son inutilité prochaine ; bientôt, en effet, on observe particulièrement dans le parenchime de la feuille et des bourgeons, le nid d’un insecte. Cet insecte est d’abord blanc comme un petit pou, il se nourrit ensuite, et s’écrase facilement en le touchant ; quand on secoue l’arbre et qu’il en tombe sur les mains il y produit une démangeaison douloureuse et des échoboulières successivement. Les branches se dessèchent et se recouvrent de grosses rumeurs, les feuilles se crispent et se roulent sur elles-mêmes, et lorsqu’on les détache, elles se réduisent en poussière dans les doigts. Cependant l’arbre n’est pas tout à fait mort, car tous les ans il produit de nouvelles feuilles et de nouveaux bourgeons, en moindre quantité, il est vrai, qui subissent le même sort.
Recherchant, dans une assemblée de cultivateurs de Torrette, commune dont les trois quarts des oliviers sont infestés, des moyens de destruction de ce fléau, je proposai l’élaguement des premières branches infectées, et de suite un des plus riches propriétaires me conduisit dans son champs, où il me fit voir plusieurs arbres ou il m’avait laissé que le tronc ; ces troncs encore vivants, lors de l’ébranchement, était pour lors tout à fait secs ; de sorte qu’il paraît que les insectes ne trouvant plus de pâture sur les branches et les bourgeons, s’étaient jetés dans le cœur même de l’arbre : on me fit voir des arbres coupés exprès entièrement à fleur de terre dont les bourgeons qui avaient repoussé étaient déjà pareillement infectés.
Depuis combien de tems dure cette maladie ? Je n’en ai trouvé nulles traces dans les anciens mémoires du pays ; mais ces cultivateurs m’ont fait voir du terroir de la commune de Chateauneuf, un quartier appellé Bordina, qui en est attaqué depuis trente ans. Il y a des quartiers qui sont infectés depuis 13 à 14 ans, d’autres qui ne le sont que depuis 8 ans, d’autres, depuis 6, 4, 2 ans. La contagion ne fait pas de sauts mais elle va successivement d’un lieu à un autre ; on observe que la direction est du sud au nord ; elle attaque particulièrement les oliviers placés dans les terrains gras, humides, exposés aux brouillards, placés dans les bas fonds ou dans la conque des vallons ; elle va d’une commune à l’autre ; ainsi, par exemple, depuis un grand nombre d’années le terroir de Saint-Blaise avait ses arbres malades, peu à peu la maladie a gagné le canton confinant de Levens qui en est affligé en partie, depuis six ans, et qui n’avait jamais connu ce fléau.
Je dis la contagion, car cette galle des oliviers me paraît être une véritable affection contagieuse que le vent du midi, vent le plus dominant, comme on l’a déjà vu, propage d’un quartier à l’autre, en transportant soit les insectes tous métamorphosés, soit leurs œufs ; j’ai émis plusieurs fois le vœu, dans les réunions scientifiques ou d’autorités, qu’on proposa des prix pour faire des expériences tendant à détruire ces insectes qui minent de si près la propriété du département ; mais comment appliquer des remèdes à des forêts entières d’oliviers ? Il me semble que le plus court comme le plus sur moyen serait de se comporter ici, comme l’on fait dans les contagions des animaux ; d’interrompre toute communication entre le quartier malade et le quartier sain. Pour cela, aussitôt qu’on découvrirait des arbres qui commencent à être attaqués, on devrait les ébrancher tous immédiatement, et en bruler les branches dans des lieux écartés des oliviers sains ; cette mesure générale empêcherait vraisemblablement la propagation, au lieu des élaguemens partiels, et dont le bois gaté n’a pas été immédiatement brulé ne peuvent être d’aucune utilité, au milieu d’une infection générale. L’intérêt du cultivateur qui a toujours quelque espérance sur ses arbres malgré les leçons de l’expérience, peut s’opposer à cette mesure ; mais on lèverait cet obstacle, en engageant les voisins à se cottiser pour dédommager celui dont les arbres vont être sacrifiés pour le bien de tous.
Cette maladie disparaît-elle enfin naturellement ? J’avais d’abord été pour la négative, parce que dans mes premières recherches, aucun cultivateur n’avait pu m’assurer avoir jamais vu ces arbres guérir et reporter du fruit : mais dernièrement on m’a fait changer d’avis étant a Peglia, on m’a fait voir un quartier dit La Verne qui était naguère malade, depuis plus de 30 ans et qu’aucun ne se ressouvenait avoir vu port du fruit. Un autre quartier nommé Terris venait aussi d’être attaqué, et la désolation était grande : tout à coup en l’an VII, le quartier Laverna donna des signes de rétablissement, et à la récolte, les arbres étaient tellement chargés d’olives, pour leur première reproduction, qu’ils excitèrent la surprise de tous les habitants. Dix ans auparavant, le même effet avait eu lieu au quartier de Cognas, de la commune de Peglion, lequel aussi été malade pendant 30 ans, et en échange d’autres quartiers voisins que j’ai visité avaient gagné la maladie, étant déjà les uns dans un état à ne plus rien produire, et les autres produisant encore quelques olives. De sorte qu’on peut conclure que l’arbre ne périt jamais entièrement, et qu’après une certaine période, les insectes le quittent pour se porter ailleurs, ce qui exigerait vraiment des recherches suivies, auxquelles on n’a jamais songé.
Cette découverte nous apprend qu’on ne doit jamais déraciner les oliviers, quoique stériles : il est pourtant douloureux d’en perdre le fruit pendant un si grand nombre d’années ; c’est pourquoi on doit rechercher les moyens de prévenir cette maladie soit par ceux que j’ai proposés, soit autrement. J’ai encore observé dernièrement une autre maladie à ces arbres, dans le quartier de Guairaud près de Nice. C’est un lichen linereum qui les recouvre et en dévore la fève : mais les bons cultivateurs s’en débarrassent facilement, en raclant chaque année l’écorce de l’arbre endommagé. Ce n’est d’ailleurs que dans les quartiers gras et humides que cet accident arrive.
Un département couvert de tant d’oliviers annonce, au premier coup d’œil, une grande opulence. Cependant, d’après les accidents divers auxquels ces arbres sont sujets on trouve quelque vérité dans ce proverbe trivial de Nice que qui ne possède que des oliviers est toujours pauvre.
On ne laisse pas fermenter les olives, dans ce département comme on le fait dans divers endroits de la Provence, ce qui fait qu’on obtient beaucoup moins d’huile à la première pression, et ce qui fait aussi que l’huile de Nice conservant beaucoup plus de muqueux, a besoin d’être transvasée souvent pour qu’elle ne se rancisse pas. D’un autre côté, on obtient beaucoup plus de l’huile de 2ème pression appellée de ressanso.
Dès que le particulier a une suffisante quantité d’olives, c’est-à-dire une posita, comme on l’appelle ici, pour pouvoir en obtenir 40 à 46 kilogrammes (5 à 6 rubs) d’huile, il l’envoie au moulin. En attendant , il conserve les olives récoltées dans un magasin sec et aéré, ayant soin de les remuer souvent, ce qui ne passe pas le terme de deux à trois jours.
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Il y a dans le département, pour broyer les olives, 188 moulins, desquels 158 à eau et trente à sang. On appelle de ce nom des moulins que font tourner des mulets, bœufs ou vaches ; quoiqu’ils fassent moins de besogne que les premiers, on croit qu’ils la font mieux, parce que le mouvement de la meule est plus égal, au lieu que ceux à eau sont subordonnés à la quantité et à la force de la colonne d’eau qui arrive au moulin.
Le meunier va prendre, à ses frais, les olives chez le propriétaire ; il fournit tous les instrumens nécessaires à la confection de l’huile, il est tenu également de la porter à ses frais, chez le propriétaire ou chez l’acheteur, auquel cas il en retire 10 centimes par rub. Il n’a pour ses peines que le marc des olives, auquel les meuniers adroits savent encore faire rendre 194 kilogrammes (25 rubs) d’huile dite de recens et d’enfer sur 779 kilogrammes (100 rubs) de première huile que le propriétaire a déjà retiré. Cette profession de meunier pour l’huile est extrêmement lucrative, non seulement à cause des bénéfices honnêtes, mais encore par les fraudes multipliées qu’y s’y commettent. Les gens de cette profession, pour s’attirer des chalans ne manquent jamais de les prévenir par des présens considérables, en huile d’enfer, en fumier, en corvées, que le propriétaire éclairé sur ses vrais intérêts n’accepte jamais.
Il est quelques moulins où le propriétaire moyennant 50 centimes par setier d’olives, fait son huile et emporte tout, mais ils sont rares.
Le propriétaire préside lui-même à la confection de son huile et est le maître de la faire faire comme il l’entend. Il ne doit jamais l’abandonner ; cependant comme ce ne sont ordinairement que les métayers qui assistent à cette opération importante, ils se laissent facilement gagner par le meunier qui les invite à boire afin de les écarter : en attendant, ces garçons ont le temps de faire dans la pile divers mélanges soit avec de l’huile de qualité inférieure, soit avec de l’eau, etc., ce qui fait que plusieurs huiles qui seraient bonnes d’ailleurs sont souvent altérées.
Ce n’est pas l’usage dans ce département de faire de l’huile vierge, c’est-à-dire sans feu : toutes les huiles se font de la manière suivante : on met les olives dans une grand pille de pierre, autour de laquelle roule la meule. Lorsqu’elles sont bien écrasées, on les met dans des sacs de jonc qu’on appelle sportins. On les soumet à la presse, en leur jettant dessus, de temps en temps des grands flots d’eau bouillante, ce qui détermine l’huile à sortir plus vite et plus abondamment.
C’est là l’huile ordinaire, l’huile pour la table ; on la distingue en super fine, et mangeable ; ce qui ne dépend que de la qualité, et de l’état des olives, ainsi que de la propreté avec laquelle elle a été faite, est indépendamment des supercheries dont j’ai parlé, l’huile étant une substance propre à dissoudre beaucoup de corps, la moindre malpropreté qu’il y ait dans les instruments propres à la faire et à la contenir, lui donne un mauvais goût et de l’acreté, ce qui impose d’autant plus au propriétaire le devoir d’en surveiller la confection.
On retire ensuite deux sortes d’huiles, l’huile dite de recense et l’huile d’enfer. On appelle recenser, les opérations qu’on fait subir au marc pour en retirer le reste d’huile qu’il peut contenir. Pour cela, on le broye encore et on le pille dans des fosses en maçonnerie, placées l’une à la suite de l’autre, et se communiquant. On les remplit d’eau, dans laquelle le marc subit une espèce de fermentation, et se dépouille de son noyau. On ramasse avec de grandes pèles de bois l’huile qui surnage, on fait courir l’eau d’une fosse à l’autre en en ajoutant toujours de nouvelle ; enfin, on ramasse ce marc et on le fait bouillir dans de grandes chaudières pleines d’eau. Tout le muqueux et les calottes surnagent. On les ramasse et on les exprime. On laisse refroidir l’eau ; on en sépare toute l’huile, et on jette le reste de cette dissolution dans des fosses en maçonnerie séparées des premières.
Cette huile est beaucoup plus grasse et plus épaisse que la première, à laquelle on en ajoute souvent par supercherie ; elle sert aux savonneries, aux foulons etc., avec beaucoup plus d’avantage que celle là.
L’huile d’enfer, se recueille dans les fosses, où j’ai dit qu’on jette l’eau qui a servi pour l’huile de recens. On jette pareillement dans ces fosses toutes les eaux qui ont servi à la confection de l’huile, et à laver soit les instruments soit les outres. Il se produit à la longue une fermentation accompagnée d’une très mauvaise odeur, l’huile se dépouille de tout son muqueux, et paraît à la surface claire et limpide avec l’odeur et la saveur des huiles siccatives. On la ramasse, et on la vend pour l’éclairage, à quoi elle est plus propres que les autres parce qu’elle produit moins de charbon.
Le parenchime du marc est réduit en pains que les meuniers conservent pour faire bruler sous les chaudières. Les noyaux sont vendus pour le chauffage à 1 franc 50 centimes la charge d’ane.
Quarante litres (un settier) d’olives bien mures rend depuis 4 kilogrammes et ½ (15 livres) jusqu’à 6 ½ (21 livres) d’huile de première formation suivant les qualités.
Lorsqu’elles ont été piquées par le ver, à peine quarante litres en rendent-ils un kilogramme (4 livres), mais elles sont profitables pour le meunier, parce qu’elles donnent toujours beaucoup d’huile de recens.
Les olives encore vertes donnent une huile agréable pour quelques uns, parce qu’elle a le goût du fruit, mas en petite quantité, et qui ne se conserve pas.
Les marchands et propriétaires d’huile savent aussi donner cette petite amertume qui est le goût du fruit, en mettant infuser des feuilles d’olivier dans l’huile qu’ils veulent vendre ; ils masquent également la rancidité que l’huile a acquise, ou par une mauvaise tenue, ou par l’addition d’huile de recens, en battant leur huile avec du miel, ce qui l’adoucit effectivement pour le moment du marché, mais ce qui augmente encore plus dans la suite, sa rancidité.
Des citronniers, orangers et de leur fruit
Aussi le citronnier et l’oranger sont devenus indigènes dans ce département, l’oranger dans les campagnes de Nice, et le citronnier dans celles de Villefranche, Monaco, Roquebrune et Menton. On voit, il est vrai, dans les jardins de Nice quelques uns de ces derniers, mais on a soin de les tenir en espalier contre les murailles, les mieux exposées.
Du citronnier
Cet arbre est vraiment l’arbre toujours actif ; de toute l’année il ne cesse d’être décoré de fleurs et de fruits de différends âges ; les mois de brumaire, frimaire, nivose, pluviose et ventose sont cependant ceux où il en est le plus chargé. Il aime essentiellement la chaleur, qui lui est nécessaire pour le perfectionnement de son acide, de son huile essentielle et de son arôme. Car quoi qu’il puisse venir à Nice, moyennant quelques soins, il s’en faut de beaucoup que son fruit y acquierre toute sa perfection. J’ai fait l’expérience de tirer comparativement des citrons du jardin de l’école centrale et de ceux de Menton, l’acide et l’huile volatile ; l’acide des premiers était beaucoup moins agréable et plus long a se dépurer que celui des seconds. Pareillement, j’ai tiré très peu d’huile volatile des premiers, moins suave, plus chargée de muqueux qui la fait moisir à l’air, plus longue à s’épaissir par le contact de l’oxigène, que celle des seconds. Aussi les citrons de Menton se conservent-ils plus longtemps que ceux de Nice ; le bois et les feuilles des citronniers et orangers participent du même avantage, je les ai trouvés beaucoup plus parfumés dans le premier endroit que dans le second.
On cultive, dans ces contrées, neuf espèces de citronniers qui, ainsi que l’olivier, ne diffèrent l’un de l’autre, que par la forme des feuilles, la qualité et la grosseur du fruit, ce sont les suivantes :
1èrerement Le citron commun, nommé Begnet ou Limon fruit ovale, grosseur moyenne ; espèce le plus multipliée et la meilleure pour le jus.
2èmement Citron long, moins de jus.
3èmement Citron de Valence, à écorce épaisse, contenant beaucoup d’essence.
4èmement Limette, petit fruit d’un acide doux, agréable à manger.
5èmement Citron doux, appellé citron Portugal, grosseur moyenne, bon à manger.
6èmement Limon-poirette ; fait comme une poire, propre à confire, et contenant une essence très fine.
7èmement La Mela-rosa ; citron plat, à écorce épaisse, essence abondante et très suave, formant une très bonne confiture.
8èmement Le cedrat ou cedrat de Florence, contenant une essence exquise, et très bon à confire.
9èmement Le gros cedra, appellé Foncire, du poids de 1 kilogramme et demi, bon à confire, mais inférieur à l’autre.
La récolte des citrons se fait durant toute l’année. On en compte cependant trois principales, dont les deux premières qui ont lieu en hiver et au printemps s’appellent récoltes de la première et de la seconde fleur, et la troisième qui se fait en été, s’appelle verdaine à Menton. Dans les bonnes années, 400 individus sont occupés à 2 francs par jour, durant quatre à cinq mois de l’année, soit à cette récolte, soit aux travaux préparatoires du commerce des citrons qui consistent à les porter en magazin, à les trier, à les envelopper, et à les mettre en caisse.
Le papier dont on se sert pour envelopper les citrons, mérite une attention particulière ; ce fruit ne se conserve pas également dans toute sorte de papiers, il lui en faut qui ne le laisse pas transpirer, qui ne le sèche pas, qui n’absorbe pas facilement l’humide extérieur, et qui ne se déchire pas facilement. On trouve toutes ces propriétés dans un papier qu’on fabrique à Gênes, très uni, d’un gris-roux, ayant l’odeur du goudron ; les génois savent le préparer avec la filasse de vieux morceaux de câbles et autres cordages de navire, qui ne servent plus. Il est vraisemblable que le goudron dont il est imprégné lui donne la plupart de ses propriétés ; cependant l’on n’a pas encore réussi à l’imiter, dans le département, et malgré qu’il soit fort cher, à cause des douanes, les négotians en citrons sont forcés de lui donner la préférence sur tous les autres qu’on a essayé de lui substituer, et qu’ils auraient à meilleur prix.
On ôte l’écorce aux citrons de rebut, pour la faire sécher, et la vendre aux distillateurs. On exprime le parenchime pour en retirer l’acide en grand qu’on laisse dépurer et qu’on vend aux teinturiers, etc., mais il n’y a que quelques individus qui s’occupent de ces opérations.
De l’oranger
L’oranger fait l’ornement et la richesse de tous les jardins de Nice : on y en compte plusieurs variétés, dont seulement quelques unes sont le plus multipliées.
1èrement Orange, Portugal jaune, la plus répandue.
2èmement Orange rouge, également répandue.
3èmement Orange-citron, vulgairement citron, à Nice
4èmement Orange à grosse écorce, ayant peu de jus, et servant à confire.
5èmement Orange amère, bigarade, garnie de pointes ou cornes, au nombre de 2 à 3.
6èmement Orange amère unie, Céréotis.
7èmement Orange bergamotte, plus cultivée à Grasse.
8èmement Orange-chinois, fort petite écorce fine, ayant beaucoup d’essence, employé par les confiseurs.
10èmement Orange-pomme d’Adam, fruit jaune, d’une grosseur monstrueuse, à écorce très épaisse, ayant fort peu d’essence.
Les orangers fleurissent, comme nous l’avons déjà dit, en germinal et floréal ; ils ont ordinairement trois fois plus de fleurs qu’il ne leur en faut pour la fructification, lesquelles tombent d’elles-mêmes, si déjà on n’a secoué l’arbre. Cette abondante quantité de fleurs fait qu’on peut en tirer parti pour la distillation, sans nuire à la récolte du fruit. Il conviendrait sans doute de les cueillir à la main pour les avoir de meilleure qualité, mais les quantités qu’il faut en avoir obligent de se contenter de secouer l’arbre, ce qui ne lui nuit pas, en le faisant avec précaution pour que les fleurs aient toute leur essence. Il faut les cueillir dans un tems sec, et avant qu’elles aient été mouillées ; ne pas attendre qu’elles soient trop épanouies et les emploier fraîches, car leur blancheur éclatante est ternie au bout de quelques heures qu’elles ont été cueillies, et leur arome se dissipe très promptement. Au bout de trois jours d’entassement, elles passent à la fermentation putride et fournissent un excellent fumier dont beaucoup de cultivateurs se contentent pour fumer leurs orangers, lorsque la vente de ces fleurs n’a pas assez bon prix.
Indépendamment de l’eau distillée, on envoit encore la fleur d’orange, cueillie fraîchement et entassée dans des tonneaux avec un lit de sel et un lit de fleur, dans les contrées les plus reculées du Nord, où elle arrive, dit-on, parfaitement conservée. Les confiseurs en font des sucreries fort agréables.
Le prix commun de cette fleur, commune faite de 10 ans, est de 1 franc 50 centimes (le rub) par 7 kilogrammes 79 centikilogrammes. Celle de l’orange amère, qui est la plus estimée par son parfum, a toujours une valeur de plus de la moitié en sus.
On fait la récolte des oranges destinées à l’étranger en brumaire, frimaire et nivose, lorsqu’elles commencent à jaunir ; les oranges non encore mûres sont mises en caisse pour être envoyées dans le nord de la France et même dans la Baltique ; elles murissent en chemin et arrivent au point où elles doivent être. On continue d’en faire la récolte en pluviose ou ventose et ces fruits étant plus murs ne peuvent se conserver que trois à quatre mois, on n’en fait par conséquent des envois qu’à 50 ou 100 lieues de distance. On les enveloppe, ainsi que les citrons, avant de les encaisser, et l’on emploit à cet usage un papier croisette-mi blanc, fabriqué à Nice. Dès l’instant qu’ils sont formés, ces fruits sont communément achetés sur les arbres par ceux qui font ce négoce, à leur péril et risque ; on a un cercle de fer pour en mesurer la grosseur, et on les divise en trois cathégories, de mesure, médiocres, et de rebut.
Cueillir, mesurer, envelopper, encaisser, transporter sont des opérations qui occupent encore beaucoup de bras dans la saison de l’hiver, sans compter les fabriquants de caisse, qui sont fort nombreux.
On continue toute l’année de faire la récolte de la petite quantité d’oranges que le propriétaire laisse sur les arbres pour son usage ; mais lorsque l’arbre est en sève, il attire à lui tout le suc de ses fruits lesquels sont alors parfaitement insipides et presque à sec. Ils reprennent leur suc et redeviennent bons, lorsque l’arbre a perdu sa sève et que le travail de la végétation est finie ; ce qui prouve bien dans les végétaux comme dans les animeaux, une correspondance active entre le centre et la périphérie.
Pour établir une pépinière, on sème des pépins d’orange amère, ayant soin de les éclaircir, s’ils sont très épais, de labourer la terre, sarcler les herbes et élaguer les jeunes plantes. Un sauvageon de cette nature, placé en bonne terre et arrosable, est en état d’être greffer, au bout de cinq ans.
On le greffe en écusson (à taca) en prairial et l’on se sert indifféremment de la greffe d’orange, de limon, de limette, de melle-rose, de cédrat de Florence, etc.. sur le même franc, toutes réussissant également.
Commune faite, les plantes d’une pépinière sont en état d’être transplantées en haies pour la formation d’un jardin six ans après leur ensemencement ; elles se vendent, les unes sur les autres, 2 francs pièce.
On les arrache avec leurs mottes, et on les plante dedans un fossez qui doit avoir au moins un demi mètre de profondeur, en y ajoutant un peu de fumier. On ne met guère plus d’un mètre de distance entre un oranger et l’autre, surtout dans les jardins uniquement destinés à ces arbres ; mais on met au moins deux mètres de distance entre chaque limonier, on plante les uns et les autres, à grand vent, en espalier, ou à demi vent.
Il faut au moins vingt ans à ces arbres pour qu’ils donnent toute la récolte dont ils sont susceptibles, moyennant encore d’être dans un terrain propice et bien cultivé. Ils vivent des siècles, et lorsqu’ils sont vieux, leur bois est d’un excellent usage pour en faire des meubles.
Les terrains légers et un peu sablonneux sont les plus propres à l’oranger, limonier et autres de cette nature, connus dans le pays sous le titre général d’agrumes ; ils produisent cependant aussi beaucoup dans les terres fortes, mais le fruit y est de qualité inférieure.
Ils veulent être arrosés, et quoiqu’on en voie de médiocrement beaux, dans les terrains où ils ne le sont pas, je présume, d’après l’inspection de quelques endroits, que c’est parce que leurs racines plongent dans un terrain inférieurement humide.
On doit les élaguer tous les ans deux fois, en ventose et en brumaire, pour leur enlever les branches gourmandes appellées succarelles, en labourer et fumer la terre, au moins une fois chaque année, ils aiment comme je l’ai déjà dit, l’engrais de nature animale.
Les arbres de cette espèce sont tous renfermés dans des enceintes murées, qu’on appelle jardins ; ces jardins ont pour leur arrosage des grands puits avec des pompes à chapelet, qui versent l’eau dans des réservoirs qui aboutissent à des canaux en maçonnerie dont la construction et l’entretien sont fort dispendieux. Ces puits s’appellent des pousaraques, et ce sont des mulets qui en font le service.
L’oranger vient plus gros et produit plus de fruit que le limonier, mais il a le désavantage de communiquer une amertume très désagréable à tout le jardinage qu’on y cultive auprès , ce qui fait que le terrain qui est à son entour est ordinairement condamné à une nullité parfaite.
Produit des légumes
Un jardin d’orangers ou de citronniers, produit plus que tout autre genre de culture. 15 perches environ (1 setterée) de terre contient ordinairement cent plantes, à vent ou en espalier ; un seul oranger produit souvent jusuqu’à quatre mille oranges lesquelles j’ai vu vendre étant de mesure, jusqu’à 30 francs le mille ce qui donne 120 francs de production pour un seul arbre. Cette quantité pourtant est rare, mais il est commun de trouver des arbres qui donnent deux mille oranges.
Cependant comme la récolte des orangers est alternative et que ces fruits n’ont pas tous le même prix pour la qualité et la grosseur, on estime qu’en fesant une commune de 10 années, on peut mettre à trente mille fruits la production annuelle de cent orangers ou cent citronniers ; à 16 francs le mille des oranges ainsi que celui des citrons, ce qui donne 480 francs de produit annuel pour 15 perches d’orangers et 4 citronniers.
Frais de culture pour 15 perches 44 m²
pour labour : 8 journées à 2 francs chaque 16francs
Pour élaguer 4 journées à 2 francs 50 centimes 10
Pour arroser 24
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Total 86 francs
Accidents et maladies
Ces arbres sont très sensibles au froid, et plus encore les citronniers que les orangers ; les premiers ont presque tous péri au commencement du 18ème siècle et, en 25 ans, les branches des orangers et citronniers de tout le département ont gelé trois fois. Il y a même un quartier de la campagne de Nice, appellé Roccabiliéra, ou les troncs même furent gelés, il y a environ 30 ans. Le fruit est puis encore plus délicat ; il suffit d’une gelée blanche, après une légère pluie, pour le voir entièrement perdu sur l’arbre comme cela est arrivé en partie en l’an VIII.
Indépendamment des maladies communes à tous les arbres fruitiers, les orangers et citronniers sont très sujets à être attaqué par le Cocus hemisphéridus (maladie qu’on nomme aussi morphée, comme pour les oliviers). Cet insecte reste toute l’année sur l’arbre, suçant tout l’humide des fruits et des feuilles. Il vit en famille, est fort paresseux et multiplie à l’infini ; branches, feuilles et fruits, tout est recouvert d’une poussière noire, qui est probablement ou ses œufs, ou ses excrémens. Le grand nombre de cultivateurs ignorans et superstitieux, ne fait rien pour le détruire, parce qu’il attribue la morphée ou à l’air, ou à l’engrais, ou à telle autre cause aussi peu raisonnable ; mais il est très facile d’en venir à bout, parce que les arbres sont bas, clos de murs, et que d’ailleurs, je ne crois pas que cet insecte, s’il devient ailé, aille fort loin. J’ai vu un jardin, sous la direction du citoyen Vay, qui en était totalement couvert ; cet agriculteur parvint à les détruire, en une seule campagne et à faire changer de face aux arbres, en les faisant simplement frotter avec des chiffons grossiers, et en écrasant par tous les moyens possibles, les insectes abrités dans les fentes, ou le chiffon ne pouvait pas pénétrer.
On parvient quelquefois à préserver ces arbres de l’action de la gelée blanche qui a lieu sur le matin, en mettant à propos le feu à des fagots de paille distribués dans les intervalles.
Du carroubier
Le carroubier, Ceratonia siliqua, est le troisième arbre indigène du département, ami des lieux incultes, produisant toujours du fruit, et n’exigeant presque aucune culture, cet arbre est extrêmement précieux et mériterait d’être beaucoup plus multiplié qu’il ne l’est.
Il y en a de deux espèces, le sauvage et le cultivé ; ce dernier présente trois variétés, relativement au fruit ; 1èrement gousse longue, contenant 5 à 6 semences, 2èmement gousse courte mais large et épaisse, contenant 2 à 3 semences, 3èmement gousse courte et très grêle.
Cet arbre vient très haut, jette beaucoup de branches, et ses feuilles alternés subsistent tout l’hiver. Il porte son fruit en grappe, à l’insertion des branches au tronc, ou à la principale tige ; ce fruit mûrit en même tems que l’arbre fleurit en fructidor, et on le récolte en vendemiaire.
Le bois du carroubier est très dur, cependant il est sujet aux vers et aux rats, lorsqu’il est sur pied ; il est de couleur rouge et blanc comme le bois de ro à fibres droites et très serrées ; on en fait des meubles qui sont d’abord fort beaux, mais de peu de durée parce que ce bois à la propriété particulière de s’effleurer à l’air dès qu’il est travaillé.
Le carroubier craint l’humide ; il veut les interstices des rochers, l’aspect de la mer, les vents d’est et du sud : il n’est pourtant pas absolument nécessaire qu’il soit sur le rivage maritime, car j’en ai vu très éloigné, dans la campagne de Nice, qui ont fort bien réussi, parce qu’il y a les deux conditions, la chaleur et des rochers.
Il se sème de lui-même, et on greffe le sauvageon à sept ou huit ans. A Eze et Roquebrune, où l’on tire un grand parti des carroubiers, on a soin de remuer un peu la terre tous les ans, ils en portent des fruits plus beaux et plus pulpeux.
Cet arbre vit longtemps, il est susceptible de porter dans les terroirs dont je viens de parler, jusqu’à (14 quintaux) 654 kilogrammes de fruits par individu ; le terme moyen est de 420 à 467 kilogrammes (9 à 10 quintaux). Mais pour en produire cette quantité, il faut qu’il ait au moins 50 ans ; deux ans après la greffe, il commence à en produire quelques livres, et ce n’est qu’à 30 ans qu’il en produit (3 à 4 quintaux) 140 à 186 kilogrammes.
Ce fruit est excellent pour nourrir et engraisser le gros bétail ; il est même fort bon pour les hommes, soit cru, soit séché au four ; des peuplades entières s’en nourrissent, dans la Sicile, la Pouille et la Calabre ; dans le tems de mes voyages, j’en ai vécu pendant 3 jours faute d’autre aliment, sans aucune incommodité. Durant le dernier siège de Gênes, les carroubes ont été d’une grande ressource ; on les a vendu jusqu’à 3 francs par 7 kilogrammes, 8 hectogrammes (le rub), en l’an X je les ai vu vendre 1 franc par 7 kilogrammes 8 hectogrammes.
Des figuiers, chataigners et autres arbres
Du figuier
Le figuier est un arbre très multiplié dans ce département ; on ne manque jamais d’en mettre lorsqu’on plante la vigne ; il est des territoires très étendus, tel que celui de Sospello, où cet arbre couvre tous les espaces qui ne sont pas occupés par l’olivier.
C’est que son fruit desséché est d’une grande ressource pour les habitans ; il sert d’aliment à un grand nombre d’individus cultivateurs pour qui le pain est rare, en même temps qu’il nourrit et engraisse les bestiaux, durant la saison de l’hiver ; aussi en cultive-t-on plusieurs espèces dont les meilleures sont réservées pour l’homme et les inférieures pour les animaux.
On m’en a désigné vingt et plus d’espèces, toutes mangeables dont quelques unes seulement me sont connues, et dont je n’ai trouvé la description des autres, ni dans Garides, ni dans l’excellent mémoire sur le figuier de monsieur Bernard. Je vais les nommer, en terme du pays, décrivant celle que je connais :
Figues-fleurs, mûres en prairial et messidor.
La Daucueire, figue brune, grosse, allongée, hative
Coucourellos, Brunos des Provençaux.
L’Abicon, idem en Provence, figue noire ou violette, longue, grosse, douceâtre et désagréable.
La Bregliasca
Lo Col de dame, figues de fructidor et vendemiaire
L’Impériau, figues blanches, presque rondes, miellées analogues à celles qu’on connaît en Provence sous le nom de figues de Versailles.
La Bellona, Bellonnos, en Provence, grosse figue violette sur un fond verdâtre, presque ronde, applatie de sa partie supérieure, dont la peau est déchirée, et relevée de nervures saillantes , excellente à manger et à sécher.
La Bernissema, Barnissenquos, en Provence, figue violette, ronde à la partie supérieure, et dont l’enveloppe se rétrécit ensuite subitement, fort rouge en dedans, penchée sur son pédicule lorsqu’elle est mure. Excellente.
La Bernissotta, Barnissotos en Provence, figue applatie d’un violet foncé, et dont la peau est parsemée de petits ronds blancs. Excellente.
La Verdale, Verdalos en Provence, figue ronde d’un violet foncé, rouge en dedans, avec une peau épaisse et peu sujette à se crevasser. Assez estimée.
La Mussega, très répandue à Sospello, figue grise verdâtre, ovale, assez bonne, et assez grosse.
La Franciscana, grosse figue grise, ovale, applatie, à peau déchirée. Excellente peut-être la même que celle dite de Grasse.
La Negretta, Négrounos en Provence, figues très répandues, petite, violette-foncée, assez rouge dedans, mauvaise fraiche, on la fait sécher pour les animaux.
La Roubauda
La Cagliana
La Merlenca
La Sairole
Lo Caravanquin
La Ronlandina
La Poucholuda
La Saraine, cette figue dont on fait beaucoup cas, paraît analogue à celle qu’on nomme Longues marseillaises ; elle est longue, blanche en dehors, et assez rouge en dedans ; fort bonne à manger et pour sécher.
On cultive au vallon de Louda une petite figue blanche, ronde, à long pédicule, excellente à manger et à sécher, qui me paraît être la même que la figue marseillaise.
Outre ces espèces, il y a puis un grand nombre de variétés, quant à la couleur ; indépendamment que la plupart de ces figuiers donnent du fruit deux fois l’année.
Comme les bonnes figues sont très sujettes à couler, à cause de la fréquence des brouillards, on cultive davantage les figues communes, qui résistent plus, et qui sont plus abondantes.
Je n’ai pas découvert que le caprifiguer de Pline existat dans ce département ; je crois cependant qu’il serait utile de l’y transporter de quelques unes des îles de la Grèce, pour établir la caprification parmi les figuiers les plus communs ; car, comme on les cultive particulièrement pour nourriture d’hiver des animaux, à défaut de fourrages, ce serait un grand avantage pour le cultivateur de faire trois récoltes abondantes de figues.
On a soin tous les ans de remuer la terre autour du figuier, et de l’élaguer de ses branches inutiles ; on a l’expérience qu’il en produit davantage.
Cet arbre est recouvert dans les bas fonds d’un kermés qui lui est particulier et qui le dévore ; les cultivateurs y remédient en coupant les branches qui en sont le plus chargées, mais ils feraient mieux encore de les frotter avec un linge rude, comme nous l’avons dit pour l’oranger.
La figue est très sujette à avoir des vers, surtout en automne, et quand le temps est pluvieux et comme on la fait sécher au soleil, sur des claies, ce qui exige plusieurs jours ; elle se pourrit très facilement. Le cultivateur remédierait à la perte qu’il fait alors, si lorsque sa figue est piquée, et dans un tems pluvieux, il la fesait dessécher au four, ce qui abrégerait l’opération, et ferait périr les insectes. La figue ainsi desséchée est, il est vrai, moins agréable que l’autre, mais elle est fort bonne pour les animaux.
Les figues sèches se vendent à mesure, et elles se consomment toutes dans le département.
Du châtaignier
Le châtaignier dont le fruit économise aussi le pain à l’habitant des montagnes de ce département, est un arbre qui n’y est n’y assez répandu, ni assez soigné ; il y en a de trois espèces dont je ne trouve nulle part la description chez les botanistes, car elles n’appartiennent ni au sauvage, ni au marronnier, ni au chataignier nain. Tous ces arbres sont très hauts, et on ne les distingue que par la grosseur de leurs fruits.
On nomme ces trois espèces, Temporivos, Scirole ou Rascas et Sciri. La chataigne Temporivos est la grosse ; il s’en faut pourtant de beaucoup qu’elle s’approche du marron qu’on recueille dans le Dauphiné et le Vivarais ; après vient la Scirole, puis la Sciri qui est la plus petite de toutes et la plus répandue.
La vallée de la Visubie est la contrée de ce département où l’on donne le plus de soins aux châtaigniers. On y a appris à greffer les sauvageons en Temporivos ou en Scirole dès qu’ils sont assez forts pour supporter le poids d’un homme. Chaque année, en germinal ou en vendemiaire, on élague les arbres, on remue la terre qui est au pied, et on y met un peu de fumier de vache. Presque partout ailleurs, on abandonne ces arbres à la nature, et ils ne produisent que de très petites chataignes.
Le chataignier craint le vent du sud qui souffle en fructidor et qui fait tomber son fruit. Le temporivos est plus exposé à cet accident que les autres, ce qui fait que malgré sa qualité supérieure, on lui préfère souvent pour la culture les autres espèces.
Beaucoup de terrains incultes et dénués de bois pourraient servir à la culture du chataignier ; toute la montagne de Brouis, par exemple, et les montagnes adjacentes, aux environs de Breglio et de Sospello, pourraient être recouvertes de ces arbres, d’autant plus que quelques uns qui s’y trouvent par hasard y viennent très bien. Les mêmes plantations devraient avoir lieu dans la vallée de la Nervia, sur ces collines décharnées, et dans les terroirs des communes situées entre le Var et l’Estéron, dont la majeure partie reste entièrement inculte, et dont les habitants récoltent à peine de grains pour deux mois de l’année.
En fesant de nouvelles plantations, il ne faut pas négliger celles qui existent ; il convient de greffer tous les arbres qui en sont susceptibles, et de les greffer avec de belles espèces ; on pourrait espérer d’avoir d’aussi beaux marrons dans la vallée de la Visubie que dans le département de l’Isère, de l’Aveiron et des Vosges, puisque le climat est à peu de chose près le même. Ce serait alors une nouvelle production à exporter, au lieu qu’aujourd’hui ce sont les montagnes du Piémont et de Ligurie qui sont en possession de fournir des chataignes à toute la cote maritime et même Nice.
Noyers et amandiers
Les noyers et amandiers sont peu cultivés dans la campagne de Nice, mais ils le sont assez dans le haut département, où l’olivier commence à végéter avec difficulté. Il y a beaucoup de noyers dans la vallée d’Entraunes, qui produisent peu, depuis quelques années à cause du froid ; il y en a considérablement dans la vallée de Guilleaumes, au Pujet, et tout le long de la Rodoule. Ils servent à fournir de l’huile aux habitants de ces hauteurs, lesquels en font autant de cas que de l’huile d’olives, à tel point, (ce que je n’aurai pu croire, si je ne m’en étais assuré) que le prix de ces deux huiles est absolument le même, et qu’il est indifférent dans les emprunts, qu’on rende de l’huile d’olives ou de l’huile de noix. Ce qui ne l’est pourtant pas pour le voyageur dont le palais est un peu délicat.
Meuriers et capriers
Les meuriers viennent partout. Dans le département avant la guerre, toutes les communes élevaient des vers à soie ; la soie était même plus belle dans les régions un peu froides ; dans chaque vallée, il y avait une ou deux filatures. Ce genre d’industrie ayant été négligé pendant la Révolution, on trouve à peine aujourd’hui le tiers des meuriers qui existaient il y a 10 ans. Cet objet mérite toute l’attention de l’administration.
J’en dirai autant des capriers, Capparis spinosa. Dans toute la côte maritime du département, on fait un grand usage de capres, qu’on fait venir des départements du Var et des Bouches du Rhône ; cependant le caprier aimant singulièrement les murs à secs, et y ayant bien peu de département où il y en ait autant comme dans celui-ci, il est surprenant qu’on ait négligé la culture de cette plante, qui loin de nuire aux murailles, paraît au contraire les soutenir. Il est à désirer qu’on commence à la multiplier, nul doute qu’elle ne réussisse, et qu’elle ne présente dans peu d’années une nouvelle ressource au cultivateur, qui le dédomagera, au moins en partie, des dépenses considérables que lui occasionnent les bergiés.
Des instruments d'agriculture, des Alpes-Maritimes, et de leur usages
Des instruments d’agriculture, des Alpes-Maritimes, et de leurs usages. Travaux de l’agriculture. Des engrais en usage dans le département. Temps des labours, des semailles, de la floraison, de la maturité et des récoltes.
NOTE : Nous offrons aux internautes la possibilité de découvrir ce texte inédit transcrit dans sa forme originelle et avec l'orthographe de l'époque. |
Des instrumens d’agriculture, des Alpes-Maritimes, et de leur usages
La charrue
La charrue qui est en usage dans tout le département à quelques différences près, très légères dans certaines communes, est une perche cilindrique de la longueur de 2 mètres, 6 200 dix milimètres, courbée à l’extrémité inférieure, appellée en langue du pays araire, laquelle est attachée par l’extrémité de sa courbure à quatre pièces qui se démontent, nommées, en langue du pays, la steva, l’aramou, la tendia, et la reya, ou le soc ; ces cinq pièces constituent la charrue proprement dite, nommée araire en général.
L’araire est percé de trois trous, l’un après l’autre à son extrémité supérieure, d’un autre trou au commencement de la courbure, et à son extrémité inférieure, il a un trou oblong, suffisant pour livrer passage à la queue de la reya ou soc, et la partie inférieure de la steva.
La steva est un manche de bois courbé en S, servant au laboureur pour conduire sa charrue, de la longueur d’un mètre environ, (c’est à dire à la hauteur de sa main) lequel passe par le trou oblong de l’araire ou perche et va appuier par son extrémité inférieure sur la queue du soc, de sorte que la main du laboureur posée sur l’extrémité supérieure y pèse dessus.
L’aramou est une pièce de bois triangulaire plus large que le soc, de l’épaisseur de trois travers de doigts, de la longueur d’un demi mètre, entaillée à sa base pour emboîter l’extrémité de la steva soutenant la queue de la reya ainsi que la steva.
La tendia est un fer fourchu à son extrémité inférieure, de la longueur d’un peu moins d’un demi mètre, dont le manche s’emboite dans le trou qui est au commencement de la courbure de la perche, où il est retenu par un petit fer, en forme de demi cercle, qui le traverse : placé perpendiculairement sur l’aramou, il le serre et le maintient en place, au moyen de ses deux fourches dont les pointes le dépassent, et sont elles mêmes traversées par un fer droit qu’on passe par les trous dont elles sont munies, ce qui donne à toute la machine, la plus grande solidité.
La reya ou soc est l’instrument de fer trempé en acier qui ouvre et fend la terre. Il a la forme d’un fer de pique dont la queue serait très longue ; cette queue est recourbée à son extrémité pour rencontrer le trou oblong de la perche et s’ajuster avec l’aramou ; la longueur totale du soc, est de ¾ de mètre, il est articulé de manière, à ce qu’on puisse le baisser ou le relever suivant le besoin. La tendia, comme l’on voit, fait fonction d’une espéce de vis qui donne de la stabilité à toute la machine. Le tout ensemble à fort peu de pesanteur.
Les trois trous de l’extrémité supérieur de la perche s’appellent lus poncs, les points, parce qu’on y passe un long clou pour retenir l’anneau qui tient au joug et que l’on met au premier, au second et au troisième trou, suivant qu’il convient de donner plus ou moins de longueur à la perche.
Le joug est fait ici comme partout ailleurs où les bœufs labourent par le cou ; de chaque côté, il a deux éclats de bois dits en langue du pays stécas, au milieu desquels les bœufs passent le cou et qu’on lie par dessous avec une corde. Au milieu du joug est un anneau attaché avec une courroie de peau de vache ; chez quelques uns cet anneau est de fer, mais on préfère de l’avoir en bois parce qu’il use moins l’extrémité de la perche. Pour cela on courbe de bonne heure un jeune arbre de bois dur, de manière que le bout de la branche se lie avec le tronc et parvient à former un anneau parfait : on passe la pointe de l’araire ou perche, dans cet anneau, et on la retient avec le grand clou amovible, qu’on met tantôt au premier, tantôt au second, et tantôt au troisième point, selon que le terrain est large ou étroit.
Ce mode de charrue est vraiment propre du département depuis un tems immémorial. On croit même que c’est là la véritable charrue des anciens romains. La réunion de ce pays au Piémont, où les instrumens d’agriculture sont très perfectionnés, n’y avait rien changé durant quatre siècles. Les charrues du Piémont, indépendamment d’être plus fortes, sont construites d’une manière toute différente, le manche qui sert de timon au laboureur est fort long et horizontal au lieu d’être placé perpendiculairement comme ici. A la place de l’aramou, lequel sert à étendre de part et d’autre la terre que le soc a coupé ; elles ont une espèce d’oreille en bois laquelle n’est que d’un coté, et n’étand par conséquent la terre que d’un coté seul, pour l’étendre de l’autre coté au retour ; le soc est beaucoup plus épais surmonté d’une épine qui l’aide singulièrement à couper ; au besoin on y ajuste perpendiculairement un tranchant triangulaire qui coupe les mottes et la terre trop dure, appellé coutre en piémontais.
Sans prétendre transporter cette charrue dans les Alpes-Maritimes dont les terres sont infiniment moins fortes et moins profondes qu’en Piémont, sauf dans les plaines de Nice et de Sospello où elle pourrait également convenir, nous dirons, d’après l’avis des meilleurs agriculteurs, qu’on a besoin dans ce département de varier la force et la forme des charrues, suivant la qualité des terres, et que les charrues actuelles ne suffisent pas dans tous les cas. Il est de fait que la profondeur du sillon qu’elles creusent n’est que de 37 centimètres et demi (un pan et demi de Nice) ; or quoique suffisante dans les montagnes, où il y a peu de terre, elle ne l’est pas dans les bas fonds, où il y en a beaucoup, ce qui fait que n’étant pas suffisamment exposée à l’action de l’air elle est peu productive, parce qu’elle est trop crue, pour me servir de leur expression.
En second lieu, il est des terres, comme les terres gipseuses et les terres argileuses rouges, qui font croute. Lorsque quelques jours de sécheresse ont succédé aux pluies elles sont alors très dificiles à couper avec le soc de ces charrues, or, on y parviendrait facilement si on y ajoutait le contre des charrues piémontaises.
Il est encore d’autres corrections dont je ne suis pas en état de m’occuper mais qui fixeront quelques jours l’attention de la société d’agriculture de ce département, dont il eut été à désirer que l’institution eut daté depuis un grand nombre d’années.
Avant de semer, la terre est labourée deux fois (et même trois, par quelques particuliers qui peuvent le faire, mais en général, ce n’est que deux) : dans le premier labour, qu’on nomme garacciar, le soc est arrangé de manière qu’il puisse creuser, à la profondeur que j’ai dit ; dans le second labour, qu’on nomme binar, on creuse beaucoup moins, et pour cela, on baisse ou on relève le soc très souvent. Quelque soin qu’on mette à ces labours, la terre ne produit jamais autant qu’à Nice, où on ne laboure qu’à bras, mais plus profondément ; ce qui, indépendamment des engrais, a été reconnu dans ce pays une des principales causes de la fertilité des terres par des propriétaires qui en ont fait l’expérience dans des champs situés hors de la campagne de Nice.
Des instruments à bras, en particulier du magaou
Parmi les instruments à bras, dont on se sert dans l’agriculture, à la place de la charrue, et qui tous ont la figure de la pioche, le magaou tient le premier rang.
On connaît sous ce nom, un instrument en forme de pioche, dont le manche placé obliquement est fort court, et fait avec le fer un peu moins de la moitié d’un angle droit. Le fer est un carré long, large, recourbé et divisé à son extrémité inférieure en deux pointes. Voici la mesure de ses dimensions qui ne varient jamais.
Longueur du manche 775 millimètres
Largeur du fer 152
Longueur totale du fer 350
Longueur des deux pointes 235
Courbure du fer 17
Longueur de la ligne droite tirée de
l’extrémité des pointes jusqu’au manche 300 millimètres
Plus grande épaisseur du fer 15
Poids total du magaou 4 kilogrammes environ
Prix ordinaire 12 francs
On laboure avec le magaou toutes les terres et en particulier les terres fortes. On creuse lorsqu’on laboure bien jusqu’à 75 centimètres : on voit les files de laboureurs debout, s’élancer pour le jetter à terre tous ensembles et se relever de même, retirant l’instrument qui a détaché la terre, de toute sa courbure, par l’application de la main vers l’extrémité supérieure du manche, et en la ramenant vers l’inférieure, ce qui se fait avec une grande célérité.
La sappa
Le second instrument s’appelle la sappa aussi espèce de pioche. Sa forme est à peu près la même que celle du précédent ; même longueur du manche, même angle, même distance de l’extrémité inférieure du fer au point correspondant du manche. Mais le fer qui a la même forme en est plus large, moins long, moins épais, plus courbé et son extrémité inférieure au lieu d’être divisée en pointes, est seulement échancrée.
Longueur du fer de la sappa 340 millimètres
Largeur 185
Profondeur de l’échancrure 80
Epaisseur du fer partout 5
Courbures 20
Pesanteur 3 kilogrammes environ (10 livres de Nice)
Prix 12 francs
On se sert quelquefois de ces instruments pour le premier labour dans les terres infiniment légères, cependant cela est rare ; son usage le plus commun est d’être employé après le labour fait avec le magaou, à accommoder le terrain, et après les semailles, ainsi que dans tous les cas ou il s’agit de diviser et d’étendre la terre qui a été labourée.
La picca
Après la sappa, vient la picca. On appelle de ce nom une espèce de pioche, dont le manche a la même longueur et la même direction que dans les deux premières, mais ou le fer est triangulaire, et se terminant par un sommet obtus, sans pointes et sans échancrures.
Longueur du fer de la picca 290 millimètres
Largeur de la base du triangle 190
Largeur de la pointe 45
Courbure du fer 16
Epaisseur du milieu 7
Epaisseur des extrémités 5
Poids 2 kilogrammes environ (7 livres du pays)
Prix 6 francs
On se sert de cet instrument pour défricher et labourer les terres qui sont beaucoup pierreuses, pour travailler aux routes et dans la maçonnerie pour démolir les murailles.
Le pic
Lorsqu’il s’agit de remuer la terre dans les interstices des rochers et de travailler dans des terrains où il y a des grosses pierres on se sert d’un instrument qui a la même forme que la picca, mais dont le fer est plus étroit, avec l’extrémité inférieure plus pointue, auquel on donne le nom de pic. Cet instrument sert également et plus souvent encore que le précédent, à la démolition des murailles et à la réparation des chemins. On en a du reste de deux espèces, un qui n’a que la pointe, et un autre qui a une tête, pour casser les pierres lorsqu’il s’agit de ces derniers ouvrages.
Tous ces instruments faits uniquement pour labourer la terre, ont un manche très court et d’une obliquité telle qu’elle diminue encore beaucoup l’angle que le corps du laboureur fait avec la terre pour les mettre en usage sans compter la grande dextérité qu’il faut avoir pour ne pas blesser la partie antérieure des jambes, en se servant de ces instruments. On demande s’il ne conviendrait pas, 1èrement d’allonger un peu plus ce manche, 2èmement d’agrandir l’angle qu’il forme avec le fer. Il semblerait qu’un levier plus long devrait faire plus de force, avec moins de peine ; cependant le paysan prétend que son travail en irait moins bien, et c’est à l’expérience, qu’on n’a pas encore tentée, à décider cette question.
Ce qui m’a le plus surpris, c’est de voir que les paysans de la campagne de Nice conservent leur corps très droits jusqu’à la dernière vieillesse, tandis que ceux de Marseille qui font à peu près les mêmes travaux deviennent courbés depuis l’âge de 50 ans. Je ne puis attribuer cette différence qu’à la variété du climat, lequel est beaucoup plus sec et plus vif dans la campagne de Marseille que dans celle de Nice, laquelle a l’avantage d’avoir de l’eau de toute part et une rosée abondante durant la nuit, ce qui forme une atmosphère plus humide, qui conserve toute leur souplesse aux coussinets ligamenteux de l’épine du dos.
Je dois placer au second rang des instruments d’agriculture, ceux qui sont nécessaires pour la construction des murs à secs, appellés bergies en langue du pays, lesquels, comme on l’a déjà dit, sont indispensables pour soutenir les terres, et former les étages dont les collines et montagnes sont garnies. Ces instruments sont le pal, ou levier, servant à planter les échalats dans les vignes, et à remuer des pierres, pesant 12 kilogrammes et demi (40 livres), et du prix de 9 francs, un gros marteau, prix 3 francs, une masse de fer prix 6 francs.
Ces berges ou murs à sec sont extrêmement couteux ; le prix commun de leur construction est de 3 francs la canne carrée, jusqu’à 4 francs et 10 sous, un franc 50 centimes par mètre carré, et jusqu’à 2 francs 25 centimes, et comme tous les ans il faut en relever quelqu’un, ces frais ruinent l’agriculteur.
Instruments pour les arbres
Une grande hache, appellée destrau, servant à fendre du gros bois, qui a le défaut d’avoir le taillant un peu trop long, prix 7 francs.
Une petite hache, nommée destralou dont on se sert, à une seule main pour élaguer les oliviers et autres arbres ; prix 3 francs 50 centimes.
Une serpette fixe sur son manche, appellée poïron, tranchante dans la partie convexe comme dans la concave, dont on se sert pour tailler la vigne, élaguer des arbres et faire du bois ; on emploie le tranchant du dos lorsqu’il faut faire plus de force, prix 3 francs.
Une petite scie, à un manche, dont on se sert aussi dans l’élaguement des arbres pour couper les branches que la petite hache et la serpette ne peuvent abattre commodément, prix 2 francs.
Instruments de fauchage
La faucille, ou le volame, dont on se sert pour les moissons, qui se font en coupant les épis avec environ un demi mètre de paille, prix 3 francs.
La faux, ou dail, servant à faucher les fourrages et les pailles, après avoir moissonné les épis, prix 9 francs.
Le gancio, qui est un crochet de fer, emmanché, sans tranchant, rond, et de la forme d’une faucille, mais plus petit, dont on se sert pour faire les fagots de fourrage dans les prairies, attirant le foin à soi, et en fesant des tas de demie charge de poids, qu’on lie avec de l’osier, prix 1 franc 50 centimes.
Travaux de l’agriculture, avec le prix des journées
Travaux pour les blés, dans l’intérieur du département,
avec les prix des journées de 1790 et de l’an X
En parlant de la charrue, j’ai déjà fait mention des deux principaux travaux usités pour le labour des terres dans tout le département, sauf dans la campagne de Nice et sur la côte maritime ; ces travaux sont préparatoires à la semence, qui a lieu ordinairement au printemps, ou en automne plus tôt ou plus tard, suivant les grains et les pays, comme nous le verrons au chapitre suivant. En même temps qu’on sème on fume aussi, si c’est l’année de fumer ; après quoi on recouvre. On n’abandonne pas la semence à elle-même mais lorsque la germe est sorti de terre, on vient purger le blé des petites herbes saillantes, et l’on répète encore deux fois cette opération avant la moisson, en grattant la terre avec la picca, pour déraciner les mauvaises herbes déjà trop fortes. Ainsi, avant d’être coupé, le blé a couté six travaux.
Prix des journées, dans l’intérieur du département
{ en 1790 3 francs }
des bœufs { } nourris l’homme et les bœufs
{ en l’an X 4 }
{ en 1790 35 centimes, et nourri, en été. 50 centimes le dîner en hiver
de journalier {
{ en l’an X 75 centimes et nourri, été et hiver en montagne en 1790 50 centimes et nourri
en l’an X 1 franc 20 centimes et nourri
Dans quelques endroits, le prix en argent est le même, mais la nourriture étant du double plus chère en fait l’augmentation.
Travaux pour les blés dans la campagne de Nice,
avec les prix comme dessus
Dans la campagne de Nice, on ne fait que deux travaux avant la moisson, celui du labour et celui des semences. Il est à remarquer qu’à Nice, et dans une grande partie du département, on est en usage d’alterner les légumes avec le blé, de manière que dans un champs ou dans une bande de champs, on met une année des légumes, et l’autre année du froment ; si c’est l’année qu’on doit semer des légumes, des fèves, par exemple, qui sont le plus usitées à Nice, on met du fumier, en même temps qu’on laboure ; si, au contraire, la récolte a été de fèves et qu’on doive semer du froment, on ne met point d’engrais ni dans le temps du labour, ni dans celui des semences. Dans quelques vallées, comme dans celle de la Visubie, à Roccabiliéra, ou l’on s’est mis à former quelques prairies artificielles, à cause de la perte des prés naturels emportés par la rivière, on alterne souvent la culture du treffle avec celle du froment, et l’on a expérimenté que cette alternative est infiniment favorable à la production du blé, tellement qu’alors il produit beaucoup plus sans engrais, que lorsqu’il est semé immédiatement, avec l’engrais. Dans beaucoup de communes, où la misère a enlevé tous tes moyens d’engrais, on laboure et on sème, blé et légumes, sans engrais, ce qui fait qu’à peine, souvent, double-t-on la semence.
Lorsqu’on sème, un homme rompt les mottes, après quoi, on jette la semence, et on la recouvre.
La nécessité oblige dans beaucoup de communes à semer dans les champs d’oliviers, lesquels pourtant ne peuvent produire que de l’orge ; et comme ce grain est semé très tard, et que les pluies entraîneraient l’engrais, si on le mettait en même temps, ce n’est que lorsque le grain est sorti et qu’il est déjà un peu grand, qu’on répend le fumier dans le champs ce qui ajoute un travail de plus pour ce genre de grain.
Moisson
La moisson, comme on a déjà pu le voir, à l’article des instruments, se fait, pour ainsi dire, en deux temps ; on commence d’abord par couper les épis, et ensuite, à tems et loisir, on fauche le chaume. Les épis portés sur l’aire, sont d’abord battus avec une perche ou un fléau, et ensuite foulés par les mulets comme dans toute la Provence.
Prix des journées du { en 1790, depuis 1 franc jusqu’à 2
journalier à Nice { en l’an X, depuis 2 francs jusqu’à 3 francs 50 centimes
Ordinairement, une sétérée de terre de bonne qualité, 15 perches 44 mètre ½ de terre, emploit pour être labourée à la profondeur de 60 centimètres, 10 journées d’homme qui à 2 francs la journée pour le moins, font 20 francs.
Corrections à faire à la culture du blé,
dans la campagne de Nice
On peut reprocher aux cultivateurs de Nice :
1èrement de négliger de sarcler plusieurs fois dans l’année les mauvaises herbes qui croissent en abondance parmi le blé, ce qui en diminue considérablement la quantité.
2èmement de fumer en même temps qu’ils labourent, il en résulte que l’engrais s’évapore, et que les pluies d’automne l’entrainent à pure perte pour le champ, tandis que si l’on fumait en même temps qu’on sème, comme cela se pratique dans le reste du département, le fumier aurait conservé toute sa force, et ne serait plus entrainé par les pluies, puisque ce n’est qu’après cette époque qu’on commence à semer.
On se plaint, avec juste raison de la longueur des travaux pour le labour, et l’on demande si on ne pourrait pas substituer les charrues du Piémont au magaou, ce qui serait certainement plus expéditif, et peut être plus avantageux pour la fertilité des temps : à cela, les cultivateurs répondent que les champs contenant tous plus ou moins d’oliviers dont les racines rampantes s’étendent très loin la charrue leur nuirait au lieu qu’on les évite par le labour à bras ce qui est très vrai, des bouviers adroits sauraient sans doute parer à cet inconvénient, cependant il faut convenir qu’il aurait besoin de la pratique d’une génération entière avant que le pays niçard sut tirer de la charrue tout le parti qu’il retire de son magaou.
Travaux de la vigne
C’est en brumaire qu’on commence à planter la vigne, jusqu’à tout floréal. On plante des marcotes qui ayant déjà été une année ou deux en pépinières ont acquis quelques racines, ces marcotes sont nommés en langue du pays, mayou ou embarbat. On plante aussi de simples boutures sans racines, qu’on met à part en taillant la vigne, et qu’on nomme traglie. Cette pratique étant récente, on attend que l’expérience justifie les données de la théorie, avant de prononcer définitivement si elle mérite la préférence sur les marcotes à racines.
Pour faire une plantation de vignes, soit en terrain labouré, soit en friche, on ouvre, en commençant par le bas du terrain qu’on a destiné à être complanté, un fossez en ligne directe, en suivant la sinuosité de la colline dans toute la longueur de ce terrain ; ce fossez est de la profondeur de 700 jusqu’à 775 millimètres au plus, suivant la nature du terrain ; on y plante les marcotes, en ligne, à la distance l’une de l’autre de 258 millimètres et à la profondeur du fossez, sur le dur (pratique condamnée par divers agriculteurs). On couvre les racines de terre, on y met un peu de fumier et ensuite des fagots de broussailles et de la terre par dessus ; la plantation finie, dans cette ligne, plusieurs hommes de front lui tournant le dos, défrichent en remontant tout le terrain, à la même profondeur de 700 à 775 millimètres, et d’un bout à l’autre de la plantation, jusqu’à la sommité du terrain qu’on veut planter, posant d’autres lignes de marcotes, de la même manière que ci-dessus, à la distance depuis 2 jusqu’à 6 mètres entre chaque plantation.
En même temps qu’on plante les vignes, on plante aussi des marcotes de figuier, d’olivier, et d’autres fruits.
Dans les intervalles des files, si le terrain en est susceptible, on sème, toutes les années alternativement, une planche en forment ou orge, et l’autre en fève si pourtant on n’en laisse pas une en jachère.
Si le terrain est trop en pente, avant de planter, on divise en étages soutenus par les murs à sec dont il a été question ci-devant.
Les autres travaux de la vigne se font ici, à peu près dans le même tems et de la même manière que dans les autres pays. On arme les vignes avec des échalas de pin ou de saule, et avec des cannes, faute d’autres bois, on lie la vigne avec des branches de genêts, à défaut d’ozier qui est infiniment rare ; le moindre souffle de vent brise ces liens lorsqu’ils sont secs et la vigne tombe.
Quelque chaud que soit le climat, la vigne ne peut pas se passer d’échallas, à cause de la fréquence des brouillards qui, s’ils rencontraient le raisin à terre, l’empécheraient de mûrir, et le feraient pourrir ; aussi estime-t-on beaucoup, et conserve-t-on précieusement les petits bouquets de pins, à coté des vignes dont les branches servent non seulement aux échallas, mais encore aux plantations.
La vigne bien plantée dans un bon terrain et parfaitement soignée est vigoureuse pendant 20 ans. En général, dans ce pays, elle est vieille à 25 ans et doit être renouvelée. Dans les terrains légers et peu profonds elle vieillit beaucoup plus tôt et doit être renouvelée tous les 15 ans ; telles sont les vignes d’Aspremont, terroir qui fournir un excellent vin, mais où les souches sont presque à fleur de terre.
La manière avec laquelle les habitants de cette dernière commune traitent leurs vignes est digne de remarque : comme d’une part la colline destinée aux vignobles est trop perpendiculaire pour y construire des murs de retiens, et que de l’autre, ils ont très peu d’engrais, ils alternent la culture de la vigne avec celle du pin maritime, qu’ils sèment, en secouant le fruit de cet arbre. Le pin reste environ 25 ans sur pied, et préserve la terre des éboulements, tandis que sa feuille tombe chaque année, fait du terreau en pourrissant. La 25ème année, on arrache ces arbres, et on plante la vigne pour les replanter de nouveau au bout de quinze ans. Par là un particulier a le plaisir de planter trois fois sa vigne, dans une vie de 60 ans.
La vigne ne donne une médiocre récolte que cinq ans après avoir été planté de marcotes.
Prix d’une plantation de 100 marcotes :
Les marcotes 3 francs }
Pour les plantes 5 }
Pour fumier 14 } Total 33 francs
Pour les bois, 6 charges 6 }
Pour les armes 5 }
En général, la vigne coûte beaucoup, et ne rend pas en proportion des autres départements. Il est même des communes où elle donne si peu et de si mauvais vin, et qu’on ne la conserve que pour le raisin et pour s’occuper durant l’hiver, temps où les autres travaux s’y trouvent suspendus. Nous réservons pour le chapitre 4 de parler de ses produits et des différentes qualités de raisin cultivé dans le pays.
Je rechercherai dans un autre chapitre si cette culture usitée est un obstacle aux productions abondantes de la vigne et de sa conservation. D’ailleurs on pourra faire des comparaisons au bout de quelques années, au moyen des expériences du citoyen Cougnet imprimeur et libraire, à Nice, qui vient de mettre en pratique dans une de ses propriétés les principes des citoyens Chaptal et Parmentier sur la culture de la vigne, lesquels seront servis de point en point.
J’ai déjà parlé d’ailleurs des praires artificielles. Elles n’existent pas à Nice où l’on a d’autres moyens de faire de l’herbe et où il y a d’ailleurs les prez naturels mais dans plusieurs vallées du département, où les rivières et torrens ont emporté les prez, quelques habitants ont senti le besoin d’y suppléer, en mettant une partie de leurs champs en praires artificielles, où ils sèment uniquement du treffle. Il serait très essentiel que cette pratique devint générale, partout où l’on peut avoir d’arrosage. Il avait été délibéré par la société d’agriculture de s’occuper de cet objet, en semant séparément, du sain-foin, du ray grass, du treffle, de la luzerne, de la pimprinelle etc…, afin de déterminer celles d’entre ces plantes, qui sont le plus convenable au pays, mais les moyens ont manqué jusqu’à présent.
Quant aux prairies naturelles, elles sont en général, en fort mauvais état, parce qu’on ne leur donne d’autre culture que celle de les arroser et de les fumer très légèrement tous les deux ans, ou tous les ans suivant la diligence et les moyens du propriétaire ; lorsqu’on néglige de les fumer, elles rendent que la moitié de la récolte.
Mais comme depuis qu’elles existent on ne les a jamais plus renouvelées, il en résulte qu’elles sont ou dégarnies, ou couvertes en partie de plantes peu productives pour ne pas dire nuisibles. Delà, la nécessité d’une instruction que les maires devraient faire à leurs administrés pour renouveler leurs prairies en donnant les premiers l’exemple.
Les prez sont fauchés trois fois ; après le troisième fauchage, ils sont affermés jusqu’à la moitié de pluviôse aux bergers, qui y conduisent leurs brebis, et qui en payent un très bon prix. Ce n’est qu’après qu’ils se sont retirés que les prez sont fumés. On trouve à cette pratique très ancienne deux défauts capitaux :
1èrement que le fumier y étant porté trop tard n’a pas le tems de pénétrer la terre, avant le commencement de la végétation, que d’ailleurs il s’en évapore alors une grande partie, le soleil de pluviôse étant déjà très fort dans ce pays ; au lieu que si le prez est fumé à l’approche des pluies d’hiver, l’engrais aurait le tems de pénétrer la terre au moyen des pluies et de la fraîcheur des longues nuits d’hiver.
2èmement que le berger conservant toujours la prairie, lors des mauvais temps, il y conduit son troupeau sitôt après les pluies d’où résulte que les brebis, avec leurs pieds fourchus foulent les herbes et les enfoncent dans la boue, qui forme après une croute que ni l’herbe ne peut pénétrer de bas en haut, ni le fumier de haut en bas. On est fondé à croire qu’en adoptant un autre système, le propriétaire serait amplement dédomagé en fourrage, de ce qu’il perdrait en n’affermant plus son prez pour l’usage des bestiaux.
Un prez de la capacité d’un hectare, coûte :
En journée pour l’arroser 20 francs
Pour le fumer 200
Pour faucher, fanner, fagoter le foin,
et le porter chez l’acheteur,
à un quart de lieu de la ville 163
___________
Total 383 francs
La journée du faucheur :
est à Nice, en l’an 1790 2 francs 05 centimes et le vin
en l’an X 3 francs et du vin
en montagne, en l’an 1790 1 franc et nourriture
en l’an X 2 francs et nourriture
Arbres fruitiers
Il me resterait à partir des travaux qu’exige la culture de l’olivier, et de l’oranger qui sont les principaux capitaux de l’habitant des Alpes-Maritimes, mais comme il y a beaucoup de chose à dire sur ces arbres, et quelques autres, je renvois à en parler très au long dans le chapitre que j’ai cru devoir les destiner.
Des engrais, en usage dans le département
Engrais de la campagne à Nice
Les engrais sont l’objet de la sollicitude continuelle de l’habitant des Alpes-Maritimes, parce que la terre ne produit rien sans eux : dans la campagne de Nice, surtout où les bestiaux sont rares, on s’ingénie de toutes les manières pour pouvoir donner du fumier aux fèves, à la vigne, aux oliviers et aux orangers. Une latrine est ici un objet précieux où on en rencontre partout dans les chemins, dans les rues, dans les lieux publics. C’est obliger quelqu’un que d’aller se soulager dans sa maison. En louant un appartement, il y a différence de prix si on laisse au propriétaire le produit annuel des excretions de la famille ; ce produit est estimé à 3, 4, 5 francs par individu. Celui des cloaques d’un bâtiment fort peuplé, tel qu’un hopital ou une caserne ; est très conséquent. La cloaque de la caserne de Nice, contenant 500 hommes, est affermée 1 700 francs.
Les maisons construites depuis 20 ans ont généralement des latrines ; mais celles de l’ancienne ville n’en ont pas, et pour y suppléer, chaque famille a un barril qu’elle tient dans un coin de sa maison, et dans lequel elle jette tous les pots de nuit et toutes les immondices ; le métayer vient le chercher lorsqu’il est plein, et y en substitue un vide ; ainsi, dans toutes les heures du jour, on rencontre des gens de la campagne avec ces barrils sur les épaules, ou sur les bourriques. Cette mesure se vend communément 50 centimes ; si elle est de bonne qualité. Je dis ainsi car ce qui est dégoutant pour tous les autres hommes ne l’est pas pour le paysan de Nice. Il trempe son doigt dans le barril, et le porte à son nez, et même à la bouche. Il connaît par ce moyen si l’on y a beaucoup de lavures de plats et d’autres eaux sales et alors la marchandise a moins de prix. On juge d’après ces détails, que la propreté à Nice est peu d’usage ; et véritablement, on sacrifie tous les agréments à la nécessité d’avoir des engrais.
Tel est le premier et le plus ample moyen qu’on a dans la campagne de Nice pour fumer les terres. Le second moyen consiste dans l’achat du fumier des écuries d’auberges et autres, lequel est très coûteux, eu égard à sa rareté. Cet objet est si précieux que de tout tems la ville a nommé un mesureur juré, chargé d’en surveiller la vente, avec une amende pour le propriétaire qui vendrait son fumier sans avoir appelé le mesureur public. La mesure de cet engrais valait anciennement 4 francs et aujourd’hui 6 francs, y compris le mesurage : elle équivaut à trois charges communes de mules, 280 à 310 kilogrammes (36 à 40 rubs), il en faut pour fumer médiocrement une sétérée, 15 perches, la quantité de 6 charges de mesure, qui a six francs chaque.
Font 36 francs
4 francs par charge pour le transport
à une demie lieue de distance 24 francs
________
Total 60 francs
Cet engrais étant très cher, et cependant nécessaire à cause de la consistance parce que l’action du premier est trop fugace, les cultivateurs y suppléent en entretenant quelques bestiaux auxquels ils font la litière avec de la paille, des herbes fauchées dans les bois et les terres incultes, des broussailles, ou avec des branches de pin hachées en petits morceaux faute d’autres moyens. Les particuliers les moins riches tiennent un cochon et un âne, ceux qui ont quelques moyens de plus substituent un petit mulet à l’âne, ou tiennent l’un et l’autre ; les plus riches y ajoutent une vache ou deux, quelques moutons ou brebis, des lapins et des cochons d’Inde.
Tous ces animaux sont fort mal tenus dans leur étable où depuis pluviose jusqu’au thermidor, on
jette tous les barrils qu’on vient de prendre à la ville, et qu’on n’emploit pas immédiatement ; de sorte que leurs pieds trempent continuellement non seulement dans l’humide de leurs excrémens, mais encore dans celui des barrils, ce qui leur occasionne diverses maladies ; on y remédierait, avec autant de facilité que d’utilité pour le cultivateur, en donnant une inclinaison au sol de l’étable, et en y jetttant de tems à autre de ces terres blanches si communes, lesquelles en absorbant l’humidité et en se mêlant avec le fumier, produiraient un excellent terreau qui en doublerait la quantité, et qui conserveraient les pieds des animaux.
Le fumier que le cultivateur fait depuis qu’il a achevé l’ensemencement des terres jusqu’à ce qu’il recommence est conservé en tas ou dans les étables mêmes, ou dehors de la maison, exposé au soleil et aux pluies, et seulement recouvert d’un peu de paille, ou de quelques broussailles. On a soin de l’arroser de tems en tems avec le liquide des barrils, ce nonobstant, il est certain qu’il s’en consume beaucoup et qu’il perd de ses qualités essentielles, ce qui fait désirer que dans chaque campagne on aye une fosse suffisamment profonde et éloignée de l’habitation, recouverte d’un toit qui servirait à la préparation du fumier.
Les jardins, les orangers, les oliviers, les arbres fruitiers, les chenevières sont fumés avec les excréments humains. Je puis assurer, pour en avoir fait l’observation comparative que ce genre d’engrais hâte singulièrement la végétation, et plus que celui des animaux herbivores, mais en fait de plantes potagères il la hate trop et les fait pousser en longueur aux dépens de la grosseur. La vie de ces plantes est trop courte et leur fructification trop prompte. Elles ont aussi moins de saveur, ou une saveur plus désagréable que dans toute autre contrée. Les fruits ont moins de goût, ceux d’hiver ne se conservent pas, la fermentation putride succède promptement à celle de maturité.
On ne se sert pas ou du moins fort peu de ce genre de fumier dans le reste du département ; j’avais vu à Apricale un beau plan d’oliviers distingués des autres par leur vivacité. Le maire qui m’accompagnait me dit qu’il appartenait à 5 ou 6 particuliers qui réservaient tous leurs excréments pour le fumer. En arrivant à Isola Buona, commune la plus voisine d’apricale , je demandai à plus de 20 personnes qui étaient présentes, pourquoi l’on n’employait pas le même moyen. Tous d’une commune voix me répondirent que cette prospérité ne durerait qu’un instant, qu’elle attirerait des insectes et la vieillesse plus prompte des arbres. C’est là, à peu près, l’opinion de la plupart des cultivateurs de l’intérieur du département. Cependans nous ne pouvons la regarder comme fondée, lorsque nous considérons que cette méthode de fumer est très ancienne dans la campagne de Nice, ou il y a pourtant les plus beaux oliviers en même tems que les plus productifs du département.
Quant aux maladies des oliviers, dont je parlerai à tems et lieu il est à remarquer qu’elles sont infiniment plus multipliées par les communes où cet engrais n’est pas d’usage que dans la campagne de Nice, de sorte que je suis convaincu d’après l’expérience qui, en agriculture comme en médecine, est au dessus de toutes les théories, que ce fumier ainsi animalisé est ce qui convient le plus aux oliviers et aux orangers ou citronniers.
A l’égard de ces derniers arbres dont la culture est très bien entendue à Menton, on emploie communément dans cette dernière commune la raclure des cornes et des chiffons de laine qu’on enterre au pied de l’arbre, ainsi que toute autre production animale, ce qui suffit pour deux à trois ans. Les cornes viennent par mer, du royaume de Naples, et se vendent fort cher, mais cette dépense est bientôt compensée par le grand profit qu’on en retire, et qui est beaucoup moindre lorsqu’on se sert de fumiers végétaux, de sorte qu’il paraît à peu près certain que l’engrais qui a le caractère des substances animales ou qui est le produit d’animaux qui se nourrissent de viande, a un avantage sur tout autre fumier pour faire prospérer les arbres verts, ce qu’il serait facile d’expliquer par les connaissances chimiques actuelles si nous ne nous étions pas fait une loi de ne consigner que des faits dans cet ouvrage.
Il n’en est pas de même des plantes annuelles et peut-être des autres arbres fruitiers ; il paraît que ces végétaux s’accommodent mieux d’un fumier moins actif, analogue à leur nature ; quelques personnes instruites l’on senti et se sont déterminées à préparer un fumier mi végétal et animal, avec lequel elles feront des expériences comparatives dont nous attendons le résultat.
Avant la guerre, les colombiers étaient très multipliés, particulièrement pour la fiente des pigeons, dont on se servait pour le chènevière. On en portait aussi de dehors, sous le nom de colombine avec des crottes de chèvre et de brebis, dont on fesait le lest aux batimens marchands. Cet usage s’est perdu depuis 10 à 12 ans, et aujourd’hui qu’on aurait voulu le rappeller, parce que cet engrais est très précieux on a été forcé d’y renoncer par le haut prix mis à la colombine dont on voulait 11 centimes environ le kilogramme (5 francs le quintal, poids du pays).
Ces engrais joints aux vastières dont j’ai fait mention à la section des pâturages et dont je traiterai encore, au chapitre des oliviers, sont les seuls en usage dans la campagne de Nice. En cette partie comme dans les autres, la routine seule a guidé jusqu’ici l’agriculteur, il ne connaît ni l’art de préparer les terreaux, ni celui de faire la poudrette ; il ne sait suppléer au fumier, ni en brûlant les mottes ni en répandant de la marne, ni en mélangeant les terres ; peut-être, il est vrai, ces derniers moyens ne suffiraient-ils pas aux oliviers et citronniers, qui indépendamment de l’action méchanique de fumier en retirent probablement aussi quelques fluides élastiques qui en forment les principes constitutionnels.
Des engrais de l’intérieur du département
Quoiqu’on ne rejette pas les excrémens humains dans l’intérieur du département, cependant l’on n’y compte pas dessus comme à Nice, parce qu’ils sont dans chaque commune en trop petite quantité, la population de Nice faisant elle seule plus du cinquième de toute celle des autres communes prises ensembles, et les communes de l’intérieur ayant la plupart un territoire double et souvent triple de celui de Nice.
Mais elles ont le fumier de leurs bestiaux, qu’elles conservent avec soin jusqu’à la dernière vieillesse, à cause surtout de l’engrais, n’abattant que les animaux qui sont estropiés ; ce fumier est mélangé avec celui des latrines, et avec des plantes qu’on a soin de faire pourrir.
Dans la partie méridionale du département, qui est sans prairies et sans pâturages d’été, où l’on ne peut par conséquent tenir des vaches, on ne fume les terres qu’avec des crottes de brebis et de chèvres, engrais excellent, mais sec, et ne pouvant à cause de cela favoriser le pourrissage des plantes qui sont elles mêmes aussi très sèches. Là au contraire où l’on peut tenir des vaches, on leur fait litière avec le serpolet et la lavande, (lavenduta spica) plantes très abondantes et qui fournissent un bon fumier ; on les fait aussi pourrir dans des fosses qu’on humecte avec du pissat et toutes les eaux sales.
Dans les vallées nord-ouest du département la nature fait croitre abondamment dans tous les lieux incultes, un arbuste précieux (ici arbrisseau), le buis ; cette plante, qui est un véritable présent pour l’agriculture de ces contrées, fournit un excellent engrais, fort analogue à l’engrais animal ; on en cueille les jeunes tiges dont on fait litière, ou qu’on fait pourrir dans des fosses. Tous les cultivateurs m’ont assuré qu’il était de toutes les plantes, la meilleure pour l’engrais et il est employé dans plus de trente communes.
Le buis, outre l’utilité dont il est par ses jeunes branches et par ses feuilles, outre celle que son bois fournit dans quelques communes aux tourneurs, sert encore par ses racines à soutenir les terres et à protéger les chemins ; cependant on l’arrache de partout indistinctement, pour jouir un instant du terrain qu’il occupe ; combien cette spéculation aveugle ne devrait-elle pas être réprimée par la police municipale ?
Malheureusement, il ne vient pas partout ; le schiste noir décomposé dont j’ai parlé, ne peut pas le produire, et ces vastes ruines ne sont recouvertes que de genet dont l’habitant est forcé de se servir pour litière, mais qui ne fournit qu’un très mauvais engrais.
Dans la partie orientale du département, on n’emploie pour litière que les tiges et feuilles de pin, la paille étant employée à nourrir le gros bétail en hiver, et le buis y étant très rare. Ce genre de litière est très inférieur à celui du buis, parce qu’étant très sec, il pourrit plus difficilement ; encore les habitans se plaignent-ils qu’il leur manque, à cause du défrichement mal entendu des forêts et de la coupe journalière des bois ; toute l’année, le cultivateur travaille à se procurer de l’engrais et souvent encore n’y réussit-il pas.
En général, durant cette longue guerre, la campagne de Nice a été plus heureuse que le reste du département ; elle a profité des engrais considérables qu’y ont laissé les animaux des différents services ; dans l’intérieur du département au contraire, les réquisitions militaires et trois différentes épizooties très meurtrières, ont épuisé le bétail, et les terres laissées plusieurs années sans être fumées, se ressentiront longtemps de ce défaut de culture.
On fume les terres tous les deux ans, on emploit 25 charges de mulets par sétérée, 15 perches ; à un franc la charge ce qui fait total 25 francs.
Dans les communes où il y a beaucoup de bestiaux, comme à Briga et à Tende, on les fait parquer sur les champs, l’année de repos.
Temps des labours, des semailles, de la floraison, de la maturité et des récoltes
Dans la campagne de Nice, sur toute la cote maritime, et dans la vallée de la Nervia, ces choses se passent ainsi qu’il suit.
Campagne de Nice et lieux analogues
Pour les bleds et légumes : on laboure en thermidor, et on commence à semer soit le froment, soit les grosses fèves dans les premiers jours de vendémiaire s’il a plu, et s’il n’a pas plu, on est forcé d’attendre les pluies. L’orge, le seigle, les petites fèves, (faverotes) pois pointus, gros millet, etc.. ne sont semés qu’après, et ces travaux durent pour tout germinal et même floréal si la saison a été retardée. On fauche les prez dans tout le mois de prairial.
Les moissons se font en prairial et dans les premiers jours de messidor ; ainsi les bleds reste neuf mois en terre, avant d’être coupés.
Les grosses fèves fleurissent en pluviose et même plus tôt ; on en cueille de fraiches en germinal et floréal, et on en fait la récolte sèches, en prairial. Pour les faveroles, on les récolte en messidor et thermidor, avec les autres légumes.
La vigne fleurit en germinal, la vendange se fait sur la fin de fructidor, dans les collines, et au commencement de vendemiaire dans les plaines.
Les poiriers et pommiers fleurissent en germinal et l’on fait la récolte des fruits d’été en messidor et au commencement de thermidor, des fruits d’hiver en vendemiaire et brumaire.
Les figuiers fleurissent en germinal et floréal, les premières figues qu’on appelle figues-fleur, mûrissent en prairial et messidor, et les autres en fructidor et vendemiaire.
Les oliviers fleurissent en floréal, et on fait la récolte des olives en brumaire, primaire, nivose, pluviose, ventose, germinal, floréal et même prairial suivant les lieux plus ou moins exposés au midi. Il est à remarquer que lorsque l’olive a été piquée par l’insecte qui la fréquente ainsi que les autres fruits, elle mûrit beaucoup plus tôt, et l’on est alors obligé d’en borner la récolte à moins de trois mois si on veut en tirer quelque parti.
Les orangers fleurissent en germinal, et sont en plaine floraison en floréal, tems propre pour distiller la fleur d’orange.
Les citronniers sont en fleur toute l’année, et quant à la récolte de leurs fruits, ainsi que des oranges nous renvoyons au chapitre suivant.
Le caroubier fleurit en thermidor et fructidor ; les fruits mûrissent en même tems, et on en fait la récolte en vendemiaire.
Tous ces arbres fleurissent quinze jours plutôt à Menton.
Intérieur du département
Dans l’intérieur du département, l’époque des semailles et de la récolte varie suivant qu’on s’approche plus ou moins du nord, et que le terrain est plus ou moins élevé ; déjà à la distance de 5 heures de Nice, les semailles se font à la fin de fructidor, si la terre a été humectée, et on ne moissonne qu’à la fin de messidor ; et au commencement de thermidor. Le blé reste donc en terre, un mois de plus.
A Lucéram, les vignes, les poiriers et les pommiers ne fleurissent qu’en prairial ; le 30 vendemiaire, j’y ai trouvé les raisins encore vert ; la vendange s’y fait dans le milieu de brumaire. Les oliviers y fleurissent très tard, ainsi qu’à Berra, Coaraza et lieux circonvoisins ; y étant retourné, avec le préfet, sur la fin de Thermidor, nous les avons encore trouvés en fleur, tandis que le fruit de ceux de la campagne de Nice était déjà tout gros ; aussi, n’y fait-on la récolte des olives, que depuis le mois de nivose jusqu’au méssidor.
Cette époque est, à peu de chose près la même pour la vallée du Var, les communes sises entre le Var et l’Estéron, et la vallée de la Bévera.
Sur les montagnes de la chaine du col de Pal, comme à Bueil, on commence les semailles par celles du seigle, vers le quinze thermidor, et elles sont ordinairement achevées vers le vingt fructidor : on sème l’orge, les pois blancs et les lentilles (très usitées en ce pays et appellées marsènes) en germinal. On commence de même la récolte par celle du seigle, au dix ou au quinze thermidor, et on finit par celle de l’orge et des légumes, vers le commencement de vendemiaire. Ainsi sur ces montagnes, le froment et le seigle restent un an complet en terre.
On commence à couper le foin, vers le milieu de messidor.
Cet entassement des travaux de l’agriculture, occasionné par les fréquens orages et par la grande quantité de neige qui tombe chaque année sur ces montagnes, est très pénible pour le cultivateur en même tems que nuisible à la culture parce que la population étant petite, elle ne peut suffire à bien faire tous les travaux qui se présentent à la fois, dans un territoire extrêmement étendu pour elle.
Les récoltes sont plus retardées à mesure qu’on s’approche de la région des frimats, des hautes Alpes. Avec cette différence toujours que la plaine des vallées concentrant dans son sein les rayons de soleil, est toujours plus précoce de deux mois que la montagne. A Saint Ethienne, Saint Dalmas le sauvage et Entraunes, on sème le seigle, en montagne, dans le mois de thermidor, sur la fin de fructidor et au commencement de vendemiaire dans la plaine.
On moissonne, dans les montagnes, en fructidor de l’année d’ensuite, et souvent même, 14 mois après les semailles, en vendemiaire et brumaire.
Dans la plaine, on moissonne en messidor de l’année d’ensuite, pour le froment, le seigle ; quant à l’orge, on le sème dans les plaines en germinal, on le récolte en vendemiaire de la même année de culture.
En montagne, on sème l’orge en floréal, on le moissonne au commencement de brumaire.
Mais ces moissons de brumaire n’ont pas toujours lieu ; lorsque la neige arrive de bonne heure, on est contraint de les abandonner, et c’est ce que j’ai vu en brumaire, an 10, qui m’a trouvé sur ces montagnes.
Deux heures plus bas qu’Entraunes, à Saint-Martin déjà, le grain reste en montagne 2 mois de moins. Dans la vallée de Guillaumes, elle y reste 11 mois, les semailles se fesant en fructidor, et la récolte en thermidor. Dans les terres basses au contraire, les travaux agricoles se font presque aux mêmes époques qu’à Nice, sauf la vendange qui a lieu un mois plus tard, parce que la vigne ne fleurit que sur la fin de floréal. Ainsi la grande chaleur que le fond des vallées fait éprouver en été, compense en peu de tems le froid excessif qui, en hiver, y retarde la végétation.
L’on voit par là que nous avons dans le même département la plus grande précocité et le plus grand retard, ce qui marche moins du sud au nord, que de l’est à l’ouest.
Des laines, recherches sur les différentes qualités de laines du département
Recherches sur les différentes qualités de laines du département et sur l’usage que l’on en fait.
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Des laines. Recherches sur les différentes qualités de laines du département
Parcages
Ayant vu que les races de moutons devenaient de plus en plus belles, tant pour la taille que pour la laine, à mesure que je m’avançais du sud-est au nord-ouest j’ai taché de rechercher ce qui pourrait y influer, soit par la nourriture et l’exposition des paturages, soit par la manière de les tenir, et par le croisement des races. D’abord il m’a paru évident que la laine était beaucoup plus belle là ou l’on fait parquer les brebis et moutons. Elle est plus belle à Robion, à Saint-Ethienne, à Saint-Dalmas où l’on a soin de les faire coucher durant tout l’été sur des prés secs, ce qui enlève à leur toison toute l’ordure dont elle avait pu s’imprégner durant l’hiver ; elle est inférieure à Entraunes, où l’usage du parcage n’est pas établi. A Péone, où le bétail parque durant un mois et demi, la laine paraît gagner en qualité, du reste, il faut bien que cette opération soit regardée comme influant sur les laines, puisque des particuliers de la vallée d’Entraunes commencent à s’en aviser. Déjà cinq à six familles des Martin, dans cette vallée parmi lesquelles le citoyen Payani, maire, ont adopté cette méthode, et m’ont assuré en avoir retiré de grands avantages, soit pour l’embonpoint de la béte, soit pour sa toison.
Croisement des races
Quant à la méthode de croiser les races, on m’a observé à Saint-Martin de Lantosca qu’ayant voulu laissaier sur les brebis avec des béliers d’Arles, il n’en était résulté que des mauvais moutons, à mauvaise laine et à mauvaise viande mais j’observerai de mon coté que ce peuple est un des moins éclairés et des moins industrieux et que d’ailleurs, ainsi que les peuplades qui l’avoisinent, il s’adonne davantage, à cause de ses gros paturages, à la culture du gros bétail qu’à celle du petit. On m’a au contraire fait remarquer dans tous les endroits, où j’ai dit qu’il y a de plus belle laine, qu’il est utile de changer de tems en tems les béliers, et que la toison est beaucoup plus belle, en raison que l’on croise plus fréquemment les races ; on prend ordinairement des béliers du pays, et quelques fois de Provence, mais on a observé quant à ces derniers que leur race se détériore au bout de deux ou trois ans, ce qui fait que l’on préfère les béliers du pays, et particulièrement ceux de Saint-Ethienne et Saint-Dalmas. Dans cette dernière commune où j’ai dit que la laine est la plus fine, on n’a jamais employé de béliers étrangers ; les siens au contraire sont très recherchés, et l’on en fournit aux lieux circonvoisins, à 30 francs la pièce, tandis que ceux des autres communes ne se paye guère au delà de 15 à 18 francs. Le terme moyen au bout duquel il faut changer de béliers est de trois ans, sinon la laine perd de sa qualité. A Saint-Dalmas même on conserve ordinairement deux béliers par trenteniers.
Qualité des paturages, comme influant sur la laine
Nous avons déjà vu quelle qualité de nourriture donne aux bestiaux dans les communes où il y a de plus belles laines, jetons à présent un coup d’œil sur la nature et le site de leurs paturages. J’ai observé premièrement que les paturages de Saint-Dalmas ont une herbe très courte, où l’on trouve beaucoup de genepi, de cartine et de veronique, et qu’ils ne sont jamais arrosés que lorsqu’il pleut. Or, ces paturages sont propres pour les brebis, que celles que l’on y amène du dehors, loin de dégénérer, y acquierrent chaque année une plus belle laine. Deuxièmement plusieurs anciens versés en cette partie sont tous convenus à Entraunes que leurs paturages, de l’est et du sud, sont les plus favorables aux belles laines et que toutes les fois qu’on a recours aux paturages de l’ouest et du nord, la laine se détériore. Cette observation est généralement vraie dans toutes ces montagnes, car la laine est inférieure dans les communes plus éloignées des véritables Alpes dont les grands paturages sont au revers du midi de l’est, et elles sont aussi inférieures au revers des Alpes et du coté du Piémont (où on les vient chercher à Saint-Ethienne) tandis qu’elles se soutiennent le long de la première chaine d’Alpes secondaires, dirigée du nord-ouest au sud-est, dans les territoires des communes placées sur ses flancs ou à sa base, depuis le col de Pal jusqu'à Ilonse, lesquels sont exposés à l’est et au sud, et sont susceptibles de produire plus de froment que des territoires plus rapprochés de la mer, mais ombragés du coté du sud et de l’est.
Il paraît donc évident que la qualité et la position des paturages influent singulièrement sur la beauté des laines ; et comme l’expérience nous prouve que la laine des moutons qui paissent sur les coteaux maritimes les plus méridionaux, comme celle de ceux qui vivent dans les contrées peu favorisées de l’aspect du levant et du midi et par conséquent froides, sont inférieures en finesse et en longueur, nous sommes fondés à croire qu’il n’est qu’un certain degré de chaleur, de 10 à 15 degrés, au-delà et au deçà duquel, soit les paturages soit la nature même de l’animal ne sont pas propres à fournir une belle laine.
Examen des avantages de faire parquer et de croiser les races pour avoir une belle laine
Je suis même porté à présent à ne regarder que comme des avantages accessoires les méthodes de faire parquer le bétail et de croiser les races, du moins dans ce département ; je vois, quant au premier article, que le bétail de Briga parque été et hiver, et se nourrit par conséquent toujours de foin, et cependant sa laine est courte et rude comme du poil de chèvre ; le bétail de Saint-Dalmas ne parque au contraire que les six mois de belle saison, et telle autre laine de bétail qui ne parque jamais, comme celui d’Entraunes, est bien supérieure, sans comparaison à celle de Briga. Pour le second article, l’on m’a observé à Briga, en réponse aux demandes que je fesais, à ce sujet, qu’on avait souvent expérimenté de croiser les races, sans en avoir pu obtenir une plus belle laine ; et certes on peut croire que cela aura été tenté dans un pays où toutes les spéculations ne roulent que sur les améliorations des produits du bétail, et où la laine a un prix de deux tiers inférieur à celui de Saint-Dalmas et autres communes ; puis, si nous considérons que dans plusieurs communes et à Beuil principalement, une grande partie des troupeaux sont l’hiver en Provence, pour revenir au pays en été, nous croirons facilement qu’il doit se faire un mélange et avec les troupeaux d’Arles et de Savoie, dont la laine est supérieure, et cependant nous voyons que celle de Beuil est beaucoup moins inférieure à celle des autres communes dont le territoire remonte vers les Alpes.
D’une autre part, l’utilité de ces méthodes a été démontrée dans les communes ou la laine est naturellement belle, nous dirons donc qu’on doit les mettre en pratique pour le perfectionnement des races et des laines, mais qu’elles ne suffisent pas seules, et qu’il faut pour première condition que le bétail reste été et hiver dans le climat qui convient le plus aux belles laines, et qu’il y soit nourri de foin de bonne qualité, sans quoi peut-être ces expériences ne réussiraient pas.
De la toison, des diverses qualités de laines du département, de leur quantité et de leur prix
La brebis ou mouton qu’on ne tond qu’une fois l’année, donne (trois livres) 9 hectogrammes 3 décagrammes 4 grammes deux tiers de laines ; l’agneau en donne deux (6 hectogrammes 2 décagrammes 3 grammes, un quart. Cette tonte se fait ordinairement en floréal et prairial, et elle n’a lieu qu’une fois dans les trois quarts du département, et surtout dans les communes ou la laine est suffisamment belle. Dans les communes au contraire dont les troupeaux ont une laine très grossière, comme à Briga, Levens on les tond deux fois, savoir en floréal, et sur la fin de vendémiaire, et l’on gagne ainsi sur la quantité ce qu’on perd pour la qualité. La laine des agneaux, appellés agni, est plus courte mais plus fine, et celle des brebis et moutons est plus ou moins longue suivant la nature des paturages. Ce n’est pas d’ailleurs absolument d’après la longueur qu’on estime dans ce département la beauté de la laine, mais d’après sa finesse, sa souplesse, et sa blancheur, égale dans toute l’étendue du poil ; car il est des laines dans la partie méridionale du département, qui l’emportent en longueur sur les plus fines, sans en être plus estimées. Je me suis attaché à mesurer la longueur et la force du poil des principales laines du département, dont j’ai ramassé à chaque endroit des échantillons, ainsi que des draps qu’on a fabriqué. En voici l’énumération comparative, en commençant par les plus belles :
- Laine de Saint-Dalmas le Sauvage, 1528 dix millimètres (6 pouces) de long, très crépue, fine, peu cassante ;
- Laine de Saint-Ethienne, 1746 dix millimètres (7 pouces) de long, fine, crépue, cassante,
- Laine d’Entraunes, 1746 dix millimètres (7 pouces) de long, crépue, cassante, moins fine,
- Laine de Saint-Martin d’Entraunes 1310 dix millimètres (5 pouces) de long, moins crépue, moins fine, cassante,
- Laine de Villeneuve d’Entraunes, 1746 dix millimètres, (7 pouces) de long, moins fine, peu crépue, forte,
- Laine de Guillaumes, 1090 dix millimètres (4 pouces) de long, crépue, fine et cassante,
- Laine de Péaune, idem,
- Laine de Beuil, 1528 dix millimètres, (6 pouces) de long, moins fine, crépue et cassante,
- Laine de Robion et de Bora, 1528 dix millimètres (6 pouces) de long, crépue et fine, comme celle d’Entraunes,
- Laine d’Ilonse, 1528 dix millimètres (6 pouces) de long, moins crépue que les ci-dessus, plus fine, plus cassante,
- Laine de San Salvador, 1528 dix millimètres (6 pouces) de long, moins crépue, rude, cassante,
- Laine d’Isola, 1746 dix millimètres (7 pouces) de long, peu crépue, forte.
Toutes les laines sont égales depuis la racine jusqu’à la sommité.
- Laine de Briga, du printems, 1746 dix millimètres (7 pouces) de long, rude, non crépue, non élastique, forte, blanche depuis la racine jusqu’à 1090 dix millimètres (4 pouces) de longueur, depuis là rousse, se terminant plutôt en cheveux ou en poil de chèvre qu’en laine ;
- Laine de Briga, d’automne, 1090 dix millimètres (4 pouces) de long, rude, très forte, blanche et égale partout.
Les laines de toutes les parties méridionales du département sont analogues à celles-ci, de sorte qu’il paraît évident que soit l’ardeur du soleil, soit l’air maritime auxquels les bestiaux ont été exposés depuis brumaire jusqu’en floréal sont contraires soit à la blancheur, soit à la souplesse de la laine, puisqu’il n’y a que la partie la plus proche de la racine qui soit blanche, et que ce qui est le plus exposé à l’air est roux et en même temps rude. La laine, au contraire, qui croit en été sur les paturages des grandes Alpes, est toute blanche.
Après la toison, les femmes sont occupées à laver la laine ; dans quelques endroits on fait chauffer l’eau mais l’on m’a assuré que l’on s’en trouve mieux de la laver à l’eau courante. Dans cette opération la laine perd ordinairement la moitié de son poil et l’on estime que celles qui perdent le plus sont les meilleures, parce que dit-on, elles sont mieux nourries. Effectivement, j’ai vu que plusieurs de ces belles laines non lavées, sont enduites abondamment d’une substance huileuse, jaune, odorante, qui sert souvent dans ces montagnes de cataplasme émollient sur les douleurs et les tumeurs inflammatoires.
Cette perte par le lavage, en ajoutant la laine des agneaux à celle des brebis et moutons, et en augmentant un tiers de kilogramme (une livre) de laine par tête, pour le bétail qui est tondue deux fois l’année et qui est le plus nombreux, on peut estimer par approximation à un total de 100 702 kilogrammes (323 150 livres) toute la laine fournie par les troupeaux actuels du département, lequel total doit être divisé en 2 parties ci-après, l’une de laines grossières, et l’autre de laines fines, ce que j’ai fait soit d’après la déclaration que j’ai obtenue, soit d’après des bestiaux dans chaque commune, lorsque j’ai vu les déclarations, trop au-dessous de la vérité, à savoir :
- Laines grossières 57 704 kilogrammes (185 170 livres)
- Laines fines 42 998 kilogrammes (137 980 livres)
Les premières vendues ordinairement en Piémont avant la guerre au prix de 4 francs le rubs et aujourd’hui vendues à Nice à un tiers en sus, ce qui donne une somme de 48 144 francs.
Les secondes ayant eu pareillement la même destination à 8 francs le rub (et l’ayant encore en partie malgré les douanes).
Cependant commençant à prendre une direction soutenue vers la ci-devant Provence, à Barcelonnette, etc. à 10 francs le rub donnent un total de 55 192 francs, ce qui donnerait en laines, la somme totale de 103 336 francs. Mais il faut prélever de ces laines celles qui sont employées pour les draps grossiers servant à l’habillement des bergers et des habitants de campagnes (ce qui revient pourtant au même, puisqu’il faudrait les acheter) ; il faut prélever aussi des laines fines employées à faire des draps un peu plus fins, vendus en Piémont et dans les communes voisines du département des Basses Alpes, ce qui augmente le bénéfice, comme nous le verrons aux chapitres suivant ; on peut estimer en conséquence qu’il n’y a seulement qu’un tiers de cette quantité de 100 702 kilogrammes de laine, de vendue brut, dans l’état actuel. Ce qui fournit la somme de 34 445 francs 33 centimes, que nous additionnerons par la suite, avec la somme fournie par les deux autres tiers de laines ouvrées.
Des draps fabriqués dans le pays
Cette matière eut du entrer dans la section qui traite de l’industrie, mais j’ai été entraîné par l’ordre naturel, à rassembler dans cette section tout ce qui tient aux paturages, aux brebis et aux laines du pays.
Dans toute la lisière du département qui touche aux grandes Alpes, où le froid oblige à se vêtir de laines depuis Briga jusqu’à Entraunes et depuis là jusqu’à l’Estéron, à l’ouest du département, le long du Var, les habitants se fabriquent eux-mêmes de la toison de leurs brebis les étoffes grossières dont ils sont vêtus. Mais la finesse plus grande des laines, la nécessité et le voisinage de France et du Piémont, dans cet angle du département, qui donne naissance à la Tinée et au Var, y ont développé une industrie, qu’on ne rencontre plus ailleurs ; c’est-à-dire que non seulement l’habitant fait du drap pour son nécessaire, mais qu’il en fait encore pour vendre. Si on parcourt cet angle, en commençant par la vallée de la Tinée ; on commence à rencontrer à l’Isola, 7 à 8 de ces fabricants, avec un teinturier ; à la gauche, sur les flancs d’une montagne qui paraît inaccessible, on a Robion qui en fabrique aussi, et qui se partage avec Isola les laines de Saint-Salvadora, Riemplas, etc. ; en continuant de remonter la Tinée, on trouve Saint-Ethienne, où les fabricants de draps sont plus multipliés, où l’on fait aussi des couvertures, et où deux jeunes gens viennent d’entreprendre une fabrique de chapeaux de laines du pays, et de poils de lapin, dont le succès est fort douteux. En suivant toujours la Tinée, pour remonter à sa source, on trouve enfin Saint-Dalmas le Sauvage, puis son hameau de prés au pied de la montagne qui sépare d’avec Barcelonnette, et l’on regrette bien que dans le pays des plus belles laines il n’y ait pas même une fileuse pour commencer à les mettre en œuvre. Mais il faut passer la montagne de Gialorgues, c’est-à-dire, aller de l’est à l’ouest, pour voir cette industrie plus active. Après 8 heures de marche sur des paturages excellens, on arrive à Entraunes. Là on rencontre des mœurs françaises : 60 chefs de familles sont occupés toute l’année à mettre en œuvre la laine du pays, dont il ne sort rien en nature, employant aussi la laine des pays circonvoisins qui ne la travaillent pas. Les quatre communes qu’on trouve dans cette vallée sont dans la même position et ont la même activité. La vallée finit à Sauzes et à Guillaume, l’un à gauche et l’autre à droite. Ici commencent les vignes et avec elles l’oisiveté. A Sauses, petite commune bâtie sur un rocher d’une heure d’élévation, on y trouve encore cette industrie. A Guillaumes, ville, à peine fait-on des draps pour l’usage du commun des habitants : on descend le Var, on quitte les vignes, pour remonter à gauche le vallon de la Tuebi et, en rentrant dans les montagnes, on trouve au bout de deux heures Péaune qui sait également tirer parti de ses laines, et qui en ouvre pour les communes voisines. On monte de là dans les riches paturages de Beuil, où l’on fait aussi quelques étoffes grossières pour les habitants et pour les bergers de Provence ; depuis là, on ne rencontre plus aucune industrie de ce genre.
Les laines blanches, qui sont les plus estimées, sont seules destinées à la fabrique des draps mis en vente ; les noires forment avec les blanches, les draps mélangés dont se revétissent les paysans ; on en fait aussi des cordes et des ficelles qui sont très fortes et qui épargnent le chanvre qu’on fait venir en grande partie de l’étranger. Les femmes sont occupées durant toute la saison de l’hiver à filer la laine ; dans la vallée de la Tinée, on la file à la quenouille ; seulement un petit nombre de familles ont commencé depuis trois à quatre ans à la filer au rouet et lorsqu’on demande pourquoi cet usage n’est pas plus général, on répond que le fil filé au rouet, pour être plus fin, est moins fort que celui filé à la quenouille. C’est ce qui fait que les draps de cette vallée sont plus épais et plus grossiers.
A Saint-Ethienne, on fabrique annuellement environ 300 couvertes, de ce fil filé à la quenouille, d’un mètre et demi de large, sur deux mètres et demi de long, qui se vendent, l’une dans l’autre, 30 francs pièce.
Dans la vallée d’Entraunes, toute la laine est filée au rouet, aussi les draps y sont-ils plus fins et moins épais.
Ces draps portent dans le pays le nom de draps de douzaine, et étaient connus en Piémont sous celui de rodetti gamelini, qu’ils conservent encore ; ce sont proprement des droguets. Dans la vallée de la Tinée, à Sauze, à Péone, et à Beuil, ce sont des cadis. Les uns et les autres sont faits sur des métiers fort simples qu’on n’a jamais perfectionnés, et qui consomment beaucoup de laine sans avantage pour l’étoffe ; la règle est de donner 480 fils en tissu ; on compte 13 kilogs et demi (2 rubs de laine brute) pour chaque pièce d’étoffes, laquelle tire communément 24 mètres, et doit peser suivant les anciennes ordonnances 11 kilogrammes environ (35 livres). On fait aussi par commission, dans la vallée d’Entraunes et à Péaune, une étoffe plus fine appellée serge qu’on travaille toute en long, comme la toile, et qui est assez forte et passablement belle lorsqu’elle est croisée. Cette étoffe a moins de laine que le drap commun, cependant elle se vend un peu plus cher, parce qu’elle coute plus de tems. Elle est la matière de l’habit de fêtes des femmes, et des hommes qui sont un peu aisés.
Les laines de ces cantons donnant pour la plupart beaucoup de long, et perdant fort peu en les cardant, donnent lieu à employer les laines courtes, pour le travers. On emploie à cet effet celles de Guillaumes, Péaune, Sauze, Daluis etc.
L’usage du chardon à Bonetier y est inconnu ; on carde sur des peignes de fer un peu plus serrés que pour le chanvre.
Du reste on ne connaît pas les apprets. On se contente de faire passer l’étoffe au foulon. La terre qui sert à cet usage est prise dans le département des Basses Alpes, proche d’Entrevaux, d’où on l’exporte dans les vallées de la Tinée et du Var ; j’en ai trouvé au-dessus du Pujet, qu’on pourrait peut être faire servir à cet usage.
Teinture
Les draps sont teints en pièce sur le lieu même, où on les travaille, sauf dans quelques communes où l'on va les faire teindre au Pujet. Le rouge, le vert, et le fauve sont les couleurs favorites ; la garence, le sumac, l’épine vinette, le broux de noix, l’écorce d’aulne sont les drogues de teinture les plus employées, et qu’on fait venir de Marseille, sauf le sumac qu’on extrait de Rigaut, petit village à 4 heures du Puget, derrière la montagne de Dines ; il est évident que ces drogues et autres pourraient être recueillies dans le pays, puisqu’elles en sont indigènes.
Le fabricant met trois journées à faire une pièce aidé d’un ou de deux ouvriers ; la journée de ces ouvriers était avant la guerre, de 25 centimes et nourri ; elle est aujourd’hui de 40 centimes et nourri.
Prix
Le prix de ces pièces était, avant la guerre, de 30 francs chaque, l’une comportant l’autre, (car il en est qui sont plus longues et plus larges que celles dont j’ai parlé qui sont les seules que j’aie vue, puisque comme je l’ai dit les serges se payent davantage) ; elles sont aujourd’hui à 40 francs.
Quantité
Avant la guerre, on fesait environ 2 773 pièces entre douze communes ; en prélevant le quart pour l’usage des habitans, il résulte qu’on en vendait 2 080 pièces, qui à 30 francs chaque, donnaient un produit de 62 400 francs sur lequel la commune d’Entraunes seule, avait 16 200 francs.
On n’en fait aujourd’hui qu’environ 2 080 pièces, desquelles en prélevant le quart pour le même objet, restent en vente 1560, qui à 40 francs pièce, donnent un produit de 62 400 francs ce qui établit la même balance qu’en 1790.
Exportation
Ces étoffes sont exportées aujourd’hui dans les Basses Alpes et contrées circonvoisines. Colmar et Barcelonette en consomment beaucoup. On en extrait, en échange du vin, de l’huile, des cuirs, et des grains pour le surplus de ce qu’on ne récolte pas. On porte aussi des draps à Saint-Ethienne pour les montagnes du Piémont, et la vallée de la Tinée, et l’on en importe du chanvre, du ris et autres denrées du Piémont. Mais l’on m’a avoué dans la vallée d’Entraunes, que le commerce d’exportation est de beaucoup plus fort que celui d’importation. On en porte aussi beaucoup aux foires du département, surtout à celle de Saint-André, qui se tient au Pujet. Avant la guerre, elles étaient exportées au Piémont.
Profit de la laine ouvrée
En estimant le prix des laines brutes employées à cette quantité d’étoffes, on trouve qu’il monte à 41 600 francs. Il y aurait donc 41 600 francs de profit à l’ouvrer. Quelque modique que paraisse cette somme, elle doit engager à vivifier cette industrie, d’autant plus qu’il est évident que ceux qui s’y adonnent avec quelques soins jouissent de plus d’aisance que ceux qui n’en ont aucune.
Ce qui fait que ce profit n’est pas assez considérable, c’est qu’à Entraunes même l’étoffe est trop surchagée de matière. J’ai vu des serges fabriquées par le maire de Peaune, contenant un tiers de moins de laine, infiniment plus fine et plus forte que les droguets d’Entraunes qui en ont toute la quantité usitée. C’est bien pire dans les autres communes, comme à Breil où l’on croit que l’étoffe ne fait d’usage et ne garantit du froid qu’en raison de sa pesanteur, d’où s’ensuit qu’on la surcharge de laine et qu’on en fait un tissu épais et serré qui se coupe comme du cuir. Or, dans cet état de chose, on conçoit que le prix de la matière absorbe le bénéfice de la main d’œuvre, ce qui fait qu’on préfère souvent de vendre sa laine brutte plutôt que de la travailler. L’on en a une preuve dans la quantité des pièces d’étoffes fabriquées avant la guerre et actuellement. Nous avons trouvé que la quantité de laines fines du département mises en œuvre eussent pu fournir en l’an X 3 227 pièces et demies en la mélangeant avec une partie de laine grossière. Au lieu de cette quantité nous n’avons que 2 080 pièces, reste donc la laine qui eut fabriquée 1 147 pièces de vendue brutte, au préjudice de l’industrie.
Les pâturages des Alpes-Maritimes et leurs produits
Le dur métier de berger. Des bêtes de somme et gros bétail et de leur qualité.
NOTE : Nous offrons aux internautes la possibilité de découvrir ce texte inédit transcrit dans sa forme originelle et avec l'orthographe de l'époque. |
Des pâturages du département des Alpes-Maritimes et de leur produit
Dans une contrée toute montueuse, l’on ne doit pas s’attendre à trouver un grand nombre de prairies artificielles, ni même beaucoup de prés naturels ; si l’on en excepte les bassins de Nice, de Menton, de Sospello, de Pujet Théniers, de Thouet, de Villars, de Massouins, Saint-Ethienne, la vallée d’Entraunes et quelques autres qui sont d’une petite étendue, le fourrage transporté dans les granges se réduit à celui qu’on coupe dans les bois et sur les sommets des montagnes, là ou se recontre quelque fraicheur ; on a fort peu songé à tirer un plus grand parti des prairies qu’on peut avoir, et il faut convenir que les riviéres et les torrens qui dévorent chaque année le peu de plaine qui reste à chaque vallée sont bien propres à détourner les habitans de ce genre de culture.
Mais, en échange, le pays ne manque pas de paturages qui font la principale richesse des communes qui avoisinent les véritables Alpes. Cependant, ces paturages, diffèrent de ceux qu’on parcourt avec tant de plaisir sur les Alpes de la Suisse et de la Savoie. Le soufle brulant du midi qui fait que les espéces d’animaux sont plus petites et plus séches dans ces contrées, opère le même effet sur les végétaux ; ils sont plus petits, sur ces montagnes maritimes, plus grêles, moins serrés, et sont en général peu propres à rendre le lait butireux, ce qui fait que dans ce département ou se contente de faire des fromages qui sont d’un très bon gout et qui seraient peut être meilleurs encore si l’on y prenait plus de soin.
On ne rencontre pas non plus, en parcourant ces Alpes-Maritimes, ni cette bonhomie des bergers de la Savoie, ni cette propreté, je dirai même cette élégance dans certains chalets. Ici, le berger et les troupeaux restent nuit et jour en plein air ; il y a seulement, à des espaces très éloignés, un misérable toit d’écorces d’arbres, à la hauteur d’un mètre de terre, servant à resserrer le lait et à s’abritter lorsqu’il fait de très mauvais tems, et qu’on détruit lorsque la campagne est finie. Ces bergers vivent ainsi isolés, au contraire des montagnes de la Suisse et de la Savoie, où on trouve plusieurs chalets réunis en forme de hameau. Ici tout est sauvage, comme les tristes rochers dont les antres servent souvent d’unique asile ; il faut pourtant en excepter les bergers qui mênent paitre leurs troupeaux sur les Alpes de la lisière de France, comme sur les montagnes d’Entraunes, de Saint-Dalmas le Sauvage et de Saint-Ethienne ; là on voit quelques chalets à demeure en maçonnerie et assez propres et commodes ; les bergers ont aussi un air plus agréable, et vivent davantage en société.
Les paturages sont divisés en paturages d’hiver et en paturages d’été ; ces derniers sont établis sur les véritables Alpes, et à leur pied, depuis les Appennins, sur les confins de la Ligurie, en suivant la concavité d’une espèce de demi cercle, jusqu’au terroir de Barcelonette, département des Basses Alpes, sur toute la lisière du Piémont. De ces paturages, il en est où le bétail ne peut demeurer que deux à trois mois de l’année, telles sont les montagnes comprises dans les Alpes primitives, comme Morté, Cimetta, Carbone, etc., (terroir de la Briga), Col Bertrand, Col Létas, Col de Tende, Col de Sablon, etc., (terroir de Tende), Col Salaise, Col Frema Morta, Col Fenestre, Col Molières, Col Sainte-Anne, Col Douan, la Postigliole, Sauteron, Malmorta, Col de Fer, Col de la Magdelaine, Salsa Morena etc. en suivant la chaine des Grandes Alpes, du sud-est au nord-est, depuis Tende jusqu’à Saint-Dalmas-le-Sauvage, frontière à la fois des bassins des Alpes et du Piémont.
Il en est d’autres, sis sur les chaines si multipliées des Alpes secondaires, où le bétail peut paitre depuis prairial jusqu’à la fin de vendemiaire, et même pendant tout le mois de brumaire, suivant les années. Telles sont, en partant toujours du sud au nord, les montagnes de la Tanarde, Marta, Gions, Gordolasca, Col de Pal, etc. et principalement les belles et riches montagnes de Guillaume, Péone, Beuil, Ilonse, Thierri, Vilars, Massoin. Le voyageur parcourant les vallées étroites formées par les diverses riviéres, et dans lesquelles se trouvent placés les différents chefs-lieux de communes, ne voit à droite et à gauche que des rochers décharnés qui s’élèvent d’une manière menaçante. On ne s’attendrait pas à trouver au-dessus de ces squelettes la nature plus belle et plus animée qu’elle ne l’est à leur base.
Il faut observer que tous ces paturages, même des Alpes secondaires, ou sont tournés au nord et au nord-ouest, ou protégés contre les vents du Midi par des montagnes plus élevées, de sorte qu’ils ont toujours une fraicheur agréable ; mais en les traversant, à mesure que vous venez à découvrir les plaines maritimes, vous rencontrez de nouveau la sécheresse, l’herbe courte, maigre et rare, le rocher décharné.
Ce sont là les paturages d’hiver ; la végétation attend la fraicheur et l’humide de cette saison pour s’y montrer, et la nature y est belle à son tour, tandis qu’elle est ensevelie sous les neiges, à une très petite distance, au revers Nord de la montagne ; un été vous n’y rencontrez que la lavande, le serpolet, le thim, le romarin, le buis, le genet, etc. dédaignées par la brébis, et quelques scabieuses très maigres ; en hiver, elles sont fournies de toutes les plantes chicoracées recherchées par le bétail.
Ces paturages d’hiver sont d’une très grande étendue, puisqu’ils occupent toutes les Alpes voisines de la mer, et tous les revers méridionaux de celles qui en sont plus éloignées : on peut les évaluer à la moitié des paturages proprement alpins et pouvant suffire à un hivernage de 6 mois, pour 100 000 têtes de moutons, d’agneaux, de chèvres, et chevrots. On les subdivise par rapport à leurs herbes, à leur ligne plus ou moins perpendiculaire, et à la nature des bestiaux qui les fréquentent, en paturages de brebis, et en paturages de chévres ; la chévre plus agile, moins délicate, va brouter là, ou la brebis ne saurait pénétrer ; ainsi, au milieu de ces rochers inaccessibles et pelés durant l’été, rien n’est perdu, pendant la saison de l’hiver.
Valeur en argents, du produit des paturages
Tous les différens pacages, soit qu’ils appartiennent aux communes, et on les connaît alors sous le nom de bandites, soit qu’ils soient la propriété des particuliers, s’afferment chaque année, et sont d’un très grand produit pour ceux qui les possèdent. Produit d’autant plus précieux que la nature seule en fait tous les frais, qu’il n’a rien à craindre de l’intempérie des saisons, et qu’il ne peut être diminué que par les causes qui diminuent le bétail, telles que la guerre et les épizooties ; on jugera de son importance en considérant que les paturages d’hiver sont affermés jusqu’à quatre francs par tête de bétail pour toute la campagne, et que les bergers seuls du village de Briga, ayant tous les ans de 13 à 18 000 têtes, dépensent pour ce seul objet la somme de 60 à 72 000 francs environ ; en ajoutant à cette somme celle d’environ 120 000 pour 30 000 têtes que peuvent y conduire les bergers de Tende, Molinetto, Saorgio, Breglio, Castillon, Sospello, Belvédére, etc., l’on a déjà une somme totale de 180 a 192 000 francs seulement pour les paturages d’hiver.
Les paturages d’été coutent infiniment moins par tête de bétail parce qu’ils ne peuvent être occupés que pendant une très petite partie de l’année ; ainsi, ceux des Hautes Alpes ou le bétail ne peut séjourner que pendant deux mois et demy (depuis le 15 messidor jusqu’à vendemiaire) sont à plus bas prix et ne coutent que 37 francs 50 centimes par pasteur qui est de 50 têtes de menu bétail (dans toute la partie orientale et méridionale du département, confinant avec le Piémont et la Ligurie, on compte le bétail par pasteur, pastour, au contraire dans celle, ouest et nord, qui avoisine la France, on compte par trentenier, c’est-à-dire par le nombre de trente ; un berger est censé, ici, avoir 2 trenteniers sous sa garde, comme là, avoir 50 individus ; mais le plus souvent les bergers de la partie occidentale ont sous leur garde, 3 trenteniers et ceux de la partie orientale 2 pasteurs). Mais si ces pacages coutent moins, leur produit n’en est pas moins important pour cela, soit à cause du double de leur étendue, soit parce qu’ils sont plus riches en herbes, et soit aussi par la quantité de fourrage qu’on y coupe chaque année et qui entre dans les granges d’un grand nombre de communes qui possédent les meilleures montagnes et qui en nourrissent leur gros et menu bétail durant la saison de l’hiver. On peut estimer, d’après des renseignements pris sur les lieux dans chaque commune (ce montant est peut-être inférieur au nombre réel mais il est pris d’après les déclarations), le montant du menu bétail, pour l’année actuelle (an X), à 80 000 brebis et moutons et à 30 000 chévres, ce qui donne un total de têtes de menu bétail à 110 000 auquel il faut ajouter le total du gros bétail que l’on estime à trois menus par individu, lequel étant de 16 537 donnerait autres 49 611 petits individus ce qui suppose la somme totale de menu bétail indigène de 160 351 individus qui taxés, à 55 centimes par tête, donne la somme en numéraire de 88 193 francs 5 centimes pour les paturages d’été.
Mais il faut considérer qu’outre le bétail du pays, il vient chaque année sur les bonnes montagnes de Saint-Ethienne, la vallée d’Entraunes, Guillaumes, Péone, Beuil, etc. la quantité d’environ 300 bergers de Provence, lesquels menant avec eux l’un dans l’autre 100 brebis ou moutons chaque, donnent une augmentation de 30 000 qui fournissent (à supposer que les étrangers ne payent pas plus que les indigènes) la somme de 16 500 francs qui ajoutée à la première, donne celle de 104 693 francs 5 centimes.
Et comme des quantités ci-dessus nous n’avons extrait de celle de 50 000 qui vont chercher leur nourriture d’hiver dans des communaux étrangers, parce que les leurs ne fournissent pas le fourrage nécessaire, et qu’il est juste d’assigner la même somme de 4 francs, pour la nourriture, durant cette saison de chaque individu des 110 351 restant, hivernés chez eux ; cela nous fournit une somme de 441 404 francs, qui ajouté à la précédente de 200 000 francs, donne une somme de 641 404 francs.
Ainsi donc, au compte que nous venons de faire, seraient censés valoir annuellement les sommes suivantes :
Hiver 641 404,00
Eté 104 693,05
Total 746 097,05 francs
Dans le fait, les paturages sont une des propriétés dont le produit est le plus sur et le plus liquide ; il est évident pour celui qui parcourt chaque commune de ce département qu’il y a plus d’aisance et moins de véritables pauvres dans celles qui sont les plus riches en ce genre de terrain que dans les communes qui mettent toute leur espérance dans les oliviers, comme on en verra ailleurs la raison ; les communaux forment une rente municipale plus ou moins conséquente suivant leur étendue, et les pâturages des particuliers fournissent un revenu net annuel à leur propriétaire qui les afferment pour un certain nombre d’années à des bergers étrangers, et font conduire leurs troupeaux dans les paturages communaux dont la taxe est toujours très inférieure. En général, une montagne de (81 sétérées) 12 arpens et demi, est affermé 800 francs annuels, plus 12 rubs de fromage. Peut-être que si ces particuliers ne préféraient pas un produit assuré et acquis sans peine à un produit industriel, retireraient-ils un plus grand bénéfice de leur propriété, ainsi que nous l’examinerons plus bas. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’en employant à la fois et leurs paturages et ceux de la commune, ils laissent peu de moyens aux petits particuliers pour nourrir leurs troupeaux et en accroitre le nombre ; ce qui fait qu’ici comme dans les parties riches en huile, les particuliers aisés absorbent les trois quarts des ressources de ceux qui le sont moins.
Des bergers
Partout dans le département où il y a des paturages, le peuple est à la fois agriculteur et berger. Il est à présumer que la vie pastorale fut originellement l’unique profession des peuplades établies sur les flancs des grandes Alpes, et entrainées à cette occupation par les gros paturages et les forêts nombreuses dont la tradition et quelques anciens titres annoncent que ces vallées étaient couvertes. Les Templiers et les Bénédictins dont on rencontre partout tant de vestiges, ayant opéré de grands défrichements engagèrent probablement petit à petit ces bergers à la vie agricole. Ils les réunirent dans des hameaux et des chemins s’étant ouverts pour le commerce et les communications avec les nations voisines, ces peuples commencèrent à participer aux avantages de la grande société et abandonnèrent la vie uniquement pastorale pour se livrer en même tems à la culture des terres, tellement qu’aujourd’hui, dans tout le département, à part deux communes, celle-ci forme la principale occupation, à laquelle l’éducation des troupeaux n’est qu’accessoire et livrée à des valets, et aux enfans qui ne sont pas encore en age de cultiver les champs.
Mais le village de Briga, sis au pied du commencement de la première chaine des Alpes secondaires, couronné par ces fameux pics si souvent visités par les armées qui veulent s’ouvrir un passage en Italie par les Alpes, et les Appennins dans une vallée arrosée par la petite rivière appellée Levenza à 2 heures, au sud-est de Tende, hors de toute communication avec les étrangers, a conservé ces mœurs antiques, et un goût décidé pour la vie pastorale. De 500 familles dont cette peuplade est composée, 300 en font leur unique profession de tems immémorial et de père en fils. Ce genre de vie favorise évidemment la population et l’aisance de la commune puisque d’après les registres publics le nombre des habitants s’est accru de 500 depuis 50 ans et qu’en général le peuple y paraît moins malheureux qu’ailleurs, surtout dans les familles de bergers. Les paturages et les récoltes en grains n’étant pas suffisans pour l’entretien de la population, les deux tiers, hommes, femmes, enfans vont chaque année, en automne, conduire leurs troupeaux et s’établir dans les parties maritimes, jusqu'à la belle saison. Là ils fournissent aux villes de toute cette côte de France et de la Ligurie, les agneaux, les chevrots, le lait et la laine de leurs troupeaux, en échange du prix des paturages, sur lesquels sans doute ils doivent encore prélever un profit considérable, puisque de retour chez eux, ils achètent successivement les biens des bourgeois et des simples laboureurs dont l’envie finirait par chasser les bergers, si ceux-ci n’étaient pas les plus forts.
Le grand prix que mettent nécessairement à la conservation de leurs troupeaux les bergers de Briga, et la vie errante qu’ils mènent avec eux, depuis la fondation du village a du convertir en art la profession de berger. Aussi sont-ils de véritables pasteurs, tandis que les autres du département ne sont que de simples gardiens de troupeaux. C’est avec le plus vif intérêt qu’entouré dans la dite commune des principaux chefs bergers, à la tête desquels était le maire, j’ai appris toutes les difficultés que je ne soupçonnais pas dans ce premier état de nos pères ; que de soins n’exige pas l’éducation des agneaux, soit pour les conserver, soit pour les obtenir d’une belle espèce. Le bétail adulte est plus fort, mais il est sujet à des maladies qu’il faut savoir prévenir ou guérir par des remèdes simples. Le berger est obligé de prévoir les changemens de tems et de connaître non seulement la quantité de paturages qu’il faut pour tel nombre de bétail, mais encore la qualité et les plantes qui peuvent lui servir de médicamens etc. etc. J’eusse désiré qu’on s’occupat aussi des moyens de perfectionner la laine, mais on a trouvé ce soin inutile, comme nous le verrons plus bas. Les travaux et les finesses de la laiterie sont abandonnés aux femmes. Ce n’est que par une longue suite de conseils et d’expériences que le jeune berger peut parvenir à la perfection de son état ; les peres y conduisent successivement leurs enfants par le précepte et par l’exemple, et le vieux maire de Briga me disait qu’il n’oserait encore fier l’éducation des agneaux à son fils, agé de 25 ans, quoi qu’il eut constamment gardé des troupeaux depuis l’age de 8 ans.
Du reste, cette vie de berger est très dure et il faut y être accoutumé dès l’enfance dès l’age de 8 ans à 10 ans jusqu’à celui de 60 et plus, il est rare de coucher ailleurs que sur la dure, et le plus souvent en plein air. Dans l’époque ou les brebis mettent bas, et jusqu’à ce que les agneaux soient assez forts, il faut être vigilant nuit et jour à les visiter. La nourriture est du pain et du laitage le plus grossier, pas toujours même de ce dernier ; il n’entre que très rarement quelque chose de chaud dans l’estomac. L’habillement est, en hiver, un gilet de drap de trois lignes d’épaisseur, fort long, des culottes de même, et des bas de laine roulés sur les genoux ; un bonnet de laine à la tête. En été, la forme est la même, mais le drap est de demi laine, c’est-à-dire, un tissu de fils de chanvre en long, avec de la laine en travers ; ce drap d’été n’a pas moins de deux lignes d’épaisseur. Par dessus ce vétement, se met au besoin, en hiver et un été, un manteau surmonté d’un capuchon fait exactement comme un manteau de capucin sauf qu’il est plus long, tout d’une pièce, et d’un tissu encore plus épais et plus serré que celui du gilet ; il pèse de 25 à 30 livres du pays. Ce drap est fait dans la maison du chef berger, qui le vend à ses domestiques ; une culotte et un gilet sont vendus 5 francs piéce, et doivent durer 5 ans, le manteau coute de 15 à 18 francs et dure à proportion ; ce drap est fait à l’épreuve de la pluie ; un manteau résiste 24 heures, avant d’être percé de part en part, il pèse alors 150 livres du pays. Du reste, la laine de Briga peut plus que toute autre donner au drap cette propriété, car elle est rude, lisse et plutôt semblable au poil de chèvre qu’à de la laine ; aussi les bergers des autres communes se servent de cette laine pour leurs manteaux.
Avec ce mépris des commodités de la vie et cette habitude de coucher pendant une longue suite d’années, tant au sec qu’à l’humide, le berger de Briga vit très long-tems sans connaître d’autres maladies que celles d’une vieillesse avancée ; malgré qu’il soit souvent exposé à l’humide, il n’est pas sujet aux douleurs rhumatismales ; il est seulement afligé quequefois de fiévres d’accès autumnales lorsqu’il a conduit ses troupeaux dans le voisinage du Var ; et ces fièvres l’accompagnent jusqu’à son retour dans son village, dont l’air sec et vif les dissipe bientôt.
Les troupeaux quoique très fatigués, sont également accoutumés à une vie dure ; comme l’on ne pourvoit jamais à leur subsistance par des amas de fourrage ils paissent à leur aise sur les montagnes, été et hiver, tant que le tems est beau. ; mais lorsque le tems est mauvais, ils restent quelques fois deux à trois jours sans manger, et sans paraître en soufrir. Ils sont pareillement accoutumés à supporter la soif, car il n’y a pas toujours de l’eau dans le voisinage du paturage qui est en exercice. Lorsqu’il pleut un peu fréquemment, on ne mène loin le bétail que tous les quatre à cinq jours ; l’herbe humide ou du moins rafraichie par les vents frais qui suivent les pluies suffit pour le désaltérer ; plus souvent l’herbe est désséchée par un soleil brulant, et par les vents du sud et de l’est qui règnent tout l’été, et alors les bergers et les troupeaux sont obligés d’aller chercher péniblement, au moins une fois chaque deux jours, une source lointaine, sinon l’herbe ne se digére pas ; heureusement, dans ces plages méridionales, la nature supplée au défaut de pluies par des rosées abondantes qui tombent matin et soir, et souvent toute la nuit.
Ces habitudes sont communes aux bergers des autres villages du département, à quelques différences prés. A Tende, village le plus voisin de Briga, la tradition porte que le population n’était également composée autrefois que de bergers et de laboureurs ; un chemin ayant été fraié par le col de Tende pour le passage en Italie, surtout depuis que ce comté avait été réuni à la maison de Savoie, une nouvelle profession s’y acheva, ce fut celle de muletier, qui devint successivement la plus accrédité, tellement qu’aujourd’hui, sur 309 familles dont la population est composée, il y en a plus que 50 entiérement livrées à la profession de berger et ayant des mœurs communes avec les bergers de Briga. Saorgio avait aussi, autre fois, beaucoup de bergers. Aujourd’hui, de 460 familles, il n’y en a plus que 48 livrées à cette profession, et qui vont pareillement en hiver dans les plages maritimes. Depuis Saorgio, jusqu’à Nice, les oliviers donnent une part d’autres ressources, et de l’autre les paturages conviennent peu aux brebis sauf dans les territoires de Sospello et de Molinello dont la position les fait jouir à la fois des paturages d’hiver et de ceux d’été.
Du coté du nord et du nord ouest, les communes de Beuil, Peaune, Robion, Ilonse, et quelques autres environnantes, commencent à donner aussi une attention particulière à l’éducation des bestiaux, à cause de l’abondance et de la richesse de leurs paturages, mais moins qu’à Briga, qui est la seule commune du département ou l’état des bergers soit une profession indépendante. Dans ces communes, à Beuil principalement, partie du bétail y séjourne été et hiver, et partie va passer dans les départements méridionaux de la ci-devant Provence La saison de l’hiver avait 160 chefs de famille dont cette commune est composée, moitié ne possédant rien, s’expatrie annuellement, hommes, femmes et enfans, sur le commencement de vendémiaire, pour ne revenir qu’en prairial suivant. Ils vont vivre du produit des troupeaux qu’ils emmènent avec eux. Ce genre de ressource n’est connu à Beuil et dans les communes environnantes que depuis environ un siécle. Il s’en expatria d’abord un petit nombre, mais puis soit par les avantages qu’on en retirait, soit que le pays fut devenu plus mauvais, l’exemple a gagné et chaque année il s’en expatrie davantage, ne restant en hiver dans le village que ceux qui ont assez de fourrage pour alimenter un nombreux troupeau. On connait ces émigrans sous le nom de Provençaux, ou sous celui de Costegiaires. Cette classe d’habitans qui se repose ainsi uniquement de la nourriture de sa famille sur le produit du menu bétail en a considérablement augmenté le nombre, tellement qu’en été ils occupent la plupart des paturages communs, tandis que l’habitant possédant biens et payant contribution est privé de cet avantage pour le bétail qu’il a hiverné et est obligé de recourir aux paturages des particuliers, ce qui est une vexation réelle des non possédans contre ceux qui possèdent et ce qui s’oppose, sous plus d’un rapport, à l’augmentation de population et à la félicité de ces communes. Il existe pareillement dans les autres communes des bergers qui s’émigrent annuellement durant l’hiver, entrautre à Péone et à Robion, cependant en beaucoup moindre quantité. Ce n’est même que depuis 12 à 15 ans que cet usage s’y est établi ; mais ce qu’il y a de plus dangereux, c’est que le nombre en augmente chaque année, et qu’il a triplé depuis la Révolution ce qui dépend de la diminution des moyens d’exister et surtout de celle des fourrages et de la destruction successive des paturages communaux par les causes dont nous avons déjà parlé, et auxquelles il est instant de porter un prompt remède pour prévenir l’anéantissement de toute prospérité dans les communes de la montagne.
En quittant Beuil et les communes environnantes, je n’ai plus trouvé de familles adonnées uniquement à la culture des troupeaux. Ce soin se trouve partagé entre les autres travaux de la campagne, parce qu’en hiver le bétail reste sur le lieu et exige une moindre surveillance que lorsqu’il est conduit dans un autre territoire. Il ne paraît pas même que le maitre l’accompagne lui-même sur les montagnes durant la saison de l’été ; ce soin est laissé à des gardiens à qui on donne 20 francs de gages, pour six mois, avec la nourriture et deux paires de souliers ; les principaux propriétaires ont un domestique maitre qui a la surveillance sur les autres valets, à qui on donne, outre la nourriture, 100 francs de gages, pour toute l’année, et qui ne coutait que 50 à 60 francs avant la Révolution. Ayant calculé à Briga, avec les anciens de la profession, à combien pouvaient se monter annuellement la nourriture, et l’entretien complet d’un berger, nous avons eu la somme de 300 francs, il ne paraît pas que la dépense d’un berger de Beuil doive monter aussi haut, car il est plus mal vétu et nourri avec de plus mauvais pain que le berger de Briga. Les bergers de Provence, qui fréquentent les montagnes d’Entraunes, dépensent davantage ; ils ne vivent aussi que de pain et de lait, mais ils ne mangent que du pain de froment très blanc. Ayant logé, à Entraunes, chez le boulanger qui leur fournit leur pain, j’ai appris de lui que chaque berger mangeait par jour deux pain et deux livres chaque dont le prix était en l’an IX de 45 centimes. Cinquante de ces bergers, y montaient annuellement, avant la guerre, et y restaient environ quatre mois ; la simple fourniture de leur pain à fait faire à ce boulanger une petite fortune. Les autres bergers vivent de pain de seigle.
Des bêtes de somme et du gros bétail du département, avec le prix comparatif
Des bêtes de somme
Le département n’a jamais été propre pour les chevaux. La difficulté de ses routes, les travaux pénibles que les bêtes de somme doivent supporter, et la rareté de fourrages, font qu’à part quelques chevaux de luxe et les chevaux des étrangers, nourris dans la campagne de Nice, on ne rencontre pas un seul cheval, en parcourant le département, à part ceux de la gendarmerie, que je n’ai pas compris ici, et qu’on a même soin de laisser entiers, pour les rendre plus propres à gravir les montées qu’on rencontre à chaque pas.
Mulets et mules
L’apreté des lieux a déterminé la préférence que l’on a donné de tout tems dans certaines communes, aux mules plutot qu’aux mulets. Dans toute la vallée de la Tinée et endroits circonvoisins, on n’emploie que des mules. Les chemins comme on l’a vu ailleurs, y sont si escarpés, si étroite et si précipiteux, que l’on y a besoin d’animaux dégagés, à pieds petits et à jambes fines, peu écartées l’une de l’autre en faisant le pas. On ne peut d’ailleurs jamais les charger comme en plaine, car le poids doit être d’une telle portée et d’un tel arrangement sur le dos de l’animal, qu’il tienne peu de place, et qu’on puisse le diriger à gauche lorsque l’escarpement est à droite, et à droite lorsqu’il est à gauche ; or ces mules sont d’une souplesse, d’une légereté et d’une sureté admirable au milieu des précipices qui font horreur à celui qui les voit pour la première fois.
Sur la grande route de Nice en Piémont, et dans les communes circonvoisines, on ne trouve que des mulets qui font tout le service des transports, vu que le grand nombre de montées rend cette route peu propre pour les charrêttes qui d’ailleurs ne pourraient passer le col de Tende et devraient s’arrêter à Tende ; pour leur donner plus de vigueur, on a soin, comme je l’ai déjà dit, de les laisser entiers. Le nombre de ces mulets était plus considérables avant la guerre, depuis Tende jusqu’à Nice, soit parce qu’il fesait plus de commerce, soit par rapport au transport de sel de gabelle, de Nice dans tout le département, et en Piémont. Durant la guerre, les fréquentes réquisitions et la cessation de tout commerce, l’avaient réduit à moins de la moitié de ce qu’il est sur l’état précédent, et ce n’est que depuis la paix qu’il a commencé à revenir insensiblement au taux où il était ci-devant, et qui est nécessaire, vu que toute la montagne est obligée d’aller se fournir à Nice de ses premiers besoins et d’y porter son huile et ses autres denrées.
Tant les mules que les mulets sont d’une belle race, ce sont ordinairement les maquignons des départements du Var, des hautes et basses Alpes qui les fournissent dans les foires d’automne, à 6 mois de terme, c’est-à-dire, qu’ils en attendent le payement à l’époque de la vente des huiles. La cote voisine de la Ligurie et la vallée d’Entraunes fournissent aussi quelques mules.
Indépendamment de l’industrie des draps, la vallée d’Entraunes a encore celle de faire pouliner les juments. C’est la seule partie du département ou l’on en trouve, à cause sans doute de la bonté et de la fraicheur de ses paturages.
Ces jumens sont de belle race poitevine et bourguignone ; on va les chercher à deux journées dans le Département des Hautes Alpes, à Guillestre, dont les habitants font ce commerce. Quatre étalons bourriques, qu’on conserve dans la vallée suffisent pour les saillir, et les jeunes poulaines qui en proviennent sont conduites à la foire de Saint-Ethienne d’où l’on rapporte en échange des vaches et du chanvre.
Malheureusement, ces étalons sont toujours les mêmes, toujours du pays, et d’une espèce inférieure ; il serait donc fortement à désirer qu’on les changea de tems en tems et qu’on s’en procura de pays étrangers, et de la plus belle race.
Plus malheureusement encore, les fourrages de cette vallée éprouvent chaque année une diminution considérable par la destruction que le Var et les torrens apportent dans ses prairies, ce qui la forcera à l’avenir de renoncer à tenir des jumens si l’on ne fait contre l’impétuosité des eaux, des travaux solides, dont ces communes ne sont pas en état de supporter la dépense.
Le prix des mulets et mules était, en 1790, de 120 à 250 francs chaque. Il est, en l’an X, de 230 jusqu’à 350 francs suivant la qualité. Il m’a été impossible de savoir, même par approximation, combien on en achetait chaque année.
L’âne, comme l’on voit, est la bête de somme la plus multipliée dans le département, parce quelle est la plus facile à nourrir. L’espèce en est très belle dans plusieurs communes du département sises le long du Var, et sur la cote de la Ligurie ; on l’extrait pareillement des départements des Hautes et Basses Alpes. Dans la campagne de Nice, où chaque paysan a son âne, cet animal est d’une petite race. Dans les vallées de la Nervia, et de la Roya, on donne la préférence aux ânesses ; les ânons du pays sont fort petits.
L’âne de belle race coutait 100 francs en 1790 en l’an X, il se vend 130 francs et plus.
L’âne du pays valait en 1790 de 50 à 60 francs et il se vend en l’an X, 70 francs.
On trouvera dans les chapitres suivants que le nombre des brebis a diminué d’environ un tiers ; celui des bœufs et vaches n’a pas suivi le même déchet ; il avait pourtant été réduit au tiers de ce qu’il était en 1790 dans les contrées qui avaient été le plus affligées du passage des troupes, et de l’épisootie, comme le long de la grande route de Nice en Piémont, et le long des vallées de la Vésubie et de la Tinée, mais depuis la paix il est bientôt remonté au taux nécessaire pour le labour et pour l’engrais des terres, et je ne doute pas qu’il ne surpasse bientôt la quantité de 1790, dans les vallées riches en gros paturages, parce que plusieurs terres étant restées en friche durant les troubles, on sentira le besoin où l’on est de les réparer. D’une autre part, j’ai trouvé que plusieurs communes qui avaient plus de brebis avant la guerre, et ne tenaient pas des vaches, en tiennent maintenant, de sorte que cette augmentation compense la diminution qu’on observe d’un autre coté.
Dans le courant de la guerre, le gros bétail des contrées du département, que j’ai énumérées a été attaqué deux fois d’une épizootie terrible, apportée par des bœufs venus de la Hongrie par le Piémont, pour le service des troupes austro-sardes campées sur ces montagne ; même qui a dévasté les troupeaux de la Lombardie et Piémont. Elle portait l’inflamation et la suppuration dans les viscères du bas ventre, et elle était d’autant plus meurtrières qu’on ne prenait aucune précaution préservative et que le pays manque absolument d’experts vétérinaires.
Les bœufs sont d’une assez belle espèce, mais les vaches sont petites, excepté au Molinet, et à Saint-Ethienne. Ce sont encore des restes des races du Piémont.
Dans les champs dont la pente n’est pas trop rapide, et ou le terrain n’est pas rocailleux, on fait trainer indistinctement la charrue par des bœufs, des vaches, des mules ou des jumens ; mais dans les champs rapides et dont la terre est dure et remplie de cailloux, on n’emploie que des bœufs très forts et que l’on ferre ; on voit, à cet effet, à la porte des communes, deux poteaux, auxquels on les attache pour leur appliquer à chaque division de leur pied un morceau de fer, ovale.
Chaque tête de bœuf était évaluée en 1790, de 90 à 108 francs il se vend aujourd’hui de 120 à 130 francs.
Chaque tête de vache était, en 1790, de 60 à 72 francs ; en l’an X elle vaut de 80 à 120 francs.
Chaque tête de veau se vendait en 1790, de 18 à 20 francs et elle vaut en l’an X de 20 à 25 francs.
Les particuliers qui ne sont pas assez riches pour avoir des bœufs en propre, en louent, pour tous le tems des travaux de ceux qui en ont beaucoup, et qui font une spéculation de ce trafic. Le prix du loyer est de (2 settiers) 8 décalitres de froment, payés à la récolte, le settier se vendait en 1790, 7 francs et en l’an X il s’est vendu 12 francs de sorte que le propriétaire d’un bœuf en retirait avant la guerre, une rente de 14 francs, et qu’il en a retiré cette année, une de 24 francs. Cet usage est établi dans les communes situées entre le Var et l’Estéron, et entre le Var et la Tinée.
Les bœufs et vaches sont nourris pendant l’hiver avec de la paille hachée, et c’est cette facilité qu’on a de nourrir les vaches, qui fait qu’on les préfère dans certaines communes aux brebis qu’il faut nourrir avec du foin.
Produit des vaches
En hiver, la vache n’est pas d’un grand produit parce que la paille fournit peu de lait, mais cela est compensé dans la belle saison ; les bonnes vaches de Saint-Ethienne donnent jusqu’à 11 rubs (86 kilogrammes) de fromage, chacune, annuellement ; mais il en est dans le département, qui en fournissent à peine quatre ; en prenant la quantité de six rubs (47 kilogrammes) de fromage, comme le moyen pour les bonnes et les mauvaises, nous avons en total de fromages fournis par les vaches du département, la somme de 43 302 rubs, desquels en prélevant le tiers, qui avec les remises, suffit à la consommation des propriétaires, et qui se monte à 14 434 rubs ; reste en vente la quantité de 28 868 rubs qui, à six francs le rubs, comme ils se sont vendus cette année, donnent la somme annuelle de 173 208 francs.
En ajoutant à cette somme le produit de la vente de 2 500 veaux males et femelles, à 20 francs chaque, prix moyen, et qui donne celle de 50 000 francs, nous avons 233 208 francs pour produit annuel de ces 7 217 vaches.
Auquel il faut ajouter l’engrais qui est d’une grande considération, et une portion de la nourriture fournie par leur laitage durant toute l’année.
Les peaux de bœufs, vaches et veaux qui ne sont pas livrées aux taneurs, servent les premières à faire des chamberons, c’est ainsi qu’on nomme la chaussure ordinaire de la plupart des habitans des communes situées entre la Tinée et le Var, qui consiste à s’envelopper la plante des pieds avec un morceau de peau qu’on attache avec des cordes autour du pied et du bas de la jambe ; on emploie les peaux de veaux à recouvrir les bas des montures.
Il serait de la plus grande nécessité qu’on pensionnat un vétérinaire, pour chaque arrondissement les maladies du gros bétail et des bêtes de somme étaient livrées à l’impéritie des maréchaux ferrans dont la plupart ne savent pas lire.
Accident du petit bétail et manière de le tenir
Avant de parler de la tenue du petit bétail et du revenu qu’on en tire, je dois dire un mot des accidens auxquels il est exposé, et qui détruisent en un instant toutes les espérances du berger. Ce sont la mauvaise nourriture, la grêle, la foudre, les animaux de proie, et les épizooties.
Dans un pays tout hérissé de montagnes, il est dans l’ordre que les orages y soient fréquens ; aussi, est-il rare, comme je l’ai déjà dit, que la grêle ne tombe chaque été dans quelque commune, en grains de la grosseur souvent d’un petit œuf de poule. Malheur alors au troupeau qui n’est pas à portée de quelque grange ; d’abord, le gibier en est détruit, et la plupart des brebis qui y sont exposées avortent de leur agneaux, et meurent quelque fois sur la place. Les dommages causés par la foudre sont encore plus fréquens, car on y est très exposé sur ces hauteurs durant l’été et l’automne ; en les parcourant on m’a fait voir nombre d’arbres qui en avaient été frappés, et il est rare que quelque partie de troupeau, avec le berger, n’en soit annuellement la victime. On m’a fait voir, en passant contre la montagne de Toraggio, terroir de Pigna, une place ou dans le mois d’août de 1793, la foudre fit périr 105 brebis d’un seul coup, sans les endommager ; en quoi l’on voit combien il est essentiel que le berger sache prévoir les changements de tems, science, il est vrai, souvent inutile, à cause de la promptitude avec laquelle un orage se forme, dans ces climats.
Animaux et proie
Les loups et les aigles se sont fort multipliés dans ces montagnes, depuis la Révolution, et portent, chaque année, de grands dommages dans les troupeaux ; la plupart des communes étaient dans l’usage de donner une gratification de neuf francs à quiconque lui apporterait une tête de loup, et de quatre francs pour un aigle. Ces récompenses ont été peu usitées durant la guerre, par la misère des tems, et il est très important de tenir la main à cet encouragement, et d’ordonner, dans certains tems de l’année, la chasse aux loups, comme cela se pratique dans quelques départements.
Quantité de nourriture
Quelque abondans que soient les paturages d’une commune, ils ne peuvent cependant suffire qu’à un nombre déterminé de bétail ; il est nécessaire que l’administration locale détermine le nombre, sinon le bétail mal nourri dépérit. C’est ce qui est arrivé quelques fois dans certaines communes, durant ces années passées, où par défaut de cette juste économie le bétail a singulièrement souffert. Il est démontré par l’expérience qu’une brebis mal nourrie en été, coute beaucoup plus à nourrir en hiver, qu’elle perd souvent son agneau et son lait, et qu’elle donne une laine de qualité et quantité inférieure, outre qu’elle manque de cet embonpoint qui la fait rechercher dans les foires ; ces communes et Beuil, entrautres, qui s’est le plus ressenti de ce défaut de police, vont s’occuper, à ce qu’elles m’ont assuré, d’un règlement à ce sujet.
Epizooties
Les brebis sont sujettes à une maladie de la peau à laquelle les gens du pays donnent le nom de picotte, qui lorsqu’elle paraît, est épidémique et contagieuse, accompagnée de fièvre violente avec transport au cerveau ; d’après la description que l’on m’a faite de ses symptomes il paraît que cette fièvre erranthématique est la même que celle de la petite vérole qui attaque l’espèce humaine ; les chèvres ont pareillement été sujettes, en l’an VIII dans quelques communes telles que Roccabiliera, à une maladie éruptive épidémique qu’on a cru être la galle, qui en a fait périr un grand nombre, et qui pourrait bien être la même que la première, puisqu’elle a paru la même année. Ces maladies ajoutées à un désastre plus grand encore, l’enlévement forcé des troupeaux fait par les différentes armées qui ont parcouru ce pays, en avait réduit le nombre à moins de la moitié ; et quoique la paix l’ait déjà fait augmenter, il n’est encore, en l’an X qu’aux deux tiers de ce qu’il était avant la guerre.
Du reste, j’ai observé, en prenant, à ce sujet des épizooties du menu bétail, des renseignements dans les différentes communes, qu’elles n’ont eu lieu que dans les endroits ou on les tient à l’étable pendant tout l’hiver, et où il y a moins de vigilance et d’attention de la part de ceux qui en sont chargés ; les troupeaux qui parquent dans toutes les saisons en sont rarement atteints et ceux de la Briga les plus nombreux du département n’en ont, ainsi que plusieurs autres, pas souffert.
Indépendamment des épizooties les montagnes qui bordent les rivages de la mer, et celles qui se trouvent le long du Var, sont exposées durant les mois de prairial, messidor et thermidor, à des brouillards épais, froids et humides qui incommodent beaucoup le bétail qui s’y trouve exposé, et sur le foie duquel il porte particulièrement, en y produisant des engorgements.
Tous ces accidents joints aux enlèvements forcés s’étant beaucoup multipliés dans la dernière guerre, donnent la raison de l’ordre de la diminution du petit bétail.
Qualité du bétail
L’effet de la chaleur est le même sur le bétail que sur les hommes ; dans toutes les parties maritimes, les moutons et les chèvres sont d’une petite taille ; à mesure que l’on quitte le Midi et l’est, pour s’approcher du nord et du nord-ouest, on voit, avec plaisir de plus belles races, et il n’en est nulle part dans le département d’aussi belles qu’à Saint-Ethienne et Saint-Dalmas le Sauvage, qui sont les pays les plus froids de cette contrée. Déjà à la vallée d’Entraunes, séparée de Saint-Ethienne par le col de Pal, les espèces sont inférieures.
Tenue du bétail
Relativement à la tenue des troupeaux, nous avons déjà observé qu’il faut les diviser en troupeaux qui ne restent jamais à l’étable, ni été, ni hiver, et nos troupeaux qui passent à l’étable une partie de l’année. Nous allons considérer le tems que ceux-ci y restent dans les différentes communes avec la nourriture qu’on leur donne. Dans quelques unes, le troupeau reste 5 à 6 mois à l’étable nourri d’une mélée de foin sec, de paille, et de quelque peu de feuillages ; dans d’autres, il n’y reste que quatre à quatre mois et demis nourri de foin et de paille, sans feuillages, ce qui dépend de la longueur et de la rigueur des hivers. Dans quelques communes, comme à Saint-Ethienne et à Saint-Dalmas le Sauvage on les fait parquer en été ; dans la plupart des autres, on fait coucher été et hiver le bétail à l’étable ; à Saint-Dalmas le Sauvage, où la laine est plus belle de tout le département et où la paille est fort rare, le bétail n’est nourri que pendant les six mois d’hiver quand il reste à l’étable qu’avec du foin. A Saint-Ethienne, Isola, Robion, Saint-Martin et Chateauneuf d’Entraunes, où la laine n’est qu’un peu inférieure à la précédente, où on ne le nourrit pareillement qu’avec du foin et un peu de paille, réservant le feuillage pour les chévres, car on y a observé que ce genre de nourriture desséche les moutons, et produit une laine d’une qualité inférieure ; on a même pris soin dans ces contrées, où la laine est une récolte conséquente, de leur réserver le premier foin, comme le meilleur, car on y a pareillement observé que le foin d’automne, surtout s’il a été mouillé après qu’on l’a coupé, est peu propre à leur nourriture, et qu’il donne de mauvaises laines.
Des chévres
Tandis que le nombre de brebis a diminué dans certaines communes (il a augmenté, au contraire, dans quelques unes, telle que Briga, où il n’était que de 12 000 en 1790, et est de 16 000 en l’an X). Celui des chèvres est devenu plus considérable ; il est aujourd’hui dans tout le département de 36 610, et il n’y en avait que 29 210 avant la guerre. Des édits de l’ancien gouvernement, fondés sur le dommage que ces animaux portent aux jeunes arbres, les avaient proscrits, ou du moins en avaient extrêmement limité le nombre, avec tant d’entraves pour celles qui étaient permises qu’on aurait cru que les habitans s’en seraient dégoutés. Cependant il y en avait, malgré ces édits. Lesquels, étant tombés en dessuétude par le changement de gouvernement, ont laissé une libre carrière à l’ancien penchant pour cette classe d’animaux domestiques, dont tous les administrateurs de communes se plaignent avec juste raison, et demandent la suppression.
Nous avons démontré dans la première section de cet ouvrage, d’après l’inspection locale, l’état de destruction des forêts du département, de laquelle résulte l’éboulement des terres de toutes les montagnes et collines. La chévre en broutant les sommités des jeunes arbres, arbustes et broussailles dont elle est extrêmement avide, est un obstacle continue à la reproduction des forêts, et augmente chaque année le dommage. La chévre d’ailleurs ne présente pas autant d’avantages que la brebis ; 1er la toison n’est d’aucune ressource, car on en tire aucun parti dans le pays ; 2ème l’engrais dont on a un si grand besoin n’est pas fourni en si grande abondance par la chèvre que par les autres espèces de bestiaux, car la chèvre allant chercher sa nourriture dans des lieux inaccessibles, y dépose ses excrémens durant le jour, et comme elle ne marche pas par bandes comme la brebis lorsqu’elle va brouter, il en résulte que ses crottins sont épars et souvent de nulle utilité.
D’autre part, la chèvre rend au petit propriétaire des services réels qui l’ont rendue chère de tout tems à cette classe de pauvres laboureurs qui a été et qui sera toujours la plus nombreuse ; ses longues mamelles fournissent deux fois plus que la brebis un lait qui, quoique moins caséeux est cependant très nourrissant et supplée au vin, à l’huile, au bouillon et à d’autres substances alimentaires que cette classe d’hommes ne peut se procurer. La chévre coute moins de soins. En été, elle se nourrit partout, en hiver elle broute les feuillages et le fourrage grossier dédaigné par la brebis ; puis le petit propriétaire d’un champ d’oliviers conduit en hiver et en été, son troupeau de chévres sous les arbres, les oblige à y séjourner, à y passer la nuit, de sorte qu’il engraisse ainsi son terrain à peu de frais. Il faut bien qu’elles aient été multipliées par le genre de besoins dont je viens de parler, car je les trouve plus abondantes dans les contrées complantées seulement en oliviers. Il n’y a plus que des chévres sur la plage maritime depuis la Turbie jusqu’à la Nervia. Il n’y a point de brebis non plus dans la vallée de la Nervia jusqu’à la Pigna. Je trouve la même chose dans la lisière correspondante de la Ligurie. Trois lignes de montagne décharnées, entrecoupées de ravins, qui réunissent la Méditerranée avec les Alpes et les Appennins, semblent n’être faites que pour les chévres ; au contraire on rencontre moins de ces animaux à mesure qu’on quitte les oliviers et qu’on s’approche des bons paturages, de sorte que la nature des choses semble avoir fixé les limites au dela desquelles il est inutile de tenir des chévres.
Pour obvier donc aux inconvénients auxquels les chévres nous exposent, pour diriger l’esprit du cultivateur vers un intérêt mieux entendu, et en même tems pour consilier l’intérêt sacré du pauvre avec l’intérêt général, sans proscrire les chévres en masse et sans distinction de territoire, il conviendrait de déterminer les lieux où l’on peut en tenir, et ceux où il ne doit point y en avoir, avec des réglemens efficacement coercitifs pour les bois et forêts, ainsi que pour tous les endroits où j’ai dit qu’il était urgent de faire de nouvelles plantations. Du reste si le sort des habitans est amélioré, et si l’on établit les canaux d’irrigation et dont je parlerai bientôt, nul doute que le nombre des chévres ne diminuera par l’impulsion seule du bien être résultant de la préférence qu’il sera possible alors de donner aux brebis.
Produits du bétail
Moutons, agneaux et chevrots
Les agneaux et chevrots, le laitage, l’engrais, et la laine sont les productions annuelles du menu bétail, désigné dans ce département sous le nom d’avérage. Les divisions établies dans le bétail, relativement aux qualités de laine, en supposent également une pour la durée de la conservation des agneaux . Dans les communes, en effet, telles que toute la partie méridionale du département, où la laine n’est pas belle, après avoir prélevé sur les plus beaux agneaux ceux qui doivent servir à remplacer les individus hors de service, on ne nourrit les autres qu’un été, et lorsqu’ils sont gras, ils sont livrés aux boucheries des villes et bourgs ou vendus aux foires : ces agneaux ainsi que les chevrots, de 8 à 12 mois, se sont vendus en l’an X, 6 francs pièce, les bergers de Briga en ont vendu eux seuls 12 000 de la production de 120 000 brebis et chèvres dont est composé leur troupeau, ce qui donne un total de 72 000 francs.
On doit estimer au nombre de 30 930 les brebis réparties dans les 68 autres communes dont la laine n’est pas prisée, et ajouter à ce nombre 32 610 chévres répandues dans tout le département, (desquelles j’ai déjà prélevé les 4 000 de Briga), ce qui donne un total de 63 540 têtes de menu bétail produisant chaque année des agneaux et chevrots, dont en suivant le même calcul que les bergers m’ont fait à Briga, il doit se vendre chaque année, de la même manière et au même prix, 38 200 têtes produisant 229 200 francs qui, ajoutés aux 72 000 francs ci-dessus, donnent un total de 301 200 francs pour ce genre de commerce, qui se fesait avant la guerre en Piémont et qui se fait aujourd’hui sur les cotes de Nice et de la Ligurie. L’on m’a observé que ce commerce était plus conséquent avant la guerre, 1er parce qu’on ne vendait les agneaux qu’après les avoir engraissés à l’état de mouton, ce qui se pratiquait dans toutes les communes, et donnait une plus grande quantité de laine ; 2ème parce que le nombre du bétail était supérieur à l’état actuel mais j’ai trouvé partout, quant au premier point, qu’il y avait une balance exacte, parce que l’on vend aujourd’hui un agneau de champ au même prix qu’on vendait autrefois un mouton, et que d’ailleurs on fait passer dans les boucheries les chevraux comme les agneaux, ce qui n’était pas permis avant la guerre. Quant au nombre du bétail, il va chaque jour en augmentant, et je ne doute pas qu’a présent que les limites commerciales du pays sont plus étendues, il ne soit en deux ans à un nombre double de ce qu’il était avant la guerre.
Il reste 33 200 brebis, réparties entre 15 communes qui ayant une laine recherchée et qui se vend à un prix presque double de celle des autres endroits, conservent leurs agneaux pendant deux ans. Cette industrie est d’une grande ressource, et très soignée par les habitans qui, à cet effet, divisent leurs montagnes en deux parties, une qui est consacrée exclusivement aux brebis, et l’autre aux moutons. Ainsi quand l’agneau n’a plus besoin de sa mère, on le met dans les paturages qui lui sont destinés, ou on le nourrit pendant deux ans, au bout desquels il est conduit aux foires dont les principales sont celles de Saint-Ethienne, au nombre de 5, qui se tienne, le 30 floréal, le 5 messidor, le 6 fructidor, le 14 vendemiaire, et le 10 brumaire. J’ai assisté à cette dernière foire, où j’ai vu, avec plaisir, le plus beau bétail et la plus belle toison. Le prix moyen de ces moutons est de 12 francs ; en 1790, ils n’en valaient que 9 ; ceux de Saint-Dalmas et de Saint-Ethienne valent toujours un ou deux francs en sus. On peut estimer pour le moment, à 12 mille le nombre de ces moutons de deux ans vendus annuellement dans les foires au prix moyen de 12 francs, ce qui donne un produit de 144 000 francs annuels. Il faut ajouter à ce produit celui de la laine, c’est-à-dire 7 479 kilogrammes (24 000 livres en poid) à plus de 3/5 de kilogramme (2 livres) par tête ; laquelle est encore supérieure à celle des animaux adultes, comme nous le dirons plus bas.
En ajoutant donc ces 144 000 francs aux 301 200 francs cy dessus, nous avons un total de 445 200 francs pour le produit des agneaux et chevraux, non compris celui de la laine.
Laitage
Considérons actuellement le produit du lait, lequel comme nous l’avons déjà dit, ne fournit pas de beurre, mais donne seulement du fromage, de la souchée et de la recuite, (ces deux dernières productions ne servent qu’à la nourriture des habitans, sauf dans les parties maritimes, ou elles se vendent).
Il faut ici pareillement distinguer les bestiaux qui étant amenés l’hiver sur les plages maritimes sont d’un plus grand produit, parce que tout leur lait profite pour la nourriture des habitans des villes et bourgs, au lieu que dans l’intérieur du département, il n’y a que le fromage qui soit en commerce.
Les troupeaux seuls de Briga sont depuis un tems immémorial (ce qui leur a été très avantageux durant la guerre, ou ils ont trouvé une ample consommation à leurs denrées tandis que les autres communes y ont perdu par l’enlèvement de leurs bestiaux), en possession du premier article et paraissent suffire pour ce genre de consommation, quant à la population actuelle. Or, ces bergers m’ont établi à 6 francs par tête le produit annuel de leur bétail en laitage, ce qui donne 120 000 francs outre 8 000 rubs entre fromage et requite qui passaient auparavant en Piémont, et qui sont vendus aujourd’hui à Nice et dans la Ligurie à 5 francs le rub l’un dans l’autre ce qui donne 40 000 francs, total 160 000 francs de produit, du commerce en laitage, pour 20 000 bêtes.
En prélevant donc ces 20 000 sur les 100 740 têtes propres à donner du lait, il nous reste 80 740, lesquelles sont estimées donner l’une dans l’autre 6 livres de fromage par année, ce qui fournit 484 440 livres de fromage vendu à 6 sols la livre, terme moyen, tant en Piémont qu’aux départements voisins et dans la Ligurie. Total 145 332 francs de produit commercial, outre la nourriture prélevé sur le lait de laquelle se privent les bergers de Briga. Au moyen de quoi, ils ont, comme on le voit, presque un produit triple. En additionnant cette derniére somme à la première on a pour produit de laitage du menu bétail du département la somme de 305 332 francs.
Engrais
Indépendamment des produits que nous avons considéré précédemment, le bétail sert encore à engraisser les terres, ce qui est d’autant plus conséquent que le sol, étant maigre de lui même, ne produit absolument rien sans engrais, en quoi l’on verra dans la section de l’agriculture combien l’enlèvement des bestiaux et la misère produite par la guerre ont été funestes à la fertilité des campagnes.
Les bergers en louant les paturages se réservent ordinairement l’engrais, ou en prélèvent la valeur en le laissant au propriétaire. Dans les paturages d’hiver, lesquels se trouvent en pays d’oliviers, ils louent les couchées de leurs troupeaux ; chaque propriétaire d’un champs d’oliviers, les engage pour une ou plusieurs nuits, à venir les passer dans son champ, ce qui s’appelle en langue du pays, faire una vastiéra à 6, 8, 10, 12 francs par nuit suivant le nombre du bétail, (les brebis sont enfermées dans une enceinte qu’on nomme cordaglia, laquelle se fait en plantant des piquets tout autour de l’endroit ou le bétail doit coucher, lesquels soutiennent des filets, de manière qu’il ne reste aucune ouverture. Hauteur d’un mètre et demi environ. Le laboureur le lendemain, vient de suite tourner la terre à ¼ de mètre, pour y enfoncer les crotes). Comme il y a souvent des vignes dans ces champs, le berger est responsable des dommages, ce qui l’oblige à veiller continuellement : ce mode d’engraisser les terres est d’un grand produit pour l’olivier. Dans les paturages d’été, comme les champs se reposent alternativement chaque année, on y loue également des vastiéres, l’année de repos, ce qui dispense d’y porter de l’engrais, et les rend très productifs.
Il m’a été impossible de savoir au juste à combien pouvait se monter le total du produit de l’engrais. Des bergers, en me le cachant soigneusement, m’ont seulement assuré qu’il était souvent le seul profit qui leur restait de leurs peines. Cependant en n’évaluant à la seule somme d’un franc, le produit annuel d’engrais, de chaque tête de menu bétail, sans compter les agneaux et les chevraux, nous avons déjà la somme de 121 920 francs, laquelle ajoutée à celle du produit du laitage font 427 253 francs.
Produit général du bétail
Quoique nous n’ayons pas encore parlé des laines, nous pouvons déjà en établir la quantité et la valeur, afin d’estimer dans un seul article, tout le produit du menu bétail, le comparer aux frais d’entretien, et avoir une idée du profit net de cette industrie.
Ainsi donc nous avons en total de laine 100 702 kilogrammes (12 926 rubs) qui valent à 8 francs le rubs l’un dans l’autre 103 408
Agneaux et chevreaux 445 200
Laitage 305 332
Engrais 121 920
Total approximatif du produit du menu bétail 975 860 francs
Frais d’entretien
En calculant à Briga, avec les bergers, combien leur coutait l’entretien de leurs 20 000 têtes de bétail, nous avons eu le résultat suivant :
Herbes d’hiver 80 000
Herbes d’été 12 250
Pour ses 74 760 kilogrammes (9 600 rubs) 6 000
Pour 200 bergers à 300 francs chaque 60 000
Total 158 250 francs
Produit net
Or, en prenant cette somme pour base des frais que coûte tout le menu bétail du département, nous aurions en dépense annuelle une somme de 797 105 francs et par conséquent en produit net celle de 178 755 francs à laquelle nous pouvons ajouter la nourriture et l’entretien des propriétaires et des bestiaux et de leur domestiques. Ce profit, pourtant n’est calculé qu’abstraction faite des frais de renouvellement de bestiaux et des accidens. Il faut encore remarquer que la plus grosse dépense n’est faite que par ceux qui n’ont point de fourrages pour l’hiver, mais que ceux-ci ont plus de profit parce qu’ils tirent parti de tout le laitage, qu’elle est, au contraire, moindre pour ceux qui n’ont à se pourvoir que de paturages d’été et à ne gager des gardiens de troupeaux que pour cette saison. Aussi est-ce dans ces communes que l’on voit une plus grande aisance et infiniment moins de véritables pauvres.
Outre les peaux qui se vendent, et dont j’établirai la quantité, en parlant des taneries, les peaux de moutons ou brebis servent dans tout le département à faire des sacs pour contenir la farine, et celles de chèvres et de boucs à faire des outres pour l’huile et le vin.
Le suif n’est pas employé à faire des chandelles. Dans les montagnes, où l’on ne récolte pas de l’huile d’olive, on en fait des pains qu’on sale, et qui servent à la soupe et autres assaisonnement, à la place du beurre et de l’huile dont on manque, ce qui, à mon avis, donne aux mets un goût très désagréable pour celui qui n’y est pas accoutumé. On s’éclaire, chez les plus riches, avec de l’huile de noix, et en général, avec des morceaux de bois gras (de mélèze) appellé thea d’ou résulte une fumée qui noircit tout le village.
Des cochons
J’ai joint ici les cochons, quoique étrangers à cette classe, parce que je ne savais où les placer ailleurs. On voit que le nombre de ces animaux a diminué d’un cinquième depuis 1790. Leur prix a aussi augmenté. Un cochon de 82 kilogrammes valait 72 francs, il vaut aujourd’hui 85 francs. L’on en fait une grande consommation à Nice.
Ce prix ne doit pourtant s’entendre que des cochons de Provence, nourris avec des glands, car pour ceux élevés à Nice, ils vallent beaucoup moins. Un cochon coute, ici, d’achat de 24 à 30 francs et lorsqu’on le vend deux ans après, on n’en retire pas plus que 40 à 55 francs. Encore faut-il, pour en retirer ce prix qu’on dépense, quelques temps avant de le mettre en vente, 10 à 12 francs, en mauvaise farine ou autre chose semblable afin de l’engraisser.
Très souvent on nourrit ces animaux, avec du marc des olives appellé vulgairement murcia, ce qui rend leur chair molasse et d’une qualité très inférieure ; toujours enfermés dans de très petits réduits, pour ne plus en sortir que deux ans après, la plupart périssent, par le changement de régime directement opposé à celui qu’ils avaient dans les bois de la Provence, ou du Piémont, où ils ne vivaient que de glands. Ceux qui survivent, nourris uniquement de murcia, d’herbages et d’immondices, ont une mauvaise chair, et sont souvent ladres, les parfumeurs ne veulent pas de leur graisse pour les pomades, mais ils la font venir de Provence, car ils ont éprouvé que celle des cochons des Alpes-Maritimes ne se conserve pas. Il n’y a donc pas une grande perte dans la diminution du nomb
Mœurs, habitudes et langage
Des mœurs, des habitudes du langage et des facilités intellectuelles des habitants des Alpes-Maritimes.
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Des mœurs, des habitudes, du langage et des facilités intellectuelles des habitans des Alpes-Maritimes
Plus je considére le caractére moral des différens peuples de la terre, plus je vois qu’il est formé par les impressions du climat, la nature du gouvernement, les institutions particuliéres, et l’exemple des voisins ; l’habitant des plaines fertiles à des mœurs douces et pacifiques ; celui des lieux apres et difficiles a des mœurs plus rudes et plus portées à la férocité ; les gouvernemens qui permettent à l’homme d’étendre sa pensée sur tout ce qui peut éxercer l’entendement humains, ont des sujets plus civilisés, plus vifs, et en même tems plus passionnés ; ceux au contraire, dont le despotisme fixe la limite des objets au deça et au dela desquels il n’est pas permis de s’étendre, forment des sujets soumis et habitués à un cercle étroit, au delà duquel ils ne se passionnent plus , et par conséquent moins civilisés.
Le gouvernement du roi de Sardaigne, qui a été durant plusieurs siécles, celui de ces contrées, quoique juste et paternel, tendait par la forme absolue, à cette circonscription dans les provinces éloignées de la capitale et qui ne communiquaient pas avec des peuples plus instruits, de là une soumission absolue et sans examen a ses volontés ou a celle de ses gens, et la ferme croyance qu’on ne pouvait et qu’on ne devait même songer d’obtenir un état plus heureux.
Aussi la révolution de France n’a-t-elle pas produit dans le comté de Nice ce bouleversement dans ses idées, cette élévation d’ame, cet enthousiasme porté jusqu’au fanatisme, qui a fait faire les plus belles actions et commettre les plus grands crimes, et dont les chances ont fini par produire nombre d’alienations d’esprit, chez des peuples voisins. Ici, le changement de gouvernement fut considéré comme une simple violation accidentelle de l’ordre établi de tout tems, tandis qu’une poignée d’hommes profitait des circonstances pour s’enrichir, et qu’un plus petit nombre encore plaçait des idées philosophiques, la multitude, tant nobles que roturiers, tant pauvres que riches, courait de bonne fois sur les pas de son maitre malheureux. Elle revint résignée à son sort, obéissant au nouveau gouvernement comme à l’ancien, sinon avec le même dévouement, du moins avec la même soumission de fidélité.
Il y a puis une différence entre les mœurs et les habitudes des habitans de chaque région du département suivant le climat, la nature du voisinage, et les occupations du peuple ; car dans les gouvernemens absolus, et ou il y a moins d’activité morale, on laisse plus d’empire au climat.
Caractère des niçards et autres habitans de la cote maritime
Le caractére de l’habitans de Nice et de toute la cote maritime est doux, humain, paisible, peu porté aux crimes ouverts, paresseux, insouciant. Le niçard n’aime pas se donner de la peine et fie beaucoup à la nature le soin de sa subsistance ; il fuit les innovations ; il aime les plaisirs de la table, le luxe des habits et paraît peu inquiet sur le lendemain. Cependant sa prodigalité n’est que pour lui, car il n’est rien moins que libéral, et hospitalier, excepté qu’il n’ai besoin de quelque service.
Il est à la fois, sombre et joyeux, crédule et défiant, poli et grossier, timide et valeureux ; sous les déhors de l’amitié, quelques uns ne sont pas exempts de perfidie, servant sourdement de délateurs de l’homme qu’ils encensent ouvertement.
Cette tendance à l’apathie fait que les étrangers et les gens de la montagne occupent tous les emplois et font tout le commerce ; mais l’esprit de défiance et de jalousie se glissant dans toutes les opérations, le commerce reste petit et ne spécule jamais qu’à coup sur.
Le niçard voyage peu, il ne trouve rien d’aussi beau que son pays, et cette habitude casaniére, contribue beaucoup aussi à rétrécir ses conceptions.
Les habitans de l’ex principauté de Monaco, participent du caractére des niçards, mais comme ils fréquentaient plus souvent les français, ils sont plus polis, plus affable, plus maniérés qu’à Nice, mais plus rusés, et encore moins hospitaliers.
Caractére et habitudes des habitants des montagnes
Le caractére de l’habitant des montagnes, quoi que moulé en général, sur celui de Nice, en est cependant très différent. Il est actif, rude, grossier et quelque fois féroce ouvertement. Là, l’homme ne redoute pas la fatigue, et il épie avec avidité, tous les moyens d’augmenter sa fortune, forcé par la nature de son territoire à la société, il économise sans cesse, et ne recherche aucune des commodités de la ville. J’ai été surpris, en parcourant ces montagnes, de voir la pauvreté et la saleté des meubles, la grossiéreté et le délabrement des habitations, plus je m’enfonçai vers les régions froides, moins je trouvai aux maisons des portes et des croisées, on était déjà sur la fin de brumaire et les plus opulens attendaient de plus grands froids, pour s’en garantir avec des chassis de papier.
Avec cette économie dictée par le besoin, toutes ces peuplades exercent volontiers l’hospitalité envers les étrangers, preuve du peu de progrés que la civilisation leur a fait faire tant vers le vice que vers la vertu.
Courage militaire
Les diverses peuplades conservent de leurs ancètres l’esprit guerrier qui les caractérisait, et toujours tels que les anciens historiens l’ont dépeint ; c’est à dire, ces peuples sont excellens pour la guerre des défilets, et employés comme troupes légéres. Rien n’égale leur audace, lorsqu’elle est excitée par l’appas de butin ; ils se sont distingués dans toutes les guerres, et à leur terminaison, l’esprit d’indépendance ne pouvant plus s’assujettir à une vie réglée, y a presque toujours produit des brigands, une arme est pour eux l’objet le plus précieux ; plusieurs communes autre fois républiques, telles qu’à Utelle, Levens et Lucéram, ne se soumirent (comme on l’a vu dans l’introduction), après une guerre de trente ans, aux ducs de Savoie, qu’a des conditions humiliantes pour le vainqueur, et entre autres, qu’ils pourraient porter toutes armes, et surtout un grand couteau.
Cet esprit belliqueux étant bien dirigé, est d’un grand avantage pour garder la frontiére ; l’ancien gouvernement avait levé 4 000 hommes de troupes de milices, sous le nom de chasseurs de Nice, qui le serviront avec courage et fidélité jusqu’à l’extrémité ; la France a eu un exemple de ce que peut ce courage soumis aux régles militaires, dans le général Massena, natif de Levens dont je viens de parler, et un des grands capitaines de ce siécle.
Barbétisme
Mal dirigé, cet esprit peut faire beaucoup de mal, et il en a fait beaucoup dans cette derniére guerre, aux français obligés de franchir ces montagnes isolément ou en petites troupes.
Congédiés d’une part par le roi Sarde qui ne pouvait plus les payer, proscrits de l’autre, maladroitement, et je dirai injustement, dans leur patrie, les chasseurs de Nice furent forcés par le désespoir à devenir des brigands, sous le nom de barbets, à quoi d’ailleurs ils étaient entrainés par l’espoir du pillage. Le souvenir des cruautés froides et réfléchies que cette race féroce a commise au midi, en même tems que de pareils brigands en commettaient à l’ouest de la France, fait frémir d’horreur.
En vain, on en fesait un grand carnage et dans les montagnes et au lieu du supplice, ils semblaient renaitre de leurs cendres ; enfin, une sage administration ayant succédé à l’ancienne qui fomentait souvent ce brigandage, en confondant l’innocent avec le coupable, et une amnistie générale ayant été promise sur tous les delits anciens, ces mesures pacifiques eurent plus d’effet que les supplices, les barbets rentrérent dans leurs communes et y devinrent des citoyens paisibles ; plusieurs d’entre eux m’ont servi dans mes tournées d’escortes et de guides, se conduisant parfaitement bien ; et à part une vingtaine de chefs incorrigibles, qui se contentent de voler, sans assassiner, le département des Alpes-Maritimes, n’a plus à redouter ces terribles enemis, dont les incursions se portaient, il y a quelques années, jusqu’aux portes mêmes de Nice.
Influence des femmes
L’amour est une passion qui agit fort peu sur ces ames grossiéres, et il en est de même pour tout le département sauf Nice, Monaco et Menton. Soit faute d’agrément du coté du sexe, soit difficulté de se procurer la subsistance, l’indifférence pour les femmes est marquante par tout. Ayant eu soin de m’informer dans chaque commune de l’état comparatif des mœurs actuelles avec celles de 1790, tous les curés m’ont assuré de la sagesse de leurs parroissiens à cet égard ; j’ai même remarqué que le nombre de ces enfans naturels (quoiqu’il ait été de toujours petit, excepté à Nice, ou il n’y a jamais eu de véritables mœurs) était infiniment moins considérable actuellement, qu’avant la révolution. Aussi, les soldats français, heureux galans partout où ils passent, ne l’ont-ils guère été dans ces montagnes ou la grossiéreté et la rudesse des femmes, dont l’éducation est totalement négligée, égalent celles des hommes, si elles ne les surpassent pas.
Esprit de rapine
En échange, tous les curés se sont plaints du peu de respect que les enfans ont aujourd’hui pour leurs pères et mères, de la fréquence inouie des vols de campagne de l’abandon de toute bonne foi, et de la disposition augmentée pour l’ivrognerie.
Influence des sentiments religieux
C’est qu’après avoir bien observé les mœurs de tout ce département, je puis lui appliquer sans crainte d’éxagération ces paroles de feu monsieur Dupaty « à Nice, beaucoup de dévotion, point de réligion ». La réligion, ce beau présent du ciel, pour consoler l’homme et le rendre meilleur, est tout, dans ces contrées en pratiques minutieuses, et rien en morale. J’ai entendu avec frissonnement, dans plus de vingt communes, de la bouche d’un peuple ignorant qui se déchirait pour une procession, ce proverbe affreux de son invention, « que qui a peur de l’enfer, meurt de faim en hiver ». Est-il un peuple plus avili et en même tems plus malheureux, que celui qui est parvenu a étouffer ce sentiment sublime qui prolonge l’existence du juste dans les siécles à venir, qui le venge des crimes du méchant, et qui est la sentinelle la plus vigilante de la sureté publique ?
Il est à croire que c’est l’anarchie de ces derniers tems qui a produit ces maux ; j’ai aussi tout lieu d’espérer de la sagesse et des lumiéres du prélat actuel, Monseigneur Colonna qui administre l’église de ce département, que les sentimens réligieux obtiendront bientôt l’effet naturel qu’ils doivent avoir ; je dis sans crainte, comme sans flatterie, que la loi du concordat est un bienfait pour ce pays, et que le gouvernement a droit d’en attendre les plus heureux résultats, si l’on peut réussir à obtenir de bons curés ; leur influence, dans les villages, est plus grande que celle des maires.
Différence des mœurs selon les régions
Quoique les mœurs et les habitudes soient grossiéres partout, elles ont pourtant des nuances plus ou moins favorables, suivant les peuples avec lesquels telle région du département communiquait davantage. Dans les vallées de Paglion, de Bévera, de la Roya, de la Visubie et de la Tinée, ou les communications se fesaient entiérement avec les piémontais, le caractére du peuple est plus rude, plus sombre et plus féroce ; sur la cote maritime et dans la vallée de la Nervia, ou l’on communiquait et ou l’on communique encore beaucoup avec les liguriens, peuple civilisé par le commerce, le caractére des habitans est plus liant, et moins féroce ; dans les vallées d’Entraune, de Guillaumes, du Var et de l’Estéron, ou le commerce s’est toujours fait avec des départements français, on trouve une aménité et une affabilité, inconnues jusque là malgré les orages de la révolution ; aucun crime ne s’est commis dans ces vallées ; les milices au service du roi se sont retirées tranquillement, et les municipalités ayant eu la sagesse de les couvrir et de les protéger, il n’y a pas eu un seul barbet ; on y voyage, sans avoir besoin d’escorte et de jour et de nuit ; aussi y a-t-il un peu plus de lumiéres, plus de véritable réligion, et plus de mœurs.
Procédures
Ce n’est pas d’aujourd’hui que ces diverses régions diffèrent, ayant consulté les membres des tribunaux de l’ancien régime, pour savoir qu’elles étaient les communes les plus disposées alors à plaider, et qui étaient le plus souvent impliquées dans les procés criminels ; il m’en est résulté que dans les derniéres vallées dont j’ai fait mention on était, et l’on est encore très porté à la chicane, mais qu’il était rare que quelqu’un fut poursuivi pour crime d’assassinat ; que le meurtre provenant des rixes, ainsi que l’assassinat étaient assez communs dans les vallées qui touchaient le piémont, et qu’ils l’étaient moins dans la basse vallée de la Nervia et sur la cote maritime.
Progrés dans la civilisation
Dans ces derniéres contrées, ainsi que dans les vallées attenantes à l’ancienne France, les mœurs ont encore beaucoup gagné, depuis la révolution, relativement à l’urbanité ; il y a plus de propreté dans les maisons. Les arts du luxe commencent à se manifester dans les meubles et dans l’habillement : les terres même en sont mieux travaillées. Dans les autres régions, au contraire, aucun progrés ne s’est fait, il y a la même barbarie, la même malpropreté, la même ténacité pour les anciennes coutumes. J’attribue beaucoup cette différence à la nature du langage.
Nature du langage
A Nice, on parle un patois grossier, propre au pays et qui n’est ni provençal ni piémontais ; on le parle dans les maisons, dans les promenades, tant chez le pauvre que chez le riche ; c’est l’idiome usité des prédicateurs, lorsqu’ils ne préchent pas en italien ; ancienne langue des bureaux mais peu connue du vulgaire.
Dans les vallées de Paglion, Bevera, Roya, Visubie et Tinée, on parle un patois mêlé de beaucoup de piémontais.
Dans la vallée de la Nervia, le langage est mélangé des idiomes piémontais et ligurien.
Dans toutes les communes de ces vallées, soit en plaine soit en montagne le peuple ne comprend pas un mot de français et ceux qui l’administrent n’en savent guère plus, de sorte que les lois, arrêtés, ordonnances, proclamations etc. leur parvenant en français, ils sont peu en état d’en apprécier la valeur.
Au contraire, dans les vallées du Var, d’Entraunes, de Guilleaumes, entre le Var et l’Estéron, et même à Saint Ethienne, on cultivait plus le français que toute autre langue, ce qui fait que les actes écrits de cette maniére sont mieux compris et font plus d’effet.
N’y ayant rien d’aussi connu aujourd’hui, que l’influence du langage sur les mœurs et les habitudes des peuples, on sentira aisément combien il est essentiel de répendre dans ce département la langue française et d’établir dans chaque grande commune un maître de cette langue, ce qui manque totalement partout.
Nous terminerons ce chapitre et cette section par dire un mot du dégré d’intelligence des habitans des Alpes-Maritimes.
Degré d’intelligence des habitans des Alpes-Maritimes
On ne peut leur refuser de la conception, de la mémoire, et de l’aptitude aux sciences exactes et aux beaux arts ; le département a fourni dans l’une et l’autre partie, des hommes illustrés dont tel pays le plus civilisé aurait raison de se glorifier. Nous avons déjà fait mention des Cassini et Maraldi , de Périnaldo, qui occupèrent le premier rang dans les sciences exactes, et dont le dernier (Jean Dominique Maraldi) vint mourir dans sa patrie le 14 novembre 1788, comblé de gloire et de bienfaits justement mérités. Immédiatement après ces grands hommes mérite d’être placé, Alexandre Victor Papacino d’Antony né à Villefranche le 20 mai 1714, et mort à Turin lieutenant général et commandant en chef du corps d’artillerie, le 7 décembre 1786. Cet homme justement célèbre dans le génie et l’artillerie, s’était élevé sans fortune et sans appui et par son génie seul, du rang de simple soldat, à ce poste éminent qu’on n’accordait rarement dans le gouvernement Sarde qu’à la plus haute noblesse. Il a laissé sur le genie militaire, l’artillerie et la tactique militaire, un grand nombre d’écrits, qui ont mérité d’être traduits dans plusieurs langues et dont on peut voir l’énumération dans le dictionnaire géographique, imprimé à Nice.
Plusieurs se sont montrés capables de profondes recherches dans l’histoire, la chronologie, les langues anciennes. Pierre Jofredi , de Nice, fit l’histoire des antiquités de cette ville et de Cimier, dans le 17ème siécle donna plusieurs articles dans le Theatrum Statuum Pédémontium, et laissa un grand manuscrit sur les Alpes-Maritimes, dont il ne m’a pas été possible d’avoir connaissance. L’abbé Alberti de Sospello écrivit au commencement du 18ème siècle, l’histoire ancienne et moderne de sa patrie.
Plusieurs se sont distingués dans la médecine et la chirurgie, dans l’église et dans le barreau, quelques uns d’entre vivent encore.
C’est particulièrement dans les beaux arts, qu’ils excellent, Nice a produit dans le XVIème siécle. Louis et Jean François Bréa père et fils, qui se sont distingués dans la peinture, dans le commencement du XVIIIème, Charles André Vanloo, mort à Paris, le 15 juillet 1745, directeur de l’académie de peinture, premier peintre de la cour de Versailles, et décoré du cordon de Saint-Michel. La dernière épidémie a enlevé à Nice, dans le printems de ses jours, un excellent peintre, qui donnait les plus grandes espérances, dans la personne du citoyen Vignalis, né à Monaco, professeur de dessin à l’école centrale, et qui avait déjà mérité les suffrages du célèbre David.
En fait de poésie italienne et latine, on compte le poète Leotardi, mort à Nice en 1660 ; le père Cotta de Tende, mort en 1738. L’abbé Passeroni de Lantosca, né en 1713, et qu’on dit encore vivant, en Italie et plusieurs autres.
Mais ce n’est pas simplement d’après le petit nombre d’hommes que je viens de citer, que je juge l’esprit des habitans des Alpes-Maritimes, je les juge d’après la connaissance que j’ai de plusieurs. Or j’ai vu que réellement les jeunes gens de Nice auraient de l’aptitude aux sciences, s’ils n’étaient pas autant dissipés, et s’ils étaient plus constans. Mais, ainsi que l’historien Jofrédi l’avait déjà remarqué en 1658, cette paresse qu’ils doivent au climat les empêche de mettre à l’étude cette opiniatreté qu’elle exige, pour devenir profitable ; manquant de l’esprit de méthode, qu’on vint en vain leur donner, et bientôt dégoutés par les difficultés, ils abandonnent facilement un objet, pour se fixer vers un autre qu’ils ne tardent pas aussi d’abandonner. Ainsi, de 30 élèves que j’ai eu chaque année au commencement de mes cours de phisique et de chimie, et ou, plusieurs me donnaient la satisfaction de montrer de l’intelligence, ne m’en ait jamais resté sur la fin des cours que deux à trois encore natifs de la montagne.
Il en est de même des mathématiques, plusieurs font des progrés, au commencement, qu’ils abandonnent ensuite ; et cependant, le génie de la nation pourrait exceller en cette partie, y en ayant quelques uns qui s’y sont adonnés volontairement et qui ont réussi.
La faculté, ou les gens de Nice brillent le plus, est celle de la mémoire ; ils l’exercent volontiers ; par principe de l’éducation vicieuse usitée dans l’ancien gouvernement, ils sont trop persuadés que le savoir consiste à apprendre des mots ; cette méthode qui favorise leur paresse naturelle, a nui et nuira longtems encore au développement du jugement.
Aussi les arts d’imitation et ceux d’imagination sont-ils ceux qui leur plaisent le plus ; des différentes branches enseignées à l’Ecole Centrale, celle de dessin est le plus suivi. La danse, la musique, la déclamation, la poésie, ont pour eux de puissant attraits, plusieurs s’adonnent, avec passion à la poésie mais dans laquelle on voit, plus de mots appris que de choses, moins d’immagination que de mémoire. Les charmes de la musique ne les transportent cependant pas autant que les habitans de la Provence et du Languedoc ; comme si la mollesse du climat diminuait dans les organes cette sensibilité exquise qui produit des émotions tumultueuses dans l’habitant d’un climat plus sec.
Il n’en est pas de même des habitans des montagnes ; avec moins de mémoire, ils ont plus de solidité dans le jugement ; ils portent dans l’étude une opiniatreté infatigable ; leur pauvreté ne leur permet guère de se livrer aux sciences ; mais ceux qui s’y livrent sont capables de tous les sacrifices et réussissent communément ; j’en connais qui sont encore vivants, qui se sont distingués dans le génie militaire et les mathématiques ; dans mes cours de chimie et de phisique ainsi que dans mes demonstrations anatomiques et mes leçons de physiologie, ce sont eux qui m’ont donné le plus de preuves de constance et d’intelligence.
Ainsi, soit d’après les hommes illustres que le département a fourni, soit d’après l’essai que nous avons fait des facultés intellectuelles de ses habitans, nous sommes en droit de conclure qu’étant cultivés ils pourraient donner à la patrie et au gouvernement d’aussi bons sujets que les autres départemens de la France.
Peut être que s’ils étudient moins aujourd’hui qu’ils ne le fesaient par le passé, c’est parce qu’ils n’ont plus, comme alors, l’appas des récompenses ; dans l’ancien gouvernement, nul n’était promu à aucune place, s’il n’avait fait dans les collèges toutes les études ordonnées par la loi de l’état ; ils ont eu l’expérience depuis la révolution que la science ne conduisait a rien et que les hommes les moins lettrés étaient néanmoins pourvus des fonctions les plus importantes ; il est vrai aussi de dire, que les anciennes écoles ayant été détruites, l’école centrale n’a pu entièrement les remplacer, par les lacunes nombreuses qu’elle laissait ; mais ils savent aussi que le gouvernement consulaire est le réparateur des maux inévitables d’une révolution, et qu’il fera insensiblement aussi rentrer chaque individu dans la classe que la nature et l’éducation lui avaient assignées.
Époques de la vie où l'on commence et où l'on finit d'être propre au travail suivant les positions habitées
À quel âge commence-t-on à travailler ? À quel âge s’arrête-t-on ? Causes et des traitements des maladies congénitales et endémiques. État de la médecine dans le département.
NOTE : Nous offrons aux internautes la possibilité de découvrir ce texte inédit transcrit dans sa forme originelle et avec l'orthographe de l'époque. |
Epoques de la vie où l’on commence et où l’on finit d’être propre au travail suivant les positions habitées
Âges de la vie où l’on commence à travailler au Midi
Dans toutes les parties méridionales du département, les enfans commencent à être utiles à leurs parens en gardans les troupeaux, en arrachant les mauvaises herbes, en cueillant les olives, et en faisant bien d’autres petites choses analogues, dès l’age de six a huit ans. Ils y sont partout d’une grande vivacité, bientôt développés et dans les parties élevées et séches comme à Perinaldo, marchant à dix mois.
Il est à remarquer que dans les régions méridionales, l’on m’a fait faire partout l’observation qui depuis le changement de régime, les enfans sont beaucoup plus vite développés, soit dans le parler, soit dans la marche. C’est là une suite de ce développement même des facultés intellectuelles des parens, accoutumés autrefois à une longue servitude et à ne savoir pas penser eux-mêmes. En ouvrant une nouvelle carriére aux inquiétudes de l’esprit, et en répendant partout leur vivacité et leur loquacité naturelles, les Français ont insinué dans les cœurs un sentiment actif de dignité personnelle, qui quelles que soient les institutions à venir, se conservera long-tems chez un peuple qui ne lit pas et chez lequel parconséquent les opinions en bien ou en mal insinuées par la tradition, font des impressions durables.
Cette vivacité s’est communiquée aux enfans imitateurs de nos gestes ; abandonnés ci devans en maillot, dans l’ordure pendant les travaux du jour, leur éducation physique est aujourd’hui soignée ; moins silentieux, plus ouverts, leurs pères conversent avec eux plus souvent. Qu’on suive la marche des sentimens humains dans les divers degrés de la vie sauvage et de la vie civilisée, l’on verra que le sentiment de paternité augmente en raison de la civilisation ; tant il est vrai que le moral aide singulièrement au climat à donner des formes et des habitudes particulières à tout ce qui compose l’organisation humaine.
L’age de 12 à 14 ans est celui auquel on commence à les mettre en apprentissage pour des mêtiers.
L’age de 14 à 15 ans est celui ou l’on commence à initier les enfans dans les gros travaux de la campagne.
Âge ou l’on commence à travailler au Nord
A Luceram, déjà les enfans ne commencent à être utiles à leurs parens, qu’à 10 à 12 ans ; et ils ne sont propres aux travaux de la campagne que depuis l’age de 15 à 16 ans. A Lantosca et Roccabiliéra, ils ne commencent à être utiles qu’à 12 et 15 ans, et on ne les met au travail qu’à 18 ans. A Saint Martin de Lantosca, ce n’est que de 16 à 18 ans que les enfans commencent à travailler. A Saint Ethienne, Saint Dalmas et dans toutes les communes où la richesse roule sur les troupeaux, les enfans commencent l’état du berger à 8 et 10 ans, et on les met aux travaux des champs à 18 ans.
On se plaint pourtant, en général, dans toutes les communes, tant au Midi qu’au Nord, qu’on fait travailler les enfans trop jeunes ; cependant cet usage est ancien et je ne vois pas qu’on se soit jamais corrigé.
Nulle part, on ne m’a fait et je n’ai fait moi même l’observation dans les communes du Nord, relative au développement des enfans ; ils y sont, au contraire, très mal soignés, au physique et au moral, et très tardifs ; cependant les Français y ont aussi pénétré et même y ont séjourné plus long-tems, mais la guerre y a été plus opiniatre, et ses résultats, loin d’adoucir les mœurs, en ont augmenté la férocité.
Âge où l’on n’est plus propre au travail au Midi
Sur la côte maritime et dans la plaine, on est propre au travail durant toute la vie, on voit des vieillards de 70 ans en pleine vigueur, et travaillant comme dans leurs jeunesses ; cet age est, en général, celui ou l’on cesse de travailler dans les terroirs secs et élevés de la partie méridionale, tandis qu’on est susceptible de travailler plus long-tems, là où les champs sont d’une culture facile, comme à Nice et à Menton.
Dans les pays plus froids, à Lucéram, à Tende à La Briga, etc., on commence à n’être plus propre au travail à 60 ans ; je trouve du coté du Nord beaucoup de communes où l’on est déjà très vieux à 55 ans et où l’on est plus propre aux travaux utiles de la campagne.
D’où l’on voit que les époques du travail, dans ce département correspondent à celles de la puberté, comme celles de la cessation correspondent au terme ordinaire de la vie, dans les diverses régions.
La chaleur modérée est donc un principe puissant pour développer et entretenir long-tems, dans leur intégrité, les formes de la vie, en y joignant l’usage du vin et d’une nourriture saine.
Le froid, les fatigues excessives, la privation du vin et la mauvaise nourriture sont au contraire toutes ensembles des nuisances affaiblissantes qui retardent, diminuent et abrègent les diverses fonctions de la vitalité.
Des vices de conformation et des maladies les plus communes dans les diverses régions du département, ainsi que de la médecine usitée
Des vices de conformation
Il y a dans tout le département,
Aveugles n° 40
Sourds et muets 39
Boiteux de naissance 144
Cretins ou imbécilles 146
Goitreux 196
Il serait aussi utile que curieux de pouvoir reconnaître la cause de plusieurs infirmités naturelles et de défauts corporels, plus communs dans certains pays que dans d’autres et de pouvoir les comparer directement avec la nature et les qualités de climat, mais qu’elles que soient nos recherches méthéorologiques, et nos observations sur la position topographique des lieux, je doute qu’on puisse jamais se rendre raison de tout, et spécialement des vices de conformation qui ont pris naissance dans le sein maternel et qui sont de préférence plus fréquens dans certaines régions.
Il est vrai que l’esprit de recherche ayant déjà été poussé très loin, il paraît, au premier abord, qu’il ait déjà plusieurs phénomènes dont on peut se rendre raison, mais le médecin voyageur qui observe dans un pays tout différent ce qu’il avait cru avoir bien expliqué dans un autre sent toute la réserve qu’il doit mettre dans les opinions qu’il énonce et ne les donner que comme des apperçus, tant qu’une identité de faits nombreux ne lui a pas permis de généraliser ses idées.
Nous en avons un premier exemple dans la cécité. L’on m’a assuré dans ce pays, que ce vice corporel était de naissance chez plusieurs, et que chez d’autres il avait paru des la plus tendre jeunesse. Le plus d’endroits où je l’aie trouvé sont les points élevés, secs et chauds : Perinaldo seul a 8 aveuglés. La beauté et la sérenité du ciel, la sécheresse de l’air, l’étendue de pays qu’on découvre de ce point élevé, ont invité à l’astronomie ; Perinaldo est la patrie des célèbres Jean Dominique Cassini, Jacques Phippe, et Jean Dominique Maraldi qui ont fait faire tant de progrés à cette science. J’ai été sur la terrasse où ces grands hommes firent leurs premiéres observations, j’ai vu les instrumens grossiers dont ils commencèrent à se servir. J’ai senti, au saint respect que m’inspirait leur mémoire, aux avantages que ce lieu me prêtait, qu’aussi moi, habitant de Perinaldo, j’eusse osé, dans mes jeunes ans, consulter les cieux.
Mais ce n’est pas le plaisir de considérer les astres qui rend la cécité commune dans ce pays ; il est possible que la sécheresse de l’air y contribue ; il est possible aussi que les petits cristaux dont j’ai parlé, dans ma premiére section, répendus abondamment dans la terre, et dont la vue, au soleil, m’éblouissait, produisent à la longue la cécité chez le cultivateur. On pourrait aussi l’attribuer aux vents d’est, de sud-est, et de sud-ouest qui règnent souvent, ainsi qu’aux brouillards, propres à produire des ophtalmies fréquentes, dans la vallée de la Nervia, et autres.
Cependant, l’on est aussi disposé à la cécité à Isola Buona, lieu enfoncé, où il ne règne presque point de vents, ni de brouillards, mais où les terres contiennent aussi beaucoup de ces cristaux. A Apricale, au contraire, lieu voisin, où il y a aussi de ces cristaux mais qui est un lieu enfoncé, rétréci et humide, la cécité n’y est pas commune.
En passant du midi au nord, on trouve cette maladie assez fréquente dans la vallée de la Tinée à l’Isola et à San Salvador ; ces lieux sont enfoncés dans une gorge étroite, sombre, humide, ventilée par les vents d’est, d’ouest, et du nord, qui suivent les tortuosités de la riviére. Or, l’on y est extremement sujet aux ophtalmies séreuses, et j’y ai rencontré cinq à six aveugles du pays. J’ai rencontré pareillement des fluctions aux yeux, partout où les brouillards marins sont fréquens ; de sorte qu’il pourrait se faire que la cécité des pays secs élevés et chauds comme celle des pays bas, froids et humides, tendent à deux causes différentes. Cependant les cataractes sont extrêmement rares dans ce département. Les opérateurs de passage y ont peu de travail. Son climat ne favorise guère les maladies lymphatiques et soit dit en passant, les fleurs blanches, si fréquentes dans les pays qui donnent naissance aux cataractes, soit une maladie presque inconnue dans ce département, exceptée parmi quelques femmes de Nice.
Ce défaut de naissance, dont j’ai pu découvrir 39 exemples dans le département, est encore plus difficile à expliquer, car j’en ai rencontré dans les positions les plus opposées. Indépendamment de Nice, ou il y en a 15 à ma connaissance, j’en ai trouvé 3 à Isola, dans la Tinée, et 12 dans les différentes communes du Nord. J’avoue pourtant que j’en ai observé davantage, dans les parties méridionales ; il y en a 4 à Menton, 2 à Dulceaqua, 1 à Perinaldo, 2 à Pigna ; par conséquent, avec ceux de Nice, il y en a 24, pour la partie méridionale seulement.
En passant à Vintimigle, ville liguriéne de 3 000 ames dont j’aurai encore occasion de parler, placée dans une plaine seche, ventilée, et très exposée aux broillards marins, j’ai pris, soit à l’hopital, soit des médecins du lieu, des renseignemens sur les maladies endémiques de cette contrée, il m’en est résulté qu’il y avait six sourds et muets de naissance, dont un qui s’était marié avait un des enfans qui parlent, dont l’ainé marié avait eu à son tour, des enfans muets ; ces personnes sont vivantes, et l’observation m’a été confirmée par le commissaire des relations commerciales, français, et divers individus des plus apparens qui ont bien voulu se prêter et être présents à mes recherches.
Ce fait est analogue à ce qui arrive au citoyen Rolland, marchand clinquailler à la Canébiére, à Marseille. Sa femme, depuis son mariage, met au monde alternativement un enfant muet et un enfant qui parle. Que de chose encore obscures !
Du reste, ces sourds et muets du département ainsi que ceux de Vintimille, sont pleins d’intelligence et ne doivent pas être confondus avec les crétins et imbécilles, dont je parlerai.
Boiteux
Au contraire des sourds et muets, les boiteux de naissance sont beaucoup plus communs dans ces contrées froides que dans les chaudes ou tempérées, je n’en ai presque point rencontré dans ces dernières sauf à Nice, ou pourtant le nombre en est rare et à Tourrette, pays élevé, déjà un peu froid, où il y en a 15.
Beuil est la commune ou j’en ai le plus observé un jour de dimanche ; il y en a 40, et l’on m’a assuré, que, de tems immémorials, ce défaut s’était perpétué de père en fils. A Robion, il y en a 8 et j’en observe beaucoup relativement à la population dans toutes les communes élevées et sujettes à avoir beaucoup de neige. Dans les vallées de la Tinée, et d’Entraunes, j’en vois plusieurs aussi ; dans la seule petite commune d’Isola, il y en a 15. Dans celle de Saint Martin d’Entraunes peuplée de 500 ames il y en a 6.
J’ai fait des recherches pour découvrir si ce défaut tenait au rachitisme et j’ai vu qu’il en était séparé. Le rachitisme est peu commun dans les pays froids et secs de ce département. On le rencontre dans les régions tempérées et humides, comme le long du Var et de la Roya. Fontan, hameau de Saorgio, situé sur les rives de cette rivière a beaucoup de rachitiques, et presque point de boiteux, de sorte qu’on est fondé à attribuer au froid joint peut-être au peu de soin qu’on prend des enfans des communes très grossiéres, le défaut fréquent de claudication.
Crétins et goitreux
Je parle en même tems de ces deux maladies parce que je les ai rencontrées ensembles dans ce département comme dans les pays qui ont fait le sujet de mon traité du goitre du crétinisme. Ici, comme dans la Val d’Aoste, la Maurienne et le Valais, elles ne paraissent pas sur les lieux élevés, on n’en rencontre ni à Saint Dalmas le Sauvage, ni au Molinet, ni aux hameaux de Tende et de Briga, placés sur les véritables Alpes. Les lieux maritimes, les points élevés froids et secs, chauds et secs, en sont exemptés, mais on les trouve fréquemment dans les vallées humides du coté du nord et du coté du midi, aux pieds des Alpes secondaires. La vallée de la Visubie est celle ou l’on en voit le plus ; en y entrant, à Lantosca on commence à voir un assez grand nombre de goitres, et 6 crétins parfaits ; à Saint Martin de Lantosca, la plus grande partie de la population a du goitre, et l’on y compte 50 crétins parfaits, et de naissance. On monte à Valdeblora ou l’on ne trouve plus de ces maladies, et l’on descend dans la vallée de la Tinée, ou on les trouve derechef. Jusqu’à Saint Ethienne, ou elles n’existent plus, sauf un seul crétin en général, dans cette vallée les hameaux des communes qui regardent la Tinée y sont sujets et les hameaux élevés et qui regardent le midi en sont exempts. Nous en avons un exemple frappant à la Torre.
Dans la vallée de la Roya, Fontan, hameau de Saorgio, nous en fournit un autre exemple ; il y a beaucoup de goitres et de cretins, tandis que le chef lieu tout voisin, mais élevé, n’en a aucun.
Dans la vallée de la Nervia, on observe à Apricale, lieu enfoncé, comme je l’ai dit, 10 a 12 crétins et divers goitres qu’on n’observe pas dans les lieux plus élevés, les enfans y sont moins développés, plus engourdis, et les adultes plus lourds qu’à Perinaldo ; de sorte que ce nouveau voyage m’a servi à confirmer de plus en plus la théorie que j’ai été le premier à donner de la cause du goitre et du crétisme, savoir qu’elle est dans l’humidité de l’air des vallées, théorie que j’eusse abandonnée si je n’eusse pas toujours rencontré la même identité de faits.
Maladies endémiques
Les principales sont,
Les hernies
Les maladies de peau,
Les écrouelles,
L’épilepsie,
Les fiévres d’accès
Les obstructions des viscères et l’hidropisie
L’asthme sec et humide,
La phtisie pulmonaire
Hernies
J’ai compté dans ma tournée, 202 individus attaqués de hernies, dans ce département. Cette maladie est fréquente dans les vallées, ou un air chaud et humide porte le relachement sur les fibres. La vallée de la Nervia est de toutes, celle, ou il y en a le plus ; à Dolceaqua seulement, on compte 100 hernies inguinales ; à Isola Buona, on en compte 20 ; il y en a, à proportion de la population, à Apricale, Pigna, Roquetta, Dolceaqua ; sur les hauteurs, à Périnaldo et Saorgio, on n’en rencontre point ; il n’y en a pas à Briga et à Tende ; on en rencontre de nouveau dans les lieux plus chauds et humides, comme Fontan et Sospello.
Les plages maritimes n’y sont pas sujettes ; on en voit fort peu à Nice, Villefranche et Menton.
Les vallées froides, quoique humides, ne produisent pas, ou que très rarement cette maladie ; on ne m’en a point fait observer dans les vallées de la Visubie, de la Tinée et d’Entraunes ; j’ai trouvé quelques hernies à Saint Ethienne, mais telles qu’elles sont l’effet de l’effort continuel que la classe la moins fortunée doit faire dans ces montagnes.
De sorte que j’en conclu, au moins pour ce pays, que l’humide joint au froid est moins propre à produire ce relachement que lorsqu’il est joint à la chaleur.
Maladies de la peau
J’ai trouvé diverses maladies de la peau répendues de tems immémorial, dans les vallées de la Visubie, de la Tinée et de la Nervia.
Dans les premiéres, c’est un véritable charbon ou anthrax, qui attaque toutes les maladies du corps, tans de la face que des membres et du tronc. Cette maladie est très rependue ; une trentaine de communes y sont sujettes, sans en excepter Saint Ethienne ; en l’an 9 deux hommes robustes en périrent à Bora, parce que l’anthrax placé sur les muscles et l’artêre sourcilliére, qu’il avait rongé, produisit une hémorragie mortelle. On traite immédiatement cette maladie, par le cautère actuel ou potentiel.
Au premier abord, j’attribuai la cause de cette maladie à la stagnation et à l’humidité de l’air des vallées. Ayant vu par la suite que les communes élevées de toute la chaine du col de Pal et du col Fenèstre y étaient pareillement sujettes, je me rangeai de l’avis des personnes sensées de ces contrées, qui l’attribuent à la malpropreté, et surtout à ce que les habitans se servent pour se couvrir durant la nuit, des mêmes couvertures qu’ils mettent pendant le jour sur leurs bêtes de somme soit pour les défendre de la pluie, soit pour leur servir de bats ; et ce avec d’autant plus de raison, que ces animaux sont aussi eux mêmes sujets au charbon et que les personnes aisées, et qui peuvent se tenir propres, ne contractent pas cette maladie.
Dans la vallée de la Nervia, il y a des maladies de peau d’une autre nature et qui, indépendamment de la malpropreté, paraissent tenir plus essentiellement au climat ; à Dolceaqua, Isola Buona, Apricale, Pigna. L’on est très sujet à une galle rongeante ; et à des dartres soit vives, soit farineuses, auxquelles les gens du pays donnent le nom de mal salso, parce que leur opinion est que ce sont des sels qui leurs sortent par toute l’habitude du corps. Outre ces éruptions habituelles, l’érysipelle et les fluxions sont des tendances extremement communes à toutes les pirexies qui se manifestent dans ces contrées.
Mais ce qui est le pire dans ces maladies de la peau c’est la lêpre, encore dans toute sa vigueur à Pigna et à Castel Franc, village voisin de la Ligurie. Cette maladie hideuse existe à Pigna dans quatre familles, restes des anciennes familles lêpreuses de ces contrées, et qui, par un abus insigne du lieu conjugal, la perpétuent de génération en génération. La lêpre est ici vraiment héréditaire, car elle commence à paraître vers les 25 ans, chez des sujets qui paraissent très sains ; son développement est lent, jusqu’à ce qu’en fin elle aie fait des progrès si violens que le malade en est enlevé à l’age de 50 ans. Il en meurt ordinairement deux à trois personnes, tous les ans.
En considérant, que ces maladies de la peau affectent tous les individus, pauvres et riches, et qu’on ne les connaît pas dans les lieux élevés de la vallée, tels que Perinaldo, ainsi qu’à la Briga, après avoir passé la Tanarde ; on est fondé à les regarder comme des maladies endémiques des bas fonds de cette vallée de la Nervia.
La nature a heureusement mis le reméde tout à coté, si les habitans savent s’en servir car il paraît, par quelques épreuves que j’avais recommandé de faire, que les eaux hydro-sulfurées d’Isola Buona et de Pigna sont fort bonnes dans ces maladies.
Quant à la lèpre, le simple bon sens indique la nécessité d’interdire le mariage au restant des individus attaqués de cette maladie, ou descendant disparus lépreux.
Ecrouelles
Il résulte de mes recherches la quantité de 200 écrouelleux pour tout le département desquels une quinzaine de familles à Nice, tant parmi les bourgeois que parmi les cultivateurs qui habitent le quartier du Var sans compter les enfans de la charité, presque tous écrouelleux par le mauvais régime auquel ils sont soumis.
Les écrouelles suivent dans ce département les maladies causées par des puissances relachantes. On n’en connaît pas même le nom dans les contrées élevées, chaudes ou froides. Il y a quelques écrouelleux dans les vallées d’Entraunes, de la Visubie et de la Tinée. Il y en a davantage, dans toutes les communes basses des vallées de la Nervia et de la Roya, ce qui semblerait indiquer que pour la génération de cette maladie la chaleur humide est plus efficace que le froid. Je ne saurai même lui attribuer d’autres causes primitives, car, quand je considère les soins qu’on donne généralement aux enfans dans tous les villages du département, je trouve qu’ils sont bien plus recherchés dans la partie méridionale que dans la septentrionale, où les mœurs sont plus grossières et la nourriture plus mauvaise. Nous avons à 4 heures de Nice, le village important d’Aspremont divisé en plusieurs hameaux, dont les uns regardent le Var et les autres sont situés au coté opposé ; il n’y a dans ces derniers que les maladies qui attaquent les fibres fortes, au lieu que dans les premiers on trouve nombre d’écrouelleux, de crétins, et autres maladies dans le détail desquelles nous allons rentrer.
Épilepsie
Le nombre des épileptiques dans le département se monte à 100 environ. Torrette à 3 heures de distance de Nice, sur la hauteur, est le pays ou il y en a le plus et où l’épilepsie est la maladie chronique dominante car il y a 30 individus, de tout sexe et de tout age, attaqués de cette maladie. La commune est batie au milieu d’un joli petit vallon, fait en conque, tout ombragé d’oliviers, exposé aux vents du sud-est et de sud-ouest, et surtout aux brouillards, dans la saison du printemps et de l’automne, lesquels viennent de la mer le long du Var, et enfilent une gorge qui aboutit à cette rivière, d’où ils entrent dans le vallon de Torrette, pour y séjourner long-tems favorisés par la nature du lieu.
J’ai été d’autant plus surpris, au premier abord, de cette quantité d’épileptiques, que je venais des montagnes du nord et de l’ouest, ou je n’en avais rencontré aucun sauf à Saint Ethienne, où l’on m’en a déclaré 3 à 4. En échange, il y a dans les vallées froides beaucoup de femmes histériques.
M’occupant ensuite de la commune d’Aspremont, j’ai appris du médecin du lieu qu’il y en avait également quelques uns dans les hameaux sis sur le Var, et qu’il n’y en avait point dans les hameaux élevés, écartés de cette riviére et tournés à l’est.
Mais en parcourant l’arrondissement de Monaco, j’ai eu occasion d’en observer dans toutes les communes exposées aux brouillards, sur tout dans la vallée de la Nervia, et l’on m’en a fait remarquer, non seulement dans les lieux bas, mais encore dans les lieux élevés. A Perinaldo, il y en a cinq ; il y en a 10 a 12 à Pigna ; Apricale, commune située à peu près comme celle de Torrette, en compte 12 ; Monaco en a 4.
Or, en réfléchissant sur la position des lieux où j’ai observé le plus de ces maladies, et en considérant que ce sont précisément ceux qui sont très exposés aux brouillards qui s’élèvent de la mer, comme toute la cote maritime, depuis le Var jusqu’à Menton, et dans toute la vallée de la Nervia, (ces brouillards ne pouvant pénétrer dans les vallée de Roya et de Paglion, à cause de la position des montagnes), il m’a paru qu’on pourrait avec quelque fondement (qu’il ne convient pas de discuter ici) leur attribuer la cause de l’épilepsie et autres maladies convulsives plus fréquentes dans la partie méridionale que dans la septentrionale. Ces brouillards, en effet, comme je l’ai dit dans la première section, grimpent très haut le long des colines et des montagnes, s’attachent à tous les corps secs, sans les rendre décidément humides, et agissent évidemment sur les sens de l’ouie, du goût et de l’odorat, comme j’ai dit l’avoir éprouvé moi même ils sont enfin irritans, et même caustiques, d’après leurs effets sur les végétaux.
Fièvres d’accès
Ces fièvres sont très multipliées, au printems et en automne dans toute l’étendue du département, sauf dans les régions froides, où il est rare de les voir, si nous en exceptons Saint Martin de Lantosca, commune très humide.
Toute la cote du Var, depuis Bonson jusqu’au terroir, quartier dit du Var, est tellement mal sein, qu’il suffit souvent d’y aller chasser, ou d’y aller faire une journée de travail, pour prendre la fiévre. Les bergers de la Briga et de Tende, qui y conduisent leurs troupeaux dans la saison de l’hiver, y contractent ordinairement ces fiévres dont ils guérissent, en allant respirer l’air natal, sans autre remède, car dans ces communes jamais les fiévres d’accès n’ont paru, excepté qu’elles ne soient venues de dehors.
Le quartier de Riquier est une autre partie du terroir de Nice où les fiévres d’accès sont fréquentes. Les bras d’eau qui sortent de la montagne de Mont-Boron, ou qui sourdissent à niveau du sol des campagnes qui sont à sa base, retenus par le peu de pente des prairies, par la multitude des rigoles, par les fossés permanents destinés au rouissage, font de ce quartier un sol fangeux et mouvant duquel il s’élève en été des vapeurs qui infectent tout le voisinage, et qui donnent lieu à des fièvres périodiques souvent pernicieuses.
Sospello, entouré de torrens et de ruisseaux qui aboutissent à la Bevera, rivière d’un cours lent et stagnant en été, couronnée d’ailleurs presque constamment par les brouillards marins qui franchissent à midi le col de Castillon pour se répendre sur la surface interne des montagnes qui entourent la vallée, cette ville, dis-je est extremement sujette aux fièvres d’accès et de l’aveu de tous les vieillards, elle en était infiniment plus affligée avant qu’on eut donné cours à un grand nombre d’eaux stagnantes qui entouraient ses murs et ses maisons de campagne.
Le hameau de Fontan dans la vallée de Roya, et toute la vallée de la Nervia sont en proie, tous les ans, aux fiévres d’accés. On n’en est pas surpris, dans un sol humide et enfoncé, ou l’on est forcé de faire des étangs artificiels pour donner une chute d’eau suffisante aux moulins d’huile, et où les eaux courantes sont chargées de l’extractif à moitié pourri des olives.
Mais l’on est étonné d’en observer sur les points les plus élevés et tellement secs qu’à peine la commune a-t-elle une petite source pour désaltérer ses habitans ; Torrette, Levens, Roquebrune, Gorbio, Castillon, Saint Agnes, Castellan, Périnaldo sont des communes annuellement sujettes à ces fiévres ; Villefranche, commune par sa nature d’une sécheresse extrême, Menton et Vintimigle, pays sans marécages et sans eaux stagnantes en sont affligés tous les ans et d’une manière souvent même pernicieuse, la fièvre se changeant en rémitente maligne, ou prenant ces formes bizarres que l’illustre Torti à si bien décrites.
En examinant la chose de près, on voit que si ces communes n’ont point d’eaux stagnantes, elles sont en échange recouvertes une partie de l’année de ces brouillards dont nous avons déjà tant parlé ; et on ne peut se refuser à l’idée que ce sont eux qui produisent les mêmes effets.
J’ai pour principe de me défier des médecins dont je ne connais pas l’instruction, parce qu’ils mettent leurs petits systèmes à la place du vrai ; j’en appelle alors à l’opinion des anciens, opinion qui trompe rarement sur des choses aussi intéressantes que la santé, parce qu’elle est fondée sur une longue observation ; or j’ai appris dans toutes les communes que je viens de citer que le pays était d’autant plus exempt des fiévres d’accès et d’autres maladies, que les brouillards étaient moins fréquens. L’été de l’an X, par exemple, a été sain parce que ces brouillards se sont montrés plus rarement et qu’ils ont été plutôt dissipés. Peglia, située de maniére que les brouillards n’y pénétrent pas, quoiqu’à un quart d’heure d’une contrée, où ils dominent, ne connaît les fièvres d’accès que parmi ceux de ses habitans qui passent la saison d’été sur les bords stagnants de Paglion.
Ce n’est donc pas par la quantité, mais par la qualité que les effluves morbifiques exercent leur puissance sur l’économie animale.
Du reste, il m’a été également assuré dans les communes élevées qu’on était moins sujets à ces fiévres dans les étés où il y avait beaucoup de fruits lesquels ne produisent cependant pas les mêmes effets dans les pays bas, or il y a toujours beaucoup de différence que les gens de l’art ne peuvent manquer de savoir apprécier.
Il paraît en effet assez constant que la chaleur qui exalte les sucs bilieux est susceptible de produire seule des fiévres d’accés mais avec un carractère différent de celle de l’humidité et que les fruits y remédient en faisant couler la bile : ainsi nous avons plusieurs causes de ces fiévres, qui exigent des traitements variés, comme la pratique le prouve aux médecins de ces contrées.
Obstructions et hidropisie
Les obstructions des viscères du bas ventre et l’hidropisie sont des maladies extremement fréquentes dans toutes les vallées soit méridionales, soit septentrionales du département. L’obstruction suit ordinairement les fiévres d’accés dans tous les lieux humides ; dans le quartier du Var, au second ou au troisiéme accès, la maladie s’est déjà portée ou sur le foie ou sur la rate, particulièrement sur cette derniére, ou le malade éprouve une douleur vive qui est ce qui l’incommode le plus. Dans les contrées sèches et dans les points élevés, l’obstruction n’a jamais, ou que très rarement lieu. La force et l’élasticité des fibres s’opposent d’une manière évidente aux fluctions viscérales.
Dans beaucoup d’endroits les obstructions ont lieu indépendamment des fiévres : elles sont fréquentes à San Salvador, à Saint Martin de Lantosca, à Dolceaqua, à Apricale, à Pigna, à Fontan, à Sospello ; telle est la nature du climat mou de cette dernière ville, que dans toutes les maladies, les fibres se prêtent à des fluxions chroniques, à des stagnations ; la polysarcie du ventre, l’enflure aux jambes y sont fréquentes.
L’hydropisie suit les obstructions ; ainsi terminent leurs carriéres la plupart des habitans des lieux humides. Mais j’ai trouvé aussi cette maladie dans les contrées élevées, sèches et froides. Elle est fréquente à Beuil, à Peaune, à Bouchoniéres hameau de Guilleaumes. Le citoyen Salicis, maire et chirugien de Péaune, m’a fait observer que son pére qui avait exercé pendant 40 ans le même état que lui avait remarqué que ces contrées étaient autre fois extrémement sujettes à la phthisie pulmonaire et que cette disposition s’était changée en celle de l’hidropisie.
Recherchant les causes soit de ce changement, soit de cette disposition à l’hydropisie, j’ai bien remarqué comme on l’a vu au chapitre du climat qu’il paraissait que le pays était devenu plus froid, mais je n’ai pas vu qu’il fut plus humide. D’une autre part, considérant les maladies inflammatoires auxquelles ces peuples sont sujets à cause des travaux excessifs de l’agriculture et de l’inconstance des saisons, je suis porté à ranger cette hydropisie dans la classe des hydropisies aigues ou dans celles qui sont la suite des affections inflammatoires soit de la poitrine soit de viscères du bas ventre.
Asthme sec et humide
Le sentiment que je viens d’adopter relativement à la cause de l’hydropisie des habitants des lieux élevés me paraît d’autant plus fondé que je trouve l’asthme sec ou humide y être tellement commun, depuis l’age de 50 à 55 ans, que c’est là l’affection morbifique de laquelle périssent la plupart des vieillards. Cette maladie est absolument propre aux lieux élevés, comme celles dont j’ai parlé précédemment le sont aux bas lieux, et parmi les lieux élevés ce sont particuliérement les positions septentrionales et alpines qui y sont le plus disposées. J’ai fait les plus exactes recherches dans les parties méridionales et je n’ai rencontré cette maladie que dans les endroits où les habitans sont exposés à des montées très rudes, comme à Saorgio. Encore ai-je lieu de craindre que l’on n’aye confondu la simple dispnoée, avec l’asthme, maladie qui suit des périodes réglées, et qu’on m’a dépeinte avec ces carractéres dans les régions froides telles que Saint Ethienne ou elle est très commune. On peut donc croire que l’air sec et froid est plus apte à produire cette affection sur les organes respiratoires que la circonstance contraire.
Phtisie pulmonaire
La phtisie pulmonaire est une maladie très commune dans ce département :
- 1er Nice, Villefranche et toute la cote maritime sont très funestes aux poitrinaires, desquels on en voit plusieurs, surtout à Nice. J’ignore pourquoi les anciens médecins renvoyaient les phthisiques sur les plages maritimes, car de nos jours toutes les observations des bons médecins praticiens qui habitent les cotes françaises de la méditerranée, tendent à prouver que l’air marin est contraire à ces maladies. J’en avais vu un grand nombre à Marseille, et je croyais que l’air trop sec et trop vif de cette ville était peut être ce qui influait si désavantageusement sur la maladie ; l’air plus chaud, plus mou et plus humide de Nice, ne lui est pas plus avantageux ; les individus de plusieurs familles indigênes attaquées héréditairement de phthisie tuberculeuse périssent tous dans leur jeune age ainsi qu’à Villefranche à quelque distance de la cote. De maniére qu’une montagne sépare les communes de la direction des vents marins, on ne rencontre plus de phthisies héréditaires ; ainsi il n’y en a point à Peglia, Peglion, Sospello, Scarena, Luceram.
Quoique l’on en dise sur la fixité des sels neutres, il est indubitable que des principes muriatiques s’élèvent de la mer et se portent à une certaine distance ; ces sels se sont constamment rencontrés dans les analyses de végétaux qui avaient été cueillis à plus de 300 mêtres dans l’intérieur des terres ; ils entrent, ainsi que je l’ai déjà fait voir, comme parties essentielles de leurs sucs ; indépendamment des variations brusques de l’atmosphêre, décrites au chapitre du climat, serait-ce à ces principes, (soit à l’acide muriatique seul ou combiné) que l’on doit la fréquente formation, la prompte inflammation et suppuration des tubercules, ainsi que l’emophtisie également fréquente, dans ces contrées ?
- 2e J’ai trouvé la phthisie également fréquente à Breglio, lieu assez distant de la mer, indépendamment du jugement que j’avais pu porter, en examinant les physionimies des habitans de ce joli village, le curé m’a fait remarquer, en traitant avec lui des maladies dont les parroissiens mouraient le plus (ainsi que je l’ai fait dans tous les villages, parce que dans les petits pays ces indications sont les plus sures), le curé, dis-je, m’a fait remarquer que c’était de cette maladie qu’on mourait le plus souvent, de l’age de 20 à 35 ans, et qu’il y avait plusieurs familles où cette maladie était héréditaire. Or, en se rappellant de ce que nous avons déjà dit dans la première section sur la position topographique de Breglio, on voit que cette commune est constamment rafraichie par un vent humide de sud-est qui enfile la gorge de la Roya et qu’elle est privée du soleil levant par l’ombre d’une montagne, position qui a été observée par les médecins, propre aux engorgemens glanduleux, et par conséquent à la formation des tubercules. Cependant je ne répondrai pas qu’une partie de ces phthisies pulmonaires ne puisse aussi être l’effet de la cause suivante.
- 3e Les poids énormes que les paysans portent sur leurs épaules à des distances considérables, les montées rapides qu’ils doivent franchir continuellement, et l’inconstance de l’air, sont des causes puissantes pour déterminer sur des sujets vigoureux des maladies inflammatoires à la poitrine, lesquelles étant négligées ou mal traitées, produisent des vomiques. Ce second genre de phthisie pulmonaire est aussi extremement commun ; on me l’a fait observer dans tous les lieux élevés et dont la culture est pénible, sans qu’il y ait d’ailleurs aucune disposition héréditaire à la phthisie pulmonaire.
Rhumatisme et goutte
Il n’y a à ma connaissance, dans ce département, aucun exemple de calcul de la vessie ; la goutte et le rhumatisme y sont fort rares. Menton a été la première commune où l’on m’ait parlé de rhumatisme ; on m’en a fait aussi observer à Perinaldo et à Tende, mais en passant à Vintimigle, j’y ai appris, avec quelque étonnement, que les habitans de cette petite ville étaient fort disposés à la goutte, dont mon aubergiste était le premier exemple. On me compta jusqu’à vingt personnes qui étaient attaquées, pauvres et riches, desquelles j’en ai vu plusieurs avec les marques sur les articulations. Il me fut d’abord difficile de reconnaître la cause de cette disposition singulière ; le sol et le climat ne diffèrent guère des autres contrées maritimes que je venais à visiter. Enfin, recherchant la nature des alimens, j’ai vu que le vin de Vintimigle, vin excellent, est un vin clair et couleur pelure d’oignon et très fumant, très capiteux, naissant sur des rochers schisteux, calcaréo-magnésiens. Il m’a paru, faute d’autre indication, qu’on pourrait peut être attribuer à l’usage de ce vin cette disposition gouteuse, et que peut-être aussi Menton et Perinaldo qui récoltent un vin analogue, quoique ni aussi bon, ni aussi clair, ni aussi fumant, pourraient bien lui devoir la disposition de leurs habitans en rhumatisme.
Mais ces cas étant rares, on peut dire en général, que le climat des parties maritimes des Alpes dont je parle est très favorable à la guérison ou à l’assoupissement des douleurs artritiques, la tendance de la vie étant beaucoup de porter à la peau et vers les organes respiratoires.
Chlorose
Je vais terminer cet article par parler d’une maladie que je n’ai pas insérée non plus que la précédente, dans la note générale, à cause de leurs raretés, c’est la chlorose : on m’a fait observer à Perinaldo que presque toutes les filles, à l’époque de la puberté, c’est à dire de 12 à 13 ans, étaient attaquées de cette maladie qui les fesait beaucoup souffrir. Nulle autre part au nord ou au midi, on ne m’a fait faire cette observation dont les sujets qui m’ont été présentés, confirment la vérité. Bien loin de là, qu’au contraire j’ai appris partout que la première menstruation était assez facile.
Si on remet devant ses yeux la position de Périnaldo en considérant en outre que les jeunes personnes y sont livrées à des travaux au dessus de leur age, on trouvera facilement la cause de cette disposition dans la rigidité extraordinaire des fibres, rigidité qui probablement est cause qu’il y a toujours quelque femme stérile dans cette commune, où il y en avait trois, au mois de messidor au 10, époque où j’y ai été ; quoique cependant cela n’influe en rien sur la fécondité des autres femmes, qui, au contraire, est très grande.
Maladies accidentelles
Les principales sont,
Les fievres épidémiques et contagieuses,
La petite vérole,
Les fiévres putrides et vermineuses,
Les affections inflammatoires,
Les fiévres
Les fiévres exauthématiques,
Les flux intestinaux
Fièvres épidémiques et contagieuses
Il est à croire que la population du département s’est renouvelée plusieurs fois, a en juger par la quantité de pertes et d’épidémies qu’il a éprouvée, et par le peu de progrés qu’y a fait même de nos jours l’hygienne publique. L’historien de Sospello et les divers registres anciens nous apprennent que la peste a désolé 34 fois ce pays depuis le VIe siécle en étendant ses ravages partout et en y séjournant quelques fois plusieurs années de suite. Il est vraisemblable que l’on a souvent compris sous le nom de pestes, dans les tems anciens, des simples fiévres épidémiques, autrement le pays eut été entiérement désert. Mais d’une autre part, quoique plus bénignes que la véritable peste, ces épidémies contagieuses ont du emporter beaucoup de monde, chez un peuple grossier, qui, dans l’épidémie de l’an VIII, a encore employé, dans l’intention de se préserver, les moyens reconnus les plus efficaces pour propager la maladie.
Nice et son département, comme pays frontières, sont exposés dans toutes les guerres qui ont pour but la possession de l’Italie, à en être, quelque tems, le théatre et par conséquent à être infectés des fiévres contagieuses qui regnent au milieu des camps et des hopitaux. C’est le sort qu’ils ont éprouvé presque toutes les fois que les armées les ont visités. En 1735, une maladie de cette nature enleva à la ville de Nice 3 000 habitants, et fit un dégat immense dans tout le département. La guerre dont nous venons d’avoir le bonheur de sortir, produisit deux épidémies terribles, celle de l’an III et de l’an VIII, dont le propre a été d’enlever les hommes vigoureux, ainsi que je l’ai déjà dit dans cet ouvrage, et comme je l’ai rapporté dans l’histoire imprimée que j’ai donné de cette derniére épidémie.
La premiére épidémie fut moins meurtriére dans la ville, et le fut davantage dans les petits villages de la montagne ou les armées séjournaient. Saint Ethienne en eut sa population très diminuée, d’autant plus qu’elle y séjourna trois ans ainsi que dans d’autres communes environnantes. L’epidémie de l’an huit a particuliérement exercé ses ravages dans un cordon de 13 a 14 lieues autour de Nice, c’est à dire partout où l’armée battant en retraite a pris des positions ; et j’ai encore trouvé l’année passé des villages, où il y avait des restes de cette maladie.
Ce long séjour de la contagion est facile à expliquer ; le pauvre habitant des campagnes, mal propre et ignorant de la nature, non seulement ne détruit pas les vétemens de laine et autres qui ont été à l’usage de ceux qui sont morts, mais encore il ne les lave pas avant de s’en servir. Une famille entiére n’a souvent qu’une ou deux couvertures et un seul lit pour son usage ; on couche la nuit d’après sur le même grabat et dans le même linge, dans lequel un malade a expiré la nuit précédente ; les enfans se revêtent immédiatement des habits du père. On s’assemble dans les temples ou dans les lieux publics avec ces habits infectés ; enfin, on ne fait rien pour circonscrire la contagion. On fait, au contraire, tout pour la reprendre ; de là vient qu’elle ne s’arrette que lorsqu’elle n’a plus d’aliment ou que sa puissance est épuisée car enfin, il faut croire que l’activité des virus n’a qu’un terme. Autrement chez les peuples malpropres et sans précautions, elle agirait jusqu'à ce qu’elle eut moissonné la population entiére. Il faut convenir, il est vrai, que par suite d’une disposition qu’on n’explique que par des hippothéses, certains virus n’attaquent que des constitutions données ; ainsi dans l’épidémie de l’an VIII plusieurs communes ayant perdu leurs hommes les plus robustes, la maladie s’est mitigée.
Il résulte de là que dans de semblables contrées on ne saurait être trop attentif à prévenir la contagion et à la circonscrire, par tous les moyens sanitaires et administratifs, lorsqu’on a eu le malheur de la laisser pénétrer ; car hors de ces causes étrangéres, le climat des Alpes Maritimes n’est pas plus propre qu’un autre à produire les fibres contagieuses ; on a même du voir, par tout ce que j’ai dit précédemment, qu’il est plutôt salubre et favorable à la longévité.
Petite vérole
La petite vérole est une maladie qui, lorsqu’elle paraît dans une commune, y fait ordinairement de grands ravages. Elle a paru, en l’an X, au petit village de Peglion, et sur 70 variolés, elle en a fait périr 24. Elle a emporté en l’an IX le quart des enfans à Contes ; et la perte la plus modérée dans tous les lieux où elle paraît est de 6 par 100.
Heureusement cette maladie paraît rarement et il faut voyager dans les villages reculés et peu fréquentés de ce département, pour décider la question si la petite vérole est une maladie qui doive nécessairement avoir l’espêce humaine. On y trouvera dies exemples multipliés de très longues vies, sans avoir jamais eu cette maladie. A Rimplas, petit et mauvais village de 200 ames sur une hauteur entre la Valdeblora et la Tinée, aucun vieillard ne se rappellait de la petite vérole quant un natif du lieu habitant en Provence l’y apporta, en 1793, en venant visiter son pays qu’il n’avait vu depuis longtems. Il tombe malade ; il est couvert de boutons ; il meurt ; la contagion se propage, avant que les habitans ayent reconnu la nature de la maladie. Il y a eu en l’an IX à Rora une épidémie de cette nature qui n’avait pas paru depuis 20 ans, et qui a fait périr 30 enfans. A Robion, personne ne s’est rappellée de l’époque où la petite vérole a été dans la commune. A Bueil, elle n’y paraît, d’après le calcul du curé et des principaux habitans que de 15 en 15 ans ; la plus grande partie de la population meurt sans l’avoir eu, et elle ne paraît jamais que quand elle est apportée par quelque berger de Provence. Dans plusieurs autres petites communes reculées au nord, on ne s’est pas rappellé de l’avoir vue. Dans la vallée de la Nervia, plusieurs communes n’ont pas vu la petite vérole, depuis 10 ans, et il n’y a que Pigna où cette terrible maladie est souvent meurtrière. Elle l’a été en l’an X, et ce qui prouve qu’on est susceptible de cette contagion à tout age, c’est qu’elle y a été funeste dans le mois de germinal de cette année à un vieillard de 75 ans.
Ces faits prouvent évidemment que dans les communes reculées, n’ayant que peu de point de communication avec les étrangers, la petite vérole est purement une maladie accidentelle, ainsi qu’elle le fut pour la premiére fois chez les habitans du nouveau monde. Je m’étais attaché à rechercher de quel coté la petite vérole est le plus meurtrière lorsqu’elle paraît, dans les régions froides ou dans les régions chaudes. J’ai trouvé deux à trois communes dans cette derniére classe où la proportion des morts avait été considérable, quoique la maladie n’eut régné qu’en hiver, mais en général elle se montre plus bénigne dans ces derniéres contrées. A Péglia, par exemple, comme batie sur des rochers arides, et continuellement échauffé des rayons du soleil, sur 300 variolés qu’il y a eu en l’an IX, il en est mort 14. Sur toute la cote maritime, quoique je n’aye pu avoir la proportion des morts parce qu’il y a longtems que la petite vérole n’y a pas été épidémique, on m’a assuré qu’elle y était généralement bénigne.
Roquebrune dont la situation est extremement chaude, a rarement cette maladie et elle y est toujours bénigne. A Lantosca, au contraire ou elle a été aussi épidémique, en l’an IX, sur 100 enfans il en est peri 45. Or, en comparant les rapports que j’ai obtenu la dessus dans les contrées les plus chaudes avec ceux que l’on m’a fait dans toutes les parties septentrionales où l’on s’est plaint généralement de la violence de la petite vérole, lorsqu’elle paraît, il semblerait qu’on peut en conclure qu’une température douce est plus favorable à sa guérison ; opinion qui, d’ailleurs, sera encore justifiée parce que nous dirons des maladies inflammatoires, au nombre desquelles on ne peut refuser de placer cette maladie.
Fièvres putrides et vermineuses
Les fievres putrides ou saburrales avec un état de faiblesse, par sympathie, sont extrémement communes dans tout le département. Les vers, en abondance, les accompagnent toujours ; l’impureté des premiéres voies produit différens phénomènes qui simulent parfois, l’inflammation ; elles paraissent même souvent épidémiquement, mais sans contagion. Elles manquent rarement de s’annoncer plus ou moins tous les ans, sur la fin de l’été, dans les vallées humides, soit au nord, soit au midi, on les attribue avec raison, à la mauvaise nourriture. Comment ces maladies ne naitraient-elles pas, lorsque le peuple est obligé de se pourvoir de blés avariés, contenant souvent autant d’insectes que de graines ?
L’on prétend qu’elles étaient moins fréquentes avant la guerre, 1èrement parce que l’on avait de meilleurs blés ; 2èmement parce que le peuple, buvait plus souvent du vin, boisson nécessaire pour donner du ton à l’estomac, et l’aider à digérer les pommes de terre et les figues qu’on est souvent forcé de substituer au pain.
Du reste ces maladies sont peu meurtriéres ; les évacuans employés à tems suffisent pour les guérir.
On voulait me persuader dans quelques communes que ces maladies avait une période déterminé. En remontant aux années où elles avaient paru j’ai vu que c’étaient celles des mauvaises récoltes ou de tout autre accident, qui, amenant la misère, avaient forcé le peuple à une mauvaise nourriture, et que d’ailleurs les familles aisées en sont ordinairement exemptées.
Affections inflammatoires
Les maladies inflammatoires sont pareillement très communes, elles suivent dans leur intensité la nature du climat et la force relative des fibres de pleurisie est la plus fréquente. Dans les communes élevées, sèches et froides, cette maladie est terrible ; elle l’est moins dans les plaines des vallées ; elle l’est moins encore dans les régions chaudes ou tempérées sur toute la cote maritime, et en particulier à Menton. L’inflammation cède facilement à Sainte Agnès, à Castellar et Périnaldo, pays chauds, secs et élevés. On est très sujet aux maladies inflammatoires dans la vallée de la Nervia et dans celle de Bévera. A Sospello, on y est sujet aussi, mais tous les gens de l’art conviennent que s’il faut trois saignées pour résoudre une pleurisie d’un habitant de Perinaldo, de Sainte Agnès, de Castellar, ou de Castillon, au dessus de Sospello, il n’en faut qu’une pour les habitans de Menton, Dulceaqua, Isola Buona, Apricale, Roquetta, Sospello, etc., tant est grande la différence d’action de réaction de la fibre animale des lieux élevés d’avec celle des lieux bas, des régions froides d’avec celle des régions chaudes.
Fiévres catarrales et exanthématiques
Les dispositions du climat ne favorisent pas moins les affections catarrales, dans toutes les vallées et sur les bords de la mer ; elles sont ordinairement accompagnées d’éruption à la peau ; la fiévre scarlatine a été pendant l’hiver de l’an X presque générale à Nice, tant chez les enfans que chez les grandes personnes.
Flux intestinaux
La grande irritabilité du tube intestinal est encore un caractère que j’ai trouvé différentier l’habitant des régions méridionales et orientales du département, d’avec celui d’autres régions ; ce caractére rend les coliques venteuses faciles et fait que le premier est purgé avec des médicamens dont la qualité et la quantité ne feraient absolument rien sur le second. Il en résulte pareillement que le choléra morbus est très fréquent durant les grandes chaleurs de l’été, affection peu connue dans les régions froides. Il y a eu durant l’été de l’an X un grand nombre de ces maladies à Nice et dans les communes environnantes. L’opium employé par mes conseils a produit un très grand bien chez plusieurs malades, tandis que la maladie empirait par les anciennes méthodes.
Maladies dont on meurt plus communément
Nous avons vu au chapitre précédent que l’époque des plus grandes chaleurs est aussi celle de la plus grande mortalité, nous avons donc du rechercher de quelle manière cela se fait, et nous avons trouvé que la tendance des maladies dans ce pays est déterminée vers les poumons ; c’est là l’organe qui finit toujours par s’engorger et par faire périr le malade. Or, dans les chaleurs de l’été, la raréfaction du sang produisant une pléthiore al vaso favorise encore plus cette détermination tandis que les forces vitales épuisées par des sueurs continuelles s’opposent à la vivacité de la réaction qui serait nécessaire pour la libre circulation des humeurs. Ainsi cette même chaleur qui est le principe de la longévité lorsqu’elle est modérée ou que les vaisseaux non encore affaiblis peuvent lutter contre ses effets, est aussi le principe de la destruction quand elle est excessive, ou que quelque disposition maladive ne permet plus de résister à son action.
Les propriétés spécifiques de l’air à Nice sur quelques maladies
A Nice, les plaies de tête guérissent facilement, celles des jambes au contraire, sont extrêmement opiniatres.
Tous les ulcères, en général sont rebelles, et la gangrène les prend facilement ; les écrouelles des piémontais guérissent quelquefois ; celles, au contraire, du pays ne guérissent jamais ou que très rarement.
La maladie vénérienne y est très bénigne et se guérit avec la plus grande facilité, à moins qu’elle ne soit fort invétérée.
De la folie
Quoique l’épilepsie ne soit pas rare, cependant le département ne fournit qu’un très petit nombre d’aliénation d’esprit et il n’a jamais eu d’hôpital de fous. Je n’en connais qu’un à Sospello, un à Villefranche, un à Lucéram et deux à Nice. Cette disparité si grande avec les autres départements méridionaux de la France me paraît tenir à la diversité du caractère moral et me prouve que les passions humaines ont plus de part à la génération de la folie que l’influence du climat.
Conclusion
Je trouve à la fin que je n’ai rien dit de neuf. Les mêmes circonstances produisent partout sur le physique de l’homme les mêmes effets. Mais la répétition de tableaux, où l’on voit ce que peut le climat, facilite tellement la science médicale qu’en connaissant les propriétés d’un pays, le médecin judicieux devine d’avance et la constitution et les maladies de ses habitants.
Médecine des Alpes-Maritimes
Il y a dans tout le département, 44 médecins et 86 chirurgiens, légalement reçus, sans compter une nuée d’empiriques sans titres et sans capacité, qui s’accomodent aux préjugés populaires, sont encore plus en vogue que les premiers.
Il est vrai qu’excepté à Nice, Villefranche, Menton et Sospello, le peuple fait peu usage de la médecine ; soit défaut de confiance, soit parce qu’il n’est pas en état de payer. Les médecins, il les appelle rarement dans les maladies ; persuadé que les jours de l’homme sont comptés, et qu’il n’en est ni plus ni moins. Dans plusieurs villages des montagnes, au pied des Alpes, jamais on n’a recours à la médecine mais l’on se traite soi même, par des remédes tirés du régne végétal. Comme les premiers travaux de l’homme dans ces contrées commencent par la profession de berger, et que cette vie est très favorable à la connaissance des plantes auxquelles la tradition a attribué quelque vertu, presque tous connaissent les plantes médicales. Les guides qui m’accompagnaient pour me faire voir les mines et autres raretés, ne manquaient pas, de me montrer les diverses plantes usitées dans leurs maladies, et la maniére dont ils s’en servaient ; leur description était bien souvent analogue à celle de nos matiéres médicales, et leur matiére médicale est absolument aussi analogue à celle des habitans des Alpes, de la Savoie et de la Suisse. De la véronique, la carline, le jenepis, l’angélique, et autres plantes chaudes sont employées comme sudorifiques dans la pleurisie et autres maladies aigues, et le plus souvent avec autant de succés que par la méthode contraire
J’avoue que les vrais médecins étant des hommes si rares, il vaut mieux dans le doute, se fier à la nature ; mais des faits nombreux prouvent aussi que cette rêgle poussée trop loin n’est pas sans danger, et l’on a vu dans les articles précédents que la pleurisie est souvent une cause de phthisie pulmonaire pour avoir été négligée ou mal traitée, ce qui arrive pareillement dans toutes les autres contrées montagneuses où l’on est privé du secours de la médecine.
Du reste, la thérapeutique de ce pays est très simple ; elle consiste presque entiérement dans la saignée, la purgation, et la diéte absolu. Aussi les chirurgiens, privés de cas chirurgicaux qui sont extrêmement rares, sont-ils presque les seuls en possession de la médecine intense. Heureux le peuple s’il savait manier à propos, leurs deux grands et presque uniques moyens médicinaux.
De la saignée, bien qu’elle fait
Ce remède fait dans ces contrées beaucoup de bien et beaucoup de mal ; je ne crains pas de dire qu’il est absolument nécessaire dans un grand nombre de circonstances et qu’il est le spécifique naturel de plusieurs maladies du pays sans lequel elles ne guériraient pas. J’ai exposé précédemment la tendance qu’a le sang à la raréfaction et à se porter vers les organes respiratoires pour les engorger ; la saignée, comme évacuant, produit souvent les meilleurs effets, même lorsqu’il n’y a qu’une pléthore par expansion, en second lieu, vu l’irritabilité du tube intestinal. J’ai vu maintes fois que ni tisannes, ni luxatifs, ni lavemens, ne pouvaient passer, si l’on ne faisait précéder la saignée qui agissait alors immédiatement comme un calmant universel.
Que de fautes n’ont pas été commises par des gens de l’art étrangers, qui, non accoutumés aux pays méridionaux, et conduits par des systèmes opposés, ont tourné en ridicule l’usage de la saignée ? Mais l’expérience l’a proclamée de tems immémorial sur les cotes de la méditerranée comme remêde salutaire. Est-il à présumer qu’on ne l’ait pas abandonné, si on l’eut découverte nuisible ? Les opinions de quelques hommes qui peuvent avoir raison dans leurs pays pouvait-elle balancer ce que le climat demande d’un art purement expérimental ?
Maux que la saignée fait
Je vais dire à présent le mal que la saignée fait c’est qu’on l’emploit indifféremment, en toute occasion convaincus que le climat la demande, et comme si les maladies ne présentaient aucune autre indication, ou que la thérapeutique n’ait fait aucun progrès depuis la découverte de la saignée et des purgatifs. La plupart des médecins et tous les chirurgiens croiraient manquer aux rêgles s’ils ne commençaient par la. Ni age, ni sexe, ni tempéramment, ni nature du sol ou de la maladie, rien ne les arrête ; on soigne pour les fiévres d’accés, pour les obstructions qui en sont la suite, pour les hidropisies ; dans les vallées humides, comme dans les lieux secs et élevés, dans un appauvrissement de sang, faute de nourriture, comme dans la pléthore sanguine. On les voit souvent, après avoir fait et répété la médecine de Molière, ne savoir plus ou diriger leurs pensées, si ce n’est vers les thériaques, mitridates, confection, hyacinthe etc., comme derniére espérance. Ainsi, ce grand reméde, qui manie habilement peut faire des miracles, est souvent la perte de plusieurs, faute de discernement. Mais c’est la faute du ministre, et non celle du remêde.
La Révolution qui a écarté les bornes étroites des ames et lutté avec succés contre l’esprit de route a déjà produit quelques heureux effets dans la médecine de ces contrées ; et la sagesse du gouvernement français permet d’espérer qu’elle sera bientôt ici au niveau de celle des autres nations.
Inoculation et vaccine
Je n’ai trouvé l’inoculation pratiquée que un peu à Nice et dans les cidevant états du prince de Monaco. A Menton, Roquebrune et Monaco, elle était déjà en usage avant la réunion ; quant à Nice, quoique quelques personnes la pratiquassent, elle n’y avait pas l’assentiment général. La principauté de Monaco, ayant garnison française, était gouvernée selon l'esprit et les usages de la France, avait aussi pris quelques lumiéres de cette nation.
Mais dans le reste du département, on n’y connaissait pas, et l’on n’y connaît pas encore l’inoculation. Cependant comment se fait-il, ainsi que je l’ai représenté dans les conseils municipaux, qu’avec une si grande mortalité causée par la petite vérole, et le grand besoin que l’on a de conserver les hommes, on ne se soit pas empressé d’adopter universellement une pratique dont l’utilité est confirmée par tant d’années d’expériences ?
On m’a répondu en bien d’endroit
Des mariages, naissances et décès
Analyse des mariages, naissances et décès avec une comparaison de la mortalité entre les villes et les campagnes, entre les parties méridionales et septentrionales.
NOTE : Nous offrons aux internautes la possibilité de découvrir ce texte inédit transcrit dans sa forme originelle et avec l'orthographe de l'époque. |
État civil, époques de la puberté et des mariages ; longévité etc.
Des mariages, naissances et déces
Nombres en 1790 | Nombres en l'an X | |
Naissances | 3 563 | 3 330 |
Mariages | 964 | 976 |
Décès | 3 024 | 2 588 |
Il résulte du tableau ci-dessus, auquel j’ai mis toute l’exactitude possibles, en comparant avec les registres de l’état civil, les notes des curés, chaque fois que j’ai pu me les procurer, il résulte dis-je, 1èrement que le nombre des naissances et décés est inférieur dans l’année actuelle, à ce qu’il était en 1790 ; 2èmement que celui des mariages à augmenté ; 3èmement que le nombre des naissances excede de plus d’un cinquiéme celui des morts.
On ne doit pas être surpris que le nombre des naissances soit inférieur, puisqu’il y a dans le Département, dix mille ames de moins ; on verra au contraire avec plaisir que ce nombre est plus considérable qu’en 1790, rélativement à la population actuelle, car en prenant le nombre rond de 100 000 pour la population de 1790, il nous donne de naissance, 350 par chaque dix mille ; nous devrions donc avoir, en l’année actuelle, ou la population est diminuée de 10 000, naissances 350 de moins ; mais ce moins n’est que de 233, il y a dont 117 naissances de gagnées.
Quant aux mariages, il est évident aussi que le département y a gagné ; en supposant toujours les mêmes nombres ronds ; on voit qu’il s’en fesait en 1790, moins de 10 par mille, et qu’aujourd’hui ce nombre est dépassé.
Pour les morts, on a en 1790, le nombre de 300 pour chaque 10 mille, et l’on n’a plus aujourd’hui pour cette même quantité, que 290 décés, ce qui reduit la quantité de morts, à moins de 3 par cent car il y a 436 morts de moins qu’en 1790, et en suivant les proportions de la population, il ne devrait y en avoir que 336, il y a donc 100 individus de plus, de conservés en l’an dix.
Comparaison de la mortalité des villes, avec celles des campagnes
Du reste, je trouve, comme les autres observateurs l’on fait avant mois que la proportion des morts est plus grande dans les villes, à raison de leur population ; pour Nice seule, peuplée de 20 mille ames, nous avons pour l’an II, 747 morts et l’an l’an X 667, ce qui nous donne plus de 378 par dix mille, et plus de 37 1/3 par mille ; Menton, peuplée de 3 289, donne 100 morts ; c’est à dire 30 par mille ; Peglia, peuplée de 1 400, donne 28 morts, c’est à dire, 20 par mille ; et je trouve une infinité de communes peuplées de 3 à 4 cens habitans, qui ne me donne par an que 3 a 4 morts, c’est a dire, un par cent ; ce qui n’est pas une vaine théorie, mais un fait verifié par moi, avec le plus grand soin, et pour plusieurs années, tant dans les registres des communes que dans ceux de messieurs les curés, lesquels j’ai presque toujours reconnus être plus exacts que les premiers.
Il en résulte par conséquent, que nous nous prélevons les morts des lieux du Département, ou se trouvent rassemblés un plus grand nombre d’hommes, la mortalité est réduite à moins de deux par cent.
Comparaison de la mortalité dans les positions opposées
Les recherches que j’ai faites par moi même m’ont donné occasion de déterminer dans la quelle disposition méridionale et septentrionale, de plaine ou de hauteur, il y avait davantage de mortalité.
Je prends pour le premier objet de comparaison, deux points bien opposés et en plaine, avec à peu près la même population, savoir, Isola Buona, situé au sud-est du Département, et Isola, dans la Tinée au nord-ouest. Le premier de 660 ames de population, et le second de 665. Je trouve pour Isola Buona, (année sans épidemie de petite vérole ou autre) 16 morts et pour l’autre Isola 21. En comparant de même un autre point meridional, Roquetta-Dolceaqua, peuplée de 527 ames, avec entraunes, village sis au nord ouest, de 600 ames, j’ai dans ce dernier point, 20 morts et dans le premier 10.
Si nous faisons l’estimation sur une population plus nombreuse, nous pouvons prendre d’une part, pour point est et sud, Apricale et de l’autre pour point ouest et nord, St Ethienne ; le premier de 1 300 ames, et le second de 1 700 ; or, je trouve à Apricale, 12 morts seulement et 30 à St Ethienne, nombre supérieur à ce que produirait les 400 ames de plus, qu’il y a dans cette derniére commune, si elles étaient du coté d’Apricale.
De sorte que je conclu qu’il y a plus de mortalité dans les régions froides du Département que dans les régions chaudes.
Actuellement la comparaison pour la plaine et la hauteur je prends deux points dans le sud est et deux autres points dans le nord-est. J’ai pour le premier, Dolceaqua, en plaine ; population à 1 300 ames et Perinaldo, à 2 heures d’élévation sur celle ci, d’une population de 1 350 ; il y a eu dans la premiére commune 34 morts en l’an X, et dans la seconde, 35. Je trouve les mêmes proportions pour d’autres points, et j’en conclus que dans les parties orientales et meridionales du Département la mortalité est égale, en plaine comme dans la hauteur.
Quant aux régions, nord-ouest, en prenant Peaune d’une part, village situé au pied de la montagne qu’il faut gravir pendant 2 heures et demies pour aller à Bueil et cette commune, de l’autre ; nous avons pour la premiére, peuplée de 850 ames, 17 morts, et pour la seconde, peuplée de 725, 25 morts ; de sorte qu’il est évident que dans cette partie du Département, les points élevés sont plus fort en décés que ceux situés aux pieds des montagnes.
Nous trouvons les mêmes proportions à mesure que nous nous écartons de la mer pour nous approcher des Alpes en allant directement du sud au nord.
Nous avons, année commune, à Escaréna, bourgade de 1 100 ames, 29 morts.
A Sospello, ville de 3 000 ames, 82 morts.
A Breglio, bourgarde de 1 600 ames divisée en deux hameaux 25 morts.
A Saorgio, bourgage également divisée, de 2 400 ames, 33 morts.
A Tende, ville de 1 700 ames, 40 morts, ce qui a été durant plusieurs années de suite.
A la Briga, commune divisée de 2 895 ames, 61 morts.
On voit donc que Tende qui est la commune la plus élevée, et la plus proche des grandes Alpes que toutes les autres, a une mortalité supérieure ; ce qu’on peut attribuer, avec fondement à la fréquence des vents froids, des oragans et des changements de température, à laquelle on a vu, dans la premiére section, que les point élevés sont particulierement .
L’occasion se présente aussi de noter que les situations humides sont peu favorables ; aussi la mortalité de Sospello surpasse beaucoup celle de Saorgio, toute proportion gardée : or Sospello est placée dans une conque des plus humides du Département. J’ai fait la même observation dans plus autres points des vallées.
Proportions des mariages et des naissances
Le déficit de 233 naissances que nous avons trouvé pour l’an X existe déjà, en partie à Nice ; le total des nés des quatre parroisses de cette ville, en 1790 était de 1 098, ce qui donnait pour une population de 25 mille ames, 44 naissances par mille ; actuellement avec une population de 20 000 ames. Ce total est de 1 053, c’est-à-dire de seulement 45 naissances en moins ; ce moins eut pourtant du être de 220, en suivant la proportion ci dessus ; il y a donc 175 naissances de gagnées sur l’année 1790 et par conséquent ¼ par mille.
Sospello, avec une population de 4 mille ames en 1790 n’a eu que 171 naissances, et il en a eu cette année 146 ; c’est-à-dire, qu’en 1790 on en comptait que 42 naissances et ¼ pour chaque mille individus, et qu’on en compte aujourd’hui 48 et ½.
Menton, quoiqu’avec la même population, a eu 106 naissances en 1790, et 104 en l’an X ; ce qui donne environ 35 naissances par mille pour cette ville.
Eze population de 1 165 ames, desquelles 45, depuis 1790, a eu à cette époque 27 naissances, et en a 30 actuellement, ce qui fournit environ 25 par mille.
Ville franche, peuplée autrefois de 3 000 ames, eut en 1790, 114 naissances, en l’an X elle en a eu 82 ce qui fournit 41 par mille, somme à la quelle elle n’arrivait pas auparavant.
Dolceaqua a 40 naissances, c’est à dire, un peu plus de 30 par mille.
Perinaldo en a 36, c’est-à-dire, un peu moins de 30 par mille.
Rochetta en a 12, c’est-à-dire 24 par mille.
Isola Buona, en a 22, c’est à dire environ 30 par mille.
Pigna, en a 70, c’est-à-dire un peu moins de 30 par mille.
Tende, avec une population inférieure à 1 790 en a 74 comme alors, ce qui donne 45 par mille.
Saorgio, en avait 97, il n’en a plus que 65 c’est à dire 28 environ par mille.
Breglio, quoique diminué de population, à 78 naissances comme en 1790, c’est-à-dire, qu’alors on comptait 39 naissances par mille, et qu’on en compte aujourd’hui 49.
Peglia, population égale, avait 43 naissances il en a actuellement 48, c’est-à-dire, 33 par mille.
Contes, population égale, en a 55, c’est à dire 33 ½ par mille.
Escarena, en a 53, c’est à dire, 48 par mille.
Partie septentrionale
St Ethienne, ville, a 33 naissances, c’est à dire 21 par mille.
St Dalmas le Sauvage, population de 718 ames en a 23, c’est-à-dire 30 par mille.
Entraunes, population de 600 ames, 18 naissances, c’est-à-dire 30 par mille.
Guilleaumes, ville, 48 naissances, c’est-à-dire, un peu plus de 44 par mille.
Pujet Theniers, ville de 1 000 ames, 39 naissances.
Villars, village de 600 ames ; 32 naissances ; un peu plus de 50 par mille.
Valdeblore, population de 850 ; 20 naissances, ou 2 ½ par cent.
Beuil, 23 naissances, soit 3 par cent.
Auvare, 120 de population ; 4 naissances.
Utelle ville, 1 300 ames de population ; 50 naissances, actuellement 27, en 1790, ou la population était de 1 449 ; donc prés de 40 par mille ; aujourd’hui, et près de la moitié moins autrefois.
Roquesteron, 390 de population ; 20 naissances ; 5 en 1790 , donc plus de 5 pour cent aujourd’hui, et 1 pour cent autre fois.
Cigalle, 551 ames de population ; 10 naissances en 1790 ; 35 aujourd’hui.
De plus longs détails seraient excessivement fastidieux pour le lecteur ; lorsque je jette les yeux sur le tableau de toutes les communes du Département, j’y vois la grande majorité avoir plus de naissance aujourd’hui qu’autre fois, et cette partie de l’état civil, portée l’une dans l’autre à trois et demie pour cent individus, tandis qu’en 1790, à peine arrivait-elle à trois. Encore n’avons nous pas le nombre des nés des émigrans de chaque année qui partent avec leurs femmes et qui peuvent être pères dans l’étranger ; mais l’on m’a assuré que le nombre des naissances et des morts hors du pays n’était jamais conséquent, et que quant aux mariages, il était rare qu’il s’en fit hors de la commune.
J’ai recherché si le chaud ou le froid fesaient quelque chose au nombre des naissances ; mais on a pu voir dans l’état des communes méridionales et septentrionales, prises au hasard, et mises sous les yeux du lecteur, qu’il y a à peu de chose prés, égalité. Seulement, à part une raison morale dont je parlerai bientôt, il est évident que la plus grande somme de naissances se trouve là ou il y a de plus grands moyens de nourriture ; et lorsque je vois des communes, ou le nombre des nés à augmenté, je vois aussi que c’est parce que les huiles ont augmenté de prix et ont procuré plus de facilités de subsistance. Ailleurs, ce sont les bestiaux, ou les autre genre d’industrie qui ont produit cet avantage d’abord, ce sont les villes, ou il y a ordinairement beaucoup de naissances, parce qu’elles présentent plus de ressources à l’industrie ; parmi les communes que j’ai citées, le Villars offre la population la plus avantageuse et le Villars est un des points les plus riches, tant par ses huiles, ses vins, que par ses autres denrées ; Cigalle, Roquesteron et autres villages entre le Var et l’Esteron, pays pauvres naturellement et peu peuplés, ont obtenu plus d’aisance par la valeur des huiles, leur unique ressource, et ils ont augmenté de population. Tende soutient sa population, par les muletiers qui sont dans une activité continuelle, l’industrie musicale de St Dalmas le Sauvage, l’art de réduire les laines en draps grossiers, de la vallée d’Entraunes, etc. etc. donnent évidemment à ces communes un peu plus d’aisance, et facilitent la population. Là, ou il n’y a eu ni l’avantage des huiles, ni celui de l’industrie, ou les maux de la guerre ont produit une stupeur décourageante, la population est restée stagnante, il y a eu un nombre moindre de naissances ; plusieurs communes de la vallée de la Vésubie et de la Tinée nous en offrent des exemples.
Des mariages
L’abondance de nourritures et la facilité de se la procurer ; qui fortifient le corps, tranquillisent l’esprit, et engagent l’homme à être père, font aussi faire un plus grand nombre de mariages. Il est vrai que la jouissance tant désirée de la paix, a levé les incertitudes d’un grand nombre de jeunes gens qui résistaient durant plusieurs années à leurs inclinations naturelles ; mais d’une autre part, nous ne pouvons méconnaitre l’effet de l’augmentation du prix des denrées, chez un peuple uniquement agriculteur, et qui se trouve avoir dans les mains une plus grosse somme que jamais il n’ai eu ; tout comme nous devons faire entrer en ligne de compte l’influence des nouvelles lois françaises pour la destruction d’un préjugé qui s’opposait singulierement à la population des contrées.
Préjugés qui limitaient le nombre de mariage
C’est celui des primogenitures 1e Nice et toutes les petites villes du département avaient la manie de la noblesse cette passion avait été portée si loin, que tout artisan qui était parvenu à avoir 3 000 francs de rente, voulait acheter un fief, à quoi il était engagé par le bas prix que les finances sardes y mettaient, et la facilité qu’avaient ensuite les enfans d’obtenir des grades militaires refusés aux roturiers ; mais dès lors, tout comte ou tout baron devait faire un ainé, et sacrifier ses autres enfans au célibat. Aussi les couvens étaient-ils tres multipliés partout, et remplis de moines ; aussi le clergé était-il infiniment nombreux, et l’on compte encore aujourd’hui 800 prêtres, les réguliers non compris pour une aussi faible population.
2e Quoique l’on trouve encore dans chaque mauvais village quelque comte ou baron, aussi grossiers que les autres habitans, cependant la manie des fiefs n’avait pas pris les campagnards, puisque par leur fortune, ils ne pouvaient y atteindre, mais ils s’étaient aussi appropriés dans plusieurs vallées, l’usage des primogenitures, je l’ai trouvé établi dans la vallée de St Ethienne et dans la vallée d’Entraunes, avec une telle force, que j’ai fait de vains efforts pour persuader les peres de la légitimité de la loi qui ordonne l’égalité des partages, pour conserver une aisance à la famille et lui donne chef, on fait entrer tous les garçons, à part un dans l’état écclésiastique ; ou si cela ne se peut, on décide dans un arrangement de famille, auquel des garçons on donnera une épouse, et tous les autres se vouent d’eux mêmes au célibat, et au service de l’Elu. Les ecclésiastiques travaillent de concert à enrichir la maison du frére marié, et l’expérience avait effectivement prouvé que cette spéculation si contraire à la lettre de l’Evangile, en valait bien une autre. Aussi compte-t-on encore 60 prêtres à St Ethienne aussi cette ville n’a-t-elle jamais fourni plus de 21 naissances par chaque mille d’individus, et plus de 6 à 9 mariages par an commune faite de plusieurs années avant et apres la Révolution, tandis qu’à St Dalmas le Sauvage a deux lieues de là, ou l’habitude d’aller en France avait fait contracter des mœurs françaises, et dont la population est moindre du double, je trouve consignés dans les registres, depuis 4 jusqu’à 15 mariages par an, depuis 1790, à l’époque actuelle.
En remontant à l’origine de cet usage en apparence si peu conforme à la nature, j’ai de la peine à croire que la bizarrerie des institutions aient pu lui donner lieu puisque le laboureur n’y avait pas, comme le citadin un intérêt direct ; après avoir vu tout le département et médité sur les ressources, cet usage contre lequel je m’étais d’abord élevé, m’a paru ensuite excusé par la necessité ; j’ai vu, comme je l’ai dit à l’article 3 du chapitre précédent, qu’il était des pays dons le sol ne pouvait nourrir qu’une population donnée, et qui deviendraient très misérables, si les fortunes étaient trop divisées ; ce fut sans doute sur ce principe senti et également naturel, que fut autre fois fondé l’usage dont je parle, et que les gouvernemens ont entretenu, en laissant ces peuples livrés à eux mêmes, et à la nourriture limitée qu’ils pouvaient retirer de la terre, sans addition d’aucune industrie.
Je me suis rappellé alors d’avoir vu autre fois la même chose, dans les montagne de mon pays ; en Savoie, l’usage des primogénitures n’était pas établi légalement, comme ici, parmi les laboureurs, mais il y était éxécuté par une convention tacite : dans plusieurs parroisses montagneuses, les frères se sacrifiaient de plain gré au bonheur d’un seul. On a vu parmi les peuplades américaines et dans diverses parties de l’Indostan, telles que le Boutan, le Thybet etc. la population limitée à la facilité des subsistances, et ce grand mobile produit partout les mêmes effets ; tant-il est vrai qu’en pratique, la nature est presque toujours opposée à la philosophie du cabinet.
Le total des mariages pour les quatre parroisses de la ville de Nice, en 1790 étaient de 232 ; et il est en l’an X, de 231 ; donc seulement un de moins ; mais ces 232 repartis sur 25 mille individus, ne donnaient pas dix mariages par mille, au lieu que la somme actuelle en donne treize ; il s’en fait donc actuellement un plus grand nombre et nous trouvons partout ailleurs, la même proportion.
Cependant ce nombre est encore petit, rélativement à la population ; il n’y a dans tout le département, que 41 190 mariés ou veufs, desquels 1 200 femmes veuves ; et il y a 6 320 célibataires, ou gens à marier, depuis l’age de 16 ans. Quelles seront à l’avenir les progressions dans le nombre des mariages ? Il est facile de juger qu’elles seront relatives à la pureté des mœurs, au prix avantageux des denrées départementales, à la conservation des oliviers et aux vues bienfaisantes du gouvernement français pour favoriser tous les genres d’industrie dont le pays est susceptible. Déjà l’on voit que la jouissance de la paix et le prix avantageux de l’huile en l’an dix, ont produit dans la ville de Nice une augmentation considérable dans le nombre de mariages, rélativement aux autres années.
Époques de la puberté et des mariages de la fécondité et de la stérilité
Epoques de la puberté et du mariage, suivant les positions des communes
La chaleur qui vivifie tout, qui hate le développement des fleurs et la maturité des fruits, rend aussi l’espéce humaine plus précoce dans la faculté à se reproduire. Dans toute la partie méridionale et orientale du Département, ou la surface de la terre n’est pas privée par l’ombre des montagnes ni de l’action directe des rayons de soleil, ni de l’influence des vents du sud et de l’est. L’évacuation périodique paraît chez le sexe à 12 ou 13 ans, et les signes de puberté s’annoncent chez l’homme à 14 ou 15 ans. C’est aussi là l’époque du mariage à Nice et dans les autres communes méridionales, lorsque l’éducation a été négligée, ou que l’imagination chaussée par des images lubriques ajoute à l’instinct de la nature ; car là, ou il n’y a point de ces sortes d’images, et ou un travail assidu remplit toutes les heures du jour, les peres ne marient leurs enfants qu’a 20 ans, pour le garçonnet a 16 et 17, pour les filles, sans qu’il paraisse que ce retard tire à aucune conséquence pour les mœurs ou pour la santé ; il est au contraire reconnu utile, puisque c’est là, l’age de vigueur pour les deux.
J’ai dit, là ou la terre n’est pas ombragée par des montagnes, car tandis qu’à l’Escarena, les choses se passent telles qu’on vient de les voir, il y a déjà du retard à Luceram, village distant de deux heures, mais privé de soleil levant, par une haute montagne qui le recouvre. A Luceram, les garçons ne sont nubiles qu’à 17 ou 18 ans, et les filles a 14 ou 15 ans ; les premiers ne se marient que de 20 à 25 ans, et les filles de 18 à 25. L’age de vigueur n’y est en pleine activité, que de 25 à 30 ans.
A Lantosca, et dans toute la vallée de la Visubie, pays moins méridionaux que Luceram, l’age de puberté pour les mâles est de 18 à 20, et pour les fille de 14 à 15. Ces dernières se marient de 18 à 20, et les garçons à 25 ans.
A St Ethienne, à St Dalmas le Sauvage et dans la vallée d’Entraunes ou il fait plus froid, la puberté chez les deux sexes n’a lieu ordinairemens qu’à 18 ans, j’y ai vu des garçons et des filles de cet age d’une innocence et d’une ingénuité parfaites. L’époque des mariages est de 20 à 30 ans. Ce dernier age est celui de la vigueur.
Fécondité et stérilité
L’age ou les femmes sont nubiles est aussi celui, ou elles font des enfans, il est très commun à Nice, Menton, et pays circonvoisins, de voir des meres qui n’ont pas plus de 12 à 13 ans ; cette maternité précoce fait même rien à la fécondité. Car il est des femmes qui apres avoir été meres à 13 ans, le sont encore a 40 ; en général, il y a dans le département beaucoup de fécondité ; les péres de 10 à 12 ans n’y sont pas rares ; la chaleur ou le froid n’influent rien ; j’ai trouvé autant de fécondité à St Dalmas le Sauvage que dans les communes tres peuplées de la vallée de la Nervia, à la Briga ; pays de bergers, à Tende pays de bergers et de muletiers, les familles sont très nombreuses.
Si la puberté est hative, elle n’amène pas plutôt la stérilité, comme on serait tenté de le croire, d’après les systemes. L’époque de la cessation des regles, est pour toutes les contrées du Département, tant chaudes que froides à 45 ans. Les femmes peuvent être fécondes jusqu’à cet age, ainsi que des exemples le prouvent, mais comme toutes les méres, à part quelques femmes délicates des villes nourrisent leurs enfans, et qu’elles les nourrissent ordinairement 2 à 3 ans, il en résulte souvent que les derniéres années leur fécondité se passent avec l’enfans à la mamelle, quant aux hommes, il ne sont pas vigoureux moins longtems ; il n’est pas rare de les voir encore pére à l’age de 70 ans, à moins que leurs premiéres années n’aient été passées dans la débauche. Les femmes stériles ne sont pas fréquentes ; je n’en ai découvert qu’un petit nombre, et dans les lieux élevés, ou l’aridité du sol et la sécheresse de l’air portent dans les fibres une rigidité qui donne lieux à quelques maladies dont je parlerai au chapitre 5 de cette section.
Des ages, sexes et saisons, ou il y a le plus de mortalité, et de la durée de la vie, dans les diverses contrées du Département
De l’age ou il y a le plus de mortalité
Il résulte des notes que j’ai prises dans l’état civil de la ville de Nice, pour plusieurs années, tant du tems actuel, que de celui qui a précédé 1790, que sur 10 enfans nés du même jour, 7 seulement parviennent à l’age de 60 ans en sus. Sur 65 morts on en trouve communément 44, au dessous de l’age de 15 ans, dont plus de deux tiers, avant cinq ans ; 17, de 15 à 60 et 4 de 60 ans en sus.
Dans les communes de la vallée de Paglion et autres environnantes, à 3 et 4 lieues de Nice, j’ai trouvé généralement sur la quantité de 36 morts ; 17, jusqu’à l’age de 5 ans ; 2 de 5 à 10 ; un de dix à 20 ; 9, de 20 à 60 ; 7, de 60 à 80 ans.
Dans les pays plus froids, à Bréglio, par exemple, j’ai compté sur les registres, avec le curé, homme intelligent et qui est ancien dans sa paroisse, que sur 78 nés, il en meurt 28 avant l’age de 10 ans, 12 de 10 à 20 ; 33 de 20 à 60, et 5 de 60 à 80 ; nous avons pareillement observé que cette proportion était moindre, il y a 20 ans.
Dans les régions plus froides encore, sur 100 enfans, à peine en arrive-t-il 4 à 60 ; on ne voit sur les régistres morturaires des curés que des ages d’un an à dix, et de 20 à 50, ou 55 ans.
Par conséquent, à Nice et communes circonvoisines, l’age le plus fatal est celui de 0 à 5 ; aprés, celui des années qui précédent la puberté ; passée cette époque, il y a plus d’espérance de vie, moyenant qu’on n’ait aucune maladie héréditaire.
Dans les régions froides, indépendamment des dangers de l’enfance et de l’age de puberté, on a encore à courir ceux des maladies inflammatoires très fréquentes dans les pays froids, et qui emportent les trois cinquième de ceux qui ont atteint l’age viril.
Commune faite pour tout le Département, de tous les enfans qui naissent dans une année, il n’en parvient que le tiers à l’age de 16 ans, et un cinquiéme à l’age de 60 ans en sus.
Du sexe, relativement à la mortalité
Il en résulte des mêmes notes, comme régle général, qu’il meurt communement moins de filles que de garçons, et plus de femmes que d’hommes ; sur 65 morts par exemple, je trouve 28 garçons, au dessous de 15 ans, 16 filles ; 10 hommes au dessus de 15 ans et 11 femmes. Les lois de l’économie animale expliquent très bien cette différence qui peut avoir des exceptions là, ou la premiére menstruation est difficile.
Des saisons ou il y a plus de mortalité
J’avais d’abord cru qu’à Nice, l’hiver devait être saison fatale surtout aux viellards, à cause de l’inconstant du temps ; et j’avoue que j’ai été très surpris, lorsque mettant en note pour l’ancien et le nouveau régime, l’age, le sexe et l’époque des morts, j’ai lu que c’était précisément dans le tems des plus grandes chaleurs et au commencement de l’automne, qu’il périssait les plus grand nombres de jeunes et de vieux pour 1790 et années précédentes.
Les mois de janvier, février, mars, avril et juin sont ceux, ou il y en a le moins de morts ; mai, novembre et décembre, sont ceux, ou il y a eu un peu plus ; en septembre davantage, puis en août, ensuite juillet et octobre, qui sont les mois ou il y a eu le plus de mortalité.
C’est à dire, dans les premiers mois, le plus de morts qu’il y ait eu en 2 jours, est de 6 ; dans les seconds, de 7 ; dans les troisièmes de 10 à 11 ; et dans les quatrième de 12 à 13.
On trouve les mêmes proportions dans le tems présent ; le trimestre de vendemiaire de l’an IX offre 229 morts, et celui de messidor y compris les jours complaimentaire, 225, desquels 71 depuis le 6 fructidor, il y a donc 454 morts pour les deux trimestres d’été et d’automne ; et 293 pour les deux autres trimestres total 747.
En l’an X, ou il y a eu 663 morts, il y en a eu 557 du 2 vendemiaire, au 12 primaire, et du 5 prairial au dernier complémentaire ; de sorte que 190 jours ont absorbé les deux tiers des décédés. Mais si l’an X a été plus funeste que l’an IX, on peut l’attribuer à juste titre, à ce qu’il y a eu de plus grandes chaleurs.
Durant les six premiers mois de l’an XI, des 320 morts le plus grand nombre a été en vendemiaire et brumaire. J’avoue qu’en voyant la quantité de pluie qui tombait journellement, je craignai que l’hiver fut insalubre. Loin de la qu’au contraire, il a été très sain, excepté pour les phthisiques qui ont tous péri. Tandis que le nord de la France était affligé d’affections catarrales assez meurtrières, nous avons joui à Nice d’une santé parfaite. Les apoticaires étaient inactifs, sauf pour les anglais qui avaient avec eux leurs médecins qui sont grands pharmacopoles. L’on voit de là que la fraicheur est salutaire dans ces climats, je reviendrai faire cet article en parlant des maladies.
Au contraire dans les régions froides, c’est dans les trimestres d’automne et d’hiver, que j’ai trouvé le plus de morts.
Les régions du département ou l’on vit le plus
Puisque la grande chaleur est l’époque la plus commune, qui met un terme à la vie, il semblerait conséquent de penser avec le chevalier John Sinclair que les contrées froides de ce département doivent être les plus favorables à la longévité ; cependant les recherches que j’ai faites, commune par commune, me prouvent le contraire, il y a bien des viellards partout, mais le nombre en est plus considérable et l’age plus avancé dans les parties méridionales que septentrionales. Déjà, tout ce que nous dit ci dessus le prouve, et je vait donner un surcroit de preuves à mon assertion, en donnant le nombre des viellards qui existent dans un certain nombre de communes situées dans les deux points opposés.
Je n’ai pu savoir ce nombre, au juste, dans la ville de Nice, (étant l’endroit ou l’on s’est le moins prêté à mes recherches) ; mais en dépouillant les registres mortuaires anciens et modernes, j’ai reconnu que la somme des viellards décédés annuellement, est assez exactement, année commune, de 100 à 106, desquels 80, de 60 à 80 ans et 26 de 80 à 90 ans.
A Nice, des 320 décès qu’il y a eu pendant les six premiers mois de l’an XI, la mortalité a eu lieu comme il suit :
120 enfants, depuis 0 jusqu’à sept ans.
70 males, depuis 7 jusqu’à 60 ans.
50 femelles, depuis 7 jusqu’à 60 ans.
57 viellards des deux sexes, depuis 60, jusqu’à 80.
23 viellards des deux sexes, depuis l’age de 60 à 90 ans et plus parmi lesquels Anne Leraudi, morte agée de 103 ans, 1 mois, 2 jours. Que le tiers à l’age de 16 ans, et un cinquième à l’age de 60 ans en sus.
J’eusse pu citer encore un grand nombre d’autres communes dans l’un et l’autre point, pour prouver que la rigidité supposée de la fibre, occasionnée par la secheresse d’une air chaud, ou diminue par la durer de la vie ; par exemple, nous avons Utelle, ville située sur un rocher à pic, regardant le levant et le midi, de la plus grande sécheresse, ou les vies de 100 ans ne sont pas rares ; d’un autre coté, presque en face d’Utelle, est Belvedere, privé du midi et de l’est, placé sur un rocher de granite, proche le torrent de la Gordolasca, ou les vies les plus longues sont de 70 ans. Je trouve encore dans mes notes une grande preuve de l’avantage d’avoir le midi, pour la longévité, dans la petite commune de Tora, élevée sur San Salvador et peuplée de 300 ames. Les vies de 90 ans n’y sont pas rares ; tandis qu’à Robion, commune éloignée d’une heure, et sur la même ligne, mais totalement ombragée du midi par une montagne, et froide, la longévité n’est que de 70 ans.
Qui dit le contraire ne connaît pas le midi de la France : Marseille renferme un grand nombre de viellards. Je sais que dans mon pays, il est rare d’aller au delà de 70 ans ; je me rappelle d’avoir vu dans mes jeunes années un viellard qui mourut à l’age de 105 ans, au pied de Rochemollon, la plus haute montagne de la Savoie, après le Mont-Blanc ; mais ces cas sont rares, ils tiennent aux constitutions individuelles, et non aux lois générales, sur lesquelles seules la phisique animale doit s’appuyer. J’ai été autre fois d’un avis pareil à celui de ceux qui sont pour les pays froids rélativement à la longévité, je me soumets aujourd’hui devant les faits.
D’ailleurs, les médecins n’observent-ils pas tous les jours que les constitutions séches sont plus durables que les tempéraments replets ?
Quant aux pays chauds et humides ou froids et humides, on peut voir qu’ils sont moins favorables à la longévité que les pays. On peut voir dans mon traité sur les maladies de Mantouan que j’avais déjà fait la même observation à Mantoue.
Du reste je pense que ce n’est pas seulement du climat qu’on doit attribuer la plus grande durée de la vie des habitans méridionaux du département ; le genre de vie et de travail y font aussi quelque chose ; dans la partie des oliviers, le peuple est mieux nourri et ses fatigues sont moindres ; je vois que dans cette partie même, comme à Briglio et à Saorgio, ou le cultivateur est obligé de faire des montées longues et pénibles pour aller travailler ses champs, y a moins de longévité et un plus petit nombre de viellards ; combien, à plus forte raison, de doivent pas user la constitution. Les travaux des habitans de la partie nord, qui sont toujours par les rochers et dont la nourriture est très mauvaise ? Ainsi, je trouve à la petite commune de Venanson, peuplée de 200 ames, pays élevé et difficile ou la plus longue vie n’est que de 55 ans, commune faite, que de vingt naissances, 2 parviennent à peine à l’age de 50 ans.
Quels sont en général dans les villes du département les plus beaux viellards ? Ceux qui jouissent d’une honnête aisance, et dont les travaux d’esprit et de corps n’ont pas été considérables ; on a beau dire, pour consoler le pauvre qu’il a pour lui une meilleure santé et une plus longue vie, le fait est que les riches qui n’abusent pas de leur fortune, ont plus de moyens que lui pour vivre longtems.
En conséquence du systeme sur l’obstacle que met la rigidité des fibres à la longueur de la vie, quelques auteurs pensent qu’il y a plus de femmes que d’hommes qui parviennent à la viellesse ; je n’ai pas non plus trouvé ce fait exact dans ce département ; il y a généralement plus de viellards du sexe masculin que du féminin ; dans un village, ou l’on comptera 10 viellards, souvent à pàeine trouverat-on 4 femmes du même age ; ce qu’on peut attribuer à ce qu’elles font des enfans, trop de bonne heure.
Le nombre des viellards et dans quelques endroits de 3 vingtièmes, dans d’autres de deux, dans d’autres d’un, et dans plusieurs communes, ils n’arrivent pas à ce nombre ; nous pouvons donc estimer que la proportion de la viellesse avec les autres ages de la vie est d’environ d’un vingtième pour tout le département.
De la population, et des causes de sa diminution
Analyse de la population et des raisons de sa baisse. Survol des moyens de subsistance, des prix des denrées et des migrations annuelles.
NOTE : Nous offrons aux internautes la possibilité de découvrir ce texte inédit transcrit dans sa forme originelle et avec l'orthographe de l'époque. |
De la population et des causes de la diminution
Division de la population |
Nombres en 1790 |
Nombres en l’an X |
Feux | 20 207 | 18 750 |
Garçons jusqu’à l’âge de 10 ans | 11 077 | 10 746 |
Filles jusqu’à l’âge de 10 ans | 11 078 | 10 746 |
Garçons de l’âge de 10 à 16 ans | 12 427 | 10 531 |
Filles de l’âge de 10 à 16 ans | 12 728 | 10 961 |
Mâles de 16 à 60 ans | 24 655 | 21 313 |
Femmes de 16 à 60 ans | 24 655 | 22 173 |
Viellards de 60 à 90 ans | 2 800 | 2 712 |
Viellards femelles de 60 à 90 ans | 2 285 | 2 312 |
Total des enfants | 47 310 | 42 984 |
Total des adultes | 49 310 | 43 486 |
Total des viellards | 5 085 | 5 024 |
Total des mâles de tout âge | 50 959 | 45 302 |
Total des femmes de tout âge | 50 746 | 46 192 |
Total de la population | 101 705 | 91 494 |
Noms des communes |
Nombres de feux en 1790 |
Nombres de feux en l'an X |
Population en l’an 1790 |
Population en l’an X rép. |
Nice et sa campagne |
5 000 | 4 000 | 25 000 | 20 000 |
Menton (ville) |
548 | 548 | 3 289 | 3 289 |
Sospello (id) |
800 | 700 | 4 000 | 3 000 |
Villefranche (id) |
600 | 400 | 4 000 | 2 400 |
Saorgio (id) |
460 | 460 | 2 400 | 2 400 |
Tende (id) |
336 | 309 | 1 842 | 1 700 |
Saint Ethienne (id) |
350 | 320 | 2 000 | 1 700 |
Puget Théniers (id) |
260 | 250 | 1 100 | 1 000 |
Utelle (id) |
320 | 313 | 1 579 | 1 463 |
Guillaumes (id) |
230 | 220 | 1 300 | 1 100 |
Monaco (id) |
290 | 296 | 1 100 | 1 175 |
Peglia (bourg) |
280 | 280 | 1 460 | 1 460 |
Contes (id) |
260 | 260 | 1 500 | 1 464 |
Dolce Aqua (id) |
300 | 300 | 1 300 | 1 300 |
Figna y compris le hameau de Buggio (id) |
500 | 500 | 2 500 | 2 500 |
Perinaldo (bourg) |
265 | 265 | 1 350 | 1 350 |
Apricale (id) |
270 | 270 | 1 300 | 1 300 |
Levens (id) |
195 | 190 | 1 200 | 1 100 |
Breglio (id) |
413 | 361 | 1 990 | 1 600 |
Roccabiliéra (id) |
270 | 230 | 1 300 | 1 200 |
Saint Martin de Lantosca (id) |
220 | 210 | 1 260 | 1 200 |
Lantosca (id) |
390 | 320 | 2 100 | 1 600 |
Scarena (id) |
210 | 200 | 1 150 | 1 100 |
La Briga (village) |
500 | 520 | 2 800 | 2 895 |
Aspremont (id) |
280 | 280 | 1 400 | 1 400 |
Eze | 226 | 230 | 1 120 | 1 165 |
Torrette (id) |
200 | 180 | 1 100 | 1 000 |
Tel est le dénombrement de la population du département des Alpes-Maritimes, pour les années 1790 et an X (1802). J’ai pris toutes les précautions dont je suis capable pour le rendre aussi exact qu’il est possible ; il n’est pas aisé à l’administration publique d’avoir la dessus des renseignemens fidelles, dans un pays nouvellement français et encore nourri de défiances ; aussi ai-je souvent trouvé des inégalités entre les états qui m’ont été communiqués par la préfecture, et ceux que j’ai pris moi même dans chaque commune. L’état des ames des curés, là où j’ai pu me les procurer, m’a été d’un grand secours, et m’a servi à rectifier de nombreuses erreurs, en moins, que j’ai trouvées dans les registres des communes.
Il est très difficile aussi de déterminer les proportions d’ages, depuis 0 jusqu’à 16, quand on demande le nombre des enfans, on y comprend tous les individus qui ne sont pas encore en age de mariage, et il est général partout d’entendre appeller enfant, un grand garçon de seize à dix huit ans ; il est d’ailleurs infiniment rare parmi des hommes à donner esclusivement ou à garder des troupeaux ou à la culture des terres, d’en trouver qui sachent leur age ou celui de leurs enfants ; ils ne calculent guère la durée de leur vie que par les époques qui les ont le plus frappé ; celles des travaux d’agriculture, des foires, des principales occupations domestiques, sont désignées par quelque fête de culte catholique et il faut nécessairement être au fait de ce calendrier, pour savoir la dâte d’un événement. Ainsi, ce n’est qu’en consultant minutieusement soit les registres des curés, soit ceux des maires, qu’on peut obtenir une donnée quant à l’age de 16 à 60, comme c’est celui de l’inscription au registre de la garde nationale, et que, dans un pays ou ce service a été souvent en activité, chacun a intérêt à ce qu’on ne puisse s’y soustraire, il a été plus facile d’en faire le dénombrement pour ce qui regarde le sexe masculin. Ainsi, on a en même tems, dans ce nombre de 21 313, la quotité de la force départementale des Alpes-Maritimes.
En feuilletant les registres des curés, pour avoir le nombre des naissances, mariages et décès, et me procurer d’autres renseignemens, j’ai eu une ressource dont je crois utile de parler, parce qu’elle peut être employée par ceux qui voudraient faire des semblables tables. En comptant les décédés, j’ai noté l’age qu’ils avaient et leur sexe dans les deux années de comparaison. J’ai pris dans plusieurs communes un résultat de dix ans, afin d’avoir une donnée plus juste. J’ai ainsi appris combien il mourait par année de personnes de différens ages et de différens sexes ; combien il en parvenait à l’age de 10, de 16, de 60 ans et en sus, ce qui m’a en outre fourni le nombre fixe des vieillards, et une certitude sur la propriété des différentes expositions et des différens régimes de vie à favoriser la longévité. J’ai comparé ensuite ces résultats avec des tables de durée de la vie, données par différens auteurs, et avec les déclarations que l’on m’a faites, et j’ai eu le plaisir, après un travail pénible et rebutant, de voir que je m’étais fort approché de la vérité.
On voit dans ces tableaux de dénombrement, 1èrement que la population des Alpes-Maritimes est très faible ; 2èmement qu’elle est moindre aujourd’hui qu’elle ne l’était avant la guerre ; 3èmement qu’elle a un plus grand nombre d’individus de 0 à 10 qu’à cette époque ; 4èmement qu’elle contient plus de femmes. Chacun de ces objets mérite quelques éclaircissemens.
Somme de population des Alpes-Maritimes avant la guerre
Dans tous les bons pays, on compte ordinairement mille habitans par lieues carrées ; dans celui-ci le total actuel de la population, réparti sur les 211 lieues, ne donne guère plus de 450 individus par lieue ; et si l’on prélève encore sur ce total les 20 000 individus, qui peuplent la ville de Nice et sa campagne, nous n’arrivons plus à cette quotité de réparitition. Il est en effet, un grand nombre de communes du coté du nord-ouest, dont le territoire à trois à quatre lieues d’étendue en circonférence et dont la population n’est pas plus de 400 ames.
Les contrées les plus peuplées sont celles de l’est et du sud, qui produisent des oliviers ; car la population est partout en raison de la facilité de se procurer des subsistances. Briga et Tende, pays froids et sans oliviers, font seules une exception ; mais la première commune a suppléé aux autres moyens par l’industrie des laines et des troupeaux. Tende a joui du même avantage, et y a ajouté celui de sa position au pied de la montagne qui conduit en Piémont. Ses muletiers d’ailleurs ont été pendant un grand nombre d’années presque les seuls en possession des transports, de Nice à Turin.
Du coté du nord-ouest, nous n’avons que la commune de Saint-Ethienne qui ait une population un peu nombreuse relativement aux autres communes du 3ème arrondissement ; encore ces 1 700 individus sont-ils répartis entre le chef lieu appellé improprement ville et trois hameaux éloignés très conséquens ; or, cette ville a toujours joint un peu de commerce et d’industrie à son agriculture. Guilleaumes, autre petite et pauvre ville de cet arrondissement, est aussi divisée entre plusieurs hameaux et le chef lieu ceint de murailles contient à peine 500 individus ; mais cette peuplade n’ayant jamais été qu’agricole, a du nécessairement peu fructifier et diminuera toujours en quantité, par la force des circonstances développées dans les sections précédentes. Le Puget-Théniers, chef lieu de l’arrondissement, subira le même sort, mais plus tard, parce que cette ville joint un peu d’industrie à l’agriculture, ce qui ajoute aux moyens de subsistance de la classe inférieure du peuple. Cet arrondissement est divisé entre la partie sise le long du Var, et entre le Var et l’Estéron, et la partie montagneuse proprement dite ; dans la première position, on cultive, comme on l’a déjà vu, l’olivier qui est l’unique ressource ; mais son produit est si petit, que ce nonobstant la population des communes est inférieure à celle des communes de la montagne. On a peine à y trouver un village au-dessus de 600 ames au lieu qu’on en trouve facilement de 7 à 800, dans les montagnes, non seulement de cet arrondissement, mais encore du premier.
Il serait difficile pourtant d’augmenter la population de ces dernières, à moins d’y amener un peu d’industrie ; leur principale ressource est dans les bestiaux ; et l’on sait que les peuples pasteurs ont besoin d’un grand territoire, sans augmenter trop de population, à moins qu’ils ne recourent comme les berges de Briga et de Tende aux paturages étrangers.
Nous pouvons donc diviser les proportions de population de ce département en trois catégories ; la première et la plus considérable est celle des contrées riches et fertiles en oliviers et orangers ; la deuxième, et moins considérable, est celle des parties montagneuses, riches en paturages ; la troisième, enfin, qui est la moindre, occupe la contrée intermédiaire qui n’a pour sa subsistance que de maigres oliviers.
Je ne crois pas que les Alpes-Maritimes aient jamais eu une population qui excédat de beaucoup celle que nous avons assignée pour l’année 1790 : la ville de Nice était alors à la plus haute prospérité, dont elle eut jamais joui. Le nombre de ses édifices se trouvait doublé, et la population parut si nombreuse que dans un dictionnaire géographique imprimé dans cette ville, on la fit monter à 38 000 ames, exagération improuvée alors par l’Intendance qui seule avait le droit de faire les dénombremens, et des notes de laquelle j’ai tiré la somme de 25 000 ames, adoptée par les personnes les plus judicieuses.
Mais si nous faisons abstraction de la ville de Nice, nous trouverons que le reste du département a été beaucoup plus peuplé qu’il ne l’était en 1790, et que semblable à toutes les villes, ou le luxe et le commerce commencent à s’établir, Nice a opéré la diminution de la population des campagnes conjointement avec les causes phisiques développées précédemment qui ont porté atteinte à la prospérité de l’agriculture. Sauf dans quelques endroits, je trouve partout une plus grande population, avant 1740, sans compter les villages et chateaux existans encore du tems d’Emmanuel Philibers et dont il ne reste plus que le souvenir. Sospello eut autrefois 6 000 habitans ; la petite ville d’Utelle en eut 5 000, qui se réduisirent ensuite en trois. Le Villars, chef lieu des Etats des comtes de Beuil avait en 1 500 une population de 1 200 ames, en 1760 de 800, en 1790 de 570 et il l’a aujourd’hui de 600. Beuil, il y a 80 ans, comptait dans son enceinte, 210 feux ; il ne lui en reste plus aujourd’hui que 160, dont la moitié s’expatrie régulièrement tous les ans. D’après ce que j’ai vu dans les cadastres du XVIe siècle, Guilleaumes avait une population de 1 800 ames, et un territoire six fois plus étendu qu’aujourd’hui ; munie d’un château fort et de fortification, elle était, au Xe siècle une clef de la Provence. Puget-Théniers a eu une population de 2 000 ames, Tende de 3 000, etc. etc. Si nous nous portons dans des tems plus anciens encore, nous trouverons des populations plus étendues dans les différens bourgs et villages ; le département morcelé alors entre 3 à 4 seigneurs souverains, et quelques républiques, pouvait jouir d’une assez grande prospérité dans ses diverses parties, parce que chaque petit Etat avait intérét à augmenter sa fortune et à conserver ses hommes. J’ai lu de vieilles chartes qui honoreraient encore le siècle actuel : la vallée de Barcelonnette fesait alors partie du département ; c’était par là qu’on arrivait dans la Haute Provence et le Dauphiné ; des ruines de boutiques placées dans les villages qui se trouvaient sur cette ancienne route attestent qu’il y avait alors quelque commerce. Depuis un siècle, les campagnes ont peu à peu dégénéré de leur antique prospérité ; il n’est resté à leurs habitans que des champs déjà usés, et le système des grandes villes trop recherché par les potentats en a soustrait un grand nombre à leurs anciennes demeures.
Nice, d’abord bicoque batie sur le rocher, où sont les ruines de son château descendit peu à peu dans la plaine, mais dans une enceinte très resserrée ; sa population était si peu de chose que les guerriers d’un des petits Etats de la montagne ne la redoutaient pas. Port de mer, et par conséquent exposée à la contagion, la peste la mit plusieurs fois à deux doigts de sa perte. En 1744, elle était encore dans la première enceinte, sans arts, sans commerce, sans lumière ; les plus beaux quartiers d’aujourd’hui étaient des jardins ou des landes incultes ; ses souverains, en la déclarant port franc, y attirèrent des avanturiers qui l’ont vivifiée et qui l’ont rendue ce qu’elle est aujourd’hui. Sa population a fait des progrès rapides et est susceptible d’en faire encore mais le reste du département a subi un ordre inversé ; il a perdu ce que Nice a obtenu en plus, de sorte que sur le total, il se trouve une balance assez exacte, à la différence que cette ville n’est pas en état de compenser les désavantages qu’un pays doit éprouver lorsque les campagnes manquent de bras.
Plusieurs circonstances qui tenaient aux institutions sociales concouraient pareillement à limiter ou à retarder les progrès de la population mais nous les développerons en parlant des mariages.
J’excepte pourtant de ces considération sur la dépopulation du département, les anciens petits Etats du prince de Monaco. Monaco, Roquebrune, et Menton sont aujourd’hui ce qu’ils ont toujours été ; fourni d’une petite population analogue au petit mais riche territoire suffisant pour la nourrir, bornés à cette unique ressource. Que la clémence du beau ciel où ils se trouvent situés leur a toujours laissée, il ne paraît pas qu’ils aient jamais été, ni au deçà ni au au delà.
Cause de la différence de population entre 1790 et l’an X (1802)
Il y a en l’an X (1802) 10 211 individus de moins dans le département qu’en 1790 et il est facile de pressentir les causes de cette différence. Elle eut été plus grande encore si l’on eut fait le dénombrement il y a 3 à 4 années, lorsque les nombreux émigrés que l’opinion ou la fraieur avaient décidé à abandonner leur foyers, n’étaient pas encore rentrés. Les maladies et les évènements de la guerre ont en majeure partie operé cette diminution ; le département a subi deux épidémies terribles, de fièvres des camps ou des hopitaux, en l’an III et en l’an VIII, qui ont fait périr 8 009 personnes. La guerre a moissonné un grand nombre de jeunes gens qui avaient suivi les drapeaux du roi Sarde ; d’autres, rentrés après les défaites de ce prince, et livrés au brigandage ou simplement soupçonnés, ont subi une mort plus honteuse ; la misère a certainement abrégé la vie de plusieurs. Aujourd’hui qu’un tems plus serein succède à ces jours d’orages, la population reprend de la vigueur ; les plus effarouchés retournent avec plaisir sous le beau ciel qui les a vus naître, et d’une année à l’autre, il y a une augmentation marquée. Les registres de la préfecture ne donnent pour l’an 9 que 88 071 individus ; le dénombrement que j’ai fait cette année (an X) commune par commune, m’en fournit 91 494, il y a donc déjà 3 423 d’augmentation de population pour le département d’une année à l’autre.
Il est pourtant digne de remarque que ce sont particulièrement les communes situées dans les parties montagneuses du nord et de l’ouest, ainsi que dans les vallées de la Bévéra, de la Roia, de la Visubie et de la Tinée, qui ont le plus diminué de population. Les communes maritimes, celles de la vallée de la Nervia et plusieurs autres méridionales, sont restées dans le même état et ont même un peu gagné, soit qu’on doive l’attribuer à une plus grande facilité de subsistances, qu’elles aient moins été le théatre de la guerre que les précédentes, ou qu’elles aient moins fourni de soldats à leur ancien gouvernement. Tandis que Tende va chaque jour en décroissant, la commune de la Briga sa voisine augmente de population : je me suis assuré par ses états annuels qu’elle a acquis 500 individus de plus depuis 50 ans, desquels au moins 100 depuis la Réunion. Ce peuple pasteur étranger aux guerres et aux opinions a continué son trafic ; il n’a pas craint de mener ses troupeaux au milieu des camps et tandis que la rivière de Levenza lui emportait ses terre d’un coté, il s’enrichissait de l’autre, ce qui est une preuve manifeste que l’industrie doit être joincte à l’agriculture pour maintenir la population d’un pays.
Cause d’un plus grand nombre d’enfans
Les causes de dépopulation dont j’ai parlé, ont agi particulièrement sur les adultes ; et si ces adultes n’eussent été mariés, la disproportion entre les deux années serait plus grande encore ; mais les enfans qu’ils ont laissés remplissent en grande partie le vuide. Aussi, en parcourant les villages, voit-on un grand nombre de ces petits orphelins, de l’age de la révolution politique des Alpes-Maritimes et l’on peut presque compter pour la moitié de la population la classe des individus qui n’ont pas encore atteint leur 16ème année.
Plus grand nombre de femmes
Il en est de même des femmes ; on croirait qu’un village n’est peuplé que de femmes et d’enfans, à en juger par la quantité qui s’en présente à la vue en y entrant, ou bien on serait porté à penser qu’il est des endroits ou la nature fournit plus de femmes que d’hommes ; mais lorsque cette idée m’a été suggérée par les récits qu’on me fesait je l’ai rectifié de suite au moyen de l’analyse des familles, et j’ai vu qu’il nait réellement dans ce pays, comme ailleurs, autant de mâles que de femelles, et que si dans une famille il ne se trouve que des filles, il se trouve dans une autre le même nombre de garçons. Il est certain que dans le département des Alpes-Maritimes, il y a aujourd’hui plus de femmes que d’hommes, mais cela tient aux causes ci dessus ; l’excédent étant presque entièrement en femmes veuves dont il y a 1 331 de plus d’hommes mariés ou veufs. L’épidémie de l’an 8 a en cela de particulier comme j’en ai été le témoin, et comme cela m’a été confirmé partout, qu’elle a attaqué et emporté les corps robustes, et d’age viril et un beaucoup plus grand nombre d’hommes que de femmes. Au reste, on croirait, au premier abord, que cet excédent de femmes est excessif ; on me le donnait tel quand je fesais des recherches sur la population ; mais, accoutumé à me défier des opinions populaires, j’avais recours au calcul et par ce moyen, je ne l’ai trouvé nulle part plus fort d’un 50ème . Ainsi par exemple, occupé de ces détails, à Saorgio, en plein conseil municipal, il se trouva après être venu au fait, que l’excédent des femmes, qu’on croyait très grand, n’était dans cette population de 2 400 ames, que de 46, au grand étonnement de l’assemblée.
Ce qui fait que dans tous les pays on regarde le nombre de femmes excédant à celui des hommes, c’est que ce sexe casanier reste au village, et demeure assis tout le jour sur les portes, tandis que l’homme va aux champs. Ce qui est encore plus ordinaire ici que dans plusieurs autres contrées, ainsi que nous aurons occasion de le dire ailleurs.
Les moyens de subsistance, du prix comparatif des denrées, et des migrations annuelles
Subsistance des différentes classes du peuple
La nourriture de toutes les classes des naturels de ce département, est en général, dirigée vers le régime végétal. A Nice même, il est rare que les classes moyennes et inférieures mangent de la viande un autre jour de la semaine que le dimanche. On y joint du poisson, lorsqu’il est abondant, et en particulier le plus commun et de la plus petite espèce, tel que les nonats, la potine, la sardine, l’anchois frais, la bogue, le capellan, et autres de cette nature qui, dans les bonnes pêches, ne se vendent que depuis 15 jusqu'à 30 centimes (la livre) par 3 hectogrammes. On ajoute toute l’année à cette nourriture quelques poissons salés tels que la morue, le stokfis, les anchois, les harangs et ce dernier poisson qui vient de loin et qui est très sujet à se gâter, est souvent vendu tel par les négotians avides après lui avoir enlevé les entrailles qui sont ce qui lui donne le plus de mauvaise odeur.
La vie végétale consiste particulièrement dans les légumes, les racines, les choux, les aubergines, les pommes d’amour et les figues. Le pain étant une denrée qu’on a intérêt de ménager, on y supplée beaucoup toute l’année par des soupes de fèves copieuses, des pommes de terre, et des figues fraiches ou sèches. Le paysan de Nice aime naturellement les épiceries et les poivrons ; cependant je ne l’ai pas vu manger avec autant d’avidité que dans la campagne de Marseille des oignons et des ails crus. En général, son régime est plus sain et plus substanciel que celui des paysans marseillais. Il joint presque toujours du vin à ses alimens, et l’huile qu’il a en abondance fait qu’il mange de bonnes soupes et qu’il peut la faire servir partout d’assaisonnement.
J’ai pourtant remarqué qu’il s’est fait un changement dans le régime, depuis la Réunion, dans la partie maritime du département ; on usait beaucoup dans l’ancien régime, de morrue et de stokfis. Soit parce que cette marchandise est devenue très rare durant la guerre, soit, à l’imitation des Français plus portés pour la viande que ces peuples, on consomme beaucoup plus aujourd’hui de cette nourriture, ou du moins on emploit en viande la quantité qui n’est pas consommée en poissons secs. Les boucheries de Menton ne débitaient en 1790 qu’environ 80 bœufs , 300 moutons, 50 veaux ; celles de Nice, (il m’a été impossible de le savoir) pour une population de 25 000 ames. Les premières consomment aujourd’hui 100 bœufs, 600 moutons, 60 veaux et les secondes 1 400 bœufs, 6000 veaux, 10 000 moutons ou brebis pour une population de 5 000 ames de moins.
Il n’en est pas de même dans l’intérieur du département. Quoiqu’on y fut généralement sobre en fait de substances animales, on y consommait plus de viande avant la révolution qu’aujourd’hui. Dans les petites communes, il est impossible de s’en procurer, et dans les plus grandes on n’en peut guêre avoir que pour un ou deux jours de la semaine.
Voici l’état comparatif de cette consommation pour quelques unes de celles, où l’on consommait le plus de viande.
Année 1790 | Année Xème (1802) |
Noms des communes | Bœufs | Veaux | Moutons chèvres ou brebis | Agneaux et chevreaux | Bœufs | Veaux | Moutons chèvres ou brebis | Agneaux et chevreaux |
Nice | 80 | 50 | 300 | 200 | 1 400 | 6 000 | 10 000 | 6 000 |
Menton | 70 | 300 | 600 | 1 000 | 110 | 60 | 600 | 400 |
Sospello | 20 | 120 | 120 | 200 | 40 | 160 | 300 | 500 |
Breglio | 24 | 30 | 200 | 100 | 10 | 30 | 100 | 100 |
Saorgio | 24 | 200 | 500 | 400 | 12 | 15 | 100 | 50 |
Tende | 24 | 24 | 360 | 150 | 80 | 380 | 300 | 300 |
St Ethienne | 24 | 24 | 240 | 100 | 80 | 12 | 144 | 100 |
Entraune | 24 | 100 | 96 | 90 | 80 | 12 | 96 | 60 |
Guilleaumes | 24 | 130 | 120 | 100 | 80 | 50 | 48 | 50 |
Puget Theniers | 8 | 180 | 200 | 100 | 80 | 70 | 80 | 60 |
Roccabilliéra | 6 | 150 | 200 | 100 | 5 | 100 | 100 | 60 |
Lantosca | 20 | 30 | 100 | 100 | 3 | 80 | 60 | 50 |
Scarena | 12 | 20 | 60 | 60 |
Cette consommation pour les communes sises sur la route de Nice à Turin, était faite en partie par les voyageurs dont le nombre est actuellement très petit. Celle qu’on fait aujourd’hui est uniquement pour la table des plus riches et des gens d’églises, car quant au laboureur, le prix de la viande ne lui permet pas d’y atteindre ; cependant dans plusieurs communes il y était particulièrement dirigé, et il pourrait bien avoir éprouvé quelque changement dans sa constitution dans les tems ou il fut contraint d’adopter exclusivement la nourriture végétale.
On peut donc dire que le régime végétal, conjointement avec du vin, dans les communes les plus riches forment la base essentielle de la nourriture du peuple, dans l’intérieur du département ; et cette nourriture est même grossière, et très lourde ; il est vrai que, d’après toutes les observations que j’ai faites, en visitant ces contrées, je me suis convaincu que cette nourriture est nécessaire à la constitution d’hommes exercés à des travaux aussi pénibles, lesquels avouent qu’une nourriture légère et délicate ne les soutient pas, et qu’ils préfèrent des alimens de difficile digestion.
Le pain, première base de la nourriture, y est rarement de froment. Comme l’on est contraint d’acheter du bled pour huit mois de l’année, dans la majeure partie du département, c’est au seigle et à l’orge qu’on donne la préférence, et dont on fait le plus généralement du pain. Dans les communes de la montagne, on en cuit ordinairement en frimaire, pour quatre mois, et on le fait lever de manière qu’il se développe une acidité insoutenable pour des estomacs qui n’y sont pas accoutumés dès l’enfance. Heureux encore quand ils peuvent avoir de ce pain, durant toute l’année dans ces dernières années, 8 et 9. Le blé a été si cher, les transports si couteux et diverses communes ont été si pauvres qu’elles ont été forcées de faire du pain avec les fruits de néfflier, de l’azerollier, et de l’arbousier rotis au four, pulvérisés et mêlés avec un peu de farine de seigle ; ainsi est arrivé à Guilleaumes et à d’autres communes de son voisinage, qui ont, plus d’une fois fait cette expérience. D’une autre part, dans le 2ème arrondissement, vallée de la Nervia, comme le prix des transports pour aller chercher du blé à Nice est excessif, et que les douânes liguriennes jointes au permis de transit des douânes françaises augmentent encore ce prix, le pauvre habitant s’approvisionne dans les magasins de la Rivière de Gênes, lesquels ont fourni ces années passées des mauvais grains d’ou sont résultées diverses maladies.
On peut reprocher aux négotians de ces parages de s’approvisionner souvent à Marseille du rebut des grains pour le débiter dans les communes qui cherchent le bon marché. A Nice même, la classe laborieuse ne mange que du mauvais pain, ainsi que je l’ai démontré aux magistrats, dans plusieurs occasions où ils m’ont consulté. Outre de n’être pas nourri, le peuple en est exposé à diverses maladies des premières voies qui passent souvent dans les secondes ; puisse venir le jour ou l’on établira sur ces objets une surveillance efficace.
Généralement partout les pommes de terre, les chataignes où il y en a, la bouillie avec la farine d’orge, les lentilles , fêves, gesses et autres légumes, la recuite autres choses de cette nature, assaisonnées avec de l’huile, là ou l’on en récolte avec de la graisse du menu bétail dans les pays à paturages, remplissent toutes les lacunes qui ne sont pas occupées par le pain. La plus grosse dépense est pour le vin qu’on se procure à quelque prix que ce soit, et dont l’on fait une plus grand consommation dans la montagne que dans la plaine ; la privation de cette denrée a souvent occasionné des maladies.
Moyens de se procurer la subsistance et migrations annuelles
Après avoir considéré le prix de chaque chose, et vu combien les objets de première nécessité ont augmenté de prix depuis 12 ans, voyons quels moyens ont les habitans de ce département pour subvenir à leurs besoins. Nous partons d’abord d’un principe déjà établi qui est qu’ils n’ont du bled récolté chez eux que pour quatre mois de l’année ce qui suppose un achat de grain à l’étranger de 137 600 hectolitres (86 000 charges) en donnant à chaque individu de la population la quantité de 2 hectolitres 4 décalitres de grains (6 settiers), à consommer annuellement. On peut estimer aussi qu’on se procure de dehors au moins la moitié de la quantité de vin consommé dans le département, et un vingtième des draps toiles et autres choses nécessaires à l’habillement ; à quoi il faut ajouter le payement des diverses contributions directes et indirectes.
Il est évident par l’apperçu de ces calculs et par les principes développés dans les sections précédentes, que le département n’a qu’un très petit nombre, si même il en existe aucun, de ces grands riches assez communs dans les contrées les plus fertiles ou plus industrieuses ; mais d’une autre part, s’il a peu de riches, il a aussi faurt peu de véritables pauvres. Chacun se soutient, en faisant les plus grands efforts pour tirer tout le parti possible de l’agriculture.
Dans le dénombrement que j’ai fait des mendians, des domestiques, des journaliers, des bergers, des propriétaires laboureurs, et des propriétaires bourgeois, hommes et femmes, de toutes les communes du département, je n’ai pu découvrir que 600 mendians, ne possédant rien, et encore y en a-t-il beaucoup d’étrangers.
J’ai trouvé, en journaliers 6 699
En domestiques 2 500
En bergers 2 785
En propriétaires laboureurs 15 919
En propriétaires bourgeois 2 000
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Ainsi nous avons déjà 29 903 individus occupés, vivans de leurs travaux, ou du produit de leurs terres desquels 26 000 sont adonnés exclusivement à la culture des 18 499 hectares composant la partie cultivée de la surface du département.
Mais il faut noter que des 6 699 journaliers, plus de la moitié sont aussi propriétaires, et ne louent leurs bras qu’après avoir cultivé leurs biens, dont le produit ne suffit pas à leur entretien ; car dans l’intérieur du département, le nombre de gens qui n’ont rien est extrêmement rare, et ce n’est guère qu’à Nice, Menton et Monaco, ou il se trouve des laboureurs attachés à un champ qui ne leur appartient pas ; à Nice, il en est au moins mille et cinq cent de cette nature. Chefs de famille, vivant de père en fis de la culture des vignes des citadins, et ne donnant pas d’autre métier à leur enfant.
Parmi les bergers, le tiers au moins s’adonne aussi aux travaux des champs, lorsqu’il en vient la saison, retournant à son troupeau quand sa terre n’a plus besoin de lui.
Parmi les laboureurs, il en est qui s’occupent aussi à quelques métiers grossiers dans l’intervalle des travaux et en général, il est peu, dans l’intérieur du département de maçons, de charpentiers, de cordonniers, de tailleurs etc, uniquement adonnés à ces professions ; souvent le même homme en fait plusieurs, il quitte son atelier, pour aller travailler aux champs.
Voyons à présent quelle ressource on a pour se procurer l’excédant des denrées de première nécessité que le pays ne fournit pas.
Ici, on doit encore recourir à la division territoriale que nous avons faite, de terrain complanté d’oliviers, et de terrain n’en produisant pas. Dans le premier cas, la ressource de l’habitant est dans la récolte de l’huile ; dans le second cas, sa ressource est dans ses paturages, dans ses troupeaux, et dans la plus grande quantité de grains qu’il récolte. Je fais abstraction de la récolte des orangers et des citrons, parce que le terrain qui la fournit est fort peu étendu et qu’il n’y a, sur toute la population, qu’un petit nombre de citoyens qui en profitent.
Nous avons déjà observé que les territoires fertiles en oliviers sont les plus peuplés ; dans le fait, il semblerait que c’est là, ou il doit y avoir le plus d’aisance. Pendant ces deux années, 9 et 10 républicain, l’huile a été à un prix très élevé. Elle s’est vendue, en l’an IX, jusqu’à 2 francs 31 centimes le kilogramme (18 francs le rub), et en l’an X, jusqu’à 2 francs 82 centimes 38 deniers le kilogramme (22 francs le rub). Or, il est plusieurs communes qui récoltent de 77 907 kilos (10 000 rubs) à 116 860 kilogrammes (15 000 rubs) d’huile. On peut juger de là de la quantité d’argent qui devrait y entrer. Cependant, soit par la force des circonstances, soit par les suites d’une mauvaise administration domestique, on ne trouve pas dans ces communes toute l’aisance à laquelle on s’attendrait, sauf chez un petit nombre de particuliers.
C’est que ce n’est pas le cultivateur qui profite du haut prix de la denrée, mais ce sont les marchands les spéculateurs : jusqu’aux époques actuelles, l’huile n’avait jamais eu autant de valeur et cependant le cultivateur devait s’endetter pour acheter du grain à un prix très cher en attendant les récoltes. Pour obtenir l’argent nécessaire à ses besoins, il vendait, il vend encore son huile sur l’arbre, avant même qu’il soit en fleur, à un prix très bas ; il est dans chaque village, quelques uns de ces spéculateurs sur la misère publique qui tirent leurs fonds des spéculateurs de Nice, lesquels les tirent eux mêmes de leurs commettants de Marseille. Les meuniers aux moulins d’huile font ordinairement ce commerce. On donne, ainsi 77 centimes 90 c, et tout au plus 1 franc 15 c et ½ (6, 7 et 9 francs le rub) le kilogramme par avance au bon cultivateur qui se trouve, à la récolte, avoir déjà consommé tout son revenu, et obligé d’emprunter de nouveau pour vivre l’année d’après et solder ses contributions.
Tel est le sort de la majorité des habitans des territoires qui produisent l’huile. Celui des habitans des cantons, ou cette denrée, quoique l’unique, est cependant peu abondante, est encore plus déplorable quand au sort des particuliers qui ne sont pas forcés à ces mauvais marchés. Il est certainement heureux, lorsqu’ils ont de bonnes récoltes d’huile, d’autant plus qu’ils jouissent encore des produits des paturages d’hiver qui n’appartiennent qu’à un petit nombre de citoyens ou aux municipalités.
Dans la partie montagneuse qui ne produit point d’huile, il y a moins de richesses apparentes et plus de prospérité réelle. Il semble que les biens qui arrivent tout à coup ne profitent pas, et que leur durée est en raison de la sollicitude constante qu’ils ont occasionnée pour les amasser. Je ne puis pas mieux comparer les peuplades de ce pays, qui mettent leur confiance dans l’huile, qu’aux habitans des contrées de France où le vin est la principale richesse ; elles ont plus de pauvres, la richesse est moins partagée que dans les pays de montagne, ou l’avidité des spéculateurs trouve moins d’embuches à dresser aux habitans.
La ressource des montagnards des Alpes-Maritimes est dans le grain et les troupeaux ; je dis dans le grain, parce qu’il est plusieurs communes dans l’arrondissement de Pujet-Theniers et de Nice, telles que Peaune, Beuil, Rigaut, Saint-Etienne, etc, Lantosca, Utelle, Roccabiliera, Saint-Martin de Lantosca, La Val de Blora, Ilonsa, etc., qui ont non seulement du grain pour elles mais encore pour en vendre aux communes voisines lorsque la récolte est un peu belle. Nous avons donné un apperçu des profits qu’elles retirent des troupeaux, avec lesquels on se procure des départemens circonvoisins, (car les communes de l’ouest communiquent peu avec Nice) les choses nécessaires dont on manque.
Il m’a pourtant semblé de voir que cette prospérité que j’ai trouvée plus universellement répendue dans les parties nord et ouest du département que dans les méridionales, est bornée à une somme de population au delà de laquelle elle n’existerait plus. Ce qui le prouve, indépendamment des considérations que nous ferons dans le chapitre suivant sur les mariages, ce sont les migrations annuelles d’une partie des habitans des premières communes, que je n’ai pas trouvées dans les communes méridionales.
Des migrations annuelles
Il n’est en effet aucune des communes sises au nord et nord-ouest, ou il n’y ait chaque année un nombre donné de propriétaires les moins aisés qui quittent leurs foyers, hommes, femmes et enfans, pour aller dans le plat pays passer l’hiver, et faire quelque guain, pour retourner chez eux à la belle saison. Le total de ces émigrans de toutes les communes dont je parle est de 2 029, et il était à peu près le même avant la Révolution.
Cet usage est ancien ; j’ai appris des vieillards, qu’il était déjà connu, il y a 80 ans ; il est vrai que la contagion a gagné, et que les difficultés des subsistances allant en augmentant, le nombre des émigrans est aussi augmenté.
Les bergers mênent avec eux leurs troupeaux pour les faire paître sur les cotes de la Ligurie, ou dans les pleines des départemens des Bouches du Rhône et du Var. Ceux qui n’ont point de troupeaux vont se louer pour bergers, pour domestiques ou pour journaliers ; une grande partie de ces émigrans est employée dans les campagnes de Nice, de Menton, de Vintimigle et de Saint-Rémo, à la cueillette des olives à l’Isola et particulièrement à Saint-Dalmas le Sauvage, les habitans apprennent de bonne heure à jouer de la vielle et d’autres instrumens, avec lesquels ils vont dans les villes de France exécuter cette musique ambulante qui interrompt souvent délicieusement le repos de la nuit. Leurs oreilles sont accoutumées dès l’enfance à l’harmonie et l’on voit les enfans tressaillir en appercevant une vielle entre les bras de leurs pères. J’étais à Saint-Dalmas la veille du départ de la caravane ; le maire, vieillard respectable, chez qui je dinai, avait fait signe à ses enfans et à cette jeunesse qui allait partir ; au milieu du dîner, j’entendis une musique ravissante (qu’on me passe le terme) exécutée avec un grand nombre d’instrumens qui me délassa de toutes mes fatigues, qui me fit oublier et la neige qui tombait à gros floccons, et les horreurs de la nature dont ce village est environné. Le lendemain, il n’y avait plus que les vieillards, les femmes et les enfans.
C’est ordinairement au vendemiaire et brumaire que ce départ à lieu, pour ne revenir qu’en prairial suivant.
Autres fois, ces migrations annuelles avaient pareillement lieu dans les parties méridionales riches en huile. Ces contrées hérissées de pics, comme le reste du département, sont très sujettes à la grêle ; et fort souvent lorsque cet accident avait lieu, la population entière d’une commune quittait ses foyers, pour aller chercher du pain ailleurs ; ainsi m’a été rapporté par des vieillards dignes de foi qui se rappellent de ces époques, c’est-à-dire il y a 60 ans ; alors l’huile ne valait encore que 32 centimes 1/10 le kilogramme (2 francs 50 centimes le rub), et elle ne pouvait être une ressource.
Successivement cette denrée a augmenté de prix : à mesure que les peuples du nord se sont civilisés, que leurs vaisseaux ont fréquenté ces parages, que leurs gouts accoutumés à l’huile de poisson et à d’autres huiles grossières, a donné la préférence méritée à l’huile d’olives ; à mesure que les savoneries de Marseille se sont multipliées, et qu’elles ont employé entièrement les huiles grasses d’Italie, de Sicile et du Levant qui, à l’époque de nos gouts plus grossiers, concouraient avec les huiles de Provence pour la table, à mesure enfin que le commerce a étendu ses limites et que les hommes ont été plus délicats dans le choix des alimens, l’huile de la Provence et de ces contrées a acquis une valeur à laquelle on ne se serait pas attendu.
Progression dans le prix des huiles
Elle était pourtant restée en stagnation depuis 64 centimes 1/5 jusqu’à 1 franc 15 centimes ½ le kilogramme (de 5 à 9 francs le rub) dernier prix qui paraissait le non plus ultra ; lorsque cette dernière guerre fermant les communications avec l’Italie obligea les savonneries à employer les huiles de Nice et de la Ligurie moins propres que celles de Sicile et de Calabre à cet usage. Le froid de 1789 qui avait fait périr le plus grand nombre des oliviers de la ci-devant Provence, concourant à faire valoir les oliviers de Nice, heureusement conservé. Ainsi cette denrée, recherchée à la fois et par les arts et pour la table, doubla bientôt de prix, et fut portée comme nous l’avons dit, jusqu’à 2 francs 82 centimes le kilogramme (22 francs le rub).
Ce n’est pas qu’elle puisse soutenir cette valeur, la concurrence rétablie par la paix l’a déjà faite baisser mais devenue d’une nécessité générale et susceptible de s’étendre encore à mesure que le goût des nations se raffinera, elle restera toujours à un taux suffisant pour procurer une subsistance honnête aux propriétaires qui la recueilleront.
Le haussement de prix de cette denrée a produit une ressource à ceux qui la possédent, inconnu auparavant lorsqu’elle suivait le taux du blé et des autres choses nécessaires. Une bonne récolte les a mis à même de lutter pendant deux ans contre la grêle et les autres fléaux qui, détruisant leurs moissons, les obligeaient jadis à tout quitter.
Mais cette source de richesses peut devenir aussi source de misère ; à quoi seraient réduits ces habitans, si leurs oliviers venaient à périr, ou s’ils contractaient généralement les maladies dont j’ai parlé ? Et voilà pourquoi je voudrais qu’une sage prévoyance s’occupat un peu plus de ces arbres, sans les livrer, comme on fait, aux erreurs de la routine et à la seule providence de la nature.
Avec cela, ces derniéres contrées, comme nous l’avons dit, ont une prospérité moins générale que les premières ; leurs bourgades plus peuplées offrent des inégalités de fortune plus tranchante.
L’espoir d’une subsistance facile engage dans les pays d’huile à la population mais la mauvaise administration dont j’ai parlé rend cet espoir nul, chaque année, au père de famille, obligé pour nourrir beaucoup d’enfans de continuer de mauvaises affaires : la grande population est donc nuisible en ces circonstances, surtout s’il arrive une récolte mauvaise. Au contraire, dans les pays de montagne, ou la population est égale aux ressources, il y a toujours la même prospérité.
Il semble donc que la nature des choses a établi une balance exacte entre les deux divisions territoriales que nous avons suivies ; là où le sol est plus riche, il y a aussi plus de consommateurs ; là, ou il l’est moins, il y en a moins ; de sorte qu’on peut dire que si chaque village de la montagne paraît plus à l’aise, il le doit à son peu de population, laquelle, dans l’état actuel étant augmentée, nuirait à la prospérité commune. Mais si, aux ressources offertes par la nature, on ajoutait celle de l’industrie, il est indubitable que la population pourrait être, sans danger, d’un tiers en sus, dans l’une et l’autre division, et que les pays d’huile auraient un avantage marqué sur les autres cantons qui n’en produisent pas.
Influence de la Révolution sur les subsistances
Quelle influence a eu la Révolution sur la facilité de se procurer des subsistances ? Elle eut pu améliorer de beaucoup le sort des petits propriétaires, en leur divisant les grands biens des corporations abolies ; mais loin de produire cet effet qui eut attaché le plus grand nombre au régime français, elle en a produit un contraire. Lors de la conquête, le pays s’est trouvé presque désert par la fuite précipitée d’une multitude de familles effrayées ou égarées, mise ensuite sur la liste des émigrés ; les biens nationaux sont devenus la proie facile de quelques étrangers et d’un petit nombre de naturels, de sorte que les fortunes autre fois divisées se trouvent aujourd’hui accumulées entre les mains de quelques hommes qui ne savent pas en jouir, et qui ont des biens dans les parties reculées du département, dont ils ne connaissent ni la localité ni la quantité. Ici, la règle de Smith sur les grands propriétaires est fausse car ces biens possédés par des nouveaux riches, avides, ou qui n’osent faire de la dépense, sont livrées à des fermiers qui les épuisent pour en tirer promptement le meilleur parti possible. Ils sont certainement moins bien travaillés en général que lorsqu’ils étaient divisés entre de petits propriétaires.
En général, dans les parties nord et nord-ouest, qui ont été longtems le théatre de la guerre, le peuple a beaucoup souffert, parce qu’il a eu ses bestiaux enlevés, ses granges et ses maisons incendiées ; puis le prix de toutes les denrées a augmenté, les impositions ont doublé, et il n’y a pas en plus de facilité dans les moyens de travail pour se procurer la subsistance.
Tant de professions et d’états qui tenaient au mode de gouvernement de 1790, sont devenus d’une nullité non seulement absolue, mais encore à charge, parce qu’en amolissant le corps, ils l’avaient rendu impropre aux travaux de l’agriculture.
D’autre part, le second arrondissement et toute la partie du premier, riche en huile, y ont gagné par l’augmentation du prix des huiles ; ajouter que la plupart des paturages d’hiver appartenaient au seigneur de chaque village qui les affermait à un prix très haut et souvent de préférence aux étrangers qu’à ceux de la communauté ; ces paturages, devenus la propriété ou de la commune ou des particuliers, ont aujourd’hui un prix plus bas, et permettent à chaque propriétaire de tenir un plus grand nombre de bestiaux. Aussi, dans ces cantons, la nourriture du laboureur est-elle plus saine, et voit-on plus d’aisance dans sa maison.
Je finirai ce chapitre par dire un mot du sort de cette classe de journaliers, qui est absolument sans propriétés foncières. En considérant que le paysan de Nice a la moitié des récoltes, on le croirait susceptible de s’amasser des fonds pour devenir un jour propriétaire. Cela n’est pas, et, au contraire, chaque année il doit à son maître l’huile qu’il récoltera à sa part l’année prochaine indépendamment des frais de culture, qui, comme on l’a vu, sont énormes dans ce pays, le paysan de Nice n’est ni sobre ni économe et est très peu secondé par la femme ce qui l’oblige à prendre plus de journaliers.
Le paysan de Marseille, qui sur un sol ingrat n’a que le tiers des récoltes, finit cependant par s’amasser quelque chose pour ses vieux jours, afin de ne les pas finir à l’hopital qu’il a en horreur ; plusieurs laissent de petites propriétés à leurs enfans ; mais il ne se désaltère qu’avec la seconde piquette, il se contente à ses repas d’un oignon cru et d’un anchois salé, et la femme travaille comme l’homme.
Ici, le paysan boit du bon vin et aime la bonne chère ; quand il est en fond, il recherche jusqu’à la volaille pour ne vivre le reste du tems que de fêves. La femme qui commande généralement, ne fait guêre que les travaux de la maison et ceux de la campagne d’une exécution facile. Aussi le sort de cette classe d’hommes est-il déplorable sur la fin de leurs jours ; les enfans, en age de mariage, abandonnent communement le père, pour chercher quelque métairie et s’établir ; le père et la mère vieux sont mis dehors du bien qu’ils ne peuvent plus cultiver et leur destinée à tous est d’aller mourir à l’hopital.
Le haussement des prix de l’huile a du mettre chez eux un peu plus d’aisance que par le passé. On le voit au luxe des paysannes et à celui des jeunes gens qui dédaignent aujourd’hui les draps grossiers et les métaux communs mais cette apparence vaine n’améliorera pas leur sort. Qui, dans ce siècle d’imposture et d’immoralité voudra prendre la peine gratuite d’inculquer dans des âmes grossières et ignorantes ces vertus de conduite et de prévoyance qui font la félicité des nations comme celle des particuliers ?
Les principales villes du département
État des lieux des villes de Nice, Villefranche, Monaco, Menton, Sospel, Puget-Théniers et Utelle.
NOTE : Nous offrons aux internautes la possibilité de découvrir ce texte inédit transcrit dans sa forme originelle et avec l'orthographe de l'époque. |
Des principales villes du Département
Nice
Cette ville dont nous avons esquissé l’histoire dans notre introduction, n’occupa jadis que l’espace de la plaine de l’ancien château, ainsi que nous l’avons déjà insinué ; elle descendit peu à peu du haut du rocher, sur ses flancs et à sa base, fut ceinte de murailles flanquées de tours dont on voit encore quelques restes et divisée en rues étroites et très obscures, telles qu’elles le sont encore dans les vieux quartiers.
Elle doit son agrandissement et le peu d’agrémens qu’elle a aujourd’hui, à la ruine de son château, et aux progrès de l’art de la guerre, qui ont frappé d’une heureuse nullité les anciennes fortifications de tant de villes. Ce château commencé par les princes de la maison d’Aragon, achevé par ceux de la maison de Savoie, au commencement du 16ème siècle, après avoir été regardé comme le rempart de l’Italie, et avoir soutenu plusieurs sièges, fut enfin pris en 1706 par l’armée française, sous les ordres du Duc de Bervick, et entièrement démoli . Les guerres qui se succédèrent jusqu'à la prise d’Aix la Chapelle, en 1748 , ne permirent pas de s’occuper de l’agrandissement de la ville, mais depuis cette époque, il fait l’objet constant de la sollicitude des rois de Sardaigne.
Nice de ville militaire, devint ville marchande, elle eut un port et des franchises. Les jardins qui bordaient ses anciens remparts du côté du sud jusqu'à la mer, furent changés en rues larges alignées baties en édifices à la moderne et devinrent le plus beau quartier de cette ville. Ce quartier est terminé le long du rivage de la mer par une terrasse longue et gracieuse qui se réunit aux anciens ramparts et qui offre dans les tems une promenade riante et commode. Sur la même ligne et au dessous de la terrasse, du côté de la ville est un cours complanté d’ormeaux, qui sert aussi de promenade et tout prés de là une fort belle et grande place, appellée autre fois de Saint-Dominique et aujourd’hui, place Egalité.
Dans des tems plus modernes, Nice a encore été beaucoup augmentée, du côté du Nord, par une place très vaste et très régulière, entourrée de belles maisons avec des arcades tout autour, et au bout de cette place est la porte ou commence le superbe chemin qui conduit en Piemont. Cette place, ci devant appellée place Victor, se nomme aujourd’hui place République. Elle conduit au port, par un beau chemin, complanté en ormeaux il y a quelques années, pratiqué au-dessous du rocher du Château, comme la terrasse y conduit pareillement du côté du sud, par un chemin taillé dans ce même rocher.
Il faut environ 40 minutes pour faire le tour de cette ville, y compris celui du rocher du château, dont la base occupe presque autant d’étendue que la ville même.
Outre son enceinte, Nice a deux fauxbourgs considérables qui n’en feront bientôt qu’un, par l’empressement que l’on met a batir , dont le premier appellé fauxbourg de l’Egalité, n’est séparé de la ville que par le pont de Paglion, et dont l’autre un peu plus éloigné, sur le chemin qui conduit au Var, s’appelle de la Croix de Marbre, à cause d’une croix élevée en mémoire de la fameuse négociation qui eut lieu en 1538, hors des portes de Nice, entre l’Empereur Charles V, François 1er, et le pape Paul III. Ce fauxbourg bati en maisons élégantes, construites particulièrement pour les Anglais qui viennent passer l’hiver à Nice, s’agrandit chaque jour à vue d’œil, et tant par la propreté de ses édifices, que par les jardins d’orangers qui l’entourent, il donne réellement au voyageur, qui, de France vient à Nice, l’idée d’une ville opulente et délicieuse.
On conçoit de cette courte description, que la ville de Nice est bornée au sud, par la mer, à l’ouest, par le torrent de Paglion, à l’est, par le rocher du château, et qu’au nord, elle n’a d’autres limites que la campagne.
Telle est cette ville de Nice qu’on apperçoit du pont du Var, au bout d’un étroit rivage, long d’une heure et demie de marche, dont elle termine l’horison ; de là on voit les ruines de son château, celui bati sur Montalban, dominant ces ruines et le château de Villefranche, dominé lui même par les redoutes de Mont Gros ; si c’est dans la saison d’hiver, ses clochers paraissent, s’élevant sur une campagne toujours verte, annonçant déjà l’arrivée du printemps, dont les cimes des rocs pelés qui entourent cette côte, attestent au contraire l’éloignement par la neige dont elles sont couvertes. A mesure qu’on s’approche de Paglion, on découvre le bassin fait en plat à barbe, dans un des angles duquel la ville est batie ; bassin d’une circonférence d’environ trois heures, parsemé d’environ 1 000 maisons de campagne, et occupé en grande partie par la grave de Paglion et surmonté par les collines de Cimier, Rimier, Saint-Pierre, Féerie, Mont Gros, Mont Boron, Mont Alban, au milieu desquels Mont Calvo (Mont Chauve) situé au nord-ouest, élève une tête altière et continuellement pelée, ainsi que son nom le porte.
Protégée ainsi contre le nord-ouest, par les collines qui l’entourent de ce côté, Nice est à l’abri de ce terrible mistral qui désole et refroidit les cotes de l’intérieur de la Provence, elle doit peut-être à cette position seule la température plus douce de son climat ; mais elle n’échappe pas aux vents du nord et nord-est, qui y soufflent assez souvent durant l’hiver et le printems, et qui suppléent aux fonctions que les médecins provençaux ont attribuées au mistral de chasser au loin les vapeurs malfaisantes.
Les anciens habitans de Nice avaient soin de batir sur des endroits sus et à une grande distance perpendiculaire des eaux souterraines ; la ville vieille jouit de cet avantage, j’ai eu occasion d’examiner des fossez profonds qu’on fesait pour la construction de quelques maisons et le terrain quelque bas qu’on creusat, n’annonçait jamais le voisinage de l’eau ; c’est qu’il y a une pente assez considérable de la ville vieille à la ville nouvelle. J’ai vu dans ces fossez de vieux restes d’aqueducs en bois, qui atestent ce que dit Pierre Jofrédi , dans son Nicea Civitas C XI qu’en1561, les eaux de la fontaine de Riquier venaient jaillir dans les places publiques. Dans Nice nouvelle, au contraire, on est souvent forcé de batir sur pilotis, et l’eau des puits, dans le tems des pluies, s’y prend avec la main ; ce qui n’a rien d’étonnant, puisque ces quartiers se trouvent au niveau de la mer. Il résulte de ce voisinage de l’eau à la surface du sol, que les nouveaux quartiers sont moins salubres que les anciens, relativement aux effets de l’humidité sur l’économie animale.
Nice nouvelle avec son beau ciel est dénuée de toute sorte d’agrément et même des commodités les plus urgentes ; elle n’a qu’un pont étroit pour communiquer avec les faux bourgs, et les vieilles portes qui lui restent, ressemblent plutôt à l’entrée d’une cave qu’à celle d’une ville. Hors la terrasse et le cours dont j’ai parlé, elle n’a point de promenades, point d’abri contre l’ardeur du soleil, dans les chaleurs de l’été. Elle manque absolument de fontaines, et se contente de l’eau plus ou moins mauvaise des puits, tandis qu’entourée d’eaux vives, elle pourrait, avec une très petite dépense, les faire jaillir au milieu de tous les carrefours ; Paglion, depuis longues années, ravage un terrain précieux, et sa grave dépare au loin les plus belles campagnes et le quartier le plus fréquenté de la ville ; le niçard le voit avec un œil indifférent, il gémit des maux quand ils arrivent, et cependant l’expérience ne lui profite pas. Je ne puis m’empécher, à cet égard, de citer la conversation que j’ai eu un jour avec un des principaux de la ville, (qui se trouve précisément le descendant d’un des consuls qui firent venir l’eau dans Nice ancienne en 1561) et qui en fut un des derniers consuls ; on parlait d’embellissemens avec le préfet et je demandai pourquoi dans l’ancienne administration on ne s’était pas occupé de donner de l’eau à la ville, avec les fortes rentes qu’il y avait alors ; il nous répondit franchement, qu’il avait alors un plan facile et des moyens prets et qu’il refusa d’en faire usage parce qu’on lui fit retarder de 15 jours une charge qu’il demandait. Sur ce que je lui reprochai un égoisme aussi plat, il répondit sans rougir qu’il fesait gloire d’être égoiste. Je cite ce fait, parce qu’il est dans le caractère national ; qu’ici, on craint de faire la moindre chose pour le voisin, et que le pays serait dans l’abrutissement ou il était il y a 50 ans, époque ou l’on n’y connaissait pas encore l’usage du verre pour les croisées, si le gouvernement piémontais n’avait lui même commencé à tirer tout le parti possible du local.
Cependant la ville est susceptible d’un grand nombre d’embellissemens ; sous un gouvernement puissant et protecteur des arts de la paix, Nice verra bientôt des étrangers y aborder en foule et ne faire qu’une seule ville de la ville actuelle et de ses fauxbourgs ; alors, le torrent de Paglion sera encaissé ; des quais s’établiront de part et d’autre sur ces rives ; les deux parties de la ville communiqueront par des ponts larges et faciles ; les eaux de Riquier ou du Temple viendront jaillir au milieu des places et arroser les rues desséchées par les feux de la canicule ; le passant n’aura plus l’odeur infecte des cloaques si multipliées partout et ne sera plus obligé de se détourner du cadavre d’un animal domestique, abandonné sur la place ; les mille et plus de mètres occupés par le lit du torrent seront transformés en jardins odoriférans ; pendant la nuit, les rues de cette ville seront éclairées ; pendant le jour, des arbres placés à son entour, permettront de jouir en tout tems de l’air pur de sa campagne ; ces landes multipliées qu’on voit sur les bords de la mer, depuis Nice jusqu’au Var, outre d’être ombragées par des arbres qu’on plantera tout le long de la grande route, seront au moins employées a la culture de diverses plantes qui fournissent de la soude.
Nice, sous les rois de Sardaigne, était comme aujourd’hui la capitale de tout le pays ; ce ci-devant Comté formait deux provinces pour l’administration de la justice, mais il n’en fesait qu’une pour les parties administratives et judiciaires. Il y avait un sénat, un magistrat de commerce, un magistrat de santé, un juge mage, un intendant général, un trésorier général, un éveque suffragant de l’archevéque d’Embrun, un chapitre nombreux, quatre paroisses, neuf couvents de réligieux et quatre de religieuses, un gouverneur et un commandant de la ville.
L’instruction publique y était assez soignée relativement au genre d’études qu’on fesait alors ; il y avait un collége composé de quatre régens pour les basses classes, de trois professeurs pour les humanités, la rhétorique, la philosophie et d’un professeur de mathématiques ; en outre, pour faciliter les étudians en médecine, en chirurgie et en droit, qui devaient aller recevoir leurs dégrés à l’université de Turin, la seule des états de terre ferme des souverains d’alors, il y avait à Nice deux professeurs en chaqu’une de ces parties, soldés par le gouvernement, de sorte que leurs éléves pouvaient employer dans cette ville, deux années des cinq, qui les reglemens de l’université prescrivaient pour les études. Quand aux chirurgiens qui ne se proposaient d’excercer que dans le pays, ils recevaient leurs examens à Nice et il en était de même des apoticaires.
Les établissemens de marine étaient particuliérement à Villefranche ; le port de Nice avait sa franchise qui eut suffi pour le rendre florissant, si la puissance maritime du gouvernement d’alors eut été plus considérable. Il n’avait cependant rien négligé pour l’embellir et en faire un port sûr, mais il fut mal servi. De beaux édifices s’élevèrent sur la plage, partie des deniers de l’Etat et partie de ceux des particuliers ; on pratiqua dans l’épaisseur du mole qui regarde le port, des cuisines pour la commodité des marins, des magasins, des logemens pour les forçats, et au dessus un bureau pour la santé ; des chantiers étaient commencés, etc : mais depuis 12 ans que ces ouvrages beaux en apparence et peu solides dans le fond, ont été totalement négligés, ils tombent en ruines, ainsi que nous avons déjà eu occasion de le dire.
Les interets de la ville de Nice et la police étaient administrés par un Conseil municipal, composé de trois ordres savoir de la noblesse, des negocians et marchands et des artisans et paysans ; le premier ordre avait seul le pouvoir et les dignités supérieures.
Aujourd’hui Nice est la résidence d’un préfet, d’un tribunal criminel, d’un tribunal de première instance, de deux justices de paix, d’un évêque suffragant de l’archevêque d’Aix, d’un général commandant le département, d’un commandant d’armes, d’un receveur général, d’un payeur général et de tous les chefs de la partie financiére.
Il y a un tribunal, un conseil et une bourse de commerce, un corps de courtiers, un corps d’avoués pres les tribunaux, une école centrale composée de huit professeurs y compris le bibliotécaire qui vient d’être supprimé, une société d’agriculture, un collége de pharmacie, une commission de santé et de salubrité publique instituée par les soins du général Chateauneuf Randon, préfet actuel, et approuvé par le ministre de l’intérieur, laquelle, avec le préfet, remplit les fonctions du magistrat de santé d’autre fois, établissement vraiment indispensable dans ces contrées. La police est exercée par un commissaire particulier sous l’autorité du maire.
Villefranche
Cette petite ville, d’environ 300 maisons, batie en amphitéatre à l’ouest de la rade de ce nom, au milieu des rochers qui tapissent cette cote, n’a par elle même rien de remarquable, excepté que le climat en est plus chaud que celui de Nice, puisque les citronniers y sont tous cultivés en plein champ, et que toutes les récoltes en sont plus hatives.
Mais Villefranche était le premier port du roi de Sardaigne, et elle mérite notre attention par les édifices consacrés à l’usage de la marine et qui n’ayant tenté la cupidité de personne, ont été heureusement conservés intacts à la République, tandis qu’à Nice, les bâtimens les plus remarquables ont presque tous été vendus ; tellement qu’on est en peine aujourd’hui d’en trouver pour un service public, et que l’édifice consacré à l’école centrale, le plus mauvais de tous, tombe en ruines, n’ayant qu’une salle en état pour l’instruction.
Les batimens à l’usage de la marine, dans la rade de Villefranche, sont 1er une maison de force, commencée par les Français en 1744, et achevée par les rois sardes, propre à loger 800 forçats ;
2ème est attenant à celle ci, un grand magasin appellé magasin de commerce, destiné a contenir les effets de carénage et autres ;
3ème un arsenal très considérable, ayant une bonne et grande forge, et des magasins spacieux pour la construction des voiles ;
4ème un autre grand magasin qui servait d’entrepot aux mats et aux agrêts de vaisseaux ;
5ème un hopital assez vaste qui servait aux forçats et qui peut contenir 200 malades ;
6ème un batiment destiné à servir de casernes, pour 800 hommes, ayant au rez de chaussée 6 grands magasins très secs, qui étaient destinés aux approvisionnemens de bouche et à renfermer les tonneaux de goudron ;
7ème une belle et grande corderie couverte, qui peut encore être allongée jusqu’au château, pour les plus longs cordages ;
8ème une autre corderie non couverte, ou l’on peut faire des cables de toute longueur et de toute grosseur ;
9ème un vaste batiment sur le quai servant jadis à l’administration (illisible) six grands magasins au dessous ;
10ème pour l’usage de la marine il y avait une belle fontaine d’une eau abondante intarissable, conduite par un aqueduc entretenu par l’ancien gouvernement, qu’un particulier a détourné abusivement pour son usage.
Tous ces édifices occupés jadis par environ 1000 personnes tant de la marine que de différentes armes de terre, vivifiaient la petite ville de Villefranche, et lui donnaient un ton qui la fesait, à ce qu’on dit, disputer de splendeur avec Nice ; d’ailleurs, comme presque les trois quarts de la population retiraient constamment une solde du gouvernement, et que les divers emplois se perpétuaient dans les familles, cela joint à la franchise du port procurait aux habitans une aisance assurée. Tous étaient marins, charpentiers ou soldats.
Aujourd’hui ils n’ont plus ces ressources, et la population a diminué. Ces beaux batimens de la marine, bati avec gout et solidité, sont frappés de nullité et dépérissent chaque jour. Les employés salariés sont reduits à un commis du sous commissaire de marine de Nice, deux gardiens de l’arsenal, un lieutenant du port, un gardien et un secrétaire de santé, un juge de paix et son secrétaire, un receveur des douanes avec 25 gardes.
Cependant, je le dirai encore, la rade de Villefranche et sa Darse, ne sont pas à négliger, puisqu’elles fournissent des avantages qu’on ne retrouve pas sur cette cote, depuis Toulon. La proximité du Piémont, ou les chanvres sont abondans, pourrait alimenter un atelier considérable de cordages et de voiles, à un prix très bas.
La construction d’une seule frégate, tout les ans donnerait au pays de l’occupation pour toute l’année ou (illisible) les ouvriers nécessaires, tels que charpentiers, (illisible) manouvriers, cordiers, constructeurs etc… On pourrait y amener du bois de construction du département dont on a parlé à la première section.
Il ne serait pas moins avantageux pour cette population active et laborieuse, qu’utile au commerce, d’avoir dans les magasins de l’arsenal, un fond de fournitures de marine. Un vaisseau qui, battu par la tempête, aurait été dématé etc… trouverait ainsi un local propice et des matériaux pour se radouber, etc, au lieu que depuis Toulon, jusqu’à Gênes, les marins ne rencontrent nulle part cet avantage.
Au sud ouest de Villefranche, est un château fort, situé au pied de la montagne de Mont-Alban, aussi bati par des Français en 1744, dominé par le fort Mont-Alban, et peu propre à soutenir un siége. Il était autre fois la résidence d’un gouverneur ; il y a aujourd’hui un commandant avec quelques invalides.
Quand on a été à Villefranche, on ne doit pas en partir sans avoir visité la péninsule de St Ospice. Cette péninsule qui s’avance dans la mer formant deux pointes, l’une tournée vers Villefranche, appellée le fare, l’autre St Ospice , du nom de ce saint qui y a fini ses jours, tournée vers le golfe de St Jean, est une plaine délicieuse, presqu’entièrement cultivé, est qui n’a d’autre désavantage que d’être recouverte dans les gros vents, par les eaux de la mer, sur les cotes. On y arrive par un petit chemin, au milieu des carroubiers et des oliviers ; on rencontre d’abord la madrague dont je parlerai ailleurs ; puis on trouve les ruines d’un fort, fait au quarré long, qui a été rasé et qui était fort propre à défendre la cote, n’étant dominé de nulle part, et ne pouvant être attaqué que par mer ; il y reste une tour qui sert aux signaux : de là on arrive à la chapelle au saint (illisible) les sarrasins et autres babares habitèrent long tems cette cote ; mille souvenirs, mille idées bizarres et opposées se présent à votre esprit tandis que vos yeux admirent cette mer magnifique qui vient briser contre le rocher sur lequel vous réfléchissez ; en revenant du coté opposé vers Villefranche on trouve le fanal, octangle monté de deux étages avec des galeries en fer et une lanterne en état d’environ quinze mètres d’élévation. Là sont aussi des bateries pour protéger la cote. Cette péninsule est habitée par plusieurs familles de pécheurs, bonnes gens et jouissant d’une honnête aisance.
Monaco
Qu’on s’imagine un rocher presque rond, s’avançant dans la mer, sur la cime duquel sont quelques habitations et l’on aura une idée de cette ancienne capitale du plus petit des états ; un autre rocher appellé Tête de chien domine lui même celui de Monaco. Il faut se détourner de la grande route pour y arriver, gravir une montée pénible et passer sur plusieurs ponts levis avant de pénétrer jusqu’à la dernière porte de la ville. Je m’y présentai à pied, suivi d’un garçon qui portait mon petit équipage, et j’en fus éconduit par deux paysans qui gardaient la ville, et qui ne sachant pas lire mes papiers ne purent jamais concevoir que je ne fusse un déserteur qui venait volontairement s’enfermer dans une ville isolée et murée. Je m’avançai cependant jusqu’à la place du château, l’unique de la ville et je me vis bientôt entouré de toute la population. Le maire, qui fut appellé, et a qui je présentai ma commission, regardant tantôt sa veste de soie et tantôt mes habits chargés de poussière et de sueur ne jugea pas mieux de moi que ses gardes.
Le château des anciens princes du pays est l’unique monument de cette ville, ses murs ont une apparence antique ; son interieur est orné de plusieurs belles peintures à huile entièrement dégradées dans ces derniers tems ; c’est domage que ce bel édifice soit inhabité, et tombe chaque jour en ruine ; il pourrait servir à un grand établissemens d’instruction, ou à un usage militaire, ce qui vivifierait un peu la ville, dont les habitans sont entiérement oisifs.
Monaco n’a d’autres eaux que celles des citernes, dont il y en a cinq au château ; mais en bas du rocher, il y en a beaucoup venant des montagnes voisines, qu’il ne serait pas difficile de faire monter à la ville.
Ses anciens souverains y avaient fait tout le bien possible ; chaque habitant avait presque un emploi, et se divisait les revenus du prince ; il y avait une espéce de college entretenu par l’Etat, composé de deux instituteurs, dont l’un enseignait les principes, et l’autre les belles lettres jusqu’à la logique. Un hopital militaire pour le service de la garnison. Le service de la marine, consistant en un petit batiment, destiné à faire payer certains droits aux navires qui passaient, occupait plusieurs personnes. Le commerce et les manufactures consistaient en une fabrique de tabac qui existe encore et en l’achat des comestibles pour la population.
Monaco est aujourd’hui le siège d’une sous-préfecture, d’un tribunal de première instance, d’une justice de paix, d’un commandant d’armes et d’un lieutenant du port.
Menton
Monaco était la capitale, et Menton était la principale ville de ce petit état ; la première avait les parchemins de la noblesse et des dignités, mais la seconde avait les richesses. Cette ville que je regarde aujourd’hui comme seconde du département a vraiment l’air d’une cité opulente ; on y trouve une rue toute peuplée d’artisans de différens métiers, ayant boutique ouverte et travaillant comme dans une grande ville. Il y a une vingtaine de négocians opulens et une grand nombre de marins.
Cette ville avait pourtant été négligée, et n’a ni foire ni marché ; l’un et l’autre de ces établissemens lui serait utiles, ainsi qu’aux petites communes voisines qui en sont aussi dépourvues ; le premier pourrait avoir lieu le lundi de chaque semaine, et quant aux foires il serait bon d’en mettre deux, une le premier lundi après Paques, et l’autre la veille de la Toussaint. Ces foires pourraient attirés les habitans des communes liguriennes qui sont au voisinage.
Menton avait un collége, soldé par la ville, composé de cinq régens, enseignant le latin, la rhétorique, la philosophie ; elle n’a aujourd’hui aucun établissement d’instruction.
Elle était le siége d’un gouverneur, d’un juge et d’un magistrat des citrons, tribunal analogue à celui des prud’hommes, et que la nécessité a inventé dans un pays ou les citrons sont la principale richesse ; cette espéce de magistrature, tres ancienne était un intermédiaire entre le peuple et les marchands, pour soutenir les citrons à leur juste valeur et désigner les endroits ou l’on pourrait en commencer la cueillette. Elle a aujourd’hui un juge de paix et elle réclame ce même magistrat des citrons, pour se soustraire au monopole des principaux commerçans.
Le pays est beau, le ciel est doux, les habitans sont maniérés, avec cela, lorsqu’on a vu le peu qu’il y a à voir, on se sent un besoin pressant d’aller plus loin.
Sospello
Ville ancienne, qui fut autre fois république indépendante, et dont les habitans obtinrent par leur génie guerrier, différens priviléges des souverains successifs des Alpes-Maritimes. Batie au pied du col de Brouis, ses avenues étaient défendus par vingt quatre chateaux dont cette montagne et les montagnes circonvoisines étaient, à ce qu’on dit hérissées. Aujourd’hui démentelée, et la proie de quiconque a les hauteurs, elle n’est plus remarquable que par le souvenir des guerres que la liberté y a soutenu contre les comtes de Tende, de Beuil, le marquis de Dulceaqua, et autres petits tirans d’alentour.
La maison de Savoie conserve à Sospello le titre de chef lieu de viguerrie comprenant 30 communes qui dépendaient de ses tribunaux ; cette ville était par conséquent le siège d’un juge mage, et d’un lieutenant, d’un avocat fiscal et de tout ce qui s’en suit. Elle avait ses écoles montées comme celles de Nice ; un collége complet, avec huit professeurs ou régens, dont six aux fraix du gouvernement, et deux, à ceux de la commune ; on y conférait le dégré de maitre-es-arts, et la ville jouissait de deux bourses au collège des provinces de Turin ; de plus on pouvait, comme à Nice y commencer les études de médecine et de droit, car il y avait un professeur d’instituts de médecine, et un d’instituts de droit, soldés par le gouvernement. La ville avait encore d’autres priviléges, tels que celui, que le logement des troupes et les cazernes étaient entiérement aux frais de l’Etat.
Les arts et le commerce y ont toujours été fort peu connus, et même peu estimés ; la culture des terres, la guerre, l’état ecclésiastique, les emplois de justice, ont fait de tous les tems la principale occupation des habitans, surtout les emplois de justice pour lesquels les individus s’étaient si forts multipliés, qu’on compte encore à présent à Sospello 30 avocats, 8 procureurs ou avoués, 8 notaires, et une multitude de clercs, de huissiers, etc. etc. Aussi aujourd’hui que les tems ont frappé de nullité ces professions et autres, rien n’annonce plus la mort d’une ville que les rues tristes et silencieuses de Sospello ; selon moi, la rue des ouvriers de Menton vaut plus que toutes celles de Sospello.
Cependant, je dois dire, d’après la connaissance que j’ai des lieux et des individus, qu’on a commis une injustice envers cette ville, en ne l’établissant pas d’abord chef lieu d’arrondissement, et ensuite de sous préfecture ; 1ère elle en avait le droit, puisqu’elle avait été de tout tems chef lieu de province ; 2ème on y trouvait tout prêt, les hommes et les choses, pour les établissemens de justice ; 3ème ce point est infiniment plus central que Monaco, qu’il faut aller chercher à l’extrémité de l’arrondissement, et qui, ainsi que les autres communes maritimes, conviendrait infiniment plus à l’arrondissement de Nice.
La circonstance de la guerre, et non la division géographique, décidèrent dans les premiers momens de la réunion des chefs lieu d’arrondissement ; Monaco et toute la cote occupées d’abord, eurent la préférence tandis que Sospello, tantôt aux ennemis, tantôt aux Français, fut négligé ; mais a présent qu’on peut poser avec tranquilité les diverses circonscriptions, d’après la nature des lieux et les besoins des administrés, on ne peut refuser à Sospello le siége d’une sous préfecture et d’un tribunal de première instance, puisque cette ville est centrale, dans un rayon de 6 à 7 lieues, de plus de 25 communes, dont plusieurs doivent employer, en été, 14 à 15 heures pour arriver a Monaco, et un tiers de plus en hiver.
Je n’exprime d’ailleurs ici, que le vœu unanime de toutes ces communes, auquel j’ajouterai la considération importante d’une diminution de frais pour l’Etat, dans l’audition des témoins.
On peut donner à Nice, toute la partie méridionale, depuis Saint-Martin-du-Var, jusqu’à Menton, sur une ligne perpendiculaire de 5 à 6 lieues ; à Sospello, toute la partie septentrionale et orientale, depuis Roccabiliera jusqu’à Menton ; à Puget Théniers toute la partie occidentale depuis Venanson.
Par cette nouvelle circonscription, la ville de Sospello, qui n’est plus qu’un amas de maisons négligées et malpropres, sombres comme leurs habitans, reprendrait une place d’honneur parmi les villes du Département.
Sa position sur la grande route du Piémont pourra, à la longue y amener l’industrie ; on pourra quelque jour en exploiter les carriéres de marbre et d’albatre, les mines de charbon de pierre et de vitriol de fer ; la montagne de Braus sera toujours un grand obstacle pour les transports des matières pesantes ; mais il est un moyen plus facile de se rapprocher de la mer, par la route de Sospello à Menton ; cette route dont j’ai parlé à la première section, et qui a été commencée par l’ancien gouvernement, présente trop d’avantages pour qu’elle reste imparfaite. On pourra aussi, lorsqu’on sera devenu plus industrieux, tirer quelque parti de la Bévera.
Puget-Théniers
Cette petite ville divisée en deux portions par le torrent de Roudoule sur lequel il un a un pont de pierre assez propre, bien bati, avec un air d’aisance et d’urbanité parmi ses habitans fut une de celles à qui la malheureuse reine Jeane avait accordé entr’autres priviléges, celui de se révolter si on cherchait à l’inféoder ; ce privilége et autres furent confirmés par la maison de Savoie, jusqu’en 1716.
Le Puget fut jadis chef lieu de viguerie, ville murée avec un château fort dont on voit encore les vestiges sur un rocher voisin, et un gouverneur. On dit qu’il était du double plus peuplé, mais qu’une inondation survenu en 1600 obligea la plus grande partie des habitans à s’expatrier en Provence et en Piémont. Il était devenu ensuite ville marchande, et je présume que son voisinage avec Entrevaux qui appartenait à la France, devait y favoriser le commerce interlope dont il y a apparence qu’on tirait un grand parti, ainsi qu’à Entrevaux.
Ce pays a plus gagné que perdu à la révolution ; il n’avait aucun établissement public ; il est aujourd’hui le siége d’une sous-préfecture et d’un tribunal d’appel ; il ne lui manque plus qu’un établissement d’instruction, pour laquelle il avait deux maitres, en 1790, payés par la commune.
Son industrie et son commerce ont augmenté ; il a des foires et des marchés beaucoup plus fréquentés qu’autrefois, par la facilité qu’ont les départements voisins d’y venir ; là se vendent des bestiaux, des comestibles de tout genre, des draps et des laines du pays, et surtout des oignons, dont le bon gout et la bonne espèce donnent une certaine célébrité au Puget.
Là, on trouve le germe de quelques manufactures grossières il est vrai, mais attestant l’industrie d’un peuple qui n’a besoin que d’encouragemens pour se perfectionner et à l’administration du quel le sous préfet, le citoyen Blanqui, donne toute l’attention d’un magistrat sage et éclairé. Enfin, après avoir erré quelque tems sur les montagnes voisines, on arrive avec plaisir au Puget, on sent, au langage et aux mœurs des habitans, qu’on y est en France, et l’on en part avec plus de regret que de toute autre ville ou village du Département.
Utelle
Cette petite ville faite exactement comme un L, ainsi que son nom le porte, a fixé mon attention par sa propreté, sa petite place carrée, sur laquelle est son église, son hopital, sa maison commune, quelques portiques par quelques restes d’antiquités, et par la vivacité de ses habitans.
L’élégance de son église, l’ordre et la bonne tenue de son hopital, la commodité et l’arrangement de la maison de ville, l’air d’aisance de quelques maisons, annoncent qu’un esprit d’ordre et de méthode avait régné anciennement plus particulièrement dans cette commune que dans beaucoup d’autres.
Ses armes étaient une ourse pleine, pour annoncer l’élévation et l’apreté du lieu sur lequel la ville est située. Aussi y a-t-il sur la pointe d’un rocher voisin un sangtuaire fameux par les miracles que la pieuse crédulité lui attribue : de quelque coté qu’on veuille se rendre à Utelle ou a son sangtuaire, ce n’est qu’à travers des horreurs et des précipices qu’on y arrive ; le chemin de part et d’autre est taillé dans le roc vif.
Utelle dans les temps barbares, était une place forte ; la population logeait entièrement dans une espèce de citadelle dont il reste encore des murs en pierre de taille, le clocher actuel en était la tour placée à côté du pont-levis dont il ne reste plus que l’éperon. On ne commença à batir hors cette enceinte, qu’après que les Gots et les Vendales eurent cessé leurs incursions dans ce pays.
La population était alors de 5000 ames, y compris celle de 5 villages qui dépendaient d’Utelle, et dont quelques uns ont disparu. Elle a été successivement réduite à 3000 par suite de l’éboulemens de villages entiers, arrivés dans le milieu du 17ème siècle ; ensuite à 15 et 16 cents par la cessation de toute industrie, et l’introduction dans le pays de la préférence donnée au célibat, ainsi que nous l’avons déjà remarqué.
Utelle fut d’abord un pays libre et conquérant ; sous les ducs de Savoie, et devint marchand, parce qu’il était sur la route de Nice à Barcelonnette, et qu’il servait d’entrepot aux marchandises ; on y voit encore un grand nombre de vestiges de boutiques qui annoncent son ancienne industrie. L’échange de Barcelonnette contre sept à huit misérables villages et une petite ville encore plus pauvre, arrivé en 1738 ayant fait cesser tout commerce, les habitans d’Utelle livrés à eux mêmes se tournèrent vers l’état ecclésiastique unique ressource d’alors, et le nombre de prêtres devint considérable. Cet esprit de dévotion qui avait succédé à l’esprit guerrier, produisit cependant un bien que l’autre n’avait jamais fait : des célibataires riches mirent au nombre des œuvres pieuses, et avec juste raison, la fondation des hopitaux et des écoles d’instruction ; je dois même dire, que c’est uniquement à cet esprit qu’on doit toutes les fondations de bienfaisance du département mais il a diminué la population ; ainsi le sort du monde est qu’un mal se trouve toujours à coté d’un bien, heureux qui pourra faire l’application du juste milieu !
Peu de peuplades du département ont autant d’intelligence et de disposition aux sciences, comme celle d’Utelle ; on dit qu’avant la guerre, ces habitans joignaient à ces qualités, la guaieté, la franchise, la générosité et l’amour du travail. Pour aujourd’hui, leur naturel est sombre, crapuleux, oisif, porté au brigandage et à la cruauté ; il est peu de routes, ou il se soit commis autant d’assassinats comme dans celles qui y aboutissent. Livrés à la nature, ils sont redevenus tels qu’ils étaient quand ils se terraient renfermés dans leur citadelle, pour n’en sortir que pour butiner.
Utelle ne peut avoir d’autre ressource que celle de ses oliviers, dont l’huile est une des meilleures du département. On y fesait avant la guerre, environ 311 kilogramme (1000 livres) pesant de soie ; mais tous les muriers, ainsi que les autres arbres, à part les oliviers, ont été coupés par les troupes des deux armées qui ont campé longtems sur ce terroir. C’est le siége d’une justice de paix.
Les autres petites villes n’ont absolument rien de remarquable
La Tinée
Hydrologie des rivières de la Tinée, de la Vésubie, du Paillon, de la Bévéra et de la Roya.
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La Tinée
La rivière la Tinée nait dans le territoire de Saint-Dalmas le Sauvage, et prend sa source au nord ouest au dessus du lieu appellé Bousieyes, à une fontaine permanente appellée Tinargos, d’où lui vient sons nom ; l’eau de Tinargos se dirigeant par le hameau des Prés du nord au sud, vient se joindre après une course d’une heure et demie environ, avec un autre torrent permanent appellé Gialorgues, qui passe à Saint-Dalmas même, et qui est le résultat de la réunion de deux torrens appellés l’un Gialorgues et l’autre Sestrières du nom des montagnes qui les produisent et qui roulent devant la commune de Saint-Dalmas des blocs de rochers considérables qui, joints aux bois environnans, donnent vraiment un air sauvage à ce pays.
La réunion de Gialorgues avec la Tinée se fait sous un pont hardi, en pierre, à une seule arcade, qui réunit deux escarpements très rudes et très élevés, appellés pont haut ; après l’avoir passé, le chemin se partage en deux, l’un au nord vers les Prés et Boussiéyes, et l’autre à l’ouest, à Saint-Dalmas.
Ces deux torrens, dont jusqu’ici on n’a tiré aucun parti, pourraient très bien servir, ayant tous les deux assez d’eau, 1° à transporter les billons qu’on pourrait faire dans les bois voisins, moyenant qu’on nétoyat leur lit ; 2° à arroser, l’un, les prés de Bousiéyes et l’autre ceux du vallon de Gialorges.
La Tinée accrue d’une eau aussi abondante que la sienne, s’incline du nord-est au sud-est, et coule entre deux montagnes qui en ressèrent le lit, et dont on suit les divers angles, pendant environ deux heures de marche, jusqu’à Saint-Etienne ; là elle reçoit d’abord le torrent de Rabuons, puis celui de Vins, ce dernier permanent et considérable, l’un et l’autre servant à l’arrosage ; ensuite le torrent Ardon qui prend sa source au col de Pal, moins permanent enfin, tout à fait au sud ouest de la commune, le torrent Roya, dont il conviendrait de tirer un canal d’irrigation pour les terres du quartier de Rugelle.
De Saint-Ethienne, la Tinée se dirige au sud ouest, et ne reçoit aucun autre torrent considérable et permanent, pendant environ trois lieues et demi jusqu’à son arrivée à Isola ; là, elle reçoit le torrent Guers dont la source est très rapide, à travers des rochers escarpés, prenant naissance à la montagne de Frema Morta et passant tout proche la mine de plomb que j’ai indiqué être à cette montagne. Ce torrent pourrait servir à arroser le haut du terroir de l’Isola, en en tirant un canal d’irrigation à qui on donnerait au moins une étendue de quatre heures ; ses eaux sont belles, abondantes, permanentes et toujours contenues dans leur lit qui est sur le rocher ; elles font aller deux moulins à farine, un foulon , et servent à un teinturier ; plusieurs eaux découlent des rochers voisins et sont reçus dans des canaux qui servent à arroser les prairies et jardins de la petite plaine qu’il y a à Isola.
D’Isola, la Tinée se rend à San Salvador, à quatre heures de distance ; toujours plus inclinée à l’ouest, et suivant les tortuosités sans nombre de cette horrible et étroite vallée à mi chemin, et du nord-est à l’ouest, elle reçoit un bras considérable et permanent, appellé le vallon de Molières, qui prend sa source aux montagnes de Sainte-Anne et de Vinas passe à Molières, hameau de Val de Blora, dont il fait aller le moulin à farine, traverse de belles forêts, ou il y a des mines et vient se rendre par une route oblique à la Tinée, à environ six heures de distance de son origine ; depuis là, jusqu’à San Salvador, la Tinée ne reçoit que de petits torrens entretenus par les eaux pluviales.
A San Salvador, la Tinée reçoit le torrent permanent et assez considérable, dit de Viounaine, qui prend sa source à Monnier et descend à Roubion, ou il se joint à un autre torrent appellé Les Douces ; l’un et l’autre passant à travers des forêts d’une exploitation difficile et pouvant servir à des canaux d’irrigation pour les terres de Robion et de Bora, communes sans eau, excepté ces torrens dont elles ne tirent nul parti, la Vionaine tombe à San-Salvador sans lui être d’aucune utilité, mais ce torrent pourrait servir pour des usines, si on exploitait la mine de fer, et pour un martinet. La Tinée, dont le lit est ici peu profond, donne quelques canaux d’irrigation, fait aller un moulin à farine, une scierie, et avant la guerre, un moulin à foulon qui existe encore.
Passée cette commune, la Tinée s’incline toujours plus au sud-ouest, et coulant au bas de rochers profonds et taillés a pic, sur les territoires de Riemplas et Marie du coté de l’est ; d’Ilonse, et de Tournefort du coté de l’ouest. Elle reçoit d’abord, à l’est les deux petits torrens appellés Los Adousses et Lenton, venant de la montagne de Riemplas, et qui cependant pourraient être utilisés pour des canaux qui arroseraient les terres de Riemplas, commune misérable, sans eau et sans moulins ; 2° a l’ouest, le torrent d’Ilonse, commune élevée sur un rocher aride ; ce torrent nait du col de Saint-Pons, il reçoit plusieurs eaux de source, qui traverse le territoire d’une espèce de vallon qui est sur la montagne d’Ilonse et desquelles les habitants pourraient tirer une grande utilité pour l’arrosage des terrains élevés et qui laissent perdre en grande partie ; 3° à l’est, le torrent de Valdeblora, permanent.
Après avoir passé le territoire de Marie, village qui ne jouit que des eaux pluviales, la Tinée reçoit sur le territoire de Clans plusieurs torrens dont le principal est celui de l’Argentières ; la commune de Clans, riche d’un beau et fertile territoire qu’y avait attiré, autres fois, un chapitre de chanoines, a tiré parti, soit de la Tinée, soit de l’eau des torrents pour des canaux d’irrigation, deux martinets, trois moulins à huile et à farine, et pour une tanerie jadis très occupée et dont on ne voit plus que les ruines sur le territoire de la Torre ; la Tinée reçoit un torrent permanent qui descend des hauteurs de cette commune duquel on a tiré deux canaux d’arrosement, un supérieur et l’autre inférieur ; le premier fesant mouvoir deux moulins, un à huile et l’autre à farine, ainsi qu’un martinet pour les instrumens d’agriculture. Elle reçoit encore quelques petits torrens qui n’ont de l’eau que le tems des pluies, et qui descendent des montagnes d’Utelle, puis longeant le terroir de Chaudan, hameau de cette commune, et s’inclinant un peu à l’ouest des rochers perpendiculaires, elle va se jetter dans le Var.
La Tinée parcourt un espace d’environ 12 lieues de long, durant lequel presque toujours contenue à droite et à gauche par des rochers, elle ne peut s’étendre sur les campagnes voisines, excepté dans la vallée de Saint-Etienne, où coulant au milieu des terres, elle fait beaucoup de ravages, et exigerait quelques travaux pour la contenir.
Elle peut servir et elle sert effectivement au flottage des bois dont elle est entourée, depuis son origine jusqu’au Var ; mais pour la rendre plus propre à ce service, il faut nécessairement en nétoyer le lit, rempli d’intervalle en intervalle de gros blocs de rochers qui se sont précipités des montagnes voisines ; par exemple, tout près du vallon de Molières, une montagne, en se détachant à la gauche du chemin, a comblé il y a 15 ans le lit de la Tinée, de manière que son cours a été plusieurs jours interrompu ; encore aujourd’hui, ce lit est encombré, et l’on voit tous les billons arrêtés par des blocs de pierres qu’on n’a pas minés ; il en résulte que le flottage ne peut avoir lieu que dans le tems des grosses crues, au lieu que la Tinée aurait assez d’eau pour le permettre en tout temps, si son lit était décombré.
Il y a 5 ponts sur cette rivière, indispensables pour les communications des communes et pour le commerce. Le premier est entre Roussillon, hameau de la Torre et Tornefort, en pierre et en bon état ; le second à San-Salvador, en pierre et en bois, le troisième entre cette commune et l’Isola, sur la grande route de la vallée ; ce pont n’est que quatre chevrons tremblans sans gardes fous, posés sur deux escarpemens de rochers, au pied desquels coule la rivière ; c’est un vrai précipice, où l’on ne peut passer de nuit, où il est dangereux de passer à cheval, et fécond chaque année en tristes événemens ; le quatrième pont est à Saint-Ethienne, et n’est aussi composé que de deux à trois chevrons, sous lesquels il y a, il est vrai, peu de profondeur, mais qui sont emportés chaque fois que la rivière grossit ; le cinquième, est le pont haut, dont j’ai parlé à Saint-Dalmas le Sauvage.
La Tinée, ayant une eau toujours fraiche et limpide est fertile en truites de toute grosseur et d’un goût exquis, elle contient aussi quelques anguilles, proche du Var mais petites et fort rares.
La Visubie
Cette rivière prend sa source au lac de Fenestre, d’où elle descend du nord au sud, pour se diriger à l’est, lorsqu’elle est parvenue dans la vallée qui porte son nom ; arrivée au pied de la commune de Saint-Martin de Lantosque elle reçoit le torrent Boréon, aussi considérable qu’elle, venant de la montagne de ce nom, et dirigé du nord au sud-est ; ce torrent est fort utile à Saint Martin par les canaux d’irrigation qu’il fournit à ses terres élevées à la plaine ; la Visubie reçoit encore plusieurs autres torrens seulement remarquables dans le temps des pluies ou de la fonte des neiges, très préjudiciables aux campagnes et l’un desquels, passant sous l’élévation où le village est bati, la mine sourdement et nécessite une chaussée pour soutenir le terrain.
A demie heure de là, la Visubie reçoit le torrent de Venanson, considérable et permanent, duquel il sera nécessaire de tirer un canal pour conduire l’eau à ce village qui est sans arrosage, et qui n’a pour s’abreuver qu’une petite source, qu’on conserve précieusement dans une chambre ; plusieurs torrens à sec en été, et dont le lit traverse le chemin qui va à Roccabiliera, fournissent abondamment de l’eau à la Visubie, lors de la fonte des neiges.
Arrivée sur le terroir de Roccabiliera, la Visubie s’incline du nord-est au sud-ouest, et reçoit 1° le torrent de Lancioures, abondant et permanent qui vient du vallon de ce nom, et duquel on a su tirer un canal d’irrigation qui va arroser tout le quartier de Bartemont ; 2° le torrent la Gordolasca, également considérable et permanent qui prend naissance à un des sept lacs du col d’Enfer, descend dans ce vallon où il forme une belle cataracte, proche la chapelle de Saint-Gras, traversant les terres rouges à Belvédère, et vient se jetter dans la Visubie, au pied de la montagne, teinte couleur de sang lorsque ces terres rouges ont été détrempées par la pluie ; 3° les torrens qui viennent des vallons de Riba Longa, Servagné et de Graves. Tous ces torrens font aller tant à Roccabiliera, qu’à Belvedère, deux moulins à farine, un moulin à huile, un martinet, et une scie. On en rencontre encore plusieurs qui tarissent en été, en allant de Roccabiliera à Lantosca.
Dans le territoire de cette dernière commune, la Visubie reçoit du coté de Boléna, un torrent qui descend du col de Raous et qui pourrait fournir un canal abondant pour les campagnes de cette commune ; à Lantosca même au pied du village, le Rious, qui descend des montagnes d’Utelle trainant avec lui des grosses pierres, et fesant un dégat considérable ; on pourrait pareillement en tirer deux canaux qui arroseraient les terres qui sont à droite et à gauche de son lit. Après avoir reçu ce torrent, la Visubie s’incline davantage à l’ouest, quitte le territoire de Lantosca au confluent du torrent de Loude qui nait des montagnes de Coarasa et vient s’y jetter dirigé du sud au nord, en passant au pied des territoires de Duranus et Levens, de Figaret et du Cros, hameaux d’Utelle ; elle va se jetter dans le Var, après avoir parcouru un territoire d’environ sept heures de long.
Dans les deux tiers de ce trajet, elle est encaissée naturellement par des hautes montagnes ; là ou elle ne l’est pas comme à Roccabiliera et à Lantosca, elle fait beaucoup de ravages ; au printemps et en automne, elle déborde dans toute la plaine de Roccabiliera ; elle a emporté depuis 12 à 15 ans à cette commune pour environ 77 arpens (500 sétérées ) de prés. A Lantosca, 15 arpens et demi (100 setérées) au moins, sont occupées tant par le lit de cette rivière que par celui de Rious.
Il y a quatre ponts sur cette rivière, qui sont d’une absolue nécessité pour la grande route de cette vallée ; un au Cros d’Utelle, en pierre, qui tombe en ruine et qui exige de promptes réparations ; un à Lantosca, également en pierre ; le troisième à Roccabiliéra, qui n’est qu’une poutre mouvante qui fait communiquer le village avec l’église ; le quatrième à Saint Martin, partie en bois, partie en maçonnerie. Il est indispensable pour la sureté des habitants de Roccabiliéra et pour celle des voyageurs, qu’on en construise un en pierre ; toute communication étant interrompue lorsque la force de l’eau oblige de lever la poutre ; un pont en pierre préservera également le bas du village d’une inondation prochaine et donnera à la rivière une direction propre à faire gagner une portion de terrain qu’elle a enlevé. Mais la commune est hors d’état de faire construire ce pont, et les maux que toute la vallée a souffert durant la guerre, lui méritent quelques bienfaits de la part du gouvernement.
La Visubie sert depuis sa source jusqu’au Var au flottage des poutres de sapin et mélèze exploités dans les forêts qui l’environnent, et qui ne doivent avoir que trois à quatre mètres (10 à 12 pieds) de long à cause des fréquens zigzacs qu’elle fait ; c’est particulièrement à la fonte des neiges qu’elle sert au flottage.
En entrant sur le territoire de Duranus, elle s’engouffre au milieu de roches énormes taillés à pic qui en resserrent étroitement le lit ; on trouve dans cet abime des traces d’un chemin partie taillé dans le rocher et partie ayant été suspendu sur des barreaux de fer dont il n’y a plus que l’enchassure ; ce chemin s’appelle encore le chemin des Payens et devait suivre le cours de la rivière ; on prétend aussi, ce que je n’ai pu voir, qu’à cet endroit est une grille qui bouche l’entrée d’un canal par ou l’eau de la Visubie devait entrer pour aller sortir on ne sait trop à quel territoire ; quoiqu’il en soit, il est certain que cette belle eau qui devient inutile pourrait être employée avantageusement à l’agriculture en la conduisant sur des territoires qui manquent absolument d’eau.
1° On pourrait tirer un canal, depuis Saint-Martin de Lantosca, qui passerait sur les territoires de Venanson, Roccabiliéra, et finirait à Lantosca, arrosant tous les coteaux nord et nord-ouest de la vallée de la Visubie.
2° Exécuter l’ancien projet de tirer un canal de la Visubie, à Lantosca même, qui irait passer sur le torrent de Loude, ensuite sur le terroir de Duranus, puis sur celui de Levens, au moyen d’un château d’eau établi à Duranus, d’où il arroserait non seulement ces territoires, mais encore ceux de Roquette, Saint-Martin, Torrette, Aspremont et Saint-Blaise, pays à qui il ne manque que de l’eau pour être riches en toute sorte de productions ; après avoir arrosé ces territoires, le canal de la Visubie verserait l’excédent de ses eaux dans la campagne de Nice.
L’exécution de ce projet, qui, dit-on, couterait un million, pourrait être confiée à une compagnie qui vendrait ensuite chaque pouce d’eau, comme cela se pratique en Italie, ce serait le plus grand bonheur qui put arriver à ces campagnes.
La Visubie est riche en truites et en anguilles qui pèsent jusqu’à environ 1 kilo et ½ (5 livres) pièces ; elle a pourtant moins de truites que la Tinée. On voit de tems en tems quelques loutres sur les bords.
Paglion
Paglion, qui ressemble plustôt à un torrent qu’à une rivière, prend sa source au lieu appellé Palliam, au quartier de Maironese, à deux heures plus haut que Luceram, et vient se réunir au dessous de ce village à un autre torrens appellé le Lac, sorti de la montagne de Roche noire, dans le même territoire, après avoir fait aller cinq moulins à huile, deux à farine, une scie et avoir donné deux canaux d’arrosement, un à droite et l’autre à gauche qui se subdivisent et vont arroser toutes les campagnes du vallon de Luceram, et partie de celles de Scarena et de Coarasa, dans une étendue de deux heures. Le restant de l’eau de Paglion descend du nord au sud-ouest, dans un lit resserré par deux montagnes de couches calcaires qui se décomposent, et vient passer sous le pont de l’Escarena, où il rencontre un autre torrent permanent qui vient du col de Braous, passe au Thouet dont il arrose les campagnes basses et se rend à Scarena, pour se réunir à l’eau de Luceram.
Paglion, après avoir fait mouvoir à la Scaréna cinq moulins à huile et trois à farine, se dirige plus au sud, passant par derrière la montagne de Scaréna, sur laquelle est la grande route et ne paraissant plus qu’à un pont appellé pont de Peglia ; dans ce contour, Paglion reçoit un torrent à sec en été, qui passe à Peglia et Peglion, appellé Loana, venant de la montagne d’Agel qui porte le nom d’Eau de Peglia, et le donne à Paglion même, sous le pont dont j’ai parlé ; il fait aller pour Peglia neuf moulins à huile, et trois à farine ; pour Peglion deux à huile et deux à bled ; de plus on en a tiré tout le parti possible pour arroser les campagnes qui sont sur les rivages et qu’il détruit souvent ; ce qui fait qu’en été, à peine voit-on quelques filets d’eau sous le pont de Peglia.
En suivant le grand chemin, un lit de torrent ramasse les filets d’eau qui découlent de la montagne de Scarena, et servent à arroser péniblement quelques misérables propriétés voisines du chemin. L’eau qui reste continue à couler jusqu’à une heure et demie au-dessous de la montagne, ou se trouve un pont, avec une fontaine abondante, appellée de Jarrière, qui sort par deux endroits d’une roche calcaire ; eau fraiche mais fade et séléniteuse , qui sert à l’arrosage d’une campagne voisine, et à faire mouvoir un moulin à huile ; elle va se jetter dans le lit très vaste d’un torrent appellé Eau de Contes.
Le torrent de Contes nait des montagnes sur lesquelles se trouvent les communes de Berra et Coarasa, à environ une heure et demie plus haut que celle de Contes, au pied de laquelle il passe, on en tire des canaux d’arrosemens qui servent à faire mouvoir six moulins à huile et quatre à farine, tant à Bendejoin, hameau de Chateauneuf, qu’à Contes, plus deux martinets, un à Bendejoin, et l’autre à Contes et à vivifier toutes les campagnes voisines. En été, toute l’eau du torrent est presque employée à ces canaux et le lit est à sec. Dans le tems des pluies, au contraire, ce torrent est à peine contenu dans son lit, et il sappe encore les fondemens des roches voisines qui sont d’une nature friable.
Après avoir parcouru un espace d’environ deux heures et demies, le torrent de Contes se joint à Paglion qui vient de passer sous le pont de Peglia, et quitte son nom. De là, continuant sa route du nord au sud, suivant les zig-zacs de la montagne de Drap, jusqu’en face de cette commune où il reçoit d’un coté le torrent de Cantaron, à sec en été, venant de la montagne de Chateauneuf, et donne de l’autre un canal d’irrigation pour les campagnes de Drap, servant à faire aller un moulin, et une papeterie qu’on y va établir ; le long de sa course, Paglion donne encore d’autres canaux pour arroser les campagnes de sa rive droite, faire tourner deux à trois moulins, servir une papeterie établie au quartier de Drap, appellé l’Ariane ; il reçoit ensuite à sa gauche le torrent à sec en été, dit de la Trinité, descendant des montagnes d’Eze, puis à sa droite, le torrent de Saint-André, plus permanent, servant à des moulins, à un martinet et à arroser les campagnes voisines ; après quoi Paglion dirige sa course sur la campagne de Nice, passe sous le pont qui unit le faux bourg à la ville, et se jette dans la mer, un peu au sud-ouest, presque réduit à rien en été. On est surpris de l’étendue de la grave qui forme son lit et qui, pour la campagne de Nice seule, occupe un espace de 1000 mètres de longueur, sur 100 en largeur ; terrain précieux, qu’il conviendrait de racheter à quelque prix que ce fut ; cependant dans le tems des pluies et dans les orages, tout ce lit est brusquement occupé par un volume d’eau qui a été jusqu'à 4 mètres (12 pieds) en profondeur, et qui coulait avec une impétuosité sans égale, roule des blocs de roches considérables et des arbres qu’il a déracinés, franchit les limites de son lit qui ne lui suffit plus, s’étend dans les campagnes et menace les maisons du faux bourg.
Comme nous l’avons déjà observé pour le Var, le lit de Paglion s’est considérablement haussé ; on en peut juger du coté de Drap, par un mur qui est aujourd’hui dans son lit et qui servait autres-fois à tirer un des canaux dont on a parlé cidevant, dans une étendue d’environ trente mètres ; ce mur qui avait, il y a 20 ans, deux mètres environ de haut, au dire des paysans qui l’ont vu alors, est aujourd’hui à niveau du lit, et l’eau passe par dessus aussi, dit-on, que les anciens habitants des rives de Paglion avaient pour usage d’en labourer le lit chaque année ; par là, l’eau du torrent pouvait creuser dans une terre meuble, au lieu de devoir s’étendre en largeur.
Paglion parcourt un espace d’environ six lieues et demies de long, depuis sa naissance jusqu’à sa terminaison ; on y prend à Scarena des barbeaux et des anguilles ; ceux là d’environ 2 hectogrammes (7 à 8 onces) les plus gros ; et celles ci d’environ 1 kilogramme et demi à 2 (3 à 4 livres). Son eau est assez pure, lorsqu’il n’est pas enflé, parce qu’il nait de montagnes dont les sommets sont d’un grès très dur.
La Bévera
La Bévera prend sa source à une fontaine d’eau vive qui sort d’une montagne appellée Colle delle Cabane Vecchie, dans le territoire de Molinetto, à environ quatre heures de distance de Sospello vers le nord, parcourt la vallée à qui elle donne son nom, passe par le milieu de la ville de Sospello, sous un pont de pierre, coule par une pente très douce, toujours du nord au sud, le long des campagnes de cette vallée, jusqu’à ce qu’elle s’enfile une gorge de montagnes en grande partie liguriennes, pour aller se jetter dans la Roya, au-dessous du village Bévera ainsi nommé à cause du voisinage de cette rivière.
Dans cette course qui est d’environ 7 heures, la Bévera reçoit un très grand nombre de torrens dont la plupart sont à sec en été, ce qui fait que dans cette saison, on la passe facilement à cheval et même à pied, tandis qu’à la fonte des neiges et dans le temps des pluies elle inonde toutes les campagnes voisines, et entre même dans les caves des maisons qui sont baties sur ses rivages. Cette multitude de petits torrens et de fontaines qui abreuvent le territoire fertile de la vallée de Sospello, jointe au peu de pente du lit de la rivière, qui la rend stagnante en été, donnent une grande humidité à toute cette conque , en même tems qu’elle la fertilise.
Le torrent permanent appellé Merlansone, est le principal de ceux qui viennent se jetter dans la Bévera ; il nait au Col de Pessa, à l’ouest de Castillon ; il passe par les quartiers appellés Fraisse et Prau, et aboutit à Bévera au sud de Sospello, après avoir reçu sept autres petits torrens presque tous à sec en été.
La Bévera et Merlanson, font mouvoir onze moulins à huile et huit à farine ; on a tiré de la rivière tout le parti possible pour des canaux d’irrigation et elle fournit de l’eau aux fossés de trois taneries ; mais il m’a paru en remontant le torrent de Merlanson, qu’on pourrait en tirer beaucoup de canaux pour les campagnes des quartiers où il passe.
Cette rivière est abondante en truites et anguilles qu’on pêche durant la nuit à la lueur des flambeaux ; on pêche aussi dans les diverses eaux stagnantes des environs de Sospello, des carpes, des lamproies et des grenouilles.
Il me semble qu’on pourrait tirer parti de la Bévera, dans le tems de la fonte des neiges, pour faire flotter jusqu’à la Roya, les bois de Molinetto, en en décombrant le lit, dans la gorge des montagnes d’Olivetta.
La Roya
Cette rivière, (Rutuba des latins) prend sa source au pied du col de Tende à 2 heures de Tende, et descend du nord-nord-est au sud-ouest, par une pente très rapide, entrainant avec elle des énormes masses de rochers ; depuis 15 ans environ, son lit s’est considérablement étendu, et a occupé la majeure partie des prés situés de chaque coté de son rivage.
La Roya arrivée au voisinage de Tende, reçoit 1° le torrent permanent appellé Aurabia, qui prend naissance au col de Tas. 2° une demie lieue au dessous de Tende, au lieu dit Saint-Dalmas, la petite rivière de Levensa prenant naissance au Tanarello, traversant la vallée de la Briga, recevant les eaux du torrent Rio Secco, sec en été, à l’est du village parcourant une étendue de trois heures de long, terrible dans ses crues qui ont emporté une grande quantité de champs, de prés, de vignes et de jardins de la Briga dans l’inondation de l’automne de 1798 ; servant à faire aller 5 moulins à farine et à arroser tous les penchans des montagnes, avec la plaine, propre à transporter des billons, lors de la fonte des neiges, et contenant beaucoup de truites ; cette rivière a deux ponts l’un à Briga, l’autre à son embouchure. 3° La Bionia, rivière plus considérable que la Roya, dans laquelle elle se jette, prenant naissance des lacs des Merveilles au col d’Enfer, passant dans la Valauria où elle sert aux usines de la mine de plomb, traversant les riches bois de Gauron et Nauca, et successivement des bois de chataigners placés à droite et à gauche de ses rives, recevant les deux petits torrens appellés ruisseau de Gauron et de Grenier ; cette rivière parcourt, du nord-ouest au sud-est un espace d’environ six lieues de long, est très féconde en truites, et est susceptible de transporter de très gros billons pourvu qu’on ait soin d’en nétoyer le lit qui est encombré de grosses pierres. On pourrait aussi la faire servir à procurer des prés abondants dans les bois de chataigners qui l’environnent, en en tirant à droite et à gauche des canaux d’arrosement, dont un prendrait depuis le ruisseau de Gauron jusqu’au ruisseau de Grenier, étendue d’une heure, et l’autre, d’une étendue de deux heures, depuis l’endroit appellé Mairisse, jusqu’à Gardala.
L’embouchure de la Bionia dans la Roya est de quelques pas au dessous de celle de la Levenza.
La Roya, après avoir reçu ces eaux, continue de couler au sud-ouest, dans une gorge étroite, peuplée de chataigners extrêmement resserrés dans son lit, jusqu’à Fontan, hameau de Saorgio, où la vallée s’élargit, pour se resserrer de nouveau dans les gorges horribles des rochers pelés qui entourent Saorgio. Dans ce territoire, cette rivière reçoit
1° le torrent appellé Guido, qui a peu d’eau descendant par une vallée appellée Cayoline dont il arrose les terres à son niveau, et dont il pourrait aussi arroser les terres supérieures, en en tirant des canaux d’irrigation près de son origine ;
2° la Bendolla, arrosant les terres qui sont sur ses rives ;
3° une eau abondante qui découle des rochers qui sont sur le grand chemin (en face de l’inscription qui transmet la mémoire du Prince de la maison de Savoie qui a rendu ces abimes praticables) qu’on m’avait dit minérale et qui n’est qu’abondamment séléniteuse, de nulle utilité pour l’agriculture ;
4° le torrent de Gias qu’on dit venir d’un lac de ce nom, dans la montagne de Gions, et qui arrose une petite vallée au sud-est de Saorgio.
Après avoir franchi le territoire de Saorgio, la Roya reçoit à Giandola, hameau de Breglio,
1° le torrent permanent et abondant appellé vallon de la Maglia, qui prend sa source au pied de la montagne de l’Aution, au nord ouest de Breglio et qui parcourt pendant une heure et demie un vallon fertile, qui le serait encore davantage si l’on tirait des canaux d’arrosement du torrent de la Maglia ;
2° le torrent Foussa, ayant de l’eau en tout tems, prenant sa source à Crabaressa au pied de Brouis, vers Breglio et servant à arroser des prairies, des chenevis, et des jardins, de part et d’autre, dans une étendue d’une heure et demie.
Ici, la Roya quitte la vallée de ce nom, arretée par la chaine de Brouis, et se dirigeant plus au sud, elle enfile une gorge étroite de montagnes qui la conduisent sur le territoire de la Ligurie, au pied des communes liguriennes de la Penne et de l’Olivette, jusqu’à Bévera, ou elle reçoit la rivière de ce nom, environ trois milles au dessus de Vintimigle, dans la vallée de laquelle elle coule paisiblement jusqu’à la mer, après avoir passé sous un pont, au pieds des murailles de Vintimigle.
Cette rivière, que je regarde comme une des plus importantes du département des Alpes-Maritimes, parcourt depuis son origine jusqu’à la mer une étendue d’environ 13 lieues de long dont les deux tiers sur le territoire du département ; plus constante dans la quantité de ses eaux, plus accessible et plus limitée dans son lit que le Var, elle peut servir dans tous les tems aux flottages des bois magnifiques qui sont à Tende, à Briga et à Saorgio, pourvu que les billons et les planches n’aient pas plus de 3 mètres et demi (14 pans environ) de long, à cause des fréquents circuits qu’elle est obligé de faire ; elle a été constamment employée à cet usage, et je l’ai vue en exercice dans le plus fort de l’été ; mais il est à regretter que la France ne la posséde pas toute ; si ses limites, s’étendent de ce coté, ainsi que nous en avons exposé la nécessité, elle pourra faire venir des bois de construction jusqu'à Vintimigle, pour les transporter dans ses différens ports ; quelques travaux qu’on ferait dans le lit de cette rivière, pourrait peut-être même en étendre les usages, et augmenter les communications commerciales des grandes Alpes avec la Méditerranée.
La Roya abonde en excellentes truites et en barbeaux dans tout son cours, elle fournit des canaux d’irrigation très étendus et très anciens, à toutes les communes dont elle franchit le territoire, sans compter qu’elle fait aller tous les moulins à farine et à huile de Tende, Saorgio, Breglio, la Penna, Olivetta, Campo Rosso, et Vintimigle, sans perdre pourtant beaucoup de l’abondance de ses eaux qui sont vives, limpides et très pures. De Breglio à Tende, on la passe sur 5 ponts, un à Breglio, 2 sur le territoire de Saorgio et les 2 autres sur celui de Tende.
Le Var et l'Esteron
Hydrologie du Var et de son affluent l'Estéron.
NOTE : Nous offrons aux internautes la possibilité de découvrir ce texte inédit transcrit dans sa forme originelle et avec l'orthographe de l'époque. |
Le Var et l'Estéron
Le Var, mérite le nom de fleuve, si on entend par là, tout courant d’eau qui va directement à la mer ; mais si ce nom ne doit être donné qu’à une grande rivière dont l’embouchure est dans la mer, il mérite tout au plus le nom de rivière parce que semblable aux torrens. Le volume de ses eaux et leur impétuosité sont extrêmes à la fonte des neiges et dans le tems des grandes pluies, et se réduit à fort peu de chose durant les saisons de l’hiver et de l’été, pouvant alors être guaiyée par tous très facilement.
Il prend sa source au pied de la montagne du Garret, au dessus d’Estainc, hameau de la commune d’Entraunes, à une heure et demie de distance de cette commune ; le Var n’est la qu’un petit ruisseau qu’un enfant passe facilement ; à deux cents pas environ d’Estainc, il reçoit le torrent de Sanguinières, montagne placée entre St Dalmas le Sauvage et la vallée ; ce torrent est lui-même plus gros que le Var. Vient ensuite le torrent de Stroop descendant des montagnes de St Dalmas, puis le torrent d’Aillères, qui s’y jette, après avoir formé une belle cascade. Avant de recevoir ce torrent, le Var lui-même forme une cascade répétée au quartier de St Roch.
Après le torrent d’Aillères viennent, Garreton, Pestornières, Chaudan et Berarde, venant du coté d’Alos et de Colmar, torrens qui ont de l’eau en toute saison et qui produisent des ravages considérables durant la fonte des neiges et les orages, peu utiles, car ils ne parcourent guère que des rochers stériles.
Du côté du col de Pal, le Bordoux, prenant naissance au col de Bombarlet, vient se jetter dans le Var au dessous d’Entraunes, après avoir parcouru une course rapide d’environ trois heures, utile pour quelques canaux d’irrigation qu’on en a tiré pour les campagnes voisines.
Le Var arrivé à Entraunes a environ deux tiers de mètre de profondeur sur un et demi de largeur ; mais à la fonte des neiges, dans les grandes pluies et dans les orages, il déborde considérablement, il roule des rochers énormes, et menace ainsi que le Bordoux, le village d’Entraunes qui se trouve placé entre ces deux eaux, dans un espace triangulaire, dont il tire son nom, inter amnes.
J’ai été témoin d’une de ces scènes ; arrivé à Entraunes par un beau temps, le Var et le Bordoux, le long duquel j’étais descendu, ne paraissant que des espèces de ruisseaux, se trouvèrent le lendemain des rivières épouvantables, par la pluie qui survint la nuit et qui dura trois jours, durant lesquels j’étais enfermé comme dans une isle ; le mugissement de leurs eaux noires comme l’encre, joint au fracas des rochers qu’ils entraînaient formaient durant la nuit un bruit mille fois plus effrayant que celui qu’on entend en pleine mer lorsqu’elle est irritée ; le jour on était entouré du spectacle à la fois magnifique et menaçant d’un grand nombre de torrens nouveaux qui tombaient en cascades rapides de toutes ces montagnes élevées, et qui remplissaient l’air de poussières d’eau, avant de parvenir au fond de la vallée.
Le Var est contenu près d’Entraunes par une chaussée de deux ponts, à qui le village doit son salut, mais qui est fortement endommagée et qui exige une prompte réparation ; le village à également besoin d’une chaussée du coté de Bordoux. Après le Bordoux, le Var reçoit dans le territoire de St Martin d’Entraunes, les torrens Chastellanette, Chamfillon, les Filleuls, Cheilan, deux à l’est et deux à l’ouest. Ces torrens ont de l’eau, en tout temps, et servent à faire tourner des moulins et à l’arrosage, mais ils sont redoutables en automne et au printems, par les dégâts qu’ils occasionnent aux terres et aux chemins qu’ils traversent ; ils n’étaient il y a vingt ans ni aussi abondans, ni aussi impétueux ; le Var lui même a une course plus impétueuse depuis une douzaine d’années ; il a presque emporté tout ce qui restait de champs et de préz dans la plaine et sur le penchant des collines de sorte que les terres s’éboulent de partout et le rocher reste à nud.
Après ces torrens, il reçoit dans le territoire de Villeneuve d’Entraunes, celui d’Elenos, de Bourdoux et de Bantes ; le torrent seul d’Elénos a de l’eau en tout temps et sert à l’arrosage, à une scierie et à faire tourner quatre moulins, dont deux à farine et deux à foulon. Les autres font au contraire un tort infini à l’agriculture et celui de Bordoux envahira quelque jour le chef lieu, si l’on n’y prend garde. Ici, le Var pourrait commencer à être de quelque utilité, soit pour le flottage, soit pour l’arrosage ; la commune de Villeneuve n’a que la 10ème partie de son terroir, arrosé par l’eau d’Elénos ; il serait très possible de tirer du Var un canal d’irrigation, qu’on prendrait dans le territoire de St Martin, et qu’on ferait monter au dessus du chef lieu de Villeneuve, ce qui en arroserait toutes les campagnes, et quadruplerait l’étendue des prairies.
Après ces torrens, le Var reçoit avant d’arriver à Guillaumes, les eaux de la Barlate, torrent considérable, permanent, aussi gros que le Var, dans le temps des pluies, prenant naissance dans les ravines du col de Pal, et parcourant la vallée étroite de Chateauneuf d’Entraunes, dans la direction du nord-est au sud-ouest, dans une étendue de deux heures et demie ; servant à faire tourner trois moulins, et à arroser les prairies de Chateauneuf, dans les quelles les habitans ont multiplié les canaux d’irrigation, qu’il entretiennent avec beaucoup de soin.
Le Var parcourt ainsi dans la vallée d’Entraunes, en formant un grand nombre de zig-zacs, un espace de 5 lieux et demies de terrain en longueur, dévastant toute la plaine, sans lit fixe, et décharnant toutes les bases de montagnes. Sa direction est d’abord du nord-ouest à l’est, jusqu’à St Martin ; là il s’incline au sud est, jusqu’à Guillaumes.
Toute la vallée a un besoin urgent de ponts sur le Var, faute desquels on est obligé de gravir des précipices horribles, pour pouvoir aller d’une commune à l’autre, dans le temps des crues, ce qui amortit considérablement le commerce de ces contrées.
Arrivé à Guillaumes et à Sauze, le Var se dirige du nord-est au sud-ouest ; il reçoit d’abord du coté de Sauze deux torrens, l’un appelé le Rio, et l’autre le Rio de la Palu, tous les deux permanes et commettant beaucoup de dégâts. Le Rio sert à faire tourner deux moulins à farine ; on en avait tiré anciennement un canal qui arrosait tous les environs du village et que le défaut de moyens a forcé de laisser tomber en ruines ; il est d’une urgente nécessité de le réparer.
Je dirai en passant, qu’en remontant le Rio dans le vallon dit la Clef de Rio, on trouve une grotte remplie de stalagmites d’albâtre, transparent qui reçoit un très beau poli.
Sur le territoire de Guillaumes, qu’il parcourt de deux lieues et demie de long, du nord est au sud ouest, il reçoit sept torrens ; ceux de Chaulières, de la Frache et le Riou de Cantes venans des montagnes de Sauze et n’ayant point d’eau en été ; le Tuebi, venant du col de Crous, terroir de Peaune, torrent considérable ayant de l’eau en tout temps, parcourant une étendue de deux lieues et demie, dans la vallée de Peaune dont il occupe toute la plaine par son lit et vient raser les murs de Guilleaumes, à son embouchure ; le Tuébi reçoit dabord à quelque distence de son origine, le torrent dit Lavanche, ensuite, au pied du village, l’Aigo blancho, ou Riol Blanc, qui vient de la montagne de Monnier ; il fait aller cinq moulins à farine, cinq moulins à foulon, et un martinet. Les anciens réglemens obligeaient chaque particulier riverain a lui donner des bornes, et à entretenir des canaux d’irrigation qui en partait ; Riol blanc fournit pareillement un canal qui arrose les terres des différens quartiers et celui du village ; tous ces réglemens sont tombés en déssuétude, les campagnes sont moins arrosées, et le lit des torrens est augmenté.
Le 5ème torrent est celui des Roberts, venant des montagnes de Guilleaume, permanent, argileux, ayant servi autres fois à un foulon. Les deux derniers sont, celui de Bancheron et de la Clu d’Ames ; Bancheron a de l’eau en tout temps, il fait tourner deux moulins à farine et arrose par des canaux les campagnes du hameau et quartier de ce nom.
Tous ces torrens font un ravage affreux et exposent la ville de Guillaumes a être entièrement détruite quelque jour ; rien n’annonce plus la misère que les murs de cette ville, entourés de grave de trois cotés, et appuyés par l’autre contre des rochers de tuf qui se dégradent journellement ; trois ponts sont sur le Var, celui de Guillaumes, celui du Panier et celui de Robert ; le premier qui protégeait la ville a été évité par la rivière à la suite de l’éboulement du rocher qui en a détourné le cours ; il ne fallait d’abord qu’une chaussée de trente six mètres de long pour le rétablir, il la faut aujourd’hui de soixante dix mètres, et plus on retardera, plus le mal sera grand, et peut-être irréparable. En même temps il est utile à l’agriculture de rétablir la digue qui couvrait un plan conséquent, appelé plan de Notre-Dame, lequel est aujourd’hui couvert par le lit du Var, lorsque cette rivière déborde.
Après le territoire de Guillaume, le Var entrant dans celui de Daluys, de l’est à l’ouest, dans une étendue de trois quarts d’heure, reçoit deux torrens, l’un appellé le Rio de la Salette, descendant de la Colle, du nord au sud, et l’autre simplement le Rio, venant dans la même direction, tous les deux permanents servant à l’arrosage et à faire mouvoir un moulin à farine, terribles par les ravages qu’ils causent durant les fortes pluies.
Arrivé au pont de Guédan, après une course d’environ cinq heures, depuis Guilleaumes, et après avoir encore reçu quelques torrens qui viennent de St Léger et des communes des Basses Alpes, le var s’incline de l’ouest à l’est, et reçoit d’abord la petite rivière de Colomb, venant des Basses Alpes, après quoi il s’achemine vers Entrevaux et le Puget-Théniers, jusqu’au territoire duquel, il ne aucun torrent permanent. Mais dans ce territoire, il en reçoit beaucoup à droite et à gauche, qui s’y rendent les uns du nord au sud et les autres du sud au nord. Le plus grand nombre de ceux qui aboutissent à la rive gauche viennent de la montagne de Dines, qui est au nord de la ville ; tels sont les suivans, appellés vallons dans le pays, celui de Rives ; les deux vallons dits de St Martin ; les deux vallons du quartier des Odiers ; le vallon du Grelet et celui d’Endrivettes ; la source du quartier de la Blanquerie ; plusieurs petits vallons au quartier dit des Avalanches, parce qu’il contient plusieurs eaux souterraines qui font que les terres s’éboulent de toute part ; la Rodoule, qui descend des montagnes d’Auvare recueille les deux torrens qui passent au Puget de Rostang, appellés l’un ravin-d’Auvare, et l’autre Riou de Dines, et vient couler avec impétuosité le long des murs du Puget séparant la ville d’avec le faux bourg, réunis par un pont de pierre sous lequel passe le torrent, avant d’unir ses eaux à celles du Var qui est tout proche ; en suivant le cours du Var, toujours à gauche, dans le chemin du Thouet, jusqu’aux Champs, on rencontre encore des lits de plusieurs autres torrens, qui ne donnent qu’en temps de pluie.
Sur la rive droite du Var sont également plusieurs torrens, dont les principaux sont : le vallon de Notre-Dame, celui de Vivet, et celui de Peirols ; enfin celui du Breuiel proche lequel est la carrière du charbon de pierre.
La plupart de ces torrens sont permanens surtout celui de la Roudoule, qui fait aller les moulins à farine d’Auvares, La Croix et Pujet de Rostang, ainsi que les trois à quatre moulins à huile de ces deux dernières communes, et une partie de ceux de Puget-Théniers outre qu’on en tire dès son origine, divers canaux d’irrigation. Tous sont funestes aux campagnes du Pujet, dans le temps des pluies, des orages, et de la fonte des neiges ; partout on ne voit que ruines de préz, de champs et de vignes couverts de cailloux et de rochers amenés par les torrens ; la terre végétale du penchant des montagnes est rapidement entraînée dans le Var qui l’emporte au loin, dévastant à son tour, d’une manière affreuse, tout ce qui reste de champs dans la plaine ; le peu de ressource du pays, ne pouvant lui apporter que des efforts impuissans ; c’est de trente ans en çà que les torrens se sont montrés avec plus de force et d’impétuosité ; on l’attribue, avec juste raison, à la dénudation des hauteurs, que l’ignare cupidité augmente encore chaque jour ; des torrens nouveaux se forment chaque année et redoublent l’effroi de cette population florissante, il y a un siècle, mais qui a diminué insensiblement avec la quantité de son territoire cultivable et qui ne peut manquer de diminuer encore, si le gouvernement ne vient à son secours, soit par des réparations solides, au Var et aux principaux torrens, soit en établissant une police vigilante sur les eaux et forêts.
La source de la Blanquerie est très utile aux campagnes, par les canaux d’irrigation qu’elle leur fournit ; ses eaux sont chaudes en hiver et froides en été ; elle servait autre fois à trois taneries, il n’en reste qu’une.
Il y a un pont sur le Var, qui entretient la communication du grand chemin de Nice, avec le Pujet ; les frais de son entretien autrefois partagés entre toutes les communes qui en profitent et qui en ont un besoin direct sont aujourd’hui supportés par la commune seule du Pujet ce qui est non seulement injuste mais encore au dessus de ses forces. A un quart de lieue, avant d’arriver au Thouet, le Var reçoit un torrent considérable, appellé Chaus, qui prend son origine à la montagne de Mounier au dessus de Bueil, et reçoit toutes les eaux de pluies et de la fonte des neiges des différens quartiers de cette commune, plus les eaux abondantes d’une fontaine appellée Chaudans, de ce qu’elle est chaude en hiver, et qui sert à faire tourner deux moulins à farine et à faire mouvoir un foulon à un lieue de la commune. Le Chaus ne peut être d’aucune utilité à Beuil, parce qu’il coule tout à fait au pied de la montagne sur laquelle le village est bâti ; il reçoit ensuite les eaux de Pierles, Lieuches, Rigaut et Thierri, fait tourner quelques moulins sur le territoire de Rigaut et va à sa destination après une course d’environ quatre heures, presque toujours à travers des rochers inaccessible, sauf vers sa terminaison ou il occupe un lit considérable qu’on a déjà tenté en vain de rétrécir ; on le passe presque à sec en été, mais dans les averses, il est tellement enflé et si redoutable qu’il intercepte toute communication entre diverses communes ; il est donc d’une urgente nécessité qu’on y construise un pont pour que l’on puisse le passer en tout temps.
De ce torrent jusqu’au Villars, dans l’étendue d’une lieue et demie, il y a plus de quarante ravins à sec en été, qui font un ravage immense dans le temps des averses, et qui rendent souvent impraticable et dangereux le chemin commun de cette vallée du Var taillé perpendiculairement au dessus de cette rivière, et au dessous des ravins, sans aucun mur de retient. Le Thouet, village placé en amphithéatre sur le penchant d’un rocher taillé à pic, est divisé par une cascade permanente qui descend du rocher et qui sert à abreuver les habitans, a arroser leurs campagnes et à faire aller deux moulins, un à huile et l’autre à farine, après quoi, l’eau qui reste se jette dans le Var.
Arrivé au Villars, lieu autre fois très conséquent, le Var reçoit aussi deux petits torrens permanens, d’une course peu rapide, qui ont servi à arroser les belles campagnes d’alentour, à faire aller deux moulins à huile et à farine, à faire jouer un martinet, et aux fosses d’une tannerie qui n’existe plus, mais qui existait encore en 1786.
Du Villars à Massouin, dernière commune de la vallée du Var, cette rivière ne reçoit que quelques petits ruisseaux qui ont servi à l’irrigation des campagnes ; et des torrens, à sec en été, venant des montagnes de Bairols, Tournefort, et Malaussène. Sa course depuis le Pujet, est d’environ cinq heures, et dans cet espace, il fait un mal considérable aux campagnes et aux chemins, faisant dans le temps des crues, ébouler les terres et les rochers d’une texture peu solide ; il est évident que pour conserver les plaines qui existent encore dans cette précieuse vallée, il serait nécessaire de faire des ouvrages sur la rive droite de la rivière, qui la rejette. Sur la rive gauche qui est beaucoup plus solide étant formée de rochers qui n’ont pas encore été endommagés. Il est essentiel aussi de remarquer que les différentes communes placées sur la rive gauche ont la plupart des hameaux et des propriétés sur la rive droite et qu’en outre il y a un chemin par le col de Vial placé en delà du Var, qui abrège beaucoup la distance de ces communes, à la ville de Nice ; or, il n’y a aucun pont solide sur le Var, excepté deux ponts en bois, un au Thouet et l’autre au Villars, qui sont emportés tous les ans, dans le temps des crues, et qui l’ont été cette année durant mon séjour dans ces montagnes. L’intérêt du commerce et des communications réciproques exigerait donc qu’on en fit enfin un suffisamment solide, pour ne devoir pas être reconstruit chaque année. On a tiré de cette rivière tous les canaux d’arrosement dont elle est susceptible, relativement à la profondeur de son lit ; un canal appellé Vilières, pris en Villars, vient arroser une portion des terres basses du village de Malaussène.
A Massouin, le Var arrêté par les montagnes de Bairols et Tournefort, qui le séparent d’avec la Tinée, change de direction et se courbe à angle droit du nord au sud, s’enfonçant entre deux roches inaccessibles et pelées, au milieu desquelles il fait grand nombre de zig zacs, recevant du coté de l’ouest des torrens qui découlent des montagnes de Todon et de Torrette-Revest, sur le territoire desquels il prend son cours et dont le principal est celui de Barleng, qui fait aller un moulin, hiver et été, au moyen d’un étang artificiel qu’on y pratique dans cette dernière saison. Du côté de l’Est, le Var reçoit au bout d’environ une demie heure de course après Massouin, la rivière de la Tinée ; et environ trois quart d’heure après celle de la Vésubie ; ces deux rivières séparées dans leur embouchure, par l’extrémité de la troisième chaîne de montagne, sur laquelle est Utelle.
Les roches énormes qui servent de lit au Var, s’abaissent à mesure qu’on s’approche du territoire de Beauson où il y avait autre fois un pont dont on voit encore les ruines pour la facilité de la grande route de Nice au Pujet, qui passait par cette commune et qui était plus courte et plus aisée que celle d’aujourd’hui.
Aussi le Var quittant les rochers pour cheminer dans les terres, recommence t-il à commettre des dégâts immenses dont la commune de Bauson a souffert pour plus de 40 000 francs depuis 1790, ce qui devient continuel depuis ce territoire jusqu’à l’embouchure de la rivière dans la mer, son lit n’étant plus contenu par le solide mais gagnant chaque jour du terrain aux dépens de la culture.
Arrivé en effet à la commune de Roquette St Martin, à environ deux heures d’intervalle depuis l’embouchure de la Vésubie ; le Var qui passe au milieu du village, occupe au moins vingts-trois arpens, dix-sept perches, cent cinquante sétérées environ du terroir de cette commune, des quels il a pris sept arpens, soixante-douze perches, cent cinquante sétérées environ depuis 1790 ; et non seulement il s’empare du terrain cultivé, mais encore du sol des habitations ; dont il a déjà emporté plusieurs, avec une église et le chemin qui conduit à Gilette ; un de ses bras surtout, qui a un courant très rapide et qui s’est jetté jusque sous les maisons de St-Martin, creusant par dessous dans un terrain qui est meuble, paraît les menacer de chute prochaine et avec elles l’éboulement de toutes les terres supérieures.
Il est donc de la plus haute importance pour conserver ce village ainsi qu’un terrain très précieux complanté en jardinet, vignes et oliviers, dans une plaine riante (si l’on n’avait pas le spectacle des désordres causés par le Var), de construire une forte digue qui prenne au couchant et qui se prolonge du coté du midi laquelle relancera le Var dans son ancien lit qui était infiniment plus étroit, mais qu’il faudra creuser parce qu’il est beaucoup plus élevé qu’il ne l’était lorsqu’il pouvait contenir toutes les eaux de cette rivière.
Le Var traverse ici le grand chemin qui conduit de Nice à Gilette et au Pujet ; il y avait autre fois un pont dont on voit encore les restes de pilotis qui paraît avoir été emporté depuis un siècle. Il n’était pas prudent d’en construire un autre au même endroit, le terrain n’étant pas solide et le lit s’étant divisé en plusieurs bras, c’est pourquoi on transporta le pont à une heure plus haut, près de Beauson où le lit de la rivière est resserré et contenu entre deux rochers ; le chemin passait par là, ainsi qu’on le voit encore tracé sur la carte de Borgonio, la meilleure de toute pour ce pays, et faite vers le tiers du 18ème siècle ; ce pont s’est aussi écroulé, et il n’en reste plus que les ruines ; pour y suppléer, le ci-devant seigneur du lieu avait fait faire un bac à St Martin, lequel est aujourd’hui propriété nationale et affermé pour la rente annuelle de 590 francs mais ce bac ne pouvant être mis à l’eau dans le temps des crues du Var, ce qui arrive à la moindre pluie, on est obligé (ce qui n’est même pas toujours possible) de le faire gaier sur les épaules des habitans de St Martin, qui sont au nombre de trente environ, occupés par profession à guaier la rivière, toutes les fois qu’elle est trop étendue ; profession nuisible à ceux qui s’en occupent et qui ne vivent pas longtemps et souvent funeste aux voyageurs dont il est rare qu’il ne périsse quelqu’un chaque année sans compter la perte des bêtes de somme, qui est encore plus fréquente ; en outre, comme il n’y a aucun prix déterminé pour ce passage, mais qu’il est proportionné aux dangers vrais ou supposés que les guaieurs y trouvent, les extorsions qu’ils font aux voyageurs sont considérables ; en général, on peut compter sur cinq à six francs par individu, et j’ai payé moi même cette dernière somme car ils sont trois pour porter un homme, or sur douze mois de l’année, il y en a au moins trois, qu’il faut guaier la rivière, d’où l’on peut voir combien le commerce doit être gêné, soit par cette contribution, soit par les risques qu’il y a à courir.
Aussi es-ce un cri général de tout le 3ème arrondissement de rétablir le pont de Beauson ; la justice et l’humanité ne le réclament pas avec moins de force et certes en construisant ce pont et en y établissant un modique droit, les intérêts de cet arrondissement se trouveraient coïncider parfaitement avec ceux de la République, ou de la compagnie qui en formerait l’entreprise. Tout proche de St-Martin, du côté du sud, la anse que forme le Var, reçoit un torrent appellé le vallon de Saint Blaise qui vient des montagnes de cette commune, postée sur les hauteurs qui dominent le Var et qui sert à arroser une partie du territoire de la Roquette ; le Var fait aller deux moulins à farine, trois moulins à huile et deux scies à eau, dont les planches sont flottées sur la rivière jusqu’à la mer.
Egalement, tout proche du susdit village, à l’opposé du vallon de St Blaise, du coté de l’ouest, le Var reçoit la rivière de l’Esteron, venant des montagnes de Briançonnet dans les Basses Alpes, dans la direction de l’ouest à l’est, jusqu’à la commune de Roquesteron qui est partie des Alpes-Maritimes et partie du département du Var ; l’Estéron passe sous un pont de bois qui divise les deux territoires qui tombe en ruine ; formant un angle très aigu pour se diriger au Sud-Est, cette rivière établit la limite entre les deux départements, pour une étendue d’environ 6 heures de chemin.
L’Estéron arrivé sur le territoire des Alpes-Maritimes commence à y exercer de grands ravages ; son lit autre fois resserré, a acquis depuis une quarantaine d’années une étendue considérable, et augmente à vue d’œil, à cause des orages qui ont lieu souvent sur les montagnes pelées qui l’environnent, et sur lesquelles les eaux pluviales ne peuvent plus s’arrêter, depuis les déffrichemens des petits bois qui étaient sur leur sommités. De belles prairies arrosées par un canal tiré de l’Estéron, des jardins et des champs d’oliviers, occupaient il y à quarante ans un vaste terrain qui était tout proche du village de Roque-Estéron et qui n’est plus aujourd’hui qu’un gravier occupé par la rivière qui a changé de lit ; une digue qui la rétablirait dans son ancien lit, et dont la dépense à ce qu’on calcule, ne monterait pas à plus de 20 000 francs, rendrait ce beau terrain à l’agriculture, et l’on pourrait replanter le long de l’Estéron les meuriers qui y existaient avant le débordement, et qui produisaient un commerce honnête que cette commune a été forcée d’abandonner. L’on aurait aussi en construisant cette digue, un canal d’irrigation qui irait arroser le quartier dit du Ranc, absolument aride comme le sont en général toutes ces communes, entre le Var et l’Estéron, lesquelles n’ont de l’eau que par le moyen des resérvoirs qui reçoivent les eaux pluviales. L’Estéron fait ici mouvoir deux moulins à huile et un a farine, et il serait susceptible de fournir de l’eau à un grand nombre d’autres fabriques, s’il venait à s’en établir.
Depuis la Roque-Estéron, cette rivière parcourt, du côté des Alpes-Maritimes, les territoires de Cuebris, Pierrefeu, Gillette et Beauson ; elle reçoit le Rio torrent qui vient de St Raphael, montagne de la commune de la Penne, qui sert à l’arrosage, et à un moulin ; deuxièmement le Riollant, qui vient des montagnes de Sigalle ; troisièmement le Riou, torrent des montagnes de Cuébris, presqu’à sec en été, et qui traverse aussi le terroir de Pierrefeu, donnant quelques arrosages quand il y a de l’eau, et faisant aller deux moulins à farine et deux à huile, aidé de celle de quelques petites sources qui tarissent en été, saison ou les moulins ne vont pas ; quatrièmement le torrent de Gilette qui vient des montagnes de Revest qui fait aller quatre moulins, deux à blé et deux à huile, et presque à sec en été. L’Estéron reçoit en outre les torrens qui lui arrivent du côté du département du Var, et dont je n’ai pas pris note, plus une infinité de petit ravins qui descendent dans le temps des pluies des hautes montagnes au milieu desquelles sont lit est creusé, et qui font qu’il ne peut être d’aucune ressource pour l’agriculture, après avoir franchi le terroir de Roque-Estéron.
Après avoir reçu l’Estéron, le Var coule au pied des montagnes sur lesquelles sont bâties les communes de Saint-Blaise, Levens, Aspremont, Torrette, dont il reçoit les eaux pluviales, et s’inclinant un peu à l’ouest lorsqu’il est arrivé au pied des vignobles du quartier de Bellet, il passe sous le pont dit de St Laurent, construit dans la dernière guerre, et mitoyen avec le département du Var, et se jette dans la mer ; avant d’arriver au pont, il menace évidemment toutes les terres de ce quartier de la campagne de Nice, appellé quartier du Var, il les inonde dans les grandes crues et ses eaux y filtrent en tout temps, parce que ces terres sont plus basses que son lit, ce qui en forme un marécage d’une demie lieue environ d’étendue, le seul qui existe dans le département.
Depuis long-temps on fait les plus grands efforts pour conserver ces terres ; différens travaux partie en maçonnerie, partie en arbres et arbustes couchés le long de la rivière et surveillés par une commission ad hoc ont réussi à faire tirer quelque parti de ce qu’on nomme à cause de cela, les Iscles du Var, mais sont insuffisants pour en assurer une culture entière contre les grandes crues de la rivière, ainsi qu’on en fait chaque année la trop malheureuse expérience.
Il faut convenir que le lit du Var comblé par les atterrissements qui se sont faits depuis tant de siècles et qui sont plus conséquens aujourd’hui que les montagnes dégradent, et que les terres qui ne sont plus soutenues s’éboulent à grand flot, il faut convenir, dis-je, que ce lit a du gagner en largeur ce qu’il a perdu en profondeur, il n’appartient qu’à un ingénieur hydraulique consommé dans la théorie et la pratique d’une science aussi difficile, de trouver la solution du problème de donner au Var un lit suffisant pour les plus grandes crues, en conservant le terrain précieux qui se trouve encore sur son rivage.
Le Var parcourt ainsi, en faisant des détours et des zig zacs très fréquens, une étendue d’environ vingt une à vingt deux lieues, depuis sa source jusqu’à son embouchure ; il est susceptible depuis la vallée d’Entraunes, de recevoir et de transporter des billons mais il ne peut recevoir des radaux que depuis St Martin, c’est à dire dans une étendue de trois heures ; on pourrait même le rendre navigable jusques la en l’encaissant, mais depuis ce point la chose est impossible.
Cette rivière est peu poissonneuse ; elle ne contient presque pas de truites ; les anguilles et les barbeaux sont les poissons qu’on y pêche plus fréquemment ; les sardines et anchois fréquentent volontiers son embouchure.
Tribunaux de justice et ordre judiciaire ancien et moderne
De l’organisation de l’ancien ordre judiciaire et des tribunaux à l’ordre judiciaire en 1803. De la quantité de la nature des procédures civiles et criminelles en 1790 et en l’an X du calendrier révolutionnaire.
NOTE : Nous offrons aux internautes la possibilité de découvrir ce texte inédit transcrit dans sa forme originelle et avec l'orthographe de l'époque. |
Tribunaux de justice, et ordre judiciaire ancien et moderne
Des tribunaux anciens et modernes
L’organisation de l’ancien ordre judiciaire du comté de Nice était extrêmement simple et peu coûteuse.
Anciens tribunaux
Elle consistait, en commençant par le dernier échelon, en un baile pour chaque commune ; un juge ordinaire ; un juge image pour chaque province ; un sénat et un magistrat de commerce pour tout le comté.
Baile
La baile était une espèce de juge local, pris régulièrement dans l’ordre des notaires, et résidant nécessairement dans la commune. Ses fonctions consistaient à recevoir toutes les plaintes ; et à tenir registre de celles appartenant à la simple police, et emportant peine correctionnelle ; ce registre était présenté au juge ordinaire lors de son accedit, quant aux plaintes emportant peine afflictive il devait en donner immédiatement avis au juge ordinaire qui était chargé d’en instruire la procédure, ou par lui-même, ou par son lieutenant, ou par une délégation à ce même baile.
Indépendamment de ces fonctions relatives au criminel ou au correctionnel, les bailes connaissaient immédiatement de la nourriture et des salaires dus aux ouvriers, aux nourrices, aux domestiques, aux orphelins. Des contestations relatives aux changements de limite, et aux dommages ruraux ; enfin de toutes les affaires qui n’excédaient pas la somme de 40 livres de Piémont (48 fr.). Il y avait appel de leur décision au juge ordinaire et de celui-ci au juge mage.
Le baile était nommé pour trois ans par le roi, le seigneur, ou par la commune même lorsqu’elle en avait le droit ; et cette nomination devait être approuvée par le sénat, pour avoir son effet. Au bout des trois ans, il pouvait être réélu, mais il n’était admis par le sénat à cette réélection, qu’en rapportant une déclaration signée par le juge ordinaire qu’il n’y avait point eu de plainte légale portée contre lui, aux assises tricennales. Cet officier n’avait point d’appointements fixes, il jouissait de rétributions très modiques fixées par un tarif général.
Des juges ordinaires
Les juges ordinaires, ou de première instance, étaient nécessairement des gradués, c’est-à-dire, docteurs en droit ; ce qui exigeait 5 ans d’études à l’université de Turin, ils ne pouvaient exercer des judicatures, ni remplir des fonctions d’avocats, qu’après trois ans de pratique dont un au moins chez l’avocat des pauvres ; au bout ce temps ils subissaient un nouvel examen donné par le sénat, pour être déclarés propres à remplir la fonction de juge.
Ces juges connaissaient en première instance, de toutes les affaires civiles et criminelles, de quelque nature qu’elles fussent au criminel, ils pouvaient appliquer à la question et condamner à toutes les peines déterminées par les lois, sans autre appel qu’au sénat. Au civil au contraire, ils ne jugeaient en dernier ressort, que jusqu’à la somme de 400 livres de Piémont, au delà de laquelle, il y avait appel au juge mage et de celui-ci, au sénat.
Leur juridiction comprenait une ou plusieurs communes et ils résidaient au chef lieu de l’arrondissement ; mais tous les ans chacun d’eux était obligé de se rendre, au moins une fois dans toutes les communes de son ressort, pour y tenir les assises ; là, il donnait suite à toutes les affaires urgentes et sommaires et prononçait seul avec l’intervention d’un vice fiscal, sur toutes celles de simple public ou correctionnelles, et ce, sans appel lorsque les peines correctionnelles n’excédaient pas celles que prononce aujourd’hui la simple police.
Ces juges étaient aussi nommés pour trois ans, par le roi ou par le seigneur, et devaient être confirmés par le sénat. Ils avaient un lieutenant, aussi gradué et nommé de même. Ils pouvaient être réélus, mais à la condition expresse d’un certificat délivré par le juge maje de la province, qu’il ne lui était parvenu aucune plainte légale contre leur gestion. Ils ne jouissaient non plus d’aucun appointement fixe, mais seulement de modiques rétributions déterminées par le tarif. Une seule comparaison sera juger de la modicité de cette rétribution, vu une affaire de 50 francs, jugée anciennement, après une procédure assez longue, et ne coûte que 11 francs, remise en jugement devant les tribunaux actuels, elle a 80 francs, en frais de justice.
Les juges mages (judex major) étaient à la tête des juges ordinaires de la province ; ils avaient une espèce de juridiction sur ceux-ci ; leur tribunal était un tribunal d’appel intermédiaire entre celui des juges ordinaires et du sénat, pour les causes civiles qui passaient la somme de 400 livres de Piémont ; chaque année ils tenaient les assises pour écouter les plaintes portées contre les juges ordinaires. Le juge mage était encore le juge né de la ville, où il résidait et de la banlieue pour cette judicature, il n’avait pas plus de privilèges que les autres juges ordinaires.
Le siège de la judicature mage, était aussi celui des juges ordinaires qui n’étaient point juges royaux, d’un avocat fiscal provincial, et de tout l’appareil de la justice. Chaque juge ordinaire avait son vice fiscal, subordonné à l’avocat fiscal. Un certain nombre de procureurs, d’huissiers, etc étaient affectés à ce siège et aux tribunaux qui en ressortaient, sous la surveillance du juge mage.
On a vu qu’anciennement le département était divisé en trois vigueries, ou chefs lieux de justice mage ; Nice, Sospello, et Puget-Théniers ; dans les derniers temps, il n’y en avait plus que deux, Nice et Sospello ; encore cette dernière province était-elle fort petite, la juridiction ne comprenait que 30 communes.
Le juge mage avait un lieutenant pour le représenter en cas d’absence, de maladie, ou d’incompétence. L’un et l’autre étaient nommés par le roi, et leurs lettres devaient être enregistrées au sénat.
L’avocat fiscal était l’homme du roi ou de la partie publique, il était aussi nommé par le roi, et il tenait, dans les cours de justice, le second rang après le juge mage, fonctions auxquelles sa place le conduisait ordinairement.
Les unes et les autres de ces places étaient à vie, sans cependant être inamovibles, lorsque le bien d’une province le demandait ; elles avaient des appointements fixes, qui n’allaient guère au-delà mille livres outre des rétributions fixées par le tarif général, et qui, quoique un peu plus fortes que celles des juges ordinaires étaient cependant modiques.
Le salaire des procureurs du siège était pareillement fixé par un tarif, duquel il eut été dangereux pour eux de s’écarter.
Du Sénat
Il n’y avait à Nice qu’une seule chambre de sénateurs, composée de sept membres, y compris le premier Président. Ce tribunal était suprême, et ordinairement bien composé, ces places n’étant données en général qu’au mérite reconnu et après de longs services dans les fonctions subalternes.
Les attributions d’un sénat étaient :
1èrement la haute surveillance de tout l’ordre judiciaire de son ressort ;
2èmement de juger en première et dernière instance des causes civiles dont la valeur excédait celles de 2 000 livres de Piémont, et les causes des privilégiés tels que celles concernant les pupilles, les mineurs, les veuves, etc. Ce moyen évitait les frais de justice antécédens, au cas où l’affaire eut été susceptible de l’appel ; cela n’empêchait pourtant pas que les juges ordinaires n’en pussent connaître, ce n’était qu’un privilège, employé par les parties qui voulaient en profiter. Il en était de même pour les affaires s’élevant au-dessus de la somme de 2 000 livres, les défendeurs ne pouvaient pas se soustraire aux juges ordinaires, lorsque les demandeurs les y avaient appelés ; les seules personnes privilégiées étaient reçues dans cette exception d’option ;
3èmement le sénat était le dernier tribunal d’appel, dans toutes les causes civiles excédant 400 livres ;
4èmement il révisait, confirmait ou annulait tous les jugements en matière criminelle ;
5èmement chaque trois ans il envoyait un de ses membres dans les sièges de justices mages, pour tenir assises, et écouter les plaintes contre le juge mage.
6èmement il confirmait les nominations de tous les juges de son département et nommait aux différents offices de justice, qui étaient de son ressort
7èmement il entérinait, à la diligence de l’avocat fiscal général, tous les édits du souverain concernant son département et il avait le droit, d’après la Constitution de faire des remontrances après les avoir entérinés droit dont il n’y a pas d’exemple que le sénat de Nice ait jamais usé.
Quoique cour souveraine, en fait de justice, cependant il s’est présenté des cas, où l’on a appelé de ses décisions ; alors, on présentait requête au roi qui, s’il le jugeait convenable, renvoyait l’affaire au sénat de Turin ou à celui de Savoie, ou à celui de Nice même augmenté de quatre juges choisis parmi les avocats.
Auprès du Sénat étaient l’avocat fiscal général, chef de tout les fiscaux du département, l’avocat des pauvres, et tout l’appareil de justice d’un tribunal suprême.
Les sénateurs étaient nommés à Nice par le roi, et étaient amovibles ; ils avaient des appointements fixes de 1 200 livres, sans compter les épices, fixées par le tarif général.
Magistrat du commerce
Ce tribunal, analogue aux amirautés de France, était suprême ; il était composé du 1er Président du sénat, qui le présidait, de l’intendant qui le présidait en son absence, de deux sénateurs, de trois juges gradués, et de deux négociants, n’ayant que voix consultative, appelés consuls du commerce ; auprès de lui était un procureur général du commerce et un substitut.
Protomédicat
On peut ajouter à ces différents tribunaux le magistrat du protomédicat, qui avait un représentant dans toutes les provinces [illisible]
Tribunaux actuels
Tous ces différents tribunaux sont remplacés aujourd’hui par 22 juges de paix, répartis dans tout le département, dont deux à Nice ; par trois tribunaux de première instance, chargés aussi de la partie correctionnelle, avec leurs commissaires remplaçant les anciens avocats fiscaux, un tribunal criminel et spécial, avec un commissaire du gouvernement, ayant trois substituts, magistrats de sûreté, pour la police correctionnelle dans les tribunaux de première instance ; un tribunal de police municipale, où le commissaire de police représente la partie publique, à Nice, et où les adjoints ou maires sont chargés des mêmes fonctions dans les autres communes ; enfin un tribunal de commerce à Nice, dont les juges sont nommés par les commerçants.
Le tribunal criminel et le tribunal spécial, siègent à Nice ; des tribunaux de première instance, le premier est à Nice, le second à Monaco, et le troisième au Puget. On sait que les juges qui les composent sont nommés immédiatement par le gouvernement. Il y a près les tribunaux criminel et spécial, une maison de justice pour la direction des prévenus de crimes et pour ceux qui sont condamnés à la réclusion, lesquels commencent à être employés à des travaux utiles ; près de chaque tribunal de première instance, il y a une maison d’arrêt ; toutes ces prisons réunissent la salubrité à la sûreté. Sauf celle du Puget qui a besoin de quelques réparations.
Il y a près ces divers tribunaux du département, des chambres de procureurs soit avoués et tout ce qui compose les officiers de justice. Les tribunaux de première instance vont en appel à Aix.
Le tribunal de commerce est composé de quatre juges et de deux suppléants, élus parmi les négociants. Il n’y a personne auprès de lui pour la partie publique.
De la quantité de la nature des procédures civiles et criminelles en 1790, et en l’an X
Esprit de chicane
Il y a eu de tout temps dans toutes les provinces, des communes disposées plus particulièrement que d’autres à plaider, en matière civile, ou impliquées plus fréquemment dans les procédures criminelles ; cet esprit de chicane étant né une fois, se propage par l’éducation, la peuplade y prend goût, on ne parle que de cela dans les veillées ou dans les assemblées, et elle est vraisemblablement entretenue dans cette disposition par ces gens oisifs qui, dans les villages, obtiennent la réputation d’avocat, comme ils le piquent d’avoir dans les villes celle de politique.
Telles étaient pour les rixes et les meurtres les communes de la Briga, Saorgio, Pigna, etc. et pour le civil, Peglia, Scarena, la vallée de la Vésubie ; et telles sont encore les vallées d’Entraunes, de Guillaumes et la ville et campagne de Nice, dont un seul juge de paix eu dans l’espace des six derniers mois qui viennent de l’écouter, jusqu’à 600 actes écrits, sans compter les contestations verbales.
Il m’a été impossible d’obtenir l’état comparatif des différentes procédures, soit parce que les registres du sénat ont été emportés, soit à cause de la différence d’organisation de l’ordre judiciaire ; on m’a pourtant assuré que malgré l’inclination de plusieurs communes à plaider, cependant les longs procès étaient plus rares qu’aujourd’hui, et que les différends se terminaient ordinairement ou par devant le baile, ou par les juges ordinaires, lors de leur accedit sur le lieu, sans aucune formalité d’enregistrement, sauf le papier timbré, dont la feuille ne coûtait que deux sous, et je n’ai pas de la peine à le croire, dans un pays ou les fortunes étaient si modiques, et où les demandes excédant 2 000 livres devaient être rares.
Cette facilité devait aussi favoriser l’esprit de chicane, et il devrait être moindre aujourd’hui, à raison des frais excessifs, des distances et des déplacements que les parties doivent éprouver pour se rendre au chef lieu du canton ; et effectivement, dans les petites communes, les habitants souffrent des dommages et des pertes, plutôt que de plaider, d’autant plus que la plus grande partie ignorent encore les nouvelles formes, et ce n’est que dans les grandes communes, où les circonstances ont multiplié les procès, notamment dans la ville de Nice, dont le tribunal civil juge lui seul plus d’affaires en trois mois, que ceux de Monaco et du Puget dans une année.
Ouverture des procédures civiles
Le code des lois civiles et criminelles de l’ancien gouvernement était si simple et si précis, que, malgré l’astuce des procureurs, il n’était pas aisé de multiplier les procès. Les changements des lois, en général, la vente et revente des biens nationaux, la nécessité des formalités de l’enregistrement des actes publics, de ceux sous seing privé, et des hypothèques ; l’omission de ces formalités, les lois des successions et surtout celle du 17 nivose, qui avait presque anéanti la faculté de tester, et qui appelait aux successions les ex moines, et même les filles mariées avant la révolution, lesquelles n’avaient droit qu’à la légitime, si elles n’étaient point dotées ; la loi du 22 septembre 1792, sur le divorce, lequel était prohibé par les lois locales ; toutes ces lois et autres, propres à favoriser les inclinations naturelles de l’homme à chercher ses intérêts ou à satisfaire ses penchants, ont multiplié à l’infini les demandes en justice, et les multiplieront encore pour longtemps, à cause surtout des actes simulés, auxquels la difficulté des lois nouvelles, et leur opposition aux anciennes habitudes du peuple ont donné lieu ; il faut ajouter que les émigrés rentrés, admis à l’exercice des droits de citoyens, multiplieront encore les demandes en justice, soit comme créanciers, soit comme débiteurs, de sommes surtout provenant de titres sous seing privé ; il faut y ajouter aussi ce qui n’est pas indifférent les dédales tortueux dont s’est enveloppée la chicane, dans un pays où elle est peu surveillée, et où il y a, en général, peu de lumières, et l’on croira facilement ce qui m’a été assuré par des juges de l’ancien et du nouveau régime, que le tribunal civil de Nice a un nombre de procès excédant du double, ceux qui existaient à la judicature mage, en 1790.
Procès criminels
Diverses peuplades de ce département ont toujours eu une tendance au brigandage ; d’autres allumaient des rixes avec la plus grande facilité, surtout celles qui sont dans le voisinage du Piémont et du pays de Gênes ; les habitants des contrées occidentales ont, au contraire, toujours été pacifiques et soumis aux lois ; rarement il en entrait en prison, de l’ancien régime, sauf pour contrebande, et au milieu même de ces dix années de bouleversement des choses, les vallées d’Entraunes, de Guillaumes, de l’Estéron et du Puget, n’ont produit aucun individu coupable de délits capitaux.
Cette tendance au brigandage, qui s’est toujours réveillée dans toutes les guerres, était entièrement assoupie dès que la paix paraissait, soit par la vigilance et la sévérité des lois qui punissaient de mort, le voleur comme l’assassin, soit par l’influence de la morale des doyens religieux : au point, qu’en 1790, on pouvait voyager partout, de jour comme de nuit, avec ou sans argent, sans craindre la moindre insulte ; à peine, dans le cours de trois ans, y avait-il une exécution à mort ; les procédures criminelles roulaient seulement sur les résultats des rixes et des provocations au meurtre, ainsi que sur les délits de contrebande. Le maximum des prisonniers, soit de Nice, soit de Sospello excédait rarement, à ce que l’on m’a assuré, le nombre de 10 à 12.
Les effets d’une guerre sanglante et d’une révolution terrible, durant laquelle la religion avait pris pour le commun des hommes une apparence de problème, furent de multiplier les procès et les délits, et de débrider cette tendance au brigandage, comprimée par des puissances contraires. J’ai déjà dépeint dans un autre endroit, la barbarie et la férocité que cette tendance produisit pendant les 10 années qui viennent de s’écouler ; je m’épargnerai le calcul du nombre de ces terribles brigants sous la hache de la justice ; jamais le sol de Nice et du département n’avaient été arrosé de sang de tant de criminels ; jamais autant de tribunaux, ni autant d’exécuteurs
Nombre de détenus
Il y a eu dans les prisons de la maison de justice, jusqu’à 100 et plus de détenus ; l’état des écrous de l’an X et de l’an XI, est de 70 à 80 détenus à la fois.
Dans les maisons d’arrêt de Monaco et Puget-Théniers, le plus grand nombre des détenus a été de 13, il y en a habituellement 4 à 5 à Monaco, souvent aucun au Puget.
Le nombre de ces détenus dans la maison d’arrêt de Nice, pour la police correctionnelle et de sûreté, est habituellement de trente à quarante.
Il faut convenir, du reste, pour cette dernière qualité et quantité de détenus, que les délits correctionnels pour lesquels un homme est privé de sa liberté, avant d’être jugé, surtout dans cet exercice actif et peut-être trop multiplié de mandats de dépôt, du magistrat de sûreté, augmentent le nombre de ces prisonniers, sans déterminer aucun préjugé solide sur leur moralité.
Quelques observations sur des besoins de localité dans l’ordre judiciaire
Il est de fait que si l’homme riche ou astucieux se trouve aujourd’hui avoir de grandes facilités pour ? de procès, l’homme simple, pauvre et de bonne fois, est forcé d’abandonner la justice de sa cause, à cause des frais énormes et des déplacements qu’il faut faire pour exiger une modique somme légitimement due ; quant on pense, lorsqu’on a été sur les lieux, que pour la demande de 6 francs, par exemple, il faut faire une route de plusieurs heures, par des mauvais chemins, pour aller chercher un huissier à la résidence du juge de paix ; que cet huissier doit, à son tour marché plusieurs heures pour aller porter son exploit, et que de là ; il doit se rendre à la résidence du receveur de l’enregistrement pour le faire enregistrer, et qu’avant d’avoir justice, il faut faire ce chemin et cette dépense plusieurs fois, on n’est plus surpris que le père de famille perde ses droits, plutôt que de les solliciter à un si haut pris.
Ces difficultés pour obtenir justice, seraient propre à éteindre tout esprit de chicane dans un pays bien policé et où la bonne foi régnerait ; mais dans des contrées, où l’on a déjà dû voir que tout ce qui fortifie le lien social est en partie dissout, elles ne font qu’alimenter le vice, et le faire triompher de la vertu, qu’elle que soit la sagesse du législateur qui les a conçue et qui n’a pu prévoir toutes les exceptions exigées par les localités.
Convaincu de ces inconvénients qui donnent lieu chaque jour à des actes simulés et à des billets sous seing privé et sur papier simple, sources éternelles d’une immensité de procès et de haines, je n’ai pu me refuser aux vœux unanimes de toutes les communes qui m’ont prié de coucher par écrit les demandes suivantes.
1èrement L’établissement d’une autoroute judiciaire quelconque, dans chaque commune, et sans aucun traitement, qui eut les mêmes attributions que les justices de paix, jusqu’à 50 francs, afin que chaque citoyen put trouver une justice prompte, moyennant quelques modiques rétributions, déterminées par un tarif.
2èmement Faculté à l’huissier y attaché de faire des assignations verbales, de quoi tout mention serait purement faite dans le décret, et le tout exempt de la formalité de l’enregistrement.
3èmement Augmentation d’attribution aux juges de paix, et si on laisse aux citoyens la nomination de ces fonctionnaires, déterminer qu’ils ne pourront être pris que parmi les hommes de lois, ou parmi ceux dont les connaissances approximatives à cet état fussent généralement connues ; on pourrait alors réduire à un seul, les tribunaux d’arrondissement.
4èmement Augmentation du nombre des membres du tribunal civil du chef lieu du département, pour hâter la prompte expédition des affaires, et que ce tribunal fut déchargé des fonctions correctionnelles car d’un côté, celles-ci embarrassent le tribunal, et de l’autre ; elles doivent éprouver du retard, tandis qu’il est dans la nature de la police correctionnelle, que la punition qu’elle quelle soit, soit prompte et active.
5èmement Pour que cette police fut active, (et l’on en a un grand besoin dans ce département), l’établissement d’un magistrat ad hoc qui ne ressortit point du tribunal civil, et dont les fonctions fussent de plus longue durée.
Tels seraient de l’avis des gens et sensés, les moyens que l’état des choses paraîtraient désirer, pour améliorer l’exécution de la justice distributive dans ce pays, et pour la garantie des personnes et des propriétés.